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La Paix séparée
dans sa vérité historique mais sans son marquage central du 20 mars 2017 :
La destruction de Coucy !



Le 12 décembre 1916, les ministres des Affaires étrangères de Vienne et Berlin adressent aux Alliés une note sur la paix qui est rejetée par l’Entente le 31 décembre, jour du couronnement de Charles comme roi apostolique de Hongrie.
Charles n’aura de cesse d’insister auprès de son allié allemand pour qu’il recherche la paix avec lui. Ainsi écrit-il par exemple le 2 janvier 1917 à Guillaume II : « Mon idéal, que vous approuvez certainement, est de favoriser le désir du monde entier : parvenir enfin à des négociations sérieuses et acceptables pour nos peuples et pour l’humanité. C’est là notre devoir  ».
L’empereur, connaissant l’influence des milieux pangermanistes et de l’armée sur la diplomatie austro-hongroise, décide d’employer également d’autres voies, se rappelant sans doute une lettre que le prince Sixte de Bourbon-Parme, fils du dernier duc régnant de Parme, Robert, avait adressée en janvier 1915 à sa sœur, alors l’archiduchesse Zita , épouse du futur Charles Ier. Il charge ainsi sa belle-mère, la duchesse douairière de Parme, d’exposer à ses fils, Sixte et Xavier, qu’elle rencontre en Suisse le 29 janvier 1917, son « désir de les voir pour s’entretenir directement avec eux de la paix » , ou, si venir à Vienne leur paraissait impossible, il leur propose d’envoyer en Suisse une personne de confiance pour leur communiquer ses vues. Seule cette dernière éventualité semble envisageable aux princes qui veulent toutefois en référer d’abord à Paris. Les princes indiquent comme préalables du point de vue français les points suivants : la restitution de l’Alsace et la Lorraine de 18146  à la France sans aucune compensation coloniale ou autre, la Belgique restituée et gardant le Congo, de même la Serbie, éventuellement agrandie de l’Albanie, et enfin Constantinople aux Russes.
Le 22 janvier 1917, Wilson proclame le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes7 .
Le 1er février, l’Allemagne déclenche la guerre sous-marine à outrance, mettant Charles, qui veut s’y opposer, devant le fait accompli.
De retour à Paris, le prince Sixte rencontre le 11 février 1917, par l’intermédiaire de William Martin , chef du service du protocole au Ministère des Affaires étrangères, Jules Cambon , secrétaire général du Quai d’Orsay, ancien ambassadeur à Berlin.
De cet entretien ressortent l’intérêt pour le gouvernement français d’entamer des négociations avec la Monarchie, par l’intermédiaire du prince Sixte, et le souhait, exprimé par Cambon, d’une rencontre entre le prince, le président Poincaré et Briand, alors président du Conseil.
Sixte repart donc pour la Suisse où il s’entretient avec le comte Thomas Erdôdi) , ami d’enfance de l’empereur, les 13 et 21 février. Lors d’une première entrevue, Erdôdi confirme l’acceptation par Charles des conditions de Sixte mais, quant à la Serbie, l’empereur souhaite la création d’un royaume sud-slave (yougoslave) qui engloberait la Bosnie, la Serbie, l’Albanie et le Monténégro et qui serait sous la dépendance de l’Autriche, en écartant la dynastie Kara-georgévitch dont Vienne pense qu’elle avait trempé dans l’assassinat de Sarajevo.
L’idée d’une paix séparée est acceptée par les deux parties.
Dans le second entretien, Erdôdi, après avoir conféré avec l’empereur, remet à Sixte une note ostensible du ministre des Affaires étrangères de la Monarchie, le comte Czernin, amendée d’une note personnelle et officieuse de l’empereur, inconnue de Czernin, par laquelle Charles déclare qu’il soutiendra par tous les moyens la France vis-à-vis de l’Allemagne et exprime sa sympathie pour la Belgique. Il précise que l’Autriche « n’est absolument pas sous la main allemande » et que son « seul but est de maintenir la Monarchie dans sa grandeur actuelle ».
Lors d’une entrevue du prince avec Poincaré, le 5 mars, ce dernier résume la situation : « La filière à suivre sera donc celle-ci : obtenir de l’Autriche les quatre points essentiels, communiquer ce résultat à l’Angleterre et à la Russie sous une forme tout à fait secrète et voir s’il y a un moyen de s’entendre pour conclure un armistice secret.>br> L’intérêt de la France est non seulement de maintenir l’Autriche, mais de l’agrandir au détriment de l’Allemagne (Silésie ou Bavière). Briand, consulté par Poincaré le 6 mars, confirme cette approche. Déjà, l’on comprend que les difficultés viendront de l’Italie, mais Poincaré estime que les demandes italiennes pourraient être compensées par des reprises sur l’Allemagne au profit de la Monarchie, ce que Charles refusa par la suite.
La démission de Lyautey, le 14 mars, entraîne la chute du ministère Briand, remplacé le 19 par le cabinet Ribot, qui, tout en se déclarant favorable à la poursuite des négociations, est nettement plus réticent que son prédécesseur.
Si l’équilibre militaire perdure entre les belligérants — l’Autriche-Hongrie ayant battu à plusieurs reprises l’Italie sur l’Isonzo —, la situation de l’arrière devient difficile tant dans la Monarchie que dans le Reich. De retour en Suisse le 19 mars, les princes sont pressés par Erdôdi de venir à Vienne pour discuter avec l’empereur des modalités de son offre. Réticents, ils se rendent aux arguments de leur sœur : « Ne te laisse pas arrêter par des considérations qui, dans la vie courante, seraient justifiées. Pense à ces malheureux qui vivent dans l’enfer des tranchées, qui meurent par centaines tous les jours, et viens. » Deux entretiens, les 23 et 24 mars, ont lieu dans le plus grand secret à Laxenburg, auxquels, outre les souverains, Sixte et Xavier, assiste pour partie Czernin, que Sixte décrit comme « long, maigre et froid », réticent et si « flou qu’il est impossible de saisir le fond de sa pensée ». L’empereur insiste : « Il faut absolument faire la paix, je le veux à tout prix. Mieux vaut donc consentir des arrangements équitables et je suis, pour ma part, tout disposé à le faire ». Toutefois, il considère que son devoir d’allié l’oblige à tenter l’impossible pour amener l’Allemagne à une paix juste et équitable. Si cela ne marchait pas, il ferait la paix séparément.
Le 24, il remet à Sixte une lettre autographe  qui marque un grand succès dans les négociations en ce qu’elle adopte, sans réserve, la base proposée par Sixte en janvier pour ce qui est de la France, de la Belgique et de la Serbie, tout en réservant la question de Constantinople et des Détroits, compte tenu de la révolution russe du 14 mars. Rien n’est dit de l’Italie, Charles souhaitant la médiation de la France et de l’Angleterre. Il espère, après la fin du conflit, une alliance avec la France. Charles charge Sixte de transmettre secrètement sa lettre à la France et à l’Angleterre. Comme l’écrit le prince Sixte, « les vues de l’empereur relatives à l’avantage qu’offre toujours pour l’Europe une paix de modération sur une paix de prépondérance marquent un sens politique et un bon sens qui, malheureusement, ne sont pas communs ». Après avoir lu la lettre de l’empereur, Poincaré déclare à Sixte, lors d’un troisième entretien, le 31 mars : « Il s’agit donc, non point d’un armistice, mais d’une paix séparée, destinée à amoindrir le bloc central, paix séparée avec l’Autriche qui, diplomatiquement, se rangerait ensuite de notre côté  , ajoutant que l’opinion publique est, en France comme en Angleterre, favorable à l’Autriche — puisqu’aucun affrontement entre leurs troupes n’a lieu jusqu’à ce que les troupes françaises et britanniques viennent renforcer l’armée italienne après la débâcle de Caporetto (9 novembre 1917) — et que Deschanel, alors président de la Chambre, insiste pour que l’on fasse la paix avec l’Autriche. Ribot, mis au courant par Poincaré, décide d’aller trouver, le 11 avril, Lloyd George à Folkestone pour lui communiquer l’offre de Charles.
A la lecture de la lettre impériale, le premier ministre britannique se serait écrié : « C’est la paix ! » . C’est alors que Ribot souhaite mettre l’Italie au courant des négociations. Sixte, très réticent puisque la lettre n’est destinée qu’à la France et à l’Angleterre, finit par y consentir dès lors que Ribot s’engage à sonder l’Italie d’une manière générale, sans citer l’empereur ni produire sa lettre. Un sommet est convoqué à Saint-Jean-de-Maurienne entre Lloyd George, Ribot et Sonnino, ministre italien des Affaires étrangères, pour le 19 avril.
Sixte souhaite s’assurer que le secret des ouvertures autrichiennes sera gardé et, pour cela, rencontre Lloyd George à Paris, le 18. Celui-ci lui déclare l’amitié anglaise envers l’Autriche et son souhait de parvenir à une paix avec celle-ci, cette paix devant nécessairement englober l’Italie. En même temps, le 3 avril, Charles rencontre à Bad Homburg Guillaume II pour tenter de l’amener à des vues pacifiques raisonnables, offrant à l’Allemagne de lui céder gratuitement la Galicie si elle-même restituait l’Alsace et la Lorraine à la France. Devant le refus de Guil-laume , Charles lui fait adresser, le 13 avril, un mémorandum dénonçant l’alliance avec le Reich pour le 11 novembre 1917 au plus tard. A la suite du refus de Sonnino qui exige outre la cession du Trentin de langue italienne, celle de Trieste, de la Dalmatie et des îles de la côte dalmate (les deux derniers territoires étant pourtant très majoritairement peuplés de Slaves et non d’Italiens), le gouvernement français notifie le 22 avril à Sixte sa réponse négative à l’offre impériale, tout en laissant la porte ouverte pour l’avenir, si la Monarchie acceptait de considérer les revendications italiennes ; Cambon pensant que Trieste  et Trente pourraient faire l’affaire.
Or, il apparaît que, vers le 12 avril, le roi d’Italie et le parti de Giolitti, opposé à celui de Sonnino, avaient fait des ouvertures à l’Autriche via les légations allemande puis autrichienne à Berne, en demandant la cession du seul Trentin de langue italienne et de la ville d’Aquilée. Charles n’a pas donné suite à cette offre de négociation pour, estime-t-il, ne pas faire double emploi avec la médiation de Sixte. Il veut en avoir le cœur net et prie son beau-frère de venir de nouveau le trouver pour éclaircir le double jeu italien. Dans le même temps, la Monarchie a reçu plusieurs offres de paix de la Russie . Après l’échec de Bad Homburg, Charles, qui avait espéré amener son allié à ses propres vues pacifiques — et qui continuera de caresser cet espoir jusqu’au milieu de l’année 1917, tout en plaçant cette option au second rang, souhaite désormais une paix séparée avec l’Entente. Czer-nin, quant à lui, ne cessera jusqu’à sa révocation (14 avril 1918) de balancer entre paix séparée et paix austro-allemande. Cette dernière, qui a la faveur du ministre, est toutefois condamnée dans l’œuf par le refus allemand persistant de restituer l’Alsace-Lorraine à la France, malgré les généreuses offres de dédommagement autrichiennes. Sur ces entrefaites, Sixte part donc pour Laxenburg où il rencontre l’empereur et Czernin le 8 mai. Charles, tout en insistant sur sa volonté d’une médiation de la France et de l’Angleterre entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie, se dit prêt à faire de justes sacrifices à l’Italie pourvu que ces territoires soient « de langue et de sentiment italiens »  et que ces cessions soient compensées pour tenir compte de l’amour propre des peuples de la Monarchie et de la situation des armes, favorable à l’Autriche. Il pourrait s’agir de l’Erythrée ou de la Somalie, récemment conquises et comptant une population italienne extrêmement faible. De plus, Charles demande à l’Entente de garantir le statu quo du surplus de la Monarchie et, si une paix séparée devait être conclue, son appui en cas d’agression allemande.

Il remet à Sixte, le 9, une seconde lettre autographe, celle-ci contresignée par Czernin, qui reprend ces différentes propositions. Une note de Czernin l’accompagne. Une dernière entrevue a lieu à Neuchâtel entre Erdôdi et Sixte, le 12 mai, après la rupture avec les Etats-Unis, rendue inévitable par l’attitude de Wilson qui n’avait pas accepté de recevoir l’ambassadeur autrichien, le comte Tarnowski, venu lui présenter ses lettres de créances. L’envoyé impérial informe le prince des démarches des députés socialistes autrichiens qui ont prié l’empereur de continuer sa politique tendant à une paix honorable. Enfin, l’empereur propose d’envoyer un plénipotentiaire en Suisse, le 15 juin, pour signer la paix, un accord semblant acquis pourvu que l’Italie accepte de donner une de ses colonies en compensation du Trentin et d’Aquilée. Lors d’un troisième entretien avec Poincaré, en présence cette fois-ci de Ribot, le 20 mai, Sixte présente la seconde lettre impériale. Ribot se montre très réticent et produit de nouvelles exigences à l’égard de l’Autriche-Hongrie (Roumanie, Pologne). Il se déclare surpris du double jeu italien et exige de parler ouvertement23  aux Italiens sinon il menace de tout rompre. Le 23 mai, Sixte communique la lettre à Lloyd George et à Georges V qui semblent accepter l’idée de compensation24 . Lloyd George reprend l’idée que Ribot lui avait suggérée d’une rencontre à Compiègne des deux rois, du président français et de leurs ministres pour clarifier la position italienne. L’Italie ne répond pas à cette demande, invoquant toutes sortes de prétextes dilatoires . Lors d’une dernière entrevue avec Lloyd George, le 4 juin, celui-ci déclare au prince : « Faire la paix avec l’Autriche est trop important pour nous  »  et se déclare décidé à continuer les négociations avec Vienne malgré les difficultés que fait Sonnino. La seconde lettre de Charles ne recevra aucune réponse de l’Entente si ce n’est un discours de Ribot à la Chambre, le 22 mai, dans lequel il dit des empires centraux qu’ils « viendront demander la paix, non pas hypocritement, comme aujourd’hui, par des moyens louches et détournés, mais ouvertement [… ]   . Quels « moyens louches et détournés », en effet, qu’un empereur d’Autriche, marié à une princesse française, et des princes de Bourbon !  Anatole France exécuta Ribot de ce trait sans appel : « Ribot est une vieille canaille d’avoir négligé pareille occasion. Un roi de France, oui, un roi de France aurait eu pitié de notre pauvre peuple exsangue, exténué, n’en pouvant plus. » Et encore : « l’Empereur Charles a offert la paix ; c’est le seul honnête homme qui ait paru au cours de la guerre ; on ne l’a pas écouté » . Devant l’absence de réponse de Paris et de Londres, Czernin engage au début de l’été 1917, sans en parler à l’empereur semble-t-il, d’autres négociations, par le comte Revertera qui prend contact avec un de ses cousins par alliance, le comte Armand, du deuxième bureau. Ces négociations, approuvées par Lloyd George  et l’état-major français (Foch), et tolérées par Ribot puis par Clemenceau (« écouter, ne rien dire »), ont lieu en Suisse, en deux temps, du 12 juillet 1917 à fin février 1918. Au même moment, Charles écrit, le 20 août 1917, au prince impérial allemand, sachant leur proximité de vues : « Malgré les efforts surhumains de nos troupes, la situation de l’arrière exige absolument une fin de la guerre dès avant l’hiver. J’ai des indices sûrs que nous pourrions gagner la France à notre cause si l’Allemagne pouvait se résoudre à certains sacrifices territoriaux en Alsace-Lorraine. Si nous gagnons la France, alors nous sommes victorieux. […] Aussi je te prie, en cette heure décisive pour l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, de penser à la situation générale et d’unir tes efforts aux miens pour terminer rapidement la guerre avec honneur »31 . Cette lettre reste sans effet dans l’Allemagne soumise à la « dictature » de Ludendorff qui croit encore à la victoire finale. Ribot signifie une fin de non-recevoir définitive à l’offre de Charles dans un discours à la Chambre, le 12 octobre : « Hier, c’était l’Autriche qui se déclarait disposée à faire la paix et à satisfaire nos désirs, mais qui laissait volontairement de côté l’Italie, sachant que, si nous écoutions ses paroles fallacieuses, l’Italie, demain, reprenait sa liberté et devenait l’adversaire de la France qui l’aurait oubliée et trahie. Nous n’avons pas consenti. » La déclaration de guerre des Etats-Unis à l’Autriche-Hongrie, le 7 décembre 1917, officiellement justifiée par Wilson dans son discours au Congrès par le fait que « l’Autriche-Hongrie n’est pas, en ce moment, sa propre maîtresse mais simplement la vassale du gouvernement allemand » , a pour conséquence de jeter Vienne dans les bras de Berlin, ce qui, jusqu’alors, n’était pas le cas , malgré qu’en ait Ribot. Les panger-manistes, au premier rang desquels Czernin, tiennent le haut du pavé viennois. Charles ne parvient plus, malgré sa bonne volonté, à imposer ses vues de paix séparée. Le 2 avril 1918, Czernin, parlant à des représentants du Conseil municipal de Vienne s’emporte et déclare : « M. Clemenceau, quelque temps avant le commencement de l’offensive sur le front occidental, me fit demander si j’étais prêt à entrer en négociations et sur quelles bases. Je répondis immédiatement, d’accord avec Berlin, que je ne voyais aucun obstacle à la paix avec la France, si ce n’étaient les aspirations françaises relatives à l’Alsace-Lorraine. On répondit de Paris qu’il n’était pas possible de négocier sur cette base. »35 . Czernin fait allusion aux pourparlers Armand/Revertera de l’été précédent qui avaient eu lieu à sa propre initiative. Devant des allégations aussi fausses, la réponse de Clemenceau — qui n’avait formé son gouvernement que le 16 novembre 1917 — est cinglante : « Le comte Czer-nin a menti ! » S’en suit une guerre par journaux interposés qu’aucune des parties n’a la sagesse d’arrêter et qui aboutit à la publication par Clemenceau de la première lettre impériale, malgré la parole d’honneur qu’avaient donnée tant Poincaré que Ribot de ne pas la divulguer. Une campagne de presse, généreusement subventionnée par Ludendorff — à l’exception notable de la presse socialiste et radicale — se déchaîne contre l’empereur — auquel on reproche entre autres d’avoir eu recours à un ennemi comme émissaire — et la Monarchie. La situation de Charles devient précaire36 . Il réussit, le 14 avril, à se débarrasser de Czernin qui préparait un coup d’Etat et rencontre Guillaume II à Spa le 12 mai auquel il rappelle qu’il l’avait régulièrement mis au courant de ses démarches sans toutefois lui révéler le nom de ses interlocuteurs, ce que l’empereur allemand ne peut nier. Les conséquences de la publication de la lettre impériale37  sont dramatiques pour l’Autriche qui doit donner des garanties à l’Allemagne en envoyant des régiments sur le front occidental et perd une grande partie de ce qui lui restait de liberté vis-à-vis de l’Allemagne. L’offre de paix de l’empereur Charles, qui a toujours cherché « en toute chose la volonté de Dieu, à la reconnaître et à la suivre », est motivée par des convictions profondes de justice et d’équité, d’humanité, de souci constant des peuples de la Monarchie, et de respect du jus gentium classique, fondé sur le droit naturel. Par opposition à ces prin cipes chrétiens, relayés par les appels en faveur de la paix de Benoît XV et les missions de Mgr Pacelli, alors nonce à Munich, ceux qui refusent la main tendue par l’empereur le font pour des considérations idéologiques diverses. Ils veulent abattre la monarchie catholique des Habsbourg, même si la guerre doit durer un an de plus et coûter, du seul côté français, 300 000 vies supplémentaires, et établir un nouvel ordre européen en traçant des frontières arbitrairement au nom du droit des peuples — qu’on se garde bien, la plupart du temps, de consulter — et qui auront notamment pour conséquence les guerres balkaniques récentes. Quelle différence avec celui qui écrivait deux ans plus tard : « Le monarque est seul responsable devant l’histoire. [… ] Je ne regrette pas une seconde la lettre à Sixte, et j’agirais aujourd’hui exactement de la même manière si je me trouvais dans la même situation. C’est moi, l’empereur, qui dois décider de la guerre et de la paix, et je porterais devant Dieu la responsabilité de toute occasion qui aurait été manquée de mettre un terme à cette effusion de sang inutile. […] Chaque jour, du matin au soir, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour donner la paix à mes peuples et sauver les fils et les parents des gens ».