Charles Maurras
L’Avenir de l’intelligence
Par Pierre Lafarge
Les principaux livres de Maurras
sont des livres de démonstration politique. Kiel et Tanger
démontre l’impossibilité pour la République de mener une politique
étrangère digne de ce nom, l’Enquête sur la monarchie
entend démontrer que la monarchie traditionnelle, héréditaire,
antiparlementaire et décentralisée est de salut public pour la
France, L’Avenir de l’Intelligence, lui, s’attache à
présenter l’aliénation des intellectuels par l’argent.
On a souvent rappelé l’importance, dans la genèse du texte de Maurras,
de la brochure d’Hugues Rebell, datant de 1894, L’union des
trois aristocraties. Il est surtout certain que la notion
d’“intellectuel” se forge dans la dernière décennie du XIXe siècle
notamment à l’occasion de l’Affaire Dreyfus. Le texte de Maurras
lui, paraît pour la première fois en 1902 dans la revue
Minerva dirigée par René-Marc Ferry.
Précisons d’entrée que Maurras
entend ici par Intelligence non la pensée en elle-même, mais bien la
profession d’écrivain ou de journaliste. L’Avenir de
l’Intelligence, c’est le douloureux récit de l’asservissement
progressif des écrivains français par l’Or et la démocratie.
Faisant remonter son étude aux XVIe et XVIIe siècles, Maurras
nous montre des écrivains qui sont avant tout des artistes et un
pouvoir qui est avant tout, voyez Louis XIV, mécène et non patron,
laissant aux auteurs une véritable liberté artistique.
Asservissement à l’Argent
Avec le XVIIIe siècle tout change, le moindre écrivain se pique
de philosophie et loin de se faire, comme Molière, le peintre moral
des travers éternels de l’homme, ou comme Racine de ses passions, il
n’a de cesse de l’ériger en absolu. Il ne voit pas qu’outre celui de
l’art, il creuse son propre tombeau. Devenu non plus le peintre,
mais l’acteur des passions, il va devenir le jeu des factions.
Prenant le pouvoir lors de la Révolution française (« Le
successeur des Bourbons, c’est l’homme de lettres », écrit Maurras),
l’intellectuel va, en bouleversant l’ordre traditionnel, aliéner
fortement sa liberté.
Après la Révolution, les forces d’Argent, on le sait, prennent de
plus en plus d’importance en France. C’est le triomphe de la
bourgeoisie et de l’industrie. L’activité littéraire n’échappe pas à
ce phénomène et l’une des forces de Maurras
dans ce livre est de nous montrer l’apparition d’une véritable
industrie littéraire. Alexandre Dumas et Émile Zola en sont les
meilleurs exemples. Le lecteur devient un consommateur, crédule et
demandeur de surcroît. L’écrivain, s’inscrit donc désormais et avant
tout dans des rapports d’argent, tant avec ses lecteurs qu’envers de
possibles commanditaires. C’est un véritable asservissement, puisque
« non contentes de vaincre l’Intelligence par la masse des
richesses qu’elles procréent, les Forces industrielles ont dû songer
à l’employer ».
Là où tout devient encore plus grave pour l’intérêt national,
c’est lorsque l’Intelligence peut être soumise à l’argent étranger,
qu’il s’agisse de Bismarck empêchant le retour de la monarchie en
France après 1870, des écrivains français à la solde de Moscou après
1945 ou de pseudo-géopoliticiens actuellement à la solde de
l’Amérique.
Actualité de l’analyse
L’analyse de Maurras,
malgré l’apparition de nouveaux médias, est toujours d’actualité.
L’appel à une renaissance de l’esprit qui conclut L’Avenir de
l’Intelligence également. Ce sursaut passe, selon l’expression
d’Ernest Renan par « la réforme intellectuelle et morale de
quelques uns ». Maurras
n’est pas pessimiste mais réaliste. Il sait que le renouveau ne sera
pas facile mais qu’il demeure de l’ordre du possible. Et d’appeler à
un compromis nationaliste intellectuel : « Devant cet
horizon sinistre, l’Intelligence nationale doit se lier à ceux qui
essayent de faire quelque chose de beau avant de sombrer. Au nom de
la raison et de la nature, conformément aux vieilles lois de
l’univers, pour le salut de l’ordre, pour la durée et les progrès
d’une civilisation menacée, toutes les espérances flottent sur le
navire d’une Contre-révolution. »
* Dernière édition de L’Avenir de l’Intelligence. L’Âge
d’Homme, 2002 (préface de Jérôme Besnard).
L'Action Française 2000 - 7 octobre
2004