MON VIEUX FUSIL DE 1872
Vendredi : 4 février 1916
Henri vient me trouver au Comité Secours pour m'avertir que l'on a fait des recherches et fouilles dans le jardin, rue du Sanglier et que Mr Haussman, Chef de la police allemande, tient à me trouver chez moi à midi. Je rentre aussitôt et je prends un bouillon. A midi Haussman vient me chercher pour me conduire à la prison. En route il m'informe que je suis accusé de ne pas avoir remis mes armes, que j'ai méconnu les ordres et affiches de l'autorité allemande et que l'affaire avait certainement un caractère grave.
Arrivé à ma cellule n° 1 à l'entresol de l'ancienne maison Dusquesnoy il me dit qu'Albert est arrêté et que je puis avertir chez moi afin que l'on apporte que quoi manger. Je lui réponds aussitôt qu'Albert n'y est pour rien.
Ma cellule est relativement propre et bien chauffée à l'eau chaude.
La débrouillarde Léonie vient avec les rations : 2 oeufs durs pour chacun, bouteille de vin, sel et tartines. Je divise - mange, fume et médite.
Léonie revient avec du café, bonne idée et me dit qu'Albert est relâché, très bien. On a dit d'apporter un lit et de rendre la cellule confortable.
Je procède provisoirement moi-même à la toilette plus que sommaire, étalage de papier sur banc de cheminée non raboti; le geôlier m'apporte une loque pour bourrer un morceau de carreau d'une vitre cassée; le sceau est vidé et on m'apporte une cannette d'eau froide.
Avant le soir heureusement Jules qui avait été arrêté et relâché, m'apporte le lit de camp, table de nuit à double usage, petite sacoche contenant mon nécessaire de toilette, bougies, livres, cigares, allumettes et tabac. On allume, on installe, Léonie fait le lit et me voilà définitivement servi du nécessaire.
Dans l'après-midi j'ai aussi été conduit auprès du juge allemand, rue de Lille 68, dépendance du cénacle pour subir un premier interrogatoire. Le Juge installé à une table ronde, son secrétaire à une table près de la fenêtre : nom, prénom, âge, profession. Avez-vous caché des armes ? Oui. Sont-ce ces fusils ? Oui.
Vous avez connaissance des ordres et affiches de l'autorité allemande sur la matière ? Oui. Pourquoi avez-vous enfoui ces armes ? Pour conserver un vieux fusil de plus de 30 ans. Quand avez-vous procédé à cet enfouissement ? Je ne puis fixer de date c'est déjà éloigné, c'est mon domestique qui a fait le nécessaire. Procès-verbal à signer, salutations et retour à la prison.
Léonie m'apporte le souper, prière et me voilà au lit vers 8 h belge. Il fait tranquille à cette heure et l'électricité est éteinte vers 9 h.
Samedi 5 février.
Nuit relativement bonne sans sommeil profond. Lever à 6l/i moment où toute la boutique se met en mouvement. Le personnel qui entretient les cellules arrive et on procède au lavage aux grandes eaux de ma cellule qui se rafraîchit, heureusement le termosiphon marchait et le plancher n'était sec que vers lOh. Toilette à la grosse morbleu.
Léonie apporte mon déjeuner. Solitude et incertitude sur la suite de l'affaire. Arpentant la cellule je fume, je lis, refume etc. Une chose consolante c'est l'absence de tout remords ce que l'on aurait pour toute autre peccadille.
Vers midi ou plus tôt comme d'habitude Léonie toujours exacte, dévouée est là avec mon dîner : vin blanc, siphon, pommes et douceurs, maman dit-elle est quelque peu abattue et tous les enfants assiègent la maison pour la consoler et ramener l'affaire à moindre gravité vu les précédente à citer. Elle m'informe que l'affaire sera appelée devant le tribunal dès lundi prochain devant le Conseil de Guerre. Cela me ravigote car l'indécision est mauvaise conseillère.
Café à 4 h. Nouvelles visites d'amis à la maison. Souper apporté ce soir par Léonie, Jules qui m'apporte un fauteuil et sa femme accompagne. Jules me donne le détail de son arrestation et relâchement. Souper fini, la pipe, prière et dodoido.
Dimanche 6.
Au déjeuner Léonie m'apprends que maman pourra venir demain lundi à 11 h du matin après
la séance du tribunal fixée à 10 h.
Je dévore des livres. Vers 11 h je reçois la visite de l'oberlieutenant logis Chr Claus et qui
dîne chez nous en compagnie de Haussmann, interprète. Le lieutenant est nommé d'office
mon avocat. Il désire connaître quelques arguments pour la défense : relations commerciales
avec l'Allemagne - Comité Secours - armes devenues inoffensives, etc. etc.
Entretemps Albert s'occupait également pour voir le Juge et aviser aux moyens de défense. Des renseignements sont donnés, chacun se met en course. Dîner - lecture - les cent pas -rosaire - café - lecture - souper et coucher.
Lundi 7 - Journée de l'audience
Bonne nuit - toilette - déjeuner - Prière. Le temps me parait long.
Enfin à 9% l'on me conduit au tribunal toujours rue de Lille 68. Quelques minutes d'attente dans une chambre attenante - à ma rentrée dans le chambre servant de prétoire je compte un Général, président à sa droite 3 juges, à sa gauche le Juge de vendredi ministère public et l'oberlieutenant, mon défenseur. Tous débout prêtent ensemble et à haute voix le Serment que le ministère public récite par phrases bien courtes et accentuées.
Haussmann, interprète, qui se trouve à ma gauche en costume de hussard me fait décliner nom. âge, profession.
Le ministère public fait son exposé (tout en allemand).
Mon avocat intevient pour poser
quelques questions :
Le jardin vous appartient-il ?
est-ce bien vos fusils ?
Motif de l'enfouissement ?
Le ministère public continue et finit après quelques brèves questions débattues entre lui et les juges en demandant une peine de 2 ans de prison. Mon avocat plaide, parle de la famille, des nombreux enfants, du mariage de Juliette, des relations commerciales en Allemagne, de la firme Hilders Cappelle, du Comité du Secours et travail allemand, armes devenues inoffensives.
Bon plaidoyer allemand, bien bâti finissant par la demande d'accorder le régime de la -forteresse ce afin de diminuer le temps de la peine. Accordé. Je me retire avec Haussmann et l'avocat qui me disent que les Juges sont maintenant appelés à fixer un jugement définitif qui ne sera connu que le soir ou demain matin. Que toute latitude m'est accordée pour faire m recours en grâce. Je remercie l'avocat et on me reconduit à la prison.
A peine arrivé maman et Albert arrivent. Maman très gaillarde m'embrasse, m'encourage et m'annonce que tous s'occupent de moi, que les enfants se dévouent et s'informent. Que le terme sera raccourci - que les précédents sont nombreux - que l'on prépare déjà le recours en grâce qui sera revu et corrigé de main de maître.
Le Conseil de guerre devait appliquer la loi. Maintenant c'était le moment de faire la contre
partie et employer tous les moyens. Maman et Albert rentrent à la maison.
Dîner.
Visite de Jean et Louise, Anna et Alphonse, Henri et Julia. Albert qui va s'occuper du recours, qui possède des tuyaux. Il a également entend parler qu'il y aurait moyen de faire changer le séjour de forteresse (cellule) en Verschansingen von Offissers (vertuigen).
A 6 h arrive Joseph d'Halluin tout en larmes, promettant de son dévouement, se jetant à genoux pour demander la bénédiction. Entrevue touchante et remplie de gages et de promesses sortant du coeur, à quelque chose malheur est bon. Que Dieu soit loué. J'apprends également que Julia est enceinte de 4 mois. Quel bonheur.
Bref un après-midi très occupé. Questions de malles - sacs de nuit - provisions. L'on dirait que l'on veut me charger comme une bête de somme. Chacun y met du sien et il faudra bien prendre quelques notes afin d'arriver au strict nécessaire et expédier par malle tout ce qui n'est pas nécessaire à un voyage préliminaire de 2 ou 3 jours.
Souper - prière - coucher.
Voici la déclaration que j'ai pu placer avant le plaidoyer de mon avocat.
Messieurs les Juges.
Il y a eu différentes affiches et du Gouvernement Belge et de l'autorité allemande, toutes ordonnaient la remise des armes et j'avoue en avoir eu connaissance.
Me suis-je révolté contre ces ordres ! Non.
J'ai anéanti chez moi les cartouches et pour empêcher à n'importe qui de pouvoir se servir de ces fusils je les ai fait démonter et enfouir non pas chez moi mais dans un jardin légumier situé à 10 minutes de la maison. J'ai peut-être contourné la loi dans l'intention de conserver mon vieux fusil de chasse qui a plus de 30 ans de service et auquel se rattachent tant de souvenirs. Mon volonté expresse a été de rendre ces armes inoffensives.
Quant à la date probable de l'enfouissement il doit s'être fait après le retour de mon domestique c-à-d. après la reddition d'Anvers soit 7.6.1914.
Mardi 8 février.
Passé bonne nuit - déjeuner - prière.
Vers 9 h appel devant le médecin attaché au service médical à l'Hôtel de ville. Longue
attente dans le bureau de l'adjoint rempli de militaires appelés à la visite.
Ceux-ci malgré
le papier de mon geôlier passent avant. Assis impassibles tous comme à un conseil de milice
se préparaient en déboutonnant leurs habits, l'un d'eux devant s'appliquer le .. à certain
endroit se préparait à se dévêtir quand mon geôlier prenant la chose au tragique me dit de
sortir.
Une fois dehors n'ayant pas mon pardessus nous nous retirons dans le bureau de Mr
le receveur Emile qui se trouvait à la porte. Là nous avons eu un bout de causette et bientôt
sur l'instance de mon geôlier mon tour de visite arrive. Me voici donc au Conseil de milice
devant le médecin.
Après vérification de mon identité il y ajoute une annotation nouvelle et quoi donc ! Une rubrique sur l'existence de deux appareils dentifrices. Arrive une visite corporelle complète avec auscultation complète, devant, derrière sauf les pieds. Visite gratuite en bonnes formes. Heureusement le Conseil de milice pour moi n'était pas du neuf et vraiment elle m'a donné la satisfaction en ce sens que le médecin ne cessait de répéter ja, ja, goed. Lorsqu'il apercevait mon scapulaire j'ai surpris un moment de se part certain étonnement que l'interne aussitôt écartait en disant après moi scapulaire une amulette. Occupé de me vêtir il me regarde fixement et me dit : vous pas malade, vous n'avez pas de poux. Non que je réponds. Hélas lors de la visite faite aucune sauterie ne s'était produite. Heureusement pour nous tous.
Mon geôlier m'attend et je retourne satisfait à ma cellule.
A peine rentré visite nombreuses. Maman, Albert, Henri, Juliette, Jean, Louise, Jean Marie.
Dîner. Anna vient s'installer et lit pendant que je rédige mon petit journal.
Dans la soirée maman et Albert on décide sur avis reçu de Mr Haussmann qu'il faut pour le
voyage préliminaire une valise à main, le coffre ne pourra être expédié qu'au moment de mon
arrivée sur indication à donner par moi de mon adresse exacte.
Souper - prière, coucher.
Mercredi 9 février.
Bonne nuit, déjeuner, prière et les cent pas en fumant un cigare.
Visites, maman, Anna, Mme Eugène, MM le principal, Deridder, Borre, Marquet. Le Bourgmestre. Ern. Tyberghien et le secrétaire dans le bureau de Mr Haussmann.
Dîner aux huîtres et bifsteak.
On apporte des pommes, maman les entoure de papier de soie - beurre. Albert et ses enfants,
Gérard me donne sa petite lampe électrique, Anna cherche une plume à réservoir.
On apprend que mon départ est fixé au jeudi, demain donc en compagnie de Haussmann.
En voiture jusqu'à Courtrai puis chemin de fer à Gand où il faudra attendre de nouvelles
instructions pour la suite.
L'heure du départ de Menin n'est pas fixée.
Vers le soir arrivent en dernière visite : maman, Anna, Alphonse, Albert, Jean et Henri.
Tous prennent possession du banc d'école, maman sur la chaise et le prisonnier dans le
fauteuil.
On cause du voyage, des probabilités, des renseignements reçus. L'heure de clôture arrive et de touchants adieux se font, quelques larmes, tous encore remplis du doux espoir du retour après un exil très raccourci. Léonie apporte mon souper, prière.
On s'est occupé également du recensement qui se fera demain, personne ne peut quitter la Maison. Plus de cent personnes, agréées par ailleurs devront procéder à ce recensement et sur la composition des familles et sur la fortune approximative de chacun avant la guerre.
Jeudi 10 février.
Nuit bonne jusqu'à 3 h. Insomnie pendant laquelle mon esprit divague sur le départ encore
incertain.
L'heure n'étant pas connue, mon vieux fusil pour le moment très irrespectueux, le comité
secours, la famille. Vers 4 h me voilà rendormi jusqu' à 6 moment où mes voisins et la garde se mettent en mouvement.
E .. Troch un brassard au bras m'apporte mon déjeuner. Après les cent pas réglementaires
indécis sur l'heure que l'on avait cru devoir être matinale je continue avec nervosité à
arpenter ma cellule.
Vers 9hlO Mr Haussmann vient m'avertir que l'on partira à 11 h belge et qu'il enverra un soldat pour chercher de quoi me restaurer avant le départ.
Contre ordre à 9h40. Mr Haussmann me dit qu'une affaire le retient aujourd'hui et que le départ est remis à demain.
Que se cache-t-il là en-dessous. Y a-t-il une complication nouvelle dans l'affaire. Indécision nouvelle. Pourquoi ne pas partir, j'étais prêt.
Mon dîner est là et je mange pour la forme, tout à coup surgit Troch qui tout ébahi me
demande ce qu'il y a, pourquoi n'êtes vous pas parti.
Hélas je l'ignore moi-même. Je lui dis de tenir la chose pour lui et de ne rien en dire à la maison. A quoi bon ! laissons les choses prendre leurs cours et à la garde de Dieu.
Troch me dit que personne ne peut encore sortir et que les ouvriers qui n'ont pas été au travail sont arrêtés. Est-ce là la cause qui retient Haussmann ?
Haussmann à ma demande si je pourrais encore recevoir des visite me répond non. Il dira à un soldat de venir me demander ce qu'il faut dans l'après-midi, qu'il ira le chercher au casino et que puis le payer. Bien merci - à la guerre comme à la guerre. Donc plus de communications avec la maison.
Après ces incidents, tout en fumant je me repose dans mon fauteuil et mon esprit divague. 2 ½ : Le café que l'on m'apporte est bon. Lecture.
Vers 51A m'accourent épanouis Albert et Jean m'annonçant que je ne partirai pas. Le secrétaire de Mr le Juge avait été à la maison, puis mon avocat pour informer maman que mon départ est retardé jusqu'à plus amples informations, très probablement au retour de recours en grâce.
Premier et consolant effet du recours en grâce. Mr. Haussmann m'arrive plus tard, heureusement en l'absence d'Albert et Jean déjà partis, pour m'informer qu'il a une bonne nouvelle à m'annoncer et qu'il est heureux pour moi qu'il ait été dans l'impossibilité de m'accompagner à Gand. Une fois parti, dit-il c'était trop tard.
Juger de l'opportunité d'agir sans retard.
Léonie même sans songer et dans l'inconscience de l'ordre m'apporte mon souper et déjà mon
soldat s'était mis en quatre pour m'apporter des 6 h ma viande froide avec salade (pommes
de terre froides avec oignons) viande de porc pour 2 personnes, coupée en vraies carbonnades
flamandes.
Je ne m'étais pas mis à table et j'en ai profité pour laisser là la cuisine
allemande. Sur ces instances je dis à Léonie, faites aussitôt mon lit, videz mon pot et sauvez
vous.
Je soupe de bon appétit, le coeur léger; pipe à bouffarde et lecture jusqu'à 7 1/2, prière,
coucher.
Mon café et mon souper allemand m'ont coûté avec le pourboire 4 marks.
Vendredi 11 février.
Bonne nuit, un somme de 8 à 4 h. Lever à 6'/2, toilette, prière.
Léonie m'apporte mon déjeuner et me dit que l'oberlieutement, mon avocat, est venu dire que mon départ ne se ferait pas et qu'il était permis comme avant d'apporter les victuailles et de rendre visite. De plus la cellule pouvait être rendue convenable. Par suite de cette autorisation on apporte portemanteaux, glace à trois faces pour la barbe, petit tapis ou descente de lit. Maman était arrivée vers 8'/4 et est restée toute la matinée. Joseph raccompagnait et est resté une bonne demi-heure.
Jules est revenu pour coller du papier sur un carreau cassé avant mon arrivée et dans lequel on avait mis comme bouchon une veste militaire d'été.
Le temps est devenu mauvais, vent et pluie.
Dîner aux huîtres, oeufs durs avec chicons, 2 pommes sur le plat. Maman et Anna me gâtent.
Visites : vers 2 h arrivent Jean, Anna et Alphonse et nous commençons la partie de whist annoncée. La pipe et la cigare allumé. Vers 3'/4 Mr Delvael se présente et bourre sa pipe tout en faisant l'inspection du lieu où il se trouve pour la première fois. Entretien cordial et réconfortant.
Henri vient également et Mr Delvael se retire à l'arrivée de Léonie avec un goûter pour quatre. Jean et Alphonse rentrent vers 4 ½ :. Henri et Anna quittent à l'arrivée de maman qui est restée jusqu'à mon souper. Vers 7 h je me trouve seul et reprends ma lecture.
Vers 7 1/2: tandis que j'étais étalé dans mon fauteuil à la clarté de ma bougie entre comme une trombe Mr. Dequinemaere. Très animé, rejetant se chevelure il prend la chaise et s'installe vis-à-vis de moi à la table. Il s'informe de ma santé, de mon régime. En ami il me conseille de manger, manger et encore manger. Je lui dis que je tiens beaucoup à mon régime ordinaire. Cela ne suffit pas dit-il, il faut plus et il vous faudrait du lait battu au soir ou de fa soupe. Mais ce n'est pas tout, le voilà se levant et avec un vigueur peu commune il commence un vrai cours de gymnastique suédoise. Les gestes à l'appui y mettant même de la frénésie, le voilà arpentant la cellule en me criant 50 fois comme ça, cinquante fois ainsi et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il m'ait montré tout en transpiration les diverses phases des mouvements. Entendez-vous crie-t-il voulant me faire croire que ses tendons devenant quasi des cordes sonores. Tout cela mêlé de phrases saccadées me faisant l'effet d'un cours bien mouvementé et peu conforme à la solitude d'une cellule de prison. Il me fait promettre de profiter du système en me rappelant certaines personnes qui grâce à cette gymnastique étaient parvenues à un âge bien avancé. Il prend finalement haleine, s'assied encore quelques instants et finit au départ à me montrer encore quelques virtuosités du système. La dessus, l'heure réglementaire passée à laquelle de par sa profession il n'est pas astreint il disparaît content et heureux me promettant, lui médecin de la maison, de venir juger de mes progrès dans la gymnastique suédoise. Bref il faut lui rendre justice car le cours était donné à la perfection pour moi un néophyte. Prière, coucher.
Samedi 12 février.
Bonne nuit jusque vers 4'/2 moment où un mouvement intense se produit.
Ouvriers en sabots qui descendent et partent. Je me rendors jusqu'à l'heure de chaque jour 6 ½. Toilette, prière et déjeuner. A dire vrai cela vous ravigote, rajeuni au point de vous donner des couleurs.
Maman et Joseph arrivent bientôt. Mr L. Vuylsteke vient également me rendre compte du payement du secours augmenté encore d'environ mille francs et nous nous entretenons aussi du barème nouveau déposé. Nous sommes d'accord et cela avec l'autorité locale pour le rejeter car son application serait un désastre financier d'autant plus qu'il faut envisager l'avenir. Une fois la main dans l'engrenage tout y passe.
J'ai fait une apparition dans le bureau de Mr. Haussmann pour lui demander une meilleure lumière et la faculté de me rendre demain à une messe chez les Pères. La lumière était l'affaire de la commandature, l'autre de Mr le Juge. Il me promet d'en parler mais sans j garantie de succès.
Léonie apporte mon dîner et maman tarte. Anna est restée au lit.
Vers 2h 1/4 arrivent maman, Jean et Alphonse pour jouer une partie de whist. Albert arrive puis Léonie avec le goûter. Causerie. Vers 4'/2 vient Henri qui a été appelé au bureau de Mr Haussmann qui le prie de nous informer que nos visites sont bien nombreuses et qu'il me pria de ne pas insister quant à la messe, tout cela pourrait porter ombrage et indisposer la commandature.
Maman reste jusqu'au moment du souper.
Dimanche 13 février.
Bonne nuit.
A 4'/2 départ des prisonniers.
Lever 6 ¼ :. Prière, toilette, les cent pas accompagnés d 'exercices à la suédoise.
Déjeuner à 7V4 causette avec D. cadeau de 2 pommes. Maman arrive à 816 toute chargée avec objets variés. Lampe acétylène d'Alphonse, bouteille de vin, etc. Elle reste jusqu'à midi moment où Léonie m'apporte ma ration et journaux. Anna va mieux.
Vers 1 h mon geôlier m'apporte encore une chaise contre échange d'un cigare qu'il accepte volontiers.
Maman revient avec Jean puis Juliette et Alphonse et on commence une partie de whist jusqu'à 5'/2. Maman reste jusqu'au souper à 6V£ et rentre avec Léonie. Prière, lecture jusqu'à 7%. Coucher.
Note pour le Comité Secours.
M.M. le coût de la vie est sensiblement le même que lors du vote du barème actuel.
L'ouvrier, dans son ensemble, s'est-il privé de quelque chose tandis que le bourgeois visait
à l'économie. Ne fait-il pas des dépenses qui en temps de guerre n'ont aucune raison d'être.
Jusqu'ici les familles des chômeurs ne se sont guère plaintes et aucune misère suivie de fâcheux accidents ne s'est déclarée.
La plupart, au moins un grand nombre touchaient plus qu'avant.
Il faut donc se restreindre et attendre des temps meilleurs pour se lancer dans l'étude du système fixé en temps de prospérité.
Qui peut dire ou fixer l'époque où l'industrie et le négoce seront à même de se livrer comme
autrefois au travail.
Soyons donc prudents et pour le moment étudions un barème du jour, un barème de guerre.
N'est-il pas juste de faire comprendre en paroles, en fait, à l'ouvrier qu'il a le devoir de se contenter d'un barème possible et durable à ce moment plus tôt que de lui promettre une chose impossible, un barème inacceptable par suite du manque de ressources, un barème basé sur des données de l'époque de prospérité.
Ces données peuvent-elles être maintenues, venir en compte lorsque le pays est occupé et que
toutes les données tant économiques que financières sont renversées.
Peut-on se faire a cette idée fausse qu'il soit possible, ici à Menin, au front de bataille de
raisonner sur des systèmes déjà bien difficile à exécuter en pleine époque de prospérité et de
paix. Restons donc dans les limites du possible. Ce sera plus prudent et surtout moins sujet
à des imprévus si pas de mécomptes graves.
Le barème actuel, appliqué à l'ensemble des inscrits se monte à ce jour à une somme de ....
Reste à déduire le comité national
II reste
II existe en plus une lettre par laquelle l'autorité locale admet le grand barème pour tous les
chômeurs complets. Ne serait-il pas plus conséquent de maintenir ce barème sauf à prévoir
quelque moyen terme pour des situations spéciales aux familles de 1.4 et 3 personnes.
Ce système de barème différentiel a été bien admis, exécuté pourquoi ne pas rester dans ce
cadre qui a donné d'heureux résultats.
Pour le moment, d'après ouï-dire, l'autorité locale se refuse d'admettre le nouveau barème
déposé par quelques membres. Dès lors que voulez-vous que le comité fasse.
Le Comité ne possède en réalité que les sommes provenant du comité national. Tout le reste
doit être avancé par la ville.
Aucun barème n'est viable que grâce à son intervention.
Le barème actuel modifié deviendrait viable moyennant certaines modifications.
Celles-ci
étudiées et appliquées sur des données certaines que le comité possède, seront à coup sûr plus
utiles pour arriver, de commun accord avec l'autorité locale, à une oeuvre durable et certaine.
On donnerait ainsi à la classe ouvrière une satisfaction et un régime de guerre possible à une
ville située au front ayant subi depuis des mois des mécomptes sans nombre.
A l'impossible personne n'est tenu et pour arriver à un résultat il est nécessaire de se causer
et de s'entendre.
Qui veut aboutir doit se restreindre à ses moyens, le comité n'a guère des fonds et il est
obligé de solliciter et non de s'imposer.
Prière de remercier tous les membres pour les marques de sympathie qu'ils ont bien voulu
me transmettre.
Lundi 14 février.
Nuit avec quelques insomnies.
A 4 ½ : départ des prisonniers. Branle-bas à 6 ¼ : toilette, prière et les cent pas suivis de la suédoise.
Déjeuner a 7 h suivi d'exercices.
Lecture des journaux.
A 8 ¼ arrivée de maman qui
constate mon nettoyage d'un carreau de vitre qu'elle ne trouvait pas luisant. J'y avais
remédié avec du papier de soie imbibé de mon eau de Cologne de guerre.
Visite à 11 h de Mr Léon. Causerie sur le nouveau barème, remise de ma note. Maman et Léon partent au moment où Léonie m'apporte mon dîner.
Celui-ci mangé avec bon appétit, petit somme, pipe et lecture.
A 2 h arrivent Jean, Louise et Anna. Celles-ci toussent encore.
L'on se met au jeu de whist jusqu'au moment où Mr. Haussmann se présente pour réclamer sur les visites trop fréquentes et trop nombreuses.
Des réclamations ont été faites à la Commandature par des civils. Je lui demande si maman et ceux de la maison sont compris parmi les exclus.
Il me répond de façon à ce que moyennant une demande à la
Commandature cette autorisation soit demandée. Bref il laissait entendre que tous les autres
sauf le personnel de la maison seraient désormais soumis à une demande préalable à la
Commandature.
Avant le départ il est convenu qu'Anna ou une autre irait dès aujourd'hui faire la demande
pour le personnel de la maison sauf Léonie qui continuerait comme par le passé son service
d'ordonnance.
Il est décidé également que dès demain mardi on y irait demander chez le Juge quelques
éclaircissements sur le fait, raison de plus puisque le Juge avait permis les visite de la famille.
Lecture longue - à 6'/2 arrive Léonie avec mon souper et une portion de lait battu. Je
rappelle à Léonie la démarche à faire chez le Juge et celle-ci m'informe que maman
accompagnée de Juliette n'a pas pu voir le commandant.
Lecture, prière, coucher à 8 h.
Mardi 15 février
Bonne nuit à 4'/2 départ des prisonniers, temps de chien, vent avec rafales de neige.
Les
fenêtres claquent. Lever à 6l/4, prière, chapelet, les cent pas et la suédoise.
Déjeuner à 7 h, suivi du cigare fumé en faisant de nouveau les cent pas. Je dis à maman de
faire aujourd'hui la démarche chez le Juge quant aux visites d'autant plus qu'elle n'a pu
approcher le commandant de place malgré l'avis donné par Mr. Haussmann. Demander la
visite libre pour tout le personnel de la maison, les autres enfants par demande spéciale ainsi
que Mr. Léon. Lecture.
Léonie m'apporte mon dîner et m'informe que l'on n'est pas tout à fait décidé par la
démarche à faire auprès du Juge.
Vers 4 h Léonie m'apporte mon café et dit que maman
viendra demain matin.
Lectures. Souper, prière, coucher à 8 h.
Mercredi 16 février
Nuit bonne, à 4'/4 départ des prisonniers, temps de nouveau à la tempête.
Léonie m'apporte mon déjeuner.
Mon voisin m'informe que pour les visites c'est au Juge
qu'il faut s'adresser et que la meilleure excuse est celle de la solitude qui par le fait de sa
durée deviendrait une cause de maladie. C'est donc le Juge qui devrait intervenir pour fixer
le régime des visites et non la Commandature. C'est d'ailleurs très plausible, ce sont les
juges et non les autorités locales qui ont la justice dans leurs attributions.
Avant le départ je demande à Léonie qu'elle veuille demander que l'on aille chez le Juge pour
prendre des informations. Indécision toujours mauvaise conseillère.
Lecture.
Léonie apporte mon dîner et me fait part qu'Henri a été deux fois chez le Juge - sans le
trouver.
On lui a dit de repasser à 1 h.
Léonie arrive avec le café et m'annonce que l'on a dit à Henri qu'il était impossible
d'intervenir avant le retour du recours en grâce.
Vers 4 h vient Mr Léon après des allées et venues et parvenu à m'atteindre. Mr. Haussmann
l'introduit et assiste à l'entretien.
Celui-ci après quelques instants se retire. La question
secours qui nous occupait ne l'intéressait guère. Causerie sur la réunion du mardi où l'on
avait reconnu le barème socialiste impossible et sur la proposition de Mr. Delvael on s'est
décidé de demander à la ville 10% sur le grand barème actuel pour les chômeurs ne
travaillant plus depuis 4 semaines et 20% pour les vieux de plus de 60 ans et les veuves a-. ;.
petits enfants.
Souper à 6'/2, prière. Coucher.
Jeudi 17 février.
Bonne nuit - temps meilleur. Départ à 4'/2 des prisonniers.
Lever à 6'/2, prière, déjeuner.
Impossible d'écrire mon porte-plume ne donne plus.
Impossible de le recharger, je ne
parviens pas à le dévisser.
Je cherche, je combine, je le mets à l'eau.
Par le fait du bain il
se nettoie mais rien de plus. Me voilà à quia. Que faire, je le mets de nouveau au bain en
attendant Léonie. Lecture.
Arrivée Léonie à 11 '/2 avec mon dîner. Je l'expédie aussitôt chez Jules Deleu qui a chauffé
quelque peu le réservoir de ma plume pour l'ouvrir, lui a donné son encre et voilà comme
quoi il m'est permis de continuer ma relation.
Ah fichtre il m'en a donné sur les nerfs
pendant toute la matinée. Elle reste un peu rébarbative elle a l'air de se révolter mais prendra
bientôt ses anciennes et bonnes habitudes. Comme son maître elle est aujourd'hui quelque
peu indécise, nerveuse.
Lecture.
Léonie arrivera avec le café cela nous permettra de
reprendre nos idées avec plus de sagesse et du courage. Vive le café surtout celui de la
maison cela sent le terroir. Calcul sur les barèmes hier à la dernière page.
Chapelet, souper,
prière.
La dernière pipe du jour et coucher.
Vendredi 18 février
La nuit a été bonne, prière.
Les prisonniers partent toujours à 4 1/2:.
Avant le déjeuner 6
avions alleur font des exercices variés devant mon horizon bien limité. Prière. Léonie vient
avec mon déjeuner.
Toujours sans nouvelles concernant le recours en grâce.
Barèmes du secours à vérifier et copier pour le comité. Les 10 et 20% me trottent en tête
et me font croire à un ensemble de tricheries et de réclamations inutiles à mon avis je préfère
un barème net, simple, appliqué aux familles d'après le nombre des personnes.
Léonie arrivé à midi - statu quo.
Huîtres, poisson et gâteau, l'on me gâte.
Petit somme et
ma pipe.
Lecture, chapelet peut-être sera ce demain samedi que nous arrivera une décision
qui commence à peser.
Léonie m'apporte un café consolateur et m'annonce la prise
d'Evouxoum front du Caucase. Il y a eu également alarme ce matin en ville.
Souper, prière, coucher.
Samedi 19 février
Temps pluvieux, départ des prisonniers.
Hier soir avant de m'endormir il y a eu un va et vient plus qu'ordinaire.
Mon esprit
divaguait que ferais-je au cas d'une déroute. Nous donnera t-on la clef des champs où serions
nous forcés d'enfoncer nos portes. Question bien intéressante à coup sûr.
Bref je m'endors
et m'éveille pour la 1ère fois vers 2h.
Déjeuner et prière.
Léonie m'informe que la commandature a fait prise d'occupation
intégrale du cabinet. Oh les microbes. Voilà Mr. Butaye forcé de recourir à mon système.
C'est le bon moyen d'éviter de part et d'autre toute responsabilité, toute atteinte.
Revue du
livre de ménage qui me tiendra toute la journée.
Léonie m'apporte mon dîner. Pas de nouvelles du recours. En partant je lui dis de demander
à Mr. Haussmann si maman ne peut pas me rendre visite.
Au moment de revenir avec le
café elle entre au Bureau où on lui dit de faire la demande au capitaine de la Commandature.
Il est 5 h. Personne ne vient.
J'ai revu 7 mois du livre de ménage.
Jusqu'ici quelques
erreurs de centimes je n'y trouverai guère aucun avantage et Anna me ria au nez.
Tant mieux
je ne travaille guère à la journée et nous avons tous ensemble la satisfaction d'avoir un travail
correct.
Léonie arrive avec mon souper et m'annonce la bonne nouvelle que maman étant
allée à la Commandature avec Juliette a eu la permission de venir demain matin me rendre visite avec Anna. Maman qui en avait une crainte s'est vu rassurée et satisfaite. Tout pour le mieux cela nous donnera un nouveau courage pour attendre avec plus de patience la réponse au recours en grâce. Le souper avait un avant goût de la visite attendue. La pipe goûte et la pl... est plus alerte. Lecture, prière et coucher.
Dimanche 20 février
Nuit bonne quoique sommeil interrompu.
Beau temps. Les prisonniers ne sont partis qu'à
5 h.
Lever à 6'/2, toilette.
Léonie arrive vers 7 h. Déjeuner.
Les cent pas. Barbe et me
voila astiqué pour la visite de maman et Anna annoncée pour 10 h belge.
Prière, chapelet et un peu de suédoise.
A 10 h arrivent maman et Anna encadrés du capitaine de la Commandature.
Pour cinq
minutes mesdames et c'est encore une grâce. L'officier parti mon geôlier a reçu ordre de
nous surveiller et rester dans ma cellule. Quelle désillusion ! il aurait mieux valu de
supprimer cette entrevue qui n'avait pas de sens commun. Bref maman très courageuse, en
faisant bonne figure m'encourageait par ses paroles, ses gestes.
Elle est et reste vaillante.
Il est facile à comprendre que tout est au mieux pour ceux qui savent attendre. Toutefois
l'indécision persiste et pourtant devant cette attitude il faut prendre son courage à deux mains
et s'écrier que la volonté de Dieu se fasse. Prions, il saura récompenser ceux qui ont pleine
confiance, ceux qui n'ont en rien dévoulu de sa bonté. A chacun sa part dans cette guerre.
Dieu l'a voulu, inclinons-nous.
Léonie m'apporte mon dîner. Pipe et petit somme. Chapelet et vêpres. Lectures diverses
jusqu'au souper apporté par Léonie.
Des trains de morts sont passés, certaines
communications nous disent que le retard dans la remise de la réponse au recours en grâce
n'est nullement exagéré. Encouragements, prière, coucher.
Lundi 21 février
Temps sec, petite gelée matinale.
Très bonne nuit, mon bon ange gardien s'est plu a tranquilliser mes appréhensions.
Très
bien, mille fois merci. Prière. Déjeuner comme d'habitude. Les cent pas en fumant mon
cigare.
Seconde lecture de journaux. Drames du poste. Mise en ordre de mon journal.
Dîner, petit somme, fin de mon livre de caisse et lectures diverses. Goûter. Lectures et
souper.
Mardi 22 février
Bonne nuit.
Hier soir au moment du coucher pas de lumière électrique dans la boîte de là
de la déroute des marches et contre marches.
Ce matin le temps était clair mais vers 8 h il se couvre et j'ai vu tomber quelques petits
duvets de neige.
La chaleur faisant défaut je me promène pardessus sur le dos.
Déjeuner. Léonie m'informe que les amis de Courtrai se sont adressés au Consul d'Espagne
pour activer la solution du recours en grâce. Bene extra bene.
Lecture, prière et transcription du recours en grâces que voici :
Smeekschrift van Mevrouw Sidonie Emma Cappelle gemalin des fabrikanten Albert Cppelle in Meenen Rijselstraat n°37 om verandering der tegen haren man uitgesprokene vrijheidstraf in eene geldstraffe.
Meenen den 8 february 1916
Aan
den opperbevelhebber van het 4de Legerkorps :
Zijne Koninklijke Hoogheid Hertog Albrecht von Wurtenberg
Uwe Koninklijke Hoogheid
Eene diep ongelukkige vrouw waagd, uwe koninklijke hoogheid de hier volgende aanvraag
voor gratie eerbiedsvol voor te dragen.
Mijne man, de fabrikant Albert Cappelle, werd door vonnis van gisteren door het plaatselijke
militaire gerecht tôt 1 '/2 jaren gevangenis gestraft, omdat hij twee jachtgeweren, welke hij in
oktober 1914, in onzen tuin liet ingraven, niet inbracht.
Zooals hij openlijk bekend heeft waren hem de opvorderingen van de Duitsche Autoriteit over
het afgeven der wapens bekend.
Dat hij niet tegenstaande besloot de geweren niet in te brengen, zoo is dit zekerlijk niet te
verontschuldigen doch menschelijk begrijpbaar daar mijn man een hartstochtelijk jager is.
Een van deze geweren heeft hij reeds 45 jaren en met anderen ook zeer langen tijd in gebruil,
zoodat hij zich van de hem zoo dierbare geworden wapens niet scheiden kon.
Daar echter met deze wapens geen misbruik gemaakt werd, gaf hij een vertrouwende
bediende order, de geweren uit een te doen en in onzen tuin te begraven, dit geschiede voor
het binnen rukken der Duitsche troepen in de stad.
Dezen tuin is met hooge muren omroomd, altijd gesloten en enkel voor de familieleden
tœgangkelijk. Slecht hij en den genoemde bediende wisten van dit verbergen. Deze tuin is
± 10 minuten van ons woonhuis gelegen. De patroozen die nog in zijn bezit waren
vernietigde mijn man zelf.
Hiermede heeft mijn man allés gedaan hetgeen eigenlijk den dieperen zin der Duitsche
opvorderingen ter wapen afgave bevat : hij heeft verhinderd dat met zijne jachtgewezen
misbruik gemaakt kon worden.
Hij zelf, hievan ben ik standvastig overtuigd, heeft nooit de inzicht gehad deze wapens tegen
de Duitse militairen te richten, dit bewijs zijne heele handelwijze.
Dat hij jegens de Duitse troepen goed gesind is, mag ter staving hierdoor bewezen worden,
dat hij vrijwillig de plaatselijke kommandatuur bij regeling der arbeidsvragen geholpen heeft.
Dit was niet altijd gemakkelijk en heeft hem menige vijandschap onder de inwooners der stad
op den hais gehaald.
Zooals ik tot mijne groote droefheid in zien, rijken al deze kleine daden nie* toe mijn man
geheel vrij te spreken en durf ik niet wagen uwer Koninklijke Hoogheid deze hede aan te
dringen.
Des te meer smeek ik uwe Koninglijke Hoogheid, mocht door een genade akte de vrijheid
straf van mijn man te verminderen en eenen bezaarden, eerbiedwaardigen man er voor te
sparen in de gevangenis te moeten overbrengen.
De zorg voor het onzeker lot zijnen, in de onmiddelijke nabijheid der strijdlinie, wiens
beschermers en schild hij tot nu toe was, zal hem diep treffen.
Zeer stavig mijnen eerbiedighede waag ik verder te hrengen.
Mijn man is 68 jaar oud, is vader van 11 kinderen en heeft 45 kleinkinderen en is chef des
Firma : Cappelle Vader en Zoon.
Een alle tijde was hij een deugdzame man, een voorbeeld aïs vader en echtgenoot, een
weldoener en raadsman der armen, de Stad Menen vertegenwoordig hij aïs Senator.
Gedurende den oorlog overnam hij de plaats aïs Président van het Hulpskomiteit en
bemiddelde vele lastige gevallen tusschen de Duitsche Autoriteit en de inwooners der stad op
welke hij, zijne persoonlijkheid, grooten invloed heeft.
Door zijne industrieele verhouding was hij zeer gastvrij voor veele Duitsche onderdanen, onze
zonen waren gedeeltelijk lange op korten tijd in Duitsland en zijn welgeacht door Duitsche
Firma's.
Onze fabriekzaak is met den Heer Dokter H. Hilgers uit Keulen, oud officier der Reserve
geascocierd, mijn zoon Henry is met diens schoolzuster gehuwd.
De herhaaldelijke visites van bekenden tot familie behoorende leden van het Duitsche leger
mag betuigen dat onze familie volstrekt geen Duitschevijandig gezin bedoeling heeft.
Uit al dit mag voorkomen dat mijn man, het door mij eerbiedsvolle gevraagd ... verzoek niet
onwaardig is en ik hecht de vast overtuiging dat hij ook verder zijne beste krachten zal
inspannen de verlangens van het Duitsche leger bestuur te voldoen en te doen hetgeen in zijne
krachten staat om zijn ondoordachte daad weder goed te maken.
Eene vertrijfelde vrouw, eene groote schaar van kinderen en kleinkinderen, werden in zoo
zwaren tijd, dubbel noodige echtgenoot, beschermer en raadsman wedergegeven.
Hoopvol verblijft in diepen eerbied uwer Koninklijke Hoogheid vriendlijk dankbaar.
W.G.Sidonie Cappelle
Dîner, aucune nouvelle du recours en grâce.
Il y aurait lieu de s'adresser à mon avocat qui doit avoir le droit de s'informer de la suite donnée à la demande. Peut-être par l'intermédiaire du Secrétaire du Juge qui parle le français. Les lettres de l'usine non expédiées après des semaines sont là pour nous démontrer que l'on ne met pas du zèle à l'expédition de la correspondance. Le fait d'avoir eu l'autorisation de fabriquer et d'expédier pour le moment complètement aboli est encore un indice du décret que l'on veut faire autour de nous. Menin est devenu un camp retranché dont toutes les issues sont gardées et notre serviteur se trouve colloqué entre quatre murs dans sa cellule comportant 4x6 mètres. Lectures. Chapelet et les cent pas. Café. La barbe toujours affaire compliquée et à la grosse morbleu. La 1ère idée aurait été la meilleure. A ce moment j'aurais eu l'aspect d'un porc-épic mal léché. Après celui d'un collet monté pour finir par la tondeuse. Souper, coucher.
Mercredi 23 février
6'/2 lever, les jours s'allongent. Vent nord-est. Le chauffage marche, hier les cokes manquaient.
Prière, déjeuner. Léonie m'apporte un livre de Mr. Léon : la Bible.
Je me mets en retraite, retraite forcée à vrai dire sans exercices, sans sermons et surtout sans aucun service religieux qui puisse y donner le plus nécessaire : Dieu lui-même.
Il est d'ailleurs le maître, inclinons-nous et que sa volonté se fasse.
II neige. Lecture, transcription des versifications inscrites par les prisonniers ainsi que le
portrait crayonné (voir in fine).
Dîner. Aucune nouvelle ce matin on tâchera de voir mon
avocat.
Au café Léonie me dit que mon avocat est retenu mais qu'il viendra demain matin à la
maison rue de Lille.
La journée se passe relativement vite car je me suis absorbé dans une lecture agréable la
Revue Française. Chapelet. Voilà le souper. Une bouffarde, encore une lecture qui me
retient jusqu'à 8 h.
Prière, coucher. Tout le monde est tranquille, serait-ce donc le dernier ?
Jeudi 24 février
6 ½ : lever. Prière.
Léonie m'annonce de la gelée, vent nord, il fait froid, heureusement le
chauffage marche déjà.
Les prisonniers ne sont pas levés à 4 ½ :
Mon avocat s'est annoncé pour 9 h. Juliette sera présente à l'entrevue. Le soleil fait mine
de se montrer.
Chapelet, mise à jour de mon journal, etc.
Léonie à 11 ½ : arrive avant temps me disant que ce soir il y dispense de sortir après 6 h.
Question d'une manifestation probablement marche aux flambeaux à l'occasion de
l'anniversaire du Roi de Wurtemberg. Bref que le souper sera également avance.
Impossible d'approcher mon avocat, trop occupé ayant dû partir avec le Général.
Mr. Léon arrive vers 4 h, mon geôlier doit assister à l'entretien qui ne dure que 10 minutes.
Question de prendre connaissance d'une demande de renseignements concernant des
statistiques à faire sur l'application des 10 et 20% demandée par le Comité.
Entrevue très
incolore L'autorité locale tache de gagner du temps sous le fallacieux prétexte qu'elle doit
avoir l'autorisation de la Députation permanente.
Lectures. Souper à 5 1/2: Mon luminaire pète, heureusement que j'ai une réserve de bougies
pour passer les 2 heures qui me restant de ma journée d'après mon ordre du jour. Bonne
nuit.
Vendredi 25 février
Pas de départ de prisonniers, je crois qu'ils sont partis pour de bon.
Lever à 6'/2 il fait jour, toilette et prière.
Léonie m'informe qu'il fait froid et que la sortie de hier soir était finie à 7 moins 1/4. J'insiste pour que l'on tâche de voir soit l'avocat soit le secrétaire du juge afin d'avoir quelques renseignements concernant l'envoi et le retard du recours en grâce.
Serions-nous donc joués comme dans la question de la correspondance commerciale - un écho ! Il semble qu'il y aurait question de me rendre mes fusils. Le juge serait comme votre serviteur un chasseur enragé.
Léonie arrive vers ll'/2. Menu : huîtres, omelette d'oeufs et pommes de terre, gâteau excellent. Moins appétissant et quelque peu indigeste que d'après certains renseignements la réponse au recours en grâce pourrait bien tarder même encore d'un mois.
Aaie ! Quelle désillusion.
Quelle perspective.
N'aurait-il pas mieux valu de partir et d'attendre la solution ailleurs.
Question bien ardue et qu'il vaut mieux laisser aux bons soins de celui qui est le vrai maître : Dieu, le vrai dispensateur des grâces.
Et de fait ma prison par le temps qui court n'est pas si misérable surtout que quatre fois par jour il m'est permis d'avoir des nouvelles de chez moi et de tous les jeunes ménages. Reste cependant le mauvais exemple pour les enfants qui doivent se faire de bien drôles de réflexions sur la situation d'avoir un grand-père en prison.
D'un autre côté maman le préfère ainsi, c'est déjà un grand point car parti d'ici adieu les correspondances, les petits soins que l'on s'empresse de me donner si gracieusement chaque jour, les combinaisons si ingénieuses du menu, bref ce serait l'exil. Tout bien considéré la nouvelle quelque tardive qu'elle soit sera toujours mieux venue ici sur place où il y aura plus de facilité d'y donner une suite utile. L'espoir fait vivre et en tout cas il sera partagé et peut- être plus continue par l'ensemble des imprévus qui pourraient se présenter. Il faudra donc veiller à avoir une journée occupée non seulement de lectures et de mon journal. Qui sait la Bible me fournira peut-être cette occasion, elle est volumineuse et peut se prêter à quelque travail. On y songe. Café - Lectures - Souper - Prière et coucher.
Samedi 26 février
Lever a 6'/2.
Toilette et 1ère prière. Déjeuner et cigare, les cent pas jusque 8 h. Il a neigé
et il fait froid et glissant me dit Léonie.
Mon journal. Bible : Deutéronome.
A 4 ½ : Léonie m'apporte une bonne nouvelle. Maman d'un bon mouvement s'est enhardie au point d'aller seule mais seule chez Mr le Juge allemand. Et voilà, sans y songer le moins du monde, elle reçoit la permission de venir cette après-midi me rendre visite pendant une heure en tête-à-tête.
Quant à l'autorisation d'aller le dimanche entendre la messe chez les Pères impossible : den aanhouder wint mamatje.
Bien plus elle peut encore renouveler sa demande pour la suite. Pour lui juge il attend la
réponse au recours en grâce chaque jour et n'a nullement parlé de plus d'un mois et d'encore. un mois, etc.
Comme toujours il vaut mieux prendre le diable par la corne et gaan waar dat het vashoudt.
Et de fait la Justice est la justice et la Commandature n'est qu'une aide, même un serviteur .
Bravo maman c'est un bon point à votre actif, à tantôt.
L'entrevue enlevée à la pointe de l'épée vient d'avoir lieu et maman m'arrivait triomphante
Sa mine a bien gagnée et on sentait bien dans ses yeux brillants que son succès y était bien
pour quelque chose. Nous sommes d'ailleurs dans un moment où tout se ressent d'un renouveau de chevalerie et que chaque pas conquis se mesure largement.
Maman s'est mise à causer comme un avocat, abordant toute chose avec méthode et suite de façon à captiver mon attention et aussi quelque peu mon coeur.
Cela la soulageait et moi donc !!
Tout devient intéressant pour le prisonnier et plusieurs fois les moindres détails déviera :
des faits palpitants d'intérêt et d'heureux souvenirs. Oui souvenirs de la famille, intérêts en
jeu, fabrication du savon, vente de papier, etc. etc.
Tout y a passé et j'en passe certainement. Nous voilà donc remontés, prenons bon courage
et à la grâce de Dieu.
Léonie m'apporte le café réglementaire et avoir la mine réjouie en me disant : "Madame est
bien heureuse et vous a trouvé excellente mine bien plus vous avez le visage quelque peu
arrondi". Et ça par exemple n'est pas l'avis d'Anna qui il y a huit jours me trouvait marqué
Toutes les deux ont raison car ma santé jusqu'ici ne laisse rien à désirer. Le régime est là et
tout remords est absent. Voilà la grand mot.
Léonie brosse et fait ma chambre et me quitte. Maman m'avait dit qu'elle était impayable
et que les gens l'admiraient quand trottinant à la vapeur elle vient en hâte m'apporter mes rations quotidiennes chaudes, chaudes.
Ma plume aussi sent le chaud et je finis en souhaitant bientôt pouvoir revivre cette heure de visite prise sur l'ennemi.
Lectures divers - chapelet -souper - prière et coucher.
Dimanche 27 février
Lever à 6'/2. Vend sud.
Dégel. Le chauffeur a été matinal car à cette heure matinale déjà
la tuyauterie est chaude. Bon point.
Première prière coupée par l'arrivée de Léonie au moment de ma toilette. Question pour elle
d'être souvent avant l'heure. Déjeuner. Prière et les cent pas en fumant mon cigare
quotidien.
Il est dimanche et je fais mes prières plus longues voulant dans la mesure du
possible me joindre à celles des fidèles. La question de demander la visite du prêtre me
préoccupe et je nage dans l'incertitutde ne sachant me décider qui je prendrais.
Ne vaudrait-il pas mieux peut-être demander une entrevue avec Père Rémi, mon voisin et
éviter ainsi toute interprétation qu'à mon point de vu je trouverais bien ridicule?
Laissons ce
point en suspens et ne cherchons pas querelle surtout tâchons d'éviter tout ce qui pourrait
susciter quelque ombrage dans notre ordre du jour. L'intention reste toujours bonne et Dieu
ne nous demande pas des miracles.
J'en reviens encore à la visite de maman qui me trotte encore en tête. Il y avait vraiment de quoi car elle jubilait de son triomphe comme d'une bataille de coeur gagnée sur l'ennemi. Mine souriante, gestes de vainqueur, fermeté de langage au point de discourir avec abondance.
Elle se plaisait à me raconter les mille détails de la nouvelle fabrication du savon, chose pour elle très intéressante puisqu'il y avait par le fait même une juste rémunération du travail et quelque peu du profit à la clef. Les gens arrivaient à la queue leuleu avec des sceaux mais malheureusement dit-elle nous ne pouvons produire qu'environ 300 kilos par jour quand il en faudrait des milliers.
Le plus utile de tout cela c'est qu'il est acquis par le fait que moyennant du vouloir il y a moyen de s'occuper utilement et de trouver ainsi une occupation qui par elle même tout en étant rémunératoire déride les esprits et donne satisfaction aussi bien aux clients qu'au fabricant. Plus tard on aura le plaisir de la raconter et ce sera un excellent exemple aux enfants qui pourront s'écrier : voilà papa fabricant de savon. Qui en veut. Toutefois n'oubliez pas de mettre sous clef cette recette qui n'est nullement faite pour paraître sur les carnets des dames. Gare à la publicité qui deviendrait à coup sûr mondiale. Oh ! les langues et surtout celles des femmes. Peste ! taisons-nous et surtout le jour du Seigneur soyons indulgents. Inscrivons donc simplement : fabrication de savons - savon frais tous les jours ouvrables au prix de guerre à la Porte de Courtrai 87 A. Cappelle père et fils -Menin. Aucune garantie de quantité la production en étant limitée. Excellente idée d'avoir laissé le savon à un prix de faveur aux ouvriers de l'usine qui par le fait deviennent des voyageurs de commerce. Vive donc le savon de guerre qui ainsi parvient à décoder nos esprits chagrins.
Fumons une pipe et après viendra une lecture dans la revue française qui me donne par sa variété le moyen de me distraire et de faire mourir les aiguilles de ma montre. Tuer le temps devient pour moi un travail utile car il me rapproche toujours du moment où il sera peut-être donné de changer de domicile.
Prières - messe - chapelet dites en cellule sans assistance.
Après le dîner petit somme. Vêpres non chantées sans salut. Robertine m'apporte mon café.
Lecture. Etude dans la Bible concernant l'établissement d'une table indiquant les années basée sur la date de naissance de nos premiers aïeux.
C'est à s'y perdre et je crois fort qu'il me faudra un aide car ces données me paraissent quelque peu confuses.
Ils ont eu la vie
longue nos premiers et une génération ! une génération !
Je ne vous dis que cela - allez y voir et vous m'en donnerez des nouvelles.
Bref cela m'occupe, plus que cela c'est intéresant quoique peu édifiant et nullement à portée de tout le monde, ah non !
Satan était de la partie et donnait du fil à retordre.
Souper - dernier chapelet et prière. Pourvu que la généalogie d'Adam à Noé me laisse dormir. Coucher.
Lundi 28 février
Lever à 6'/2, il fait clair et je puis me passer de luminaire, économie de bougies. Toilette,
le temps me parait calme, vent soud ouest. 1ère prière.
Déjeuner. Les cent pas en fumant mon cigare.
Avant de l'oublier : Adam, Seth, Enos,
Caïnan, Malachiël, Jared, Henoch, Mathusalem, Lamiech et Noé ne sont pas venus me
bombarder et j'ai bien, très bien dormi. Lecture dans la revue française c'est plus moderne
et moins compliqué. Je retrouve au moins des dates fixes, des sujets de l'époque mais hélas
des vies infiniment courtes nullement en rapport avec nos premiers pères: Adam 930 - Seth
807 - Enos 905 -Caïnan 910 - Malachiël 895, Jared 962 - Henoch enlevé par Dieu à 365 -
Mathusalem 969, Lammiech 777 et Noé 950. Ils doivent avoir les reins solides, des durs à
cuire. Que vous en semble.
Agé de 500 ans Noé ouvre une Nouvelle Epoque et à 600 ans se retire dans l'arche avec ses
fils, sa femme et les femmes de ses fils pour échapper au déluge.
Vers 10'/2 assis dans mon fauteuil, absorbé par ma lecture, voila que le canon tonne et
j'aperçois 4 avions venant du front et survolant Halluin. Diversion agréable pour un
prisonnier. Je les ai suivi assez longtemps et impassibles ils prenaient leur vol dans la
direction de Courtrai. Il est 11.15. Les canons du champ d'aviation recommencent leur
pétarade mais pas d'avion dans mon rayon délimité. La partie se trouve engagée du côté
nord.
Dîner, petit somme. Pipe, chapelet. Résumé et généalogie d'Adam à Abraham. Bref !
j'aspire après mon café. La voilà toujours alerte. Pipe et lectures intéressantes sur les Etats
Balkaniques.
Souper. Prière et coucher.
Mardi 29 février
Lever à 6'/2. Le temps beau, vent S.O. Pendant la nuit il doit y avoir eu une attaque au
front, avant minuit.
Toilette, prière et déjeuner.
Léonie m'informe que le bruit court que les posthaus au nord est de Verdun sont rétablies.
Maman ira aujourd'hui causer Père Rémi et demander aussi au Juge la permission de venir
demain me rendre visite.
Lectures. Résumé de la Bible. Dîner. Léonie me dit qu'un avion des alliés a été touché et
s'est abbatu vers 8 h, on avait entendu les canons du champ d'aviation.
Petit somme, chapelet. La barbe. Lecture sur le Monténégro, Serbie. Goûter au café.
Au soir au souper Léonie a appris que l'avion des alliés abattu du côté d'Halluin était français
mais montés par des anglais qui sont indemnes et ont cassé l'appareil. L'avion allemand
abattu est en pièces et ses aviateurs morts.
A la réunion du comité de secours de ce jour toute une troupe de socialistes se sont présentés
dont 3 ont été reçus en réunion du Comité. Détails manquent. Il sera intéressant de
connaître l'attitude des socialistes à la réunion même et si cette démarche était prévue par eux
ou s'ils étaient venus en groupe de leur propre initiation ou sur instigation du Vooruit.
Les membres socialistes du comité' doivent bien comprendre que c'est la Ville et non le Comité qui décide en dernier ressort.
Lectures. Prière. Coucher.
Mercredi 1er mars, mois de St Joseph
Lever à 6'/a, toilette, prière. Beau temps.
Déjeuner, le cigare et les cent pas.
C'est aujourd'hui que maman doit demander la permission pour sa visite de ce jour et celle du Père Rémi à son choix puisque son pénitent est en cellule.
A propos des cent pas rapppelez-vous le médecin en chef en logement chez Mr. Vanoost et qui prenait ses repas chez nous, l'homme à la grosse voix. Après déjeuner il allumait un cigare et après quelques minutes, la digestion se faisant il allait, oui il allait au n 100. Hygiène ! parbleu. Voilà ce que la cellule produit car par la nature comme l'oiseau on a le temps de l'examen de la cage ou se crée, à l'abris de tout travail au dehors, un ordre de jour exécuté à la lettre puisque forcé. Et voilà comment on peut arriver à trouver, moyennant de l'occupation, de goûter quelque satisfaction même en prison. Mon oncle d'ailleurs s'était fait à la chose en témoin ses lettres. Nous étions deux et tous les deux ayant eu à leur actif sur terre des condamnations, de la prison. Que dira bonne maman, que dira la vieille Catherine et toute la famille au ciel de voir dégénérer ainsi la famille. Léonie est là avec mon dîner et m'informe que maman a reçu du Juge l'autorisation de me rendre visite aujourd'hui à 2 h. Il n'a pas pu donner le permis pour que le père Rémi vienne me voir mais a proposé une visite de l'aumônier militaire allemand que j'aurai l'honneur de ne pas accepter en faisant le sourd.
L'heure de la visite de maman est passée. Qu'est-il arrivé ? Léonie doit bientôt arriver avec le café. Elle est là et me dit qu'Haussmann l'a renvoyé à la Commandature chez Balden qui était absent L'on se rejette la balle, ma personne est-elle si intéressante ! Pourquoi désespérer aussitôt puisque Léonie à peine partie maman vient d'arriver bien heureuse d'avoir dénoué le noeud gordien.
Etant allée chez Juliette qui l'a accompagnée chez Mr. Balden, celui-ci s'est empressé de donner l'autorisation tant désirée. Que Dieu soit béni car cela consulte et donne bien du courage. La conversation de maman a roulé sur beaucoup de faits connus mais avec un nouveau plaisir. Toute la famille est en bonne santé et s'apprête à fêter le mois de St Joseph. Je me joins à eux dans la mesure du possible avec le bon espoir qu'il donnera un bon coup d'épaule à la réalisation de nos voeux. Les fils sont à la besogne, c'est beaucoup pour eux d'avoir de l'occupation par le temps dur et sans fin d'une occupation très sévère. Le savon marche paraît-il et cela d'une façon inespérée. Quelques commandes en papier en surplus. Il m'est bien doux d'apprendre que jusqu'aux enfants mêmes on est aux nouvelles du prisonnier qui ne leur fait aucune peur. Bien plus ils s'en souviennent volontiers et adressent pour lui leurs plus ferventes prières. Bien sûr elles sont réconfortantes car l'on sait que le Bon Dieu leur donne ses préférences. Tout en arpentant ma cellule et récitant mon chapelet toutes ces figures voltigent et les souvenirs de la famille s'égrènent au fur et à mesure que j' égraine mon chapelet. Entre parenthèse il y a 50 grains au chapelet qui ne suffisent pas pour la famille, il faut bien se rabattre sur le suivant, puis dois-je l'avouer il me sera bien difficile de donner à chacun sa petite intention.
Maman me quitte à 4'/2 car l'heure est passée et mon geôlier d'ailleurs en fonctionnaire modèle vient nous le rappeler. Maman quoique ébranlée me parait très courageuse et j'espère bien que nous resterons deux pour saluer la délivrance. Elle est partie vaillante remettant le tout entre les mains de celui qui est et restera le maître de nos destinées. "Que sa volonté se
fasse donc et soyons nous-mêmes des enfants soumis à ses décrets.
Lectures - Chapelet - Souper - Lecture - Coucher.
Jeudi 2 mars
Lever à 6'/2, toilette. Le temps est calme, vent S.O. Vers 4 h ce matin il doit y avoir eu escarmouche, elle a durée environ 1 heure. Prière, déjeuner. Les cent pas, etc.
J'étais occupé de mon journal sur la Bible quand m'est arrivé ! Devinez donc, le prêtre catholique allemand. A vous dire vrai il n'a nullement ni le port, ni la stature, ni la voix d'un allemand. De petite taille, d'une attitude craintive il a une voix mielleuse, une voix d'enfant. Cela a été pour moi une occasion de varier mon ordre du jour et de le tenir pendant une bonne demi-heure en conversation sur les sujets les plus variés. Il se plaisait à me citer en flamand et des enseignes et des inscriptions qu'il s'était mis en tête afin de me demander mon avis sur ses progrès dans la langue flamande. Je devenais donc professeur de flamand. Bref il s'est aperçu probablement que je désirais m'en tenir à des généralités car pour le spirituel à vrai dire à la vue de mon livre de prières il m'a simplement dit : et vous dites bien vos prières et du matin et du soir. Voilà tout. En somme il m'a diverti pendant une demi-heure, c'était autant de gagné sur l'ennemi. Il m'a laissé l'impression d'un néophite remplissant d'après les moyens qu'ils possèdent l'humble rôle auquel l'a destiné la guerre.
Dîner. Lecture et chapelet.
Léonie m'apporte mon café. Vers 4 ½ : on m'appelle chez Mr Haussman et je me trouve en présece de M.M. le Juge et un autre. Le recours en grâce est retourné et ma condamnation est portée
à 6 mois de forteresse et 10.000 marks d'amende, mon départ est fixé à samedi. Quelle désillusion, quel désastre. Voilà toutes nos illusions frappées de stérilité. Que la volonté de Dieu se fasse. Seront-ce les adieux définitifs ! J'espère que non car je me suis dit : prions et bravement j'ai récité mon chapelet. Il s'agira demain de voir la famille et de me préparer à l'exil, tout à la garde de Dieu.
Vendredi 3 mars
Lever à 6 ½ : Hier soir vers 10 h indisposition, digestion mauvaise avec forte transpiration. Vers 10 ½ : le mal passe grâce à la légère purge qui me soulage. Quel meuble utile par le temps qui coure. J'ai dormi mais par sommes de 2 h à 2l/i. Toilette, prière. Léonie m'apporte mon déjeuner et me dit que maman, préparée par Anna, s'est pu soulager en versant des larmes,tant mieux. Le secousse après tant d'illusions était bien dure je le comprends. Toutefois il ne faut pas s'alarmer puisque ma tête de 68 ans vaut encore ses 10.000 marks. Remettons tout entre les mains de Dieu c'est ce qu'il y a de plus juste a surtout de plus méritoire. Bref je ferai un petit voyage forcé et j'espère bien vous revenu-sain et sauf. Je me trouve bien disposé ce matin au moins de désirer un départ précipité. Ce sera peut-être la plus longue séparation depuis notre mariage mais soyons vaillants jusqu'au bout. D'autres, et ils sont nombreux, se trouvent également séparés et depuis de longs mois. C'est un sacrifice à faire et bien qu'il soit généreux et fécond. Sous la protection de St Joseph dont nous fêtons la mémoire en avant pour Dieu et la Patrie. Pour aujourd'hui il s'agira de prendre nos informations et pour le départ, bagages, etc. etc. Maman et Albert arrivent un peu après 9 heures et me font part de leur entretien avec Mr le Juge. Je suis désormais compté comme honorable sauf à donner sa satisfaction. Je dois partir pour l'Allemagne mais mon séjour est considéré comme celui qui a commis une faute légère par ex. un officier de l'armée. Ma résidence n'est pas connue, c'est le procureur
d'Aix la Chapelle qui en décidera.
Il me sera permis de commander ce que je désire sauf à
payer la carte et après quelques jours on m'autorisa sur ma parole d'honneur de sortir. Qui
vivra verra.
Quant à l'amende, au plus tôt qu'elle sera payée, au plus tôt ma vie sera plus facile,
naturellement, seulement cette question est du ressort de PIntendature qui s'en trouvera
chargée. C'est donc avec elle qu'il faudra s'entendre sur la date et le mode de paiement.
Mon départ d'abord fixé à demain pourrait quelque fois s'en ressentir.
Joseph d'Halluin arrive également me rendre visite et repart avec Albert qui tâchera de
s'aboucher avec l'intendature.
Maman me reste pour soigner mon bagage. Bien plus elle reste à dîner avec moi. Menu :
huîtres, oeufs avec chicons et gâteau. Des vraies portions à satisfaction des gloutons. Nous
sommes rassasiés et maman s'étale dans mon fauteuil.
La journée ainsi faite paraîtra courte et nous remettra de la surprise de hier qui paraît pour
le moment sur un tout autre jour. Mère justice existe et par nature désire être respectée et
reconnue.
Le coupable n'a qu'à s'incliner c'est ce que nous aurons l'honneur de faire.
Jean, Louise, Anna et Alphonse arrivent pour faire leurs adieux, conversation sur la famille,
affaires, etc.
Anna rentre afin d'avertir Léonie de ce qui manque. Léonie apporte le café. Henri et
Juliette arrivent k leur tour et il y a chambrée complète. Vers la brume après le départ de
Jean, Louise, Henri et Juliette arrive Flore qui avait quitté Albert en bas au bureau de Mr
Haussmann. A peine Flore entrée Mr Haussmann vient m'appeler ainsi qu'Albert à son
bureau où se trouvait Mr Balden. Il devait avoir une diversion concernant le paiement de
l'amende et tenait à ce que celui ci se fasse dans le moindre délai. Il trouvait même étrange
que l'on y mettait si peu de bon vouloir car en définitive il s'agissait de me garantir ma
situation personnelle et de me faire reconnaître comme un réhabilité.
Albert répondit que c'était contraire à la vérité puisque dès ce matin il était aller chez le Directeur de la Banque rue de Lille pour le soumettre le cas, celui-ci avait répondu qu'il ne pouvait pas sans autorisation de la Banque de Courtrai avancer pareille somme sans versement acquis pour la totalité.
Il s'était engagé de plus à en causer lundi à Courtrai et il ne doutait nullement de leur acquiescement. Après explications Mr. Balden comprit la chose et donna un délai jusque mardi
prochain.
Mon départ reste fixé pour demain à 11 h belge, en voiture jusqu'à Courtrai en compagnie
de Mr Haussmann.
Tous les deux m'ont certifié que je serais bien traité en Allemagne et Mr. Balden eut la
gracieuseté de me faire comprendre que j'aurais à coup sûr l'autorisation de fréquenter le
service religieux. C'est le cas de dire chercher au bassinet et vous serez considéré.
Remontés en haut nous avons causé un peu de tout : enfants, ménage, cherté des vivres, etc.
Albert et Flore se sont retirés vers 6 h et maman et Anna sont restées à mon souper qui
m'arrivait à 6'/2.
J'avais oublié la visite de Mr Léon vers les 4 h.
Maman, Anna et Léonie sont rentrées. Chapelet - les cent pas, la pipe et lecture. Coucher.
Samedi 4 mars. Jour du départ pour l'exil.
Lever à 6'/2. Neige. Toilette. Léonie vient avec le déjeuner. Arrangements pour le départ.
J'espère que nous partirons plus tôt par le train pour Courtrai.
Prière, les cent pas en attendant maman.
FIN de la 1ère partie de : Mon vieux fusil.
Cause de la déception de certains judas méninois, cause aussi de mon amende de 10000 marks plus 6 mois de forteresse où d'exil.
Souvenirs de ma cellule : Inscriptions sur les murs
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Bij het duitsche gerecht deed hij volgende klacht
Dat ik niet wilde betalen mijn pacht
Dat ik de huisraadging verkopen
Om met 't geld ervan naar Roubaix te loopen
Men kan denken hoe ik leed
Onder het hooren van dezen valschen eed
Stil en gelaten zal ik mijn straf verdragen
Willicht komen er betere dagen.
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Om mij zonder paspoort naar mijn werk te gewagen
Wierd ik gestraft voor 31 dagen.
Nauwelijk vrij wil ik veranderen van logement
Jamaar den boden is daarmee niet kontent
Niet genoeg met een ander te doen lijden
Komt hij zich in mijn ongeluk verblijden
Ik wierd wederom genomen, 'k wierd vastbezit
Juist gelijk een moordennar met geweer en bayonet
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'K ben eene weer zonder ouders op aard
Wat is het leven mij weenig waard
Van familie veracht door vrienden verstoot
Wie komt er mij helpen uit den nood.
Niets kan mij nog opburen
Ik zit nu hier te treuren
En nogtans van jongs af doen men't menschdom leeren
Dat men de weeren moet leeren
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Hier mag men slapen
maar opletten
dat de platte luisen
er niet racken
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Boden wat heb ik u misdaan
Dat gij mij zoo wreed in 't ongeluk wil slaan
Omdat ik mijne huishuur niet geheel kan betalen
Doet gij mij van Duitschers halen.
Ik zit liever nu gansch alleen
In gedachten en droef geween
Vergeefs moet ik in mijn zelve vragen
Wanneer komen er betere dagen.
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Ik mind een meisje, zij bemind mij weer
Wij leefden te samen gelukkig en teer
Een lief kindje kwam ons verbijden
'T was onze eenige steun in al ons lijden
Wij werkten schuer dag en nacht
Om te kunnen betalen onze pacht
Omdat wij hem niet konden betalen
Deed den huisbaas mij van soldaten weghalen
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