La condamnation de l'Action Française. Par Beau de Loménie A vrai dire si les faits extérieurs sont depuis longtemps connus, nous sommes, aujourd'hui encore, très mal renseignés sur les conditions exactes dans lesquelles les décisions furent prises par lcs autorités religieuses, sur lcs intentions véritables qui présidèrent à leur
publication.
Car les milieux cu rapports avec le Vatican sont à la fois complexes et assez secrcts. Beaucoup des hommes, plus ou moins qualifiés par leur position pour jouer un rôle dans ses négociations, compliquent encore par leur goût personnel du mystère et parfois aussi par leur désir de grossir leur propre importance en se présentant comme mieux informés qu'ils ne l'étaient en réalité. Nous n'avons guère à notre disposition que des interprétations, dans une grande mesure hypothétiques, celles en particulier que l'Action Française d'une part donna elle-même pour sa défense et celles récemment données par Adrien Dansette, qui n'ont évidemment pas les mêmes raisons d'être partiales, qui sont appuyées du reste sur certains points de divers témoignages, mais qui, nous allons le voir, apparaissent elles aussi à plus d'un point de vue arbitraires et difficiles à admettre. Considérons d'abord les faits extérieurs incontestables et incontestés. Au cours de l'été de 1925 une polémique dc presse s'étant ouverte en Belgique, au sujet de l'influence exercée sur la jeunesse par les idées de Maurras, un journaliste à tendance démocrate-chrétienne, du nom de Passelecq, avait publié une brochure violemment antimaurrasienne, chargée, sans grand esprit critique, de beaucoup de vieilles accusations d'avant-guerre, bâties avec des citations de ses œuvres de début, de son Chemin de Paradis en particulier, pour l'accuser de paganisme, d'amoralisme, voire d'esclavagisme. Un peu plus tard, ià Paris, en janvier 1926, lors du congrès fédéral d'une vieille association catholique, l'Association Catholique de la Jeunesse Française, ou A. C. J. F., qui avait été fondée vers 1880, lors des premiéres campagnes d'action sociale d'Albert de Mun; mais qui, fort décadente, avait été depuis peu noyautée par les disciples de Marc Sangnier, uu des vice-présidents, le très jeune agrégé d'histoire Georges Bidault, avait lu un rapport trés sévère contre l'Action Française, et contre les diverses ligues nationalistes de jeunesse, coupables de contrecarrer la politlque d'apaisement et de réconciliation avec l'Allemagne démocratique. A la suite de quoi ce rapport, remanié par Georges Bidault et le président de l'association, un autre disciple de Sangnier, Charles Flory, avait été transmis au Vatican. Puis les mois suivants, Marc Sangnier lui-même prenait l'initiative d'organiser pour le mois d'août, dans la propriètè qu'il possédait à Bierville en Seine-et-Oise, avec le concours avoué du gouvernement, et de Briand en particulier, une grande manifestation de jeunesse internationale, et particulièrement franco-allemande, dénommée par lui : Congrès démocratique international pour la paix, qui était annoncée par un appel signé de 117 ministres et parlementaires, depnis Edouard Herriot jusqu'à Marcel Déat, et plaeardè dans toute la France, où figuraient les phrases suivantes: M. Briand a dit, à propos des accords de Locarno: Si ce geste ne correspond pas à un esprit nouveau, s'il ne marque pas le débul d'une ère de confiance et de collaboration, il ne produira pas les grands effets que nous en attendons... Le congrès qui se réunit dans le domaine de Bierville près d'Etampes, au mois d'août 1926 peut aider d'autant mieux à cet effort indispensable d'éducation de l'opinion publique internationale dans un esprit de paix qu'il doit être l'occasion d'un rassemblement de toutes les jeunesses pacifiques des divers pays sur lesquels repose l'avenir même de la paix dans le monde. Aussi M. Briund, ministre des Affaires Elrangéres, a-t-il bien voulu assurer Marc Sangnier, président du Comité d'organisation, de toute sa symmpathie et de tout le coucours, du gouvernement de la répubtique . Le congrès s'ètait réuni à la date Indiquée, avec une sorte de pompe à la fois officielle et religieuse, destinée, semblait-il, à marquer l'accord et la réconciliation du gouvernement, de la vieille franc-maçonnerie et de la démocratie chrétienne. Painlevé, alors ministre de la Guerre, avait adressé à Sangnier une lettre de félicitations; le préfet de Seine-et-Oise avait prononcé un discours pour apporter les vœux du gouvernement; le vieux militant de loges et ancien miuistre de l'Instruction Publique radical, Ferdinand Buisson, avait déclare: " Catholiques, libre-penseurs, tous ici présents, nous voulons l'abolition de la guerre; nous la demandons au nom de la sagesse qui parle par la bouche de l'Eglise, au nom de la raison qui parle par notre bouche. Mgr. Julien, evéqne d'Arras, avait assure: " La sociéte des Nations qui siège à Genève subit les difficultés qui sont inhérentes anx institutions hnmaines. L'instrument se perfectionne à l'usage. Faisons-lui confiance. " Mgr. Gibier, évêque de Versailles, s'était écrié: " En cette henre solennelle, en ce lieu qui est un temple, snr ce sommet 'lui touche le ciel, prions et chantons notre foi >>. Cependant que les cougressistes 'votaient ensuite dans leurs " séances de travail. divers vœux, parmi lesquels fignrait entre autres un appel " à la snppression générale du service militaire obligatoire et an respect des scrupules des objecteurs de conscience . Et tandis qu'avec tous les journaux de gauche, la grande presse officieuse oubliait des comptes rendus émus, seule avec l'Echo de Paris ct quclques autres feuilles reactionnaires, l'Action Françaisc avait protesé, en couvrant du restc, selon sa méthode, de beaucoup de gros sarcasmes Sangnier, ses congressistes, et particulièrement les deux evêques, qui lui avaient prête leur concours. Deux jours avant la clôture de ce congrès, qui s'était ainsi poursuivi tout an long du mois, le 27 août, le cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux, publiait dans l' " Aquitaine >, bulletin religieux de son diocèse, sons forme de " rêponse à nne question posée par un groupc de jeunes catholiques>, unc violente attaque contre l'Action Française, directemcnt inspirée, et même, par eudroits, simplement copiée de la brochure du démocrate-chrétien belge Passelecq. Il reprochait non seulement au mouvement dc compter parmi ses chefs des athées et des agnostiques, mais il affirmait que ceux des dirigeants de l'Action Française qui se déclaraient catholiques étaient " des catholiques par calcul et non par conviction>, engagés dans un " amoralisme ", en vertu duquel " la société est affranchie comme l'individu de toutes les prescriptions de la loi morale, ce qui fait " qu'ils osent proposer le rétablissement de l'esclavage. Huit jours plus tard le pape Pie XI adressait au cardiual Andrien une lettre très nuancée où, tout en le félicitant de sa " vigilance paternelle>, il se gardait de raisonner comme lui. II se contentait de rappeler que les fidèles ne sont pas libres " de suivre aveuglément les dirigeants de l'Action Française dans les choses qui regardent la foi et la morale . Car, précisait-il, on trouve dans leurs publications " des manifestations d'un nonvel esprit religieux moral et social, par exemple au sujet de Dieu, de l'incarnation, de l'Eglise, et généralement des dogmes et de la morale catholique, principalement dans leurs rapports nécessaires avec la politique, laquelle est logiquement subordonnée à la morale. En un mot il ne se solidarisait pas avec les violences, avec les déformations du cardinal. II s'en tenait à signaler, sans même préciser, qu'il y avait entre certaines thèses de Maurras et les conceptions essentielles de l'Eglise sur les rapports entre la politique et la morale des contradictions qui pouvaient être dangereuses. Il n'énonçait en somme qu'une mise en garde, où n'apparaissait aucune volonté de pousser pour le moment jusqu'à une condamnatiou expresse, si l'Action Française pour sa part ne repliquait pas. Mais l'Action Française avait répliqué. Elle avait répliqué par deux adresses au pape, l'une signée du président de la Ligue d'Action Française, l'autre du comité de ses groupes d'étudiants. Et sans doute ces deux adresses étaient d'un ton très respectueux. Elles proclamaient même " une entière soumission aux enseignements de l'Eglise ". Mais elles étaient présentées d'une façon qui ne paraissait pas comprendre sur quelles positions doctrinales portait le débat entre l'Eglise et les thèses maurrassiennes. L'adresse des étudiants disait en effet: " Les étudiants catholiques d'Action Française, c'est-à-dire la grande majorité des étudiants d'Action Française... si, comme dans d'autres formations, politiques, ils rencontrent des incroyants snr le terrain où l'Eglise laisse à ses fidèles une juste liberté, ils ont conscience du danger que cela peut prêsenter; c'est de l'Eglise seule qu'ils reçoivent et acceptent des leçons sur tout ce qui concerne la foi et la morale. Ils s'efforcent d'y subordonner leur tâche comme leur vie. Ils ont appris en effet, dans les encycliques de Votre Sainteté et de ses prédécesseurs à combattre le laïcisme et le modernisme. Et en travaillant à la restauration des traditions nationales de ta France, ils n'oublient pas, ils s'engagent à n'oublier jamais que la tradition chrétienne figure au premier plan. "Autrement dit, s'ils rappelaient qlue l'Action Françaisc avait combattu certaines des hérésies condamnées par l'Eglise, ils laissaient entendre qu'elle était elle-même, à leurs yeux, quant à ses principes, pure de toute hérésie. Ils ne paraissaient pas se rendre compte, et très sincèrement sans doute, ils ne se rendaient pas compte (car l'Eglise ne l'avait pour sa part jamais encore précisé nettement si ce n'est par des formules très enveloppées), que, dans son principe même la position maurrasienne était elle-même propre à ouvrir la voie à des interprétations hérétiques, quant à une question dominante en particulier, celle de la conception chrétienne de la liberté. Puisque Maurras pose, (et c'est l'essentiel de ce qu'il appelle son positivisme agnostique) qu'il est possible de définir les lois d'une structure sociale saine sans avoir, au moins implicitement, pris position sur la nature individuelle de l'homme. Tandis que l'Eglise pose que le rôle essentiel de la société est de mettre l'homme, être libre capahle de bien et de mal, (c'est-à-dire, selon la formule de Léon XIII, maitre et responsable de ses actes), en mesure de faire son salut; ce qui suppose évidemment que soit assuré à chacun une situation matérielle, qui respecte et préserve sa dignité morale; et que les gouvernants comme les gouvernés sont, dans ce domaine, soumis à la même loi morale, (conception qui se trouve implicitement évoquée dans la pbrase de la lettre de cardinal Andrieu où Pie XI rappelait que pour l'Eglise la politique était subordonnée à la morale.) Le pape, devant cette réplique qui restait, volonhairement semble-t-il, à côté de la question eu deux réactions. Le 25 septembre, au cours d'une allocution qu'il adressait aux tertiaires franciscains de France, il déclarait: " Il y en a qui ne comprennent pas ce que le pape à voulu dire. Hé hien, il suffit qu'ils relisent ce qque le pape a écrit, qu'ils le relisent tranquillement, sans préventions, et avec cette dévotion filiale dont le pape ne veut pas douter. Et tout sera compris. " Puis il faisait répondre aux étudiants d'Aetion Française par une lettre de son secrétaire d'Etat, le cardinal Gasparri, au cardinal Dubois, archevêque de Paris, que s'il avait été " particulièrement consolé des expressions d'attachement et de soumission de ces bons jeunes gens ", il y avait de leur part quelque incohérence " à vouloir rester sous l'influence et sous la direetion de dirigeants qui par leurs écrits ne se sont pas montrés des maitres de la doctrine et de la morale chrétienne" ; ce qui, toujours sans préciser ex cathedra en quoi consistait l'erreur doctrinale des formules d'Action Française, laissait bien entendre une fois de plus que, selon lui, l'Action Française avait répondu à côté. En outre, tandis que divers évêques frnnçais, peu soucieux, semble-t-il, de s'engager trop ncttement dans une affaire où le Vatican s'en tenait à des formules enveloppées, avaient dans leurs Semaines Religieuses publié, sur ln lettre du pape au cardinal Andrieu des notes prudentes, comme l'Action Française avait demandé au cardinal Dubois de bien vouloir autoriser des théologiens à venir exposer à l'Institut d'Action Française " la doctrine catholique sur les points qui paraitront à ces théologiens particulièrement utiles à développer pour éclaircir ses adhérents. le cardinal s'était récusé. Devant ces refus l'Action Française avait commencé â changer de ton. Elle s'était mise à déclarer que, derrière les questions de doctrine qu'on lui opposait il y avait eu réalité une volonté toute politique de défendre et de servir l'Allemagne contre les dangereuses manœuvres de laquelle l'Action Française était seule à mettre en garde. Le 28 novembre, au congrès annuel du mouvement, Léon Daudet déclarait: " Derrière toutes les attaques contre l'Action Française il y a l'Allemand. " Au. cours du même congrès l'amiral Schwerer, président d'honneur de la Ligue, déclarait: " Si les hommes qui nous poursuivent de leur haine et ne cessent de propager près du Saint Siège leurs abominables calomnies réussissent dans leur criminelle entreprise... alors je ne me bornerai pas à rester fidèle à l'Action Française; je lui serai plus dévoué, plus attaché encore si possible. " Maurras lui-méme écrivait dans son journal, le 18 décembre: " Léon Daudet et moi, nous avons l'estime des honnêtes gens. Nous pouvons mépriser les insultes d'un journal allemand de langue italienne." (l'Observatore Romano, organe officieux du Vatican). Devant ceUe position nouvelle de révolte nette, le pape à son tour avait changé d'attitude. Le 20 décembre, dans une allocution consistoriale, il déclarait, en désignant l'Action Française sans la nommer: " En aucun cas il n'est permis aux catholiques d'adhérer aux entreprises, en quelque sorte à l'école de ceux qui placent les intérêts des partis avant la religion... dc soutenir, d'cncourager, de lire les journaux publiés par des hommes dont les écrits, s'écartant de notre dogme et de notre morale, ne peuvent échapper à la désapprobation" L'Action Française, refusant de s'incliner, répliquait, lc 24 décembre, par un article intitulé: " Non Possumns " et signé des dirigeants catholiques du mouvement, où elle déclarait: " Croyant très sincèrement que l'autorité snpérieure n'avait qu'un but : nous préserver, nous et nos enfants, de dangers intellectuels et moranx... nous étions disposés à admettre toute correction et tout redressement qnc l'Eglise jugeait à propos de nous demander dans cet ordre... Puisqu'il ne s'agit plus de corriger ou d'assainir au point de vue religieux un mouvement politiqne... mais de le snpprimer dans la mesure ou on le peut, la question a changé. Elle a changé du tout au tout... Nous prêter à la suppression de l'Action Française causerait un tort grave au pays, risquerait de le livrer sans défense... Dans la situation où se trouve la France, l'acte de tuer l'Action Française est un acte non purement ni même principalement religieux; c'est un acte politique au premier chef, acte qui porterait un grave préjudice nce ; il lui serait nuisible mortellement... Nous ne trahirons pas notre patrie. Non possumus. . Cette fois la rupture était compléte. Le 5 janvier 1927 le pape publiait divers actes: 1) les décrets du Saint Office, de janvier 1914, ratifiés mais non publiés alors par Pie X, qui décidaient la mise à l'Index de plusieurs ouvrages de Maurras ; 2) un nouveau décret , daté du 29 décembre 1926, qui mettait en outre à l'index le journal " tel qu'il est publié aujourd'hui, précisait Pie XI, en raison des articles écrits ces jours derniers surtout, et nommément par Charles Maurras et Léon Daudet, articles que tout homme sensé est obligé de reconnaître écrits contre le Siège apostolique et le pontife romain méme." 3) une lettre adressée au cardinal Andrieu, où Pie XI expliquait ses décisions récentes, en disant entre autres: " Cette révolte des cœurs s'est produite dans une large mesure depuis la publication de votre lettre, mais plus encore en ces derniers temps, et surtout les jours qui ont immédiatement précédé et suivi le consistoire du 20 décembre passé. Il s'est révélé une absolue absence de toute juste idée de l'autorité du pape et du Saint Siège, une absence non moins absolue de tout esprit de soumission... Ce sont ces révélations qui ont mis le comble à la mesure, et nous ont fait proscrire le journal. ." Tels sont les faits. Deux séries de constatations essentielles en ressortent: le pape déclarait expressément que c'était l'attitude de révolte adoptée par l'Action Française devant ses premières mises en garde qui l'avait décidé à une condamnation expresse; 2° A aucun moment, ni au début de l'affaire ni par la snite n'avait été exposé en détail, ex cathedra, en quoi consistaient les erreurs dogmatiques qui étaient reprochées à l'Action Française. Conclusion. Et maintenant il s'agit d'interpréter, pour essayer de voir clair. Deux théses principales, nous l'avons dit, ont été soutenues. L'Action Française d'une part, après les premiers moments de surprise, où elle n'avait cherché d'abord qu'à minimiser la portée de l'attaque lancée contre elle, avait bientôt pris le parti de soutenir qu'il s'agissait d'une manœuvre toute politique, inspirée par Briand avec la complicité d'un pape entièrement conquis par l'Allemagne. Elle ne s'en tenait pas aux premières formules que nous avons citées plus haut. Dès les premiers jours. de janvier 1927 elle faisait en outre état d'une allocution prononcée à l'Elysée, à l'occasion du nouvel an, par le nonee à Paris, en qualité de doyen du corps diplomatique, et qui exprimait des vœux chaleureux en faveur de la politique de Locarno. Les mois suivants elle multipliait les apostrophes dans le même sens. Elle accusait le nonce de toutes sortes de turpitudes, jusques et y compris, des mœurs contre nature. Il lui arrivait même d'appeler Pie XI le pape le plus allemand de l'histoire. Et puis, faisant état de ce que la condamnation n'avait, nons l'avons vu, été accompagnée d'aucun exposé d'ensemble des erreurs doctrinales qu'on lui reprochait, elle feignait de croire que si cet exposé n'avait pas été fait c'était qu'il était infaisable, qu'il n'y avait, sauf sur des points de détail, rien à reprocher à ses thèses au point de vue de la doctrine catholique. La seconde interprétation, celle qui a été exposée en détail par Adden Dansette dans son récent ouvrage, est dans son ensemble tout opposée. L'intervention de Briand n'aurait été pour rien dans l'affaire; les circonstances politiques générales même ponr très peu de choses. Sans doute, reconnaît Dansette; les raisons d'opportunité, qui avaient en 1914 fait surscoir à la publication des décrets mettant certaines œuvres de Maurras ià l'index ne jouaient plus à partir de 1925. Le réveil d'anticléricalisme qui avait paru menaçant au lendemain des élections de 1924, était, assure-t-il, déjà ètouffé. L'Action Française était abandonnée par une grande partie des dirigcants politiques du monde conservateur, qui avaient estimé avantageux ou nécessaire d'utiliscr son influence avant et pendant la guerre. Léon Daudet, battu aux êlections de 1924, n'était plus parlementaire. Maurras avait échoué à l'Académie Française en 1923. Sans doute aussi, admet-il, le pape régnant était de tendances favorables à la politique de Locarno. " Pie XI. êcrit-il, pape de la paix, de ce qu'il estime une véritable paix qui ne peut être confondue avec la loi du vainqueur, croit au succès de la conciliation internationale par des gouvernements démocratiques. ...Et il ne peut qne s'irriter de l'opposition nationaliste dc l'Action Française,acharnée à poursuivre la rigoureuse application du traité de Versailles. " Toutefois, assure Dansette, " si cette conjoncture a sans doute indisposé Pie XI contre le journal maurrassien, elle n'a pas motivé son attitude ". Ce qui l'aurait frappé surtout ce serait " le hasard. qui aurait fait qu'en 1925 était intervenue la polémique engagée entre divers journaux belges au sujet de l'influence maurrassienne ". Ainsi alerté, " saisi de l'affaire par la plainte belge, assure Dansette, il l'instruit avec une conscience admirable, d'un point de vue strictement religieux ". Puis après une étude minutieuse et personnelle, il se décide a sévir. C'est lui, affirme Dansette, lequel assure avoir consulté beaucoup de témoins, c'est lui qui, " usant d'une procédure familière au Saint Siège " aurait fait " engager l'affaire par un haut prélat, afin d'intervenir lui même au mieux des circonstances ", de même que " le cardinal Lavigerie avait été chargé de sonner l'appel du ralliement " en 1890. Ce serait donc le pape qui aurait délibérément invité le cardinal Andrieu à publier sa fameuse lettre, après s'être adressé, assure aussi Dansette, à divers autres prélats qui s'étaient récusés. Ce serait Pie XI qui, délibérément, de lui-même, aurait non seulement décidé l'opération, mais encore déterminé les modalités de la première offensive. A vrai dire Dansette, qui du reste reconnait " s'appuyer partiellement sur des conjectures", n'ignore pas que sa thèse soulève diverses objectious, dont la plus grave est la suivante: si vraiment le pape a pris délibérément l'initiative de condamner pour des motifs essentiellement religieux et doctrinaux, comment se fait-il que cette condamnation n'ait pas été appuyée d'arguments doctrinaux plus précis ? Dansette explique de la façon suivante. Un jour, nous dit-il, comme un religieux (il ne nous précise pas le nom de ce religieux), comme uu religieux demandait au souverain pontife " de justifier la condamnation par une encyclique" le pape aurait répondu: " Cela ne servirait à rien. Ils ergoteraieut. Ils seraient pires que les jansénistes. La vérité est que, plus encore que les théories, c'est l'atmosphère qui est pernicieuse", Et Dansette pour sa part ajoute qu'il leur aurait été en effet assez facile d'ergoter. Car la doctrine d'Action Française n'a jamais fait l'objet d'un exposé systématique. " On ne peut la saisir, dit-il, que par bribes dispersées dans les ouvrages de Maurras et dans le journal du mouvement... Comme on ne peut saisir une pensée que dans son expression, et que celle expression, est en l'occurrence toujours contingente et provisoire les critiques avaient la tâche difficile ". . Ainsi donc, pour lui, si la condamnation de l'Action Française n'a pas été doctrinalement motivée c'est que les thèses maurrassiennes restent fuyantes et insaisissables. Maurras sur ce point a vivement protesté, au cours d'un article qu'il publiait, sous le pseudonyme d'Octave Martin, dans l'hebdomadaire " Aspects de la France " tandis qu'il était encore en prison, en indiquant les divers ouvrages de lui où ses thèses doctrinales essentielles se trouvaient définies. Et sur ce point j'estime pour ma part qu'il a pleinement raison. Certes ces théses maurrassiennes ne se trouvent pas, dans les ouvrages en question, exposées de façon méthodique, comme dans un manuel scolaire. Certes elles ne sont présentées, dans chacune de leurs parties, que par fragments dispersés, et le plus souvent à propos de diverses polémiques, en réponse aux arguments de tel ou tel de ses adversaires. Et il est certain qu'il a toujours été difficile de les reconstituer dans leur ensemble et dans leur enchaînement logique, sans une assez longue étude à laquelle la plupart des disciples de l'Action Française, la masse des lecteurs de son journal, tout comme les étudiants trop jeunes encore qui adhéraient au mouvement, n'étaient pas en mesure de se livrer, et que ses adversaires, mus le plus souvent par des réflexes partisans, n'étaient pas, pour leur part, disposés à poursuivre avec objectivité. Tout de même l'analyse que je me suis efforcé de développer plus haut m'a convaincu que, pour l'essentiel, le système maurrassien est saisissable. Il m'apparaît du reste, sur des points importants en pleine contradiction avec la doctrine de l'Eglîse, ou, plus exactement propre à mener à des conclusions en contradiction avec la conception chrétienne des devoirs de la société par rapport à l'individu, et de la notion chrétienne de la liberté. Ce ne peut donc, me semble-t-iI, pas être, comme l'Action Française l'a soutenu, parce qu'il n'est condamnable que pour des détails que le Vatican s'est abstenu de motiver d'arguments doctrinaux précis sa condamnation. Mais ce n'est pas non plus, comme le soutient Dansette, parce que le système à condamner ne pouvait être exposé et défini de laçon cohérente. A vrai dire Dansette reconnait lui-même que l'affaire était mal engagée. Et puis dans sa thèse une autre invraisemblance encore apparaît. Il nous affirme que c'est Pie XI qni, décidé à condamner, avait de lui-même pris le parti de pousser le cardinal Andrieu à lancer la première attaque, avant d'intervenir pour son propre compte, comme le cardinal Lavigerie avait été chargé par Léon XIII " de sonner l'appel dn ralliement .. Par malheur d'abord il n'apporte à l'appui de son affirmation que des on dit bien vagues. " Il semble, dit-il, que le Saint Siège n'a pas voulu se servir de l'archevêque de Paris... On dit aussi que... on raconte que... etc. . Or si je n'ai pas le moyen de contrôler ces " il semble que " ces " on dira " je sais par contre que, dans l'affaire du Ralliement de 1890, il n'est pas du tout exact que c'était Léon XIII qui avait chargé le cardinal Lavigerie d'intervenir. C'était Lavigerie qui, après entente avec certains hommes politiques français, s'était offert. Les faits sont aujourd'hui depuis longtemps prouvés. Léon XIII lui-méme a déclaré expressément à son biographe, Mgr. Baunard, " C'est lui qui a proposé la déclaration. Il a pu par la suite parler de son dévouement, mais non de son obéissance, puisqu'il n'avait reçu aueun commandement". . L'inexactitude incontestable de Dansette à propos du précédent du cardinal Lavigerie qu'il invoque, donne des raisons de douter de l'exactitude de son récit au sujet du cas Andrieu. Il ne s'en tient pas là. Il ajoute lui-méme que le cardinal Andrieu était à ce moment-là, à la connaissance de tout le monde, fort vieux et intellectuellement lfrt diminué. Il reeonnait en outre que la lettre du cardinal, qui allait déclencher toute l'affaire, était composée tout entière d'arguments très faibles, en partie grossièrement inexacts, démarqués tout simplement d'une brochure de polémique du démocrate-chrétien belge Passelecq. Il est bien difficile de nous faire admettre que, pour une affaire de portée sérieuse, qu'il avait, nous assure par ailleurs Dansette, longuement étudiée lui-même, le pape ait délibérément choisi pour porte-paroles uu prélat connu comme déficient, dont toute l'argumentation allait être bâtie sur nne brocbure de polémique, déjà publiée depuis un an, et déjà admise comme grossièrement tendancieuse. Enfin si Dansette s'étend sur bcaucoup d'on dit, il omet de faire dans son récit la moindre allusion à un fait, lui, incontestable, dont tous les journaux de l'époque furent remplis, le congrès démocrate-cbrétien de Bierville du mois d'août 1926, qui fut, nous l'avons vu, ouvertement patronné par Briand, et qui, comme par hasard, coïncide exaotement avec la publication de la lettre du cardinal Andrieu, elle-même directement copiée d'un texte démocrate-chrétien. La lettre du cardinal Andrieu arrivait juste à point, comme un éclatant écho aux discours prononcés ou même momcnt à Bierville, et une réplique aux violentes attaques lancées à ce propos par l'Action Française contre Sangnier et ses disciples. Elle apparaissait bâclée, bâclée avec des arguments manifestement inspirés par le mondc des organisateurs du congrès. Cette concomitance que Dansette a omis de signaler apparaît bien troublante. Passons maintenant à un autre point de vue Les théses doctrinales de Maurras, nous l'avons vu, n'ont été condamnées ex cathedra par le Vatican, ni dans une cyclique ni dans aucun autre texte motivé. Cependant une telle coudamnation motivée, avec une analyse précise de ce qui donc le maurrassisme est, quant aux positions de principe, susceptible de mener à des conclusions opposées aux doctrines de l'Eglise, c'est-à-dire essentiellement, me semble-t-il, avec une analyse et un rappel de la conception chrétienne de la liberté humaine, laquelle domine les rapporte entre la morale et la politique, tels que les conçoit l'Eglise, une telle condamnation apparait parfaitement possible. Car, si dispersées que soient entre divers ouvrages les principales thèses doctrinales de Maurras, si enveloppées même qu'elles semblent parfois, il n'en est pas moins parfaitement possible, avec une suffisante application, de les définir. Et nous avons peine à imaginer qu'il n'y eut pas alors parmi les tbéologiens et les philosophes du Vatican d'hommes solidement armés pour une telle tâche. Seulement rappeler, en vue d'une condamnation du maurrassisme, les conceptions chrétiennes de la liberté humaine et de la morale sociale, c'était inévitablement être obligé de rappeler en même temps les condamnations prononcées par l'Eglise contre la conception quatre-vingtncuv-iéme de la liberté, et les confusions de toutes sortes faites à ce sujet par les démocrates-chrétiens en général et par Sangnier en particulier, que le pape Pie X avait condamnées expressément dans sa lettre sur le Sillon du 25 août 1910, où il avait, nons l'avons vu, déclaré entre autres: " Du fait que leur idéal est apparenté à la révolution ils ne craignent pas de faire entre l'Evangile et la Révolution des rapprocbements blasphématoires. " Alors il faut tenir compte d'une hypothése qui serait de nature à expliquer dans une grande mesure pourquoi l'affaire avait été si mal engagée. Sans doute, pour toutes les causes que nous avons dites, en raison des difficultés du Vatican avec l'Italie fasciste de Mussolini, en raison de la nécessité pour lui de ménager en France Briand qui se présentait comme seul en mesure de freiner le réveil d'anticléricalisme du Cartel des Gauches, en raison de l'appui que semblait lui apporter l'installation des catholiques au pouvoir en Allemagne, en raison du peu de chances de réussites que semblait comporter encore, après les erreurs du Bloc National, l'entêtement des nationalistes français à réclamer une stricte application du traité de Versailles, peut-être même aussi par un espoir généreux d'être le pontife dont l'intervention pacificatrice assurerait la réconciliation européenne, Pie XI souhaitait à ce moment-là voir réussir la politique de Locarno et du plan Dawes, et désirait l'appuyer de son autorité. Il est bien évident que les attaques de l'Action Française contre le briandisme, si maladroitement violentes, et si mal appuyées des arguments d'ordre économique et financier qui auraient été les plus pertinents, devaient lui beaucoup déplaire, sans le convaincre. Il est fort vraisemblable qu'il avait repris, qu'il s'était mis à étudier lui-même, le dossier qui dormait au Vatican depuis 1914. Rien non plus ne s'oppose à admettre qu'il avait fait des sondages auprès de divers prèlats français pour leur demander éventuellement d'intervenir. Mais sous quelle forme et quand comptait-il entrer lui-mème en scène ? Il ne parait pas invraisemblable d'imaginer qu'il a eu au dernier moment la main forcée. L'affaire de Bierville, considérée avec le recul des années, a toutes les appareuces d'une sorte de coup d'éclat, qui par son mélange de religiosité et d'antimilitarisme choquait dans beaucoup de milieux français. Les critiques que l'Action Française avait lancées en réplique, qu'elle avait été à peu près seule à lancer, portaient cette fois trop juste. Tout semble de l'extérieur s'être passé comme si, alors, du côté de Briand et des démocrates-chrétiens on avait, pour fermer la bouche à l'Action Française, pressé l'intervention du cardinal Andrieu, en bâclant pour lui son absurde lettre, qui obligeait en quelque sorte le pape à intervenir à son tour, à intervenir en porte-à-faux. En tous cas ce qui est sûr c'est que, pour une raison ou une autre, l'affaire était mal posée. Les arguments doctrinaux, en vertu desquels l'Action Française était condamnée n'apparaissaient pas de façon nette. Le débat entre elle et les démocrates-chrétiens, apparaissait loin d'être tranché par l'Eglise avec clarté, bien au contraire. Alors les raucuncs, les défiances, les jalousies qui, depuis longtemps, déjà, divisaient les deux groupes allaient s'envenimer encore. Quatre, cinq ans à peine en effet après les événements de 1926 la politique de Briand, de la bonne Allemagne et de Locarno allait s'effondrer dans les désordres de la crise économique mondiale, qui faisait triompher, au delà du Rhin, l'hitlérisme, qui ouvrait ailleurs des chances nouvelles à la propagande communiste, et réveillait les dangers de guerre. Le Vatican était obligé de changer lui aussi de politique. Là-dessus des négociations avaient été reprises, entre lui et les amis de Maurras, dans des conditions plus prudentes et plus mesurées qu'au moment de la crise de 1926. Et finalement, quaud au début de 1929, Pie XII avait succédé à Pie XI, à la suite d'une lettre de soumission que les membres des comités directeurs de l'Action Française adressaient le 19 juin 1939 au nouveau pontife, et dans laquelle ils déclaraient: " Nous éprouvons la plus sincère tristesse de ce qui dans les polémiques et controverses antérieures et postérieures au décret du Saint Office du 29 décembre 1926 a paru et a été de notre part irrespectueux, injurieux et même injuste... Pour tout ce qui concerne la doctrine ceux d'entre nous qui sont catholiques, en réprouvant tout ce qu'ils ont pu écrire d'erroné, rejettent tout principe et toute théorie qui sont contraires aux enseignements de l'Eglise", le pape de son côté avait, par un nouveau décret du Saint Office du 5 juillet, levé l'interdiction de lire l'Action Française, en se contentant de préciser qu'il confirmait " ce qui a été à maintes reprises promulgué par le Saint Siège concernant la distinction entre les choses religieuses et les choses purement politiques, soit la dépendance de la politique par rapport à la loi morale. " L'affaire était close sans que, dans une intention d'apaisement, fussent, cette fois encore, précisées de façon plus nette les erreurs qui avaient été reprochées du point de vue doctrinal à l'Action Française. Or là-dessus la guerre était survenue, puis la débâcle et le gouvernement du maréchal Pètain, sous le couvert duquel l'Action Française qui pouvait se vanter d'avoir prévu les échecs de la politique de Briand, d'où semblait être issu le réarmement allemand, bénéficiait à présent d'une sorte de faveur, tandis que les démocrates-chrétiens étaient écartés et brimés. Et puis, à la Libération, la roue tournait à nouveau. Bénéficiant à leur tour de l'opposition à Vichy qu'ils avaient été amenés à faire les uns volontairement, les autres par la force des choses, les démocrates-chrétiens avaient pris leur revanche. Ils s'étaient acharnés contre Maurras et ses amis. qu'ils avaient pour une grande part contribué à faire condamner à des peines diverses. Ainsi dans les remous, dans les agitations par moments sanglantes de notre vie publique contemporaine les débats de doctrine religieuse entre l'Action Française et la démocratie chrétienne, héritière indirecte du catholieisme libéral, ont tenu sans que le public s'en soit bien rendu compte, une place immense, une place d'autant plus regrettable, une importance d'autant plus trouble que les points exacts sur lesquels portait le débat n'avaient jamais été définis avec précision. Aujourd'hui Maurras est mort. Divers témoignages, et particulierement celui de l'abbé Cormier qui l'assista pendant ses derniers jours nous ont appris qu'il était mort chrétiennement, apres avoir, en toute lucidité, reçu l'extrême-onction. L'Action Française, en tant que mouvement politique, est entrée dans le passé. Mais les questions de principe qui avaient été soulevées par les polémiques maurrassiennes gardent leur importance et leur valeur. Le grand debat en particulier sur le probleme si complexe du libéralisme, ce débat si mal posé, qui a été la source de tant d'équivoques, et dont une juste analyse devrait ouvrir, par une plus exacte connaissance de l'évolution et de la structure de notre société contemporaine, des vues constructives essentielles pour l'élaboration de la société de demain, ce débat sur le liberalisme demeure d'une dominante importance. L'Action Française avait animé les générosités et les enthousiasmes de beaucoup d'esprits soucieux du bien public, et avides d'assurer un nouveau rayonnement à cette culture française qui avait, dans le passé, tant fait pour le développement de la civilisation. Sa principale faiblesse me parait avoir été d'avoir, dans l'élaboration de ce qu'elle appelait sa doctrine, insuffisamment précisé, avec une information trop incomplète, les notions dominantes sur lesquelles elle prétendait s'appuyer. Mais si elle a échoué, ce n'est pas sa faute à elle seule. Elle avait affaire à des forces confuses et désordonnées qui ne lui ont pas permis de pousuivre avec l'objectivité et la serénite qu'il aurait fallu l'effort de reconstruction intellectuelle qu'elle s'était orgueilleusement proposé. Le grand malheur, je crois bien, de Charles Maurras, a été que nul de son temps ne s'est trouvé ni parmi ses amis ni parmi ses adversaires pour mettre, comme il l'aurait fallu, l'accent sur les confusions de principe qui faussaient ses intentions les meilleures. II est vrai que de part et d'autre les polémiques, dans leur brûlante actualité, rendaient souvent impossible l'objectivité nécessaire. Maintenant qu'avec sa mort ces polémiques s'éloignent l'effort d'application à repenser son oeuvre devrait pouvoir s'amorcer. De son échec même, dont les intentions demeuraient à tant de points de vue si généreuses, des enseignements utiles devraient pouvoir se dégager. Je suis bien obligé toutefois de constater, en terminant, que nous n'en sommes pas encore là. Depuis son décés ses fidèles ont publié un volume qu'il avait rédigé dans ses derniers mois de vie, et qu'il avait consacré au pape Pie X. En réalité, en parlant de Pie X, en qui il avait vu autreCois, à tort ou à raison, une sorte de protecteur, c'était une sorte de plaidoyer, de réfutation de la these soutenue peu auparavant, au sujet de ses difficultés avec l'Eglise, par le livre d'Adrien Dausette qu'il s'était proposé d'écrire. S'il déclarait regretter les violences verbales exprimées dans l'Action Française contre telle ou telle attitude du Vatican lors de la crise de 1926, il affirmait que sa doctrine, si elle était bien comprise, n'était pas du point de vue théologique condamnable. Se parant du fait que la condamnation n'avait jamais été expressément motivee, il concluait que si la condamnation n'avait pas ete motivée, c'est que les motifs manquaient, c'est que sa doctrine n'était pas condamnable. Et il ajoutait en outre que le pape Pie XI avait dû être trompé par son entourage, lequel, laissait-il entendre, avait peut-être bien communiqué au pontife des textes faux, et même probablement fait composer à son intention des numéros truqués de l'Action Française. Dés la publication de ce livre divers organes de la presse catholique ont protesté. L'Observatore Romano, journal officieux du Vatican, a publié, le 17 avril 1953, un long article où, reprochant à Maurras de refuser de reconnaitre ses erreurs, il affirmait que ses erreurs étaient patentes. Mais, sans préciser davantage, il se contentait d'écrire: En fait l'Action Française fut condamnée pour des raisons analogues à celles qui avaient amené vingt ans plus tôt la condamnation du Sillon... Celui qui prétendrait établir une équivalence ou une identification entre le catholicisme et la démocratie sociale libre commettrait une erreur; et celui qui, tourné vers le passé, voudrait trouver dans un nationalisme monarchique autoritaire et conservateur la forme politicosociale la plus adaptée à la religion catholique se texte demeure bien géneral, bien superficiel, et même hien à côté de certaines des plus hautes questions que peuvent soulever du point de vue doctrinal les débats entre l'Action Française et la démocratie chretienne; telles entre autres l'antinomie que, Maurras, s'appuyant sur Pie IX et Pie X, dénonçait entre les principes révolutionnaires de 89 et la doctrine évangélique, ou l'insuffisance des positions agnostiques maurrassiennes quant aux devoirs de la société par rapport au respect de la personne humaine. Deux organes français, " L'Observateur Catholique. et " La Croix ", sont intervenus à leur tour. Mais le premier, dans son numéro d'avril 1953 s'en tenait, apres avoir analysé le livre de Maurras, à observer sur le plan doctrinal: " Dans un journal qui se refuse à la politique les remarques que nous pouvons hasarder à titre personnel ne peuvent être que rares et prudentes. Au lecteur de juger selon son information et ses opinions ".. Quant à la Croix, dans son numéro du 5 mai, après avoir reproduit l'article de l'Observatore Romano et publié un récit, rédigé par l'abbé Thellier de Poncheville, d'un cntreticn que ce dernier avait eu en 1904 avec le cardinal Merry del Val, secrétaire d'Etat de Pie X, et qui, sans faire allusion à l'Action Française, avait traité d'une façon très génerale de l'ensemble des problèmes de la politiquc religieuse du momcnt; après avoir cité en outre dcs extraits de quelques lettres adressées par certains de ses lecteurs pour lui poser des questions sur le cas Maurras, elle se contentait d'ajouter: " Déjà plusieurs périodiques ont analysé le dernier ouvrage de Maurras. L'Observateur Catholique cn particulier, sous la plume de Jacques Linarès, en a fait une présentation d'un relativisme doctrinal, d'une recherche des nuances et d'une compréhension des situations à quoi nous ne sommes pas habitués. Plusieurs lecteurs nous ont demandé des précisions. Quelques-uns ont protesté contre notre attitude; d'autres ont réclamé une réfutation en règle. Nous voudrions, dans l'objectivité des exposés, et le respect des personnes, donner satisfaction aux uns et aux autres. C'est le but de cette page. . Je ne peux m'empêcher de considérer que ce sont là façons de prendre la tangente, sans s'engager à fond, et que cette prudence risque d'entretenir les équivoques, sans rien définir. Tout ce que je m'étais proposé pour ma part, en entreprenant la présente étude, était d'apporter un peu de clarté et de précision dans l'analyse des notions en présence. Si j'ai, dans une certaine mesure au moins, réussi, j'aurai, je crois, rendu service. Car dans les débats d'idées, dans des débats qui ont soulevé de pareilles tempêtes, l'essentiel tout de même est que le public soit mis en mesure de savoir avec quelque netteté de quoi il s'agit. Et si j'ai erré j'ose espérer que quelque réfutation autorisée, en définissant avec précision par où je me trompe, apportera sur le cas Maurras des éclaircissements qui manquent encore. |