Bombardement et destruction du donjon de Coucy
Jean Mesqui à l'occasion du centenaire.
23 mars 1917
Coucy-le-Château (Aisne), le donjon, photographie d’Alfred
Normand, 1891, archives départementales de l’Aisne.
© Archives départementales de l’Aisne
« Auprès de ce géant, les plus grosses tours
connues, soit en France, soit en Italie ou en Allemagne, ne sont que
des fuseaux. » Ainsi s’exprimait Viollet-le-Duc
dans les pages qu’il consacra au donjon de Coucy dans son
Dictionnaire ; las ! un peu plus de cinquante années plus
tard, une armée en repli stratégique anéantit ce
chef-d’oeuvre et les tours du château, après avoir
fait de même une semaine plus tôt au château de
Ham.
Cette tour maîtresse considérable de plus de trente
mètres de diamètre, chef-d’œuvre de
l’architecture féodale, était au double
exactement de celle du Louvre de Philippe
Auguste dont relevaient tous les fiefs du royaume. L’orgueil
d’Enguerrand III de Coucy, son constructeur, se lisait au
tympan de sa poterne, ornée d’un chevalier terrassant un
lion ; sa richesse et sa puissance s’exprimaient crûment
dans l’édifice, portant à la démesure le
concept de la tour de Laon toute voisine, également bâtie
par le roi. Chacune des quatre tours du château équivalait,
à elle seule, à l’un de ces donjons que Philippe
Auguste égrena dans les villes et châteaux du domaine
royal élargi par ses conquêtes. Et la tour maîtresse,
protégée par une chemise circulaire qui ceinturait sa
base, était coiffée d’une couronne de créneaux
en berceau brisé, sous une corniche finement moulurée
cantonnée de pinacles.
Enguerrand III fut l’un des plus puissants barons du royaume
sous Philippe Auguste, Louis VIII puis Saint
Louis ; il fortifia Marle, Assis-sur-Serre, Folembray,
mais Saint-Gobain et Coucy furent ses œuvres maîtresses.
Saint-Gobain avait disparu dès le XVIIe siècle
pour laisser place à la manufacture aujourd’hui
multinationale, ne laissant que de massifs soubassements où
circule une extraordinaire galerie défensive. Mais Coucy
demeurait, formidable sentinelle des plaines du Vermandois ; sa
carapace avait survécu à la poudre de Mazarin
en 1652, à un tremblement de terre en 1692, jusqu’à
cette triste journée du 23 mars 1917 où 28 tonnes de
cheddite réduisirent la tour maîtresse à un
énorme monceau de pierres, ensevelissant sa base, son fossé
et sa chemise sous un triste cône de destruction ; dix
autres tonnes eurent raison des tours qu’Enguerrand VII de
Coucy avait couronnées de mâchicoulis, laissant
orphelines les deux salles des Preuses et des Preux.
Coucy fut une victime de guerre, voire la victime d’un crime
contre l’âme d’une nation, car c’est cela qui
motiva son ultime destruction. Plusieurs fois a été
agité le projet fou d’une reconstruction, qui ne serait
probablement pas souhaitable ; on doit espérer que la
commémoration du centenaire de sa destruction fasse renaître
le projet d’en dégager les bases, qui donneraient la
mesure de ce colosse abattu, mais encore présent.
Jean Mesqui
docteur ès lettres