Charles Maurras

Au signe de Flore

Par Pierre Pujo

Voici un livre essentiel pour la connaissance des démarches intellectuelles qui ont conduit à la création de l’Action française. Pourquoi Au signe de Flore ? Parce que les fondateurs de l’A.F. se réunissaient au premier étage du Café de Flore près de Saint-Germain-des-Prés. L’ouvrage de Maurras rapporte l’écho de leurs débats qui ne furent pas de vaines palabres mais conduisaient à l’élaboration d’une doctrine de salut national.

L’ouvrage, publié en 1931, est dédié au Comte de Paris qui, cette année-là convolait en justes noces avec Isabelle d’Orléans et Bragance, et incarnait l’espoir monarchique.

Maurras commence par une «confession politique ». Il découvre que l’homme est un héritier, que les hommes sont inégaux grâce à quoi ils sont complémentaires, qu’ils enrichissent la civilisation par leur labeur de génération en génération.

Charles Maurras a aussi très jeune le souci du « rendement » des régimes politiques. Au terme d’un siècle où la France a fait l’expérience de multiples régimes, il prend pour critère de jugement le bien ou le mal que chacun d’eux a valu à la France.

Il a enfin et surtout le souci de découvrir la vérité politique : « à cette époque » [aux alentours de sa vingtième année] la Politique commençait à m’apparaître justiciable des critères de vrai et de faux ». Il affirme en même temps : « Il n’y a pas d’idées généreuses. L’idée est vraie ou fausse. » Et il tombe en arrêt sur une phrase d’un vieil historien grec Hécatée de Milet qui va provoquer chez lui une illumination : « Moi, Hécatée le Milésien, je dis ces choses et j’écris comme elles me paraissent car, à mon avis, les propos des Hellènes sont nombreux et ridicules. » Maurras estime de la même façon que les propos de la plupart des gens sur la politique sont "nombreux et ridicules" car ils n’ont pas de règle pour en juger sainement. Il faut se donner pour objectif de découvrir la vérité politique, non celle qui convient à tel ou tel, mais celle qui résulte de l’observation des faits dans leurs causes et leurs conséquences.

Des vérités en Politique

Maurras écrit : « Quelles que soient nos origines, même quelles que soient nos philosophies divergentes, il est en Politique des vérités que tout établit, que rien ne dément, et contre lesquelles le verbiage de l’orateur ou la manœuvre de l’intrigant ne feront que pitié. Elles triompheront ainsi que triomphèrent les renseignements de Hécatée, au fur et à mesure que le monde sentira le besoin de les vérifier. »

L’auteur évoque la nécessaire décentralisation pour revivifier le tissu national et il précise qu’il faut, pour la réaliser sans risque pour l’unité nationale, refaire d’abord un État central. Lors de son voyage en Grèce où, en 1896, il s’est rendu pour les Jeux Olympiques, Maurras est frappé par la compétition des nations et réfléchit sur la faiblesse politique de la France au milieu de la jungle internationale : seule la monarchie, estime-t-il, peut permettre à la France de garder son rang en Europe et dans le monde. Il devient royaliste.

Ses convictions sont renforcées par l’Affaire Dreyfus qui s’envenime à partir de 1897. Sous prétexte de défendre la cause d’un officier juif condamné pour espionnage une campagne est déclenchée contre l’Armée et la Patrie. Les gouvernements républicains de droite ou de gauche sont incapables de la faire cesser : leur défaillance accuse le régime.

Maurras< rencontre alors Henri Vaugeois, Maurice Pujo> et ceux qui, avec lui, fonderont l’Action française. Nous sommes en 1899. Sauf Jacques Bainville, ils ne sont pas royalistes, mais il les forme progressivement à sa méthode de pensée, l’empirisme organisateur, et les convertit à la monarchie.

Les "idées mères"

En attendant les fondateurs de l’A.F. publient le 15 novembre 1899 dans la Revue d’Action française quatre points représentant les « idées mères » sur lesquelles ils se sont mis d’accord. On les lira ci-contre.

Dans le long commentaire dont il fait suivre le texte, Maurras critique la formule selon laquelle les Français « doivent se classer suivant le plus ou moins d’intensité et de profondeur de leur foi française ». Il y voit un relent de subjectivisme. L’important en politique n’est pas le sentiment que l’on porte à la patrie, mais ce qu’exige le service de l’intérêt national, notion objective résultant de l’analyse des faits et qui ne dépend pas des humeurs des citoyens.

Cette référence à l’intérêt national sera adoptée à partir de 1905 dans les déclarations de l’Action française. Maurras aura alors achevé le travail pédagogique qu’il avait entrepris auprès de ses compagnons devenus, par lui, des “nationalistes intégraux”, c’est-à-dire des nationalistes concluant à la nécessité de la restauration monarchique pour assurer l’avenir de la France.

L’ouvrage de Charles Maurras est imprégné d’un bout à l’autre d’une dialectique rigoureuse. Cent ans après les faits qu’il relate, il éclaire toujours les débats de notre temps.

* Éditions “les Œuvres représentatives”, 1931. Ouvrage réédité par les Éditions Grasset en 1974.

L'Action Française 2000 - 16 septembre 2004