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Adélaïde Seigneur du Vermandois.




L'évangélisation de la Pologne et de la Hongrie, un demi millénaire après celle de notre région, puis la prise de possession de l'Angleterre par des Normands qui, d'avoir séjourné chez nous, adopteront les valeurs de la cavalerie au détriment de la mentalité de pillards des dieux vikings, plaçaient notre province au cœur d'un monde en forte expansion. A ce développement, le Vermandois apportait sa haute position dans la société des grandes familles, son système fiscal plus ancien même que la chrétienté, son fer, ses étudiants, ses Juifs et une démographie galopante. Les récoltes suivaient et hors des problèmes d'interprétations hérétiques, un consensus avait la force des sceaux et de la foi jurée. Canossa et , plus tard, le concordat de Worms en 1122 finaliseront ce qu' un clerc français, Yves de Chartres avait conçu en matière de compromis pour faire cohabiter Dieu et Mammon, l'argent et les prières. L'évêque, chez nous, serait élu par le clergé, recevrait sa consécration de ses pairs évêques. Le seigneur laïque lui remettrait ensuite les biens temporels. Albert Ier du Vermandois, Comte-Abbé, qui avait préconisé l'élection du doyen et une charge de trésorier autonome voyait son idée institutionnalisée .Innovateurs quant aux relations avec l'église, modernes quant aux libertés communales, les grands de notre région le seront aussi dans la grande aventure de son temps : les croisades. Pierre l'Ermite, comme son nom l'indique, préférait l'isolement et les pèlerinages en solitaire, du moins ce fut l'impression qu'il donna à ses concitoyens lorsqu'il revint d' un périple en terre sainte.
Jusqu'à cette époque, le Saint Sépulcre était visitable et des relais dans les communautés maronites, chaldéennes, voire juives et arabes conduisaient sans trop de difficultés en Palestine.
Mais l'échiquier fragile d'Orient subissait comme chez les Carolingiens d'Occident des tensions consécutives à des successions mal préparées. Certains descendants du prophète trouvèrent des arguments dans l' abaissement des religions minoritaires tolérées et le sort funeste avait placé les hauts lieux des trois principales religions monothéistes dans un mouchoir minuscule. Pierre l'Ermite était fils de Picardie, clerc élevé sur les bords de la Somme, et revint de son voyage avec beaucoup d'histoires à raconter. Le contraste avec notre région devait être très fort car il mobilisa très vite la plus formidable expédition depuis Hannibal et Alexandre.
Contrairement à l'Asie mineure, l'Europe de la Loire au Rhin étendue depuis peu des Pyrénées à la Vistule offrait le visage de l'unité dans la trinité des trois états: les clercs, les seigneurs, les laboratores. La justice et la paix n'étaient plus des vains mots et le pèlerin voyageait ici en sécurité. Ici, la prospérité profitait à tous ; là-bas, c'était la spoliation pour tous les infidèles .Içi, la tolérance et l'ouverture au monde, là-bas, l'Islam. Pierre ne devait pas être l'orateur illuminé que l'on décrit dans les livres. Son message était plus concret, précis et détaillé.
L'intérêt de l'opération trouva vite l'attention des chevaliers. Aller à Constantinople Jérusalem se présentait, tout au plus, que comme le triple , voire au rapport 4 ou 5 , des chevauchées estivales routinières. S'il ne s'était agi que de mobiliser les chevaux et les cavaliers, le projet n'aurait guère été aussi loin. Il fallait l'appui de l'Eglise car seule, celle-ci, pouvait apporter les espèces nécessaires à un long voyage et offrir des promesses de protection pendant les longues absences. La bénédiction du capitulaire de Quierzy allait pouvoir totalement fonctionner.
En 1095, le pape Urbain II solennise l'entente et invite les chevaliers à partir en croisade. C'était au concile de Clermont, lequel avait été organisé pour des motifs moins futiles. L'empereur d'Allemagne n' avait -il pas mis un antipape à Rome et contraint Urbain à l'exil pour se venger de Canossa !
En mobilisant la chevalerie française, Urbain réduisait au silence ce corps social très proche des grands abbés et l'écartait de l'emprise germanique. Pierre l'Ermite persuada aussi les petits, les va-nu-pieds. Ce furent les premiers à partir, au nombre de 12000. Originaires de bourgs, fils cadets de serfs libres, clercs sans avenir, ils partiront en avant-garde avec notre Pierre. La cohorte se disloqua sous les coups de butoir des Turcs, quelque part en Orient où les microbes sont si nombreux, l'eau et les vivres si rares. Les barons suivirent avant même que la dépêche n'annonce le sort des premiers pèlerins. Parmi eux se trouvaient le seigneur du Vermandois et nombre de ses vassaux directs. Le fer, l'estoc, la cote de maille, le carapaçonnage des chevaux et nos techniques guerrières tenaient la première place dans les arguments de départ : A Poitiers, les sarrasins avaient fait piètre impression ; Pierre l'Ermite dressait le portrait de cavaliers amateurs et de soldats de pacotille.
Le jeu en valait la chandelle.
Dans la région, Adèle avait pris la place de Eudes, le simplet, et succéda à son père avec le consentement des principaux seigneurs du pays. Son époux était du meilleur lignage puisque troisième fils du roi de France et se prénommait Hugues. Avec son frère Philippe qui deviendra roi sous le nom de Philippe Ier et régna de 1059 à 1108, presque un demi-siècle, Hugues fit campagne contre Foulques Nerra, grand seigneur d'Aquitaine autant pour le pouvoir que pour l'amour des belles. Installé en Vermandois, doublement fidèle à la papauté par son ascendance capétienne et son alliance carolingienne, il entendra l'injonction d' Urbain II et les appels du chevalier Pierre l'Ermite. Aussi, en 1095, avec ses principaux vassaux et nombre d'écuyers( il fallait compter au moins quatre compagnons pour un chevalier) en une cérémonie solennelle, il se recouvre de la cape des croisés, laisse tout à sa femme et à l'église et part . Cette croisade est connue sous le nom de croisade des Barons et fut une page glorieuse puisque Hugues libéra les lieux saints en 1099. Mettre quatre années, avec la connaissance du trot rapide, qui est la spécialité des chevaux du pays, laisse planer un doute sur la nature du voyage : expédition, tourisme, ou colonisation.
Hugues, Godefroy de Bouillon, Baudouin de Boulogne, et tous les hommes étaient partis avec la claire conscience qu'ils portaient, outre la croix, les valeurs de l'Occident : le fer, la chevalerie et surtout la conviction que "Dieu le veult".
Sur le chemin jusqu'au sud de l'Italie, peu à signaler. Au travers de l'Albanie, de la Macédoine, puis des Balkans et de l'Asie mineure, qui n'a pas autant évolué qu'on ne puisse imaginer aujourd’ hui les problèmes d'antan, les mosaïques de pouvoirs et de cultures firent douter de l'existence d'un Empire chrétien d'Orient. Le pape avait raison : le schisme enfonçait ces pays dans la barbarie. Les croisés portaient en eux le sang carolingien qui avait ressuscité l'empire chrétien. Ils allèrent donc, en prenant une par une toutes les principautés grecques d'Europe, aux portes de Constantinople et furent émerveillés par la cathédrale Sainte Sophie, la plus belle du monde connue. Ils déposèrent donc l'empereur et nommèrent Baudouin à sa place.
L'orient ne se soumet pas aisément et la route jusqu' à Jérusalem était encore longue. La nomination de Baudouin avait nécessairement mécontenté le clergé orthodoxe et toutes ses nébuleuses. Un certain Alexis Commène fédéra les mécontents et fut désigné empereur à Trébizonde. Pour aider Baudouin, Hugues partit à la chasse d'Alexis mais tombera dans ses filets. Hugues fut donc prisonnier là-bas et Alexis ne pouvait ignorer la valeur de la prise et l'affaire se traita avec de longs palabres, de l'or et de l'influence. Le retard causé fut de plus d'une année et malgré tout, Jérusalem fut conquise et un roi français placé au cœur du nouveau territoire.
Après Rome, nos représentants sauvaient Jérusalem.
Hugues ayant mis ses sujets dans les bonnes places, revint voir Adèle en Vermandois et repartit vite par la croisade suivante. On dit qu'il mourut, à Tarse, en Grèce en 1101.
Adélaïde, son épouse, gouverna donc la région de 1095 jusqu'à sa mort en 1124.
Trente années de paix et de raison où les beaux tissus, les hennins, les colifichets, les poulaines et tous ces nouveaux atours pénétreront nos campagnes . En contrepoint de ces folies vestimentaires de femmes un peu délaissées, l'ordre de Citeaux, fondé en 1098 par Saint Robert, Saint Etienne et Saint Albéric, par réaction aux excès de richesses de l'ordre de Cluny, trouvera particulièrement grâce aux yeux des chrétiennes qui ne s'accordaient guère que des fantaisies d'apparence. Les mentalités de chez nous comme d'ailleurs resteront fortement imprégnées de ces années d'attente .La musique et le chant prendront un ton plus langoureux et, par ressentiment, sans doute, une inspiration divine soufflera l'idée qu'un pèlerinage à une journée de cheval pouvait suffire à tous ceux qui restaient au pays pour les besoins de la cause. L'origine du pèlerinage de Liesse est située par les historiens près de deux siècles après la première croisade et pourtant toute la symbolique de la vierge noire et de la statuette ramenées de l'Orient rappelle l'angoisse des femmes bloquées au pays et croyant leurs proches en train de se battre contre les Barbaresques. Sous le gouvernement des femmes, l'Occident va aussi contraindre l'Eglise à un formidable aggiornamento. Déjà Grégoire VII avait voulu instituer le célibat du haut clergé, puis plusieurs papes éphémères avaient laissé le projet en pointillé. Avec les conciles de Latran en 1123 et 1139, les problèmes de la chrétienté seront largement résolus:
-la querelle des investitures sera achevée par l'approbation par le concile de l'accord de Worms avec l'empereur,
-la simonie qui permettait la commercialisation des sacrements sera définitivement condamnée (on en reparlera cependant encore....même à Laon plusieurs décennies après)
-la continence des clercs sera prêchée sinon imposée. La chasteté prendra ainsi place au côté des vertus d'obéissance, charité, pauvreté que l'Eglise essaie depuis toujours de s'imposer à elle-même en tant que société modèle pour l'humanité.
L'exemple commençait à devenir crédible .
Au lieu de laisser le peuple adhérer, la tentation de la soumission imposée va rendre les siècles suivants beaucoup plus terrifiants que ceux qui venaient de passer. L'autoritarisme était fondamentalement le contraire de l'esprit de chevalerie. Il deviendra raison d'état, ce qui ne fut pas un progrès .



 

 

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