Charles MaurrasKiel et TangerPar Pierre LafargeEcrit en 1905, publié en 1910, augmenté en 1913 et 1921, Kiel et Tanger demeure pour le géopoliticien Aymeric Chauprade « l’un des ouvrages majeurs de Charles Maurras et sans doute l’un des ouvrages les plus importants de la pensée géopolitique française » (1). Comme le résumait très bien Maurras « Kiel et Tanger propose à l’opinion française un doute radical sur le point de savoir si la République peut avoir une politique étrangère ». Kiel et Tanger ce sont dix années de politique étrangère républicaine (1895-1905) analysées avec une extrême lucidité par l’auteur de L’Avenir de l’Intelligence. Durant cette période, deux systèmes d’alliance ont vu successivement le jour, celui de Gabriel Hanotaux, puis celui de Paul Delcassé. Le système Hanotaux, c’est l’Alliance franco-russe et le rapprochement avec l’Allemagne, symbolisé par la rencontre des escadres française, russe et allemande en mer Baltique, devant le canal de Kiel, le 18 juin 1895. Cette option géopolitique est tournée contre l’Angleterre. Son incohérence tiendra à l’absence de renforcement de notre marine de guerre, alors que les Britanniques demeurent la première puissance maritime mondiale. La république doit donc obéir aux injonctions anglaises en Afrique (d’où l’échec de la mission Marchand à Fachoda en 1898, en pleine affaire Dreyfus de surcroît). Les radicaux arrivant alors au pouvoir, ils inverseront les alliances, parvenant à l’Entente cordiale de 1904 avec l’Angleterre : c’est le triomphe du système Delcassé. Mais il produit inévitablement une réaction allemande : Guillaume II débarque à Tanger le 31 mars 1905 pour contrecarrer nos projets au Maroc. Pour Maurras la faute de ces revers successifs repose avant tout sur l’inconstance congénitale des institutions républicaines : « Avec le roi, chacune de ces deux politiques eût procuré ses avantages. On eût pu choisir l’une ou l’autre et la faire aboutir », mais « faute d’un roi de France, le système Delcassé a valu le système Hanotaux ». Boutang avait parlé au sujet de Kiel et Tanger, d’« acquis pour la suite des temps » (2). Ce livre demeure en effet pour les historiens une « analyse magistrale de l’inadéquation entre les institutions de la IIIe République et les exigences de la Défense nationale » (3). Pour les géopoliticiens il reste une exceptionnelle leçon de politique capétienne. Le président Georges Pompidou avait bien raison d’en conseiller la lecture aux étudiants de Sciences-po. |