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D'Herbert 111 à Herbert 1V


A l'aube de l'an mil et des bilans de fin de période, un inventaire du monde trouvait naturellement place et pourtant personne ne le fit, sauf Gerbert qui trop cultivé, savait que l' horloge à balancier qu'il avait inventé donnait un temps relatif. Les Juifs avaient, six siècles plus tôt, figé un autre calendrier. Les arabes avaient introduit un signe de reconnaissance des multiples de la base 10. Ce n'était pas le zéro mais le point. Le zéro, lui, apparaîtra à Laon dans cette école où Gerbert même s'était illustré. Ainsi à part quelques fantaisistes, personne n'aborda l'an mil avec des inquiétudes particulières. Le calendrier, lui même, était imprécis et le jour de la fin du monde impossible à fixer. Aucune gazette ne relata de suicide collectif comme il s'en produit dans les sectes illuminées d'aujourd'hui. Dans les chapitres de l'actif, il faut noter toutes les villes et villages de notre région:

Beautor, cité dès 936, confiée à l'abbaye Saint Vincent des Bois
Bernot, terre libre donnée en 1040 à l'abbaye d'Homblières par le Comte du Vermandois,
Laumont près de Chauny donnée au temps de Charlemagne à l'abbaye de Saint Bertin (près de St Omer)
Clastres, cité en 944
Cugny dont les terres seront partagées entre Homblières et l abbaye de Flavigny
Essigny le petit, mentionné en 1010,
Fonsommes, où une communauté cistercienne s'installa au 11ème siècle,
Frières Faillouël, dont Charles le Chauve donna la dîme à l'abbaye de Compiègne,
Gauchy, 962, dîme à Homblières
Grugies, 1050, dîme au chapitre de Noyon,
Harly, mentionné en 943,
Lehaucourt, cédé par Charles le Simple à l'évêque de Cambrai,
Hauteville, mentionné en 1018,
Jeancourt, mentionné en 1048,
Jussy, 1046,
Gauchy, 1032,
Mennesis, citée en 661,
Montigny d'arrouaise, 1004,
Neuville en Beine, propriété de l'évêque de Noyon,
Origny sainte Benoite, connue depuis 873,
Remaucourt, 1040, paroisse de Thorigny
Ribemont, citée dès 880,
Rouvroy, 983,bénéficie d'une charte du Comte du Vermandois etc...etc .

L'énumération fastidieuse marque la présence d' une population répertoriée, sédentaire, riche, civilisée, payant la dîme en plus du reste, avec des clercs, des chevaliers, des paysans, des forgerons et quelques marchands, dont nous reparlerons bientôt. Les comtes du Vermandois sont toujours abbés laïcs mais l'église prend une dimension singulière puisque ses droits sont figés sur les parchemins. La paix, sans aucun chiffrage, figure aussi à l'actif. La trêve de Dieu sera généralisée sur l'ensemble de la France en 1042.
Le monde peut souffler un peu et s'intéresser à l'étude.
Parce qu'il faut bien oser dire les choses telles qu'elles sont. En abordant cette dimension de la vie sociale, nous devons rappeler les places occupées par deux catégories de concitoyens: les Juifs et les clercs. Les Juifs plaçaient l'amour du livre comme principe fondamental de la vie sur terre et assumaient aussi la pieuse conservation de la bibliothèque d'Alexandrie dont la majorité des ouvrages avait été sauvée des flots vers le quatrième siècle après Jésus Christ par la communauté de la ville. Malgré la diaspora, nulle part et jamais, la communauté n'oubliera l'ardeur de l'étude et les obligations de la recherche. Or les Juifs n'étaient pas seulement nombreux et puissants en Afrique du Nord et dans le royaume de Grenade, ils étaient déjà bien implantés dans notre société occidentale qui laissait pénétrer les commerçants, l'argent et les savants un peu à contre cœur. En 1010, la France eut même une animosité certaine contre la communauté juive d' Orléans qui avait été accusée de soutenir le Calife d'Egypte lors de la profanation du Saint Sépulcre de Jérusalem.
Des massacres de Juifs furent relatés. Heureusement, notre pays de mesure compensa ces atrocités et Regnard, Comte de Sens, offrit l'hospitalité aux ressortissants de cette communauté et fut même proclamé "le roi des Juifs".
L'influence de la civilisation juive se manifestait principalement dans les connaissances médicales , la chimie, c'est-à-dire les poisons, la musique, l'histoire et les chiffres. Sans faire appel à des trésors d'érudition, en mémoire des Juifs qui ont vécu sur notre sol et ceux qui y vivent toujours, il faut rappeler la grande originalité de la langue hébraïque où l'on compte comme on écrit et où se développent des ruses innommables pour trouver des grands nombres sans l'astuce du zéro et éviter les pièges de chiffres dont le mot correspondant aurait des significations maléfiques.
La cabale et de nombreuses accusations de sorcellerie accompagneront donc un savoir authentique mais relativement confidentiel. L'ésotérisme naissait à la frange de cette communauté avec les risques d'exclusion et d'incompréhension alors même que l'activité principale de la communauté s'avérait indispensable et vecteur de paix sociale. Le commerce par nature unit les hommes et favorise les liens de sympathie mais lorsque les négociants sont considérés comme suspects par les prêtres et les maîtres à penser, l'occasion fait le larron et le débiteur, l'accusateur de ses créanciers .Sédécias, le docteur indélicat, et Régnard manifestent de cette pluralité de cultures qui fut le terreau de notre pays et de son originalité.
A côté de cette communauté dont Aldabéron ne parlait pas dans sa cité idéale, celle des clercs offrait une grande similitude. Ils rechignaient aux travaux manuels, portaient calottes et chantournaient leurs discours de formules rituelles. Les oratores n'avaient au départ que la fonction de prier, mais passant de l'oraison au discours, puis de la rhétorique à la dialectique, les clercs devinrent exégètes, érudits et, à l'instar de Gerbert, savants. La rencontre des deux communautés eut lieu sur un terrain neutre qui constitue le vrai prodige de ces temps : l' Alma Mater, l'Université va devenir le moule des temps modernes. En cette fin de vingtième siècle, alors que le Vermandois souffre dans sa chair de devoir envoyer ses enfants loin, chacun mesure l'importance de l'institution. Pourtant l'enseignement supérieur professé en l'an mil à Reims, Laon, Paris, comportait déjà sept " arts libéraux" :

 

le trivium

: grammaire, dialectique et rhétorique

le quadrivium

: arithmétique, musique, géométrie, astronomie

plus des matières de troisième cycle selon l'expression moderne: la médecine, le droit et la théologie.


Pour qu'il y ait eu enseignement, il fallait qu'il y eût au préalable savoir. Les études littéraires portaient principalement sur le latin, langue universelle qui ouvrait d'office l'esprit vers les grands espaces.
Les mathématiques n'avaient guère progressé depuis les Grecs, mais déjà les influences arabes et d'Orient arrivaient jusqu'à nous. Il faut mentionner, à ce stade, que le zéro est né à Laon en ces années proches du millénaire.
La musique occupait les abbayes plus que les bals et la gamme ; Ut, ré, mi, fa, sol, la, si, sera normalisée par un moine français Guy , originaire de Saint-Maur-des-Fossés, et naîtra officiellement à l'abbaye d'Arezzo.
Médecine, droit et théologie deviendront vite les pépinières révolutionnaires qu'elles sont toujours, grâce à cette tolérance miraculeuse qui faisait admettre les étudiants de toutes origines.
Le latin était langue universelle. Gerberge, qui épousa en seconde noce Otton le Grand, découvrira dans son abbaye de Gandesheim la première femme dramaturge qui écrira en 960 la Vie de la Vierge et Callimaque. Le monde chrétien atteignait, sans pouvoir l'observer, son apogée.
Dans ce monde, Herbert III fut le seigneur du Vermandois de 989 à 1014. Comme son père, il fut un religieux, intéressé par la prodigieuse évolution de l'esprit du temps plus que par les affaires publiques. Il ne parut pas au sacre d'Hugues Capet à Reims. Bien qu'en excellents termes avec Aldabéron, le sacre religieux d'un de ses parents, au détriment d'un autre membre de sa famille tout aussi proche, lui paraissait en conscience un facteur de division. Le Vermandois ne prit donc pas part à l'avènement des capétiens ; faute qui s'ajoutait à celle du vindicatif Herbert II, le kidnappeur d'empereur. L'addition commençait à être lourde et l'héritage difficile à porter. Albert II succéda à son père en 1014. Quel rôle pouvait-il tenir dans un pays où l'agriculture avait fait un pas en avant formidable avec l'arrivée du nouveau collier pour les chevaux et où il y avait moins besoin de bras ? Moins assidu dans la prière que son père, l'histoire rapporte qu'il fut moine, débauché. S'il fut, vraisemblablement, un promoteur dans cette profession, il ne fut pas le seul à mériter le qualificatif, reflet d' un resserrement des mœurs, plus que d'un renouveau orgiaque et baccanalesque. Au passif du bilan de l'an mil, l'objectivité se doit de rappeler la brièveté de l'existence humaine, la liberté presque inexistante, et un amoncellement incroyable de croyances stupides et superstitieuses .
Ces dernières ne sont pas insignifiantes : les sorcières du sabbat, les jurons, les poisons et les moines mariés débauchés..... La liste serait longue de jugements sommaires et de préjugés néfastes mais sous la perspective des mille années d'histoire, qui nous séparent de ces temps, la morale collective ne semble guère avoir progressé !

 

D'Herbert 111 à Herbert 1V suite



Albert II, seigneur et moine et débauché, commit surtout une faute lourde depuis Quierzy : celle de ne pas assurer sa descendance. Othon, son frère récupèrera donc le titre en 1043. Marié à Pavie, une fille du duc d'Aquitaine, il eut trois enfants: Herbert IV, Eudes dit Pied-de-loup qui a fait la branche des seigneurs de Ham dont le fort manifesta pendant neuf siècles la puissance, et Pierre. Il n'est pas rapporté de commentaires sur la vie d'Albert II si ce n'est qu'il fut généreux. Quel plus bel éloge pouvait -on faire d'un seigneur, duc et comte, ayant le droit de battre monnaie et veillant sur Noyon, évêché-Pair de France !
Attentif à sa région, Albert savait que la charité, même dans les grandes familles commence par soi-même. Tout alentour, le nom des Vermandois était connu et vénéré. Herbert II, qui avait renoncé aux marches du palais impérial de Laon, avait mené un travail de castor et placé plusieurs de ses fils dans de belles seigneuries :
: Etienne du Vermandois fils de sa femme anglaise Ogive, Comte de Troyes et de Meaux. Beauce et Brie réunies, son fief était du solide !

: Agnès, femme de Charles de France, duc de Lorraine
: Robert du Vermandois qui prit Châlons sur Marne
: la fille Adélaïde épousa le comte d'Anjou Geoffroy Ier,
: Eudes, comte du Viennois, qui prit Amiens en 945,
: Hugues, archevêque de Reims,
: Alix, mariée en 934 à Arnoul Ier du nom, comte des Flandres
: Leugarde, seconde femme de Guillaume Ier de Normandie après la mort de celui-ci, elle épousa Thibault le Tricheur, Comte de Tours, Blois et Chartres.

Le sang de la famille du Vermandois drainait toute la haute société et déjà la consanguinité faisait des ravages presque aussi cruels que cet appât du gain matériel qui flétrissait les alliances. Ainsi, à la mort d'Etienne du Vermandois, Troyes et Meaux n'avaient plus de seigneur. Celui-ci était sans descendance. Aussitôt Eudes II , Comte de Chartres et cousin, s'empare du beau territoire, devenant le prince le plus puissant du royaume. Othon, notre sire, remarquait seulement que les ramifications de son clan gardaient globalement leur rang. Pourquoi donc intervenir ?
Vingt années après, Eudes II meurt à son tour. Ses deux fils Thibault et Henri se révoltèrent contre le roi Henri Ier. Ce dernier fit alors appel au Comte d'Anjou, Geoffroy Martel. C'était un juste retour à la famille du Vermandois que le roi même reconnaissait. Ainsi Geoffroy devint -il comte d'Anjou en 1037.
Les chassés - croisés de la famille atteignent vite des proportions impossibles à narrer. Nul doute qu'il fallait vivre dans l'ambiance du temps pour comprendre le jeu savant des alliances, des haines et des réconciliations. Plus tard, Geoffroy Martel se retrouvera confronté aux Normands, non au peuple, seulement à leurs princes. Ceux- là même sont aussi un peu de la famille.
En 1042, la généralisation de la trêve de Dieu arrivera à propos. Il fallait, en effet, mettre un terme à un génocide interne comme, plus tard, il faudra interdire les duels qui ne laissaient que des parentes éplorées et tuaient plus de frères que d'ennemis. Dans le processus de limitation des domaines et des rentes organisées par le capitulaire de Quierzy, les mariages d'intérêt et souvent consanguins ne vont pas tarder à saper de l'intérieur le système. Le roi, Robert le Pieux, "nourrira une passion " pour la cousine Berthe, veuve du comte de Blois ; Philippe Ier sera excommunié pour mariage avec une de ses cousines. Après Othon, son fils Herbert IV règnera sur le Vermandois. Il eut pour épouse Adèle, fille de Raoul, comte du Valois dont il eut deux enfants. Le premier Eudes, dit l'insensé, était le fruit raté d'une famille au sang trop mêlé., ce fut donc sa sœur Angèle qui récupéra le Vermandois. Ainsi Herbert, son père, fut-il le dernier comte de la race de Pépin le Bref et des pépins d'Italie.
De 1045 à 1081, il sera au cœur de l'achèvement du triomphe de la chevalerie, de la chrétienté et du royaume. Il joue le rôle de parrain d'une famille turbulente qui défend par l'épée, née au pays, tous les titres, rentes, fiscs que la famille a pu obtenir d'une manière ou l'autre depuis plus de deux siècles, mais n'oublie pas le roi, pierre angulaire du système.
Le roi Henri Ier, revenant d'un voyage chez l'empereur Conrad qui résidait entre Liège et Cologne, s'arrêta chez Herbert en 1047 . Heureux d'être chez un féal sujet, on raconte que le roi Henri abandonna toute son autorité entre les mains de son hôte comme il sied lorsqu' un suzerain est l'hôte de son vassal. Une fois de plus, Saint Quentin était capitale du royaume. Elle en reçut diverses récompenses : l'église Saint Remy fut édifiée, la fille d'Herbert fut promise au troisième fils du roi de France Hugues, la "qualité" de notre prince fut confirmée par l'autorité royale. Rangé dans les premiers personnages du royaume, Herbert avait sa cour. Plusieurs personnages de celle-ci vont traverser les siècles et vivent toujours aujourd'hui, même si les fonctions ont bien changé:
-le bailly du Vermandois, juge de tous les conflits de propriétés,
-le prévôt , trésorier et percepteur,
- le châtelain, chef de milice, gouverneur militaire de la place,
-le mayeur, chef de la police qui deviendra maire,
- le sénéchal, sorte de sous-préfet convoquant les assemblées,
- le chancelier, notaire, archiviste chef, maître des sceaux.

Ces personnages deviendront aussi des noms courants, presque 'aussi nombreux que les Fèvres et Lefèvre, descendants de forgerons. L' histoire situe aussi aux dixième et onzième siècles l' institutionnalisation de la féodalité et de la chevalerie et insiste tout aussitôt sur le côté répressif et barbare de cette structure à peine atténuée par les premières lumières de l'amour courtois. Vu du vingtième siècle où la population du globe se débat contre la misère, l'exclusion et des taux d'imposition qui écartent les entreprenants de toute tentative d'acquisition mobilière ou immobilière, la féodalité mérite plus que de la réflexion. Par rapport à la société antique, elle élargissait le diptyque, maîtres et esclaves, à toute une variété de serviteurs dotés de capacités diverses. Cette rationalisation des capacités concernait même le roi, puisque tout le religieux, les clercs et leurs biens n'avaient pas à prêter serment et échappaient à la justice royale. Se trouvait surtout mis en doctrine, la propriété des biens, titres et rentes. L'occident ne connaissait guère que quelques activités économiques :
le domaine agricole, unité de base de subsistance et de pouvoir,
les forges et artisanats de campagne, directement liés au précédent et vivant à sa périphérie, les abbayes, le rançonnage des étrangers.
L'argent ne tenait guère de place dans cet univers terre à terre où les liens du sang et d'appartenance à un fief remplissaient la carte d'identité des individus. La féodalité ne peut cacher ses attaches primitives et paysannes et pourtant elle apporte un son nouveau et beaucoup d'esthétisme : les sceaux, les armes, les flammes, les formules magiques, l'intuitu personae qui fonde tout contrat, les rites sacrés qui obligent ceux qui montent à cheval et tirent l'épée . Dans l'analyse de la forme, il faut mentionner aussi la construction des châteaux-forts. Les belles pierres, aussi, ont une histoire. Notre région s'était abritée pendant des millénaires derrière les buttes celtiques. Avec les incursions des Normands et des Vandales, ces mottes seront rehaussées de tours en bois et cernées de douves. Sur le plan militaire, le dispositif était largement suffisant et les commandos de l'infanterie comme les lanciers de la cavalerie d'aujourd'hui en conviendraient. Pourtant, au prix de grands sacrifices, sur des pitons difficiles sortiront de terre des châteaux-forts avec murailles, chemins de rondes, donjons, fossés et d'innombrables caves. Ces coffres monumentaux n'avaient pour équivalent que les Ksour des pays secs et les pyramides d'Egypte. Ces derniers cachaient subtilement des trésors alors que le château-fort semblait braver le pillard et organiser des assauts pour le divertissement de la galerie. L'esthétisme rejoignait celui des joutes, voire des combats de gladiateurs .
Il y a dans cette présentation personnelle, beaucoup d'excès et une part trop belle faite à Viollet le Duc et aux présentations traditionnelles de nos dictionnaires et livres d'histoire.
Les premiers forts, ce furent ceux de Ham, de Péronne , de Château Thierry, de Gisors, et les murailles de Laon. L'esthétisme vint, en effet, bien après ces monuments de nos régions.
Le Vermandois avait vécu le très haut moyen-âge et sera moins favorisé par sa seconde mouture, celle que l'on veut surtout retenir présentement. Ce faisant, on oublie de situer la féodalité dans une perspective historique et on occulte le rôle des régions où l'alchimie d'un nouveau contrat social s'est produite. Notre terre, à l'instar de la féodalité, ne pouvait plus prétendre qu' à l'intégration et à la solidarité ; la liberté des seigneurs se réduisait aux possibilités offertes par le moule, le codex et le droit canon. Mais pouvait-on vraiment métamorphoser en moutons des aigles et des chasseurs qui consacraient plus de la moitié de l'année à cette rude activité ?
Alors que nos contrées se rangeaient derrière le capet, ce chapeau en peau de lapin que portaient abbés de France et nos rois, les nobles allemands et surtout l'empereur ne comprenaient pas les volontés d'indépendance des abbayes et du clergé. L'empereur du Saint Empire germanique, qui résidait autant à Liège, Cologne, Aix la Chapelle qu'à Milan ne se voyait qu'un rival, l'empereur d'Orient.
Mais depuis 1054, le schisme était consommé et l'église romaine s'arque boutait sur ses droits. La querelle des investitures allait prendre de l'ampleur. C'aurait pu être, pour nos ancêtres, une dispute lointaine et un conflit diplomatique complètement étranger au bas peuple. Pourtant un originaire de notre pays, Robert Guiscard, chevalier de notre contrée sera au cœur du drame et le marquera indélébilement. Dire qu'il était français comme le pape Grégoire VII l'aurait fait sourire, sa carte d'identité ne mentionnait absolument pas cette singularité. Par contre, toute sa foi et son honneur résidaient dans le courage physique, le respect de Dieu et de son église et son bon droit.
Après deux papes progermaniques, dont Léon IX d'Eguisheim en Alsace, Grégoire VII, italien et moine de l'ordre de Cluny, excommunia Henri IV, le Kaiser du premier Reich. C'était un affront terrible pour la fierté de ce peuple frustre. Aussi l'empereur dut se plier et "aller à Canossa". L'expression est depuis devenue proverbiale et exprime une demande de pardon qui ne fasse pas perdre complètement la face. Henri IV ne pardonnera pas complètement cette humiliation sans sanction et, fort de sa puissance, fera enfermer le pape Grégoire VII à la prison des Saints Anges à Rome.
Ce monument compte parmi les plus visités de Rome et parmi les plus originaux car, contrairement aux architectures romaines, il est rond, massif et ressemble comme un frère éloigné aux forts de Péronne et Ham. Il mérite pour tous les habitants de la région le voyage. Car, c'est là que s'illustrera Robert Guiscard. En 1080, il sera le libérateur du pape qui se réfugiera à Salerne. Il n'y avait pas que des motivations saintes dans son action car Guiscard avait un compte à régler avec Henri IV mais Robert, kidnappeur du pape, deviendra son ange gardien et Grégoire demandera à son libérateur de rester près de lui jusqu'à sa mort.
La vaillance insigne de notre concitoyen ne restera dans l'histoire qu'en raison de l'importance de son prisonnier, compagnon, seigneur. Grégoire IV fut, en effet, l'un des grands papes de la chrétienté puisqu'il fut à l'origine du célibat des prêtres, organisa le concile de Latran et osa Canossa.

" Sachez bien, qu'avec l'aide de Dieu, aucun homme n'a jamais pu
et ne pourra jamais me détourner du droit chemin ".



Sans Guiscard, cette proclamation n'aurait pu être que lettre morte et la fermeté de l'église une réponse molle aux exigences du pouvoir temporel. Sauveur de Grégoire, Guiscard du Vermandois a assumé seul la promesse faite à Quierzy de protéger la papauté en toute circonstance. Guiscard, sans le vouloir, fit monter d'un cran la suspicion des Germaniques contre les frères de Neustrie et lorsqu'un millénaire après, les soldats du Reich, voyant l'humiliation de la défaite pointer à l'horizon, penseront à Canossa, ils seront d'autant plus impitoyables pour notre pays que celui-ci avait magnifiquement résisté, au côté de Grégoire, aux tentatives d'hégémonie du Kaiser et de ses sbires.

 

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