Montescourt découverte récente par l'INRAP. Article de M Denis
Maréchal, Inrap
UNE
OFFICINE DE POTIERS
A l'occasion
de travaux de lotissement réalisés
à Montescourt-Lizerolles, à 12,2 km au sud de
la ville de Saint-Quentin, l'Inrap a fouillé une
officine de potiers. Logé sur une petite butte sableuse, le
site est proche de moins de 2 km de gisements d’argile. Une
nappe perchée, à moins de 1,50 m de profondeur, permet
un approvisionnement aisé en eau. Plus de 350 structures
ont été mises au jour. Exceptée une douzaine
d’impacts de la Première Guerre mondiale, les
découvertes sont centrées sur les IIe et
IIIe siècles
de notre ère.
Plus
de vingt fours de potiers ont été découverts et
constituent l’intérêt principal du site. Ils se
concentrent sur 0,42 ha. Un seul exemple de four est à deux
volumes ; il comprend un unique alandier (couloir faisant la
liaison entre les fosses de travail où s'effectuent les
combustions et le four où sont posés les vases à
cuire) et un laboratoire (ou chambre de cuisson). Les vases déposés
dans la chambre sont alors exposés directement aux flammes. La
plupart sont des fours à un volume ou « en grain
de café » : la chambre de chauffe – en
position centrale – est alimentée par deux alandiers
opposés, plus rarement un seul. Un conduit central et une
rigole périphérique permettent à la chaleur de
se propager dans l’ensemble du four.
Début
de fouille d’un four : les alandiers sont noirs car
charbonneux. Le four ressort par la rubéfaction (de couleur
rouge/orange). On perçoit le canal central et la rigole
périphérique qui donne un dessin « en grain
de café ».
Quatre
fours ont été dernièrement mis au jour, dont
deux fours à un volume qui se recoupent (1020 et 1030),
le premier étant plus récent que le second. Les
premiers éléments (mobilier métallique) laissent
établir un abandon à la fin du IIIe siècle.
Le four 1030 se présente comme un grain de café
« classique » avec une fosse de travail
conservée sur 40 cm. Il faut noter que les parois sont
tapissées de calcaire.
La
seconde fosse située au sud a disparu lors de l'édification
du four 1020 et de ses fosses. Ces dernières sont plus
profondes (1 à 1,25 m) et plus grandes. Le four central est
aussi mieux conservé (supérieur à 1 m/en
cours de fouille). Comme souvent, l'observation des parois permet de
déduire plusieurs réfections. Du fait de sa profondeur
élevée, il est bien préservé.
Il
existe ainsi au moins quatre états dans l'alandier, et donc
probablement autant de soles (dalle suspendue et perforée,
pour aller chauffer la charge à cuire déposée
dans le laboratoire). Il a été noté que la plus
récente correspondait à un niveau de tuiles posées
à plat. Les états suivants sont eux dans la norme du
site avec deux soles en argile. Le canal central séparant ses
dernières et les rigoles périphériques
définissent le plan en grain de café.
Ces
fours – lors de l'abandon définitif – servent de
réceptacle aux anciens déchets de cuisson. C'est
pourquoi on retire de très nombreux fragments de céramiques,
fréquemment de très petites tailles (donc très
remaniés).
Dépotoir
final. Dans cet alandier un important amas de vases cassés et
incomplets a été rejeté en fin de comblement. Un
travail de remontage des vases va être entrepris en phase
étude.
La
fouille méticuleuse de ces structures doit aussi permettre de
mettre en évidence certains gestes de condamnation volontaire
qui peuvent se traduire par des dépôts de vases ou de
matière premières en particulier. La fouille en cours
pourrait confirmer ce type de pratique.
Dépôt
de vases ? Dans ce four, une trentaine de vases ont été
déposés avec soin dans le four. On pense à un
geste de condamnation car les récipients fragiles n’ont
pas été balancés mais posés les uns sur
les autres.
ÉTUDE
DE LA CONSTRUCTION ET DE L’UTILISATION DES FOURS
Lors
de la fouille, les archéologues découvrent le dernier
état de fonctionnement des fours et leur abandon. L’intérêt
est de comprendre comment ils ont été façonnés,
utilisés et entretenus. C’est pourquoi les archéologues
doivent démonter complètement une structure pour la
comprendre. Il est possible de percevoir des dépôts de
fondation mais aussi ceux liés à la condamnation. Seule
une fouille minutieuse et exhaustive permet ce type de remarque.
Compréhension
de la construction du four. Cette coupe réalisée en fin
d’intervention permet d’observer comment le four a été
construit, entretenu et réparé. Dans ce cas, on voit
que les plateaux (parties hautes encadrant le canal central) ont été
rehaussés au moins une fois (différentes couleurs
blanc/gris), et que les parois ont été relûtées
(différences de couleur des parois).
Par
ailleurs, toute une série de prélèvements
d’argiles dans les fours et dans des fosses en périphérie,
doivent être analysés chimiquement pour savoir si
différents ateliers de potiers peuvent être mis en
évidence, chacun ayant sa propre pâte mêlant
argile et dégraissant (ici le sable en particulier).
Les
charbons des alandiers seront étudiés par un
anthracologue pour déterminer quelles essences de bois étaient
employées pour la combustion. Enfin, des prélèvements
paléo-magnétiques vont permettre d’obtenir des
datations qui seront croisées avec celles issues des tessons
des comblements et des recoupements avec d’autres structures.
Les
fours sont souvent isolés d’une dizaine de mètres
des autres fosses. A Montescourt-Lizerolles, peu de structures liées
aux fours, comme celles liées à la préparation
ou au tournage, ont été mises au jour. Vu l’exiguïté
des parcelles, ces structures doivent se situer hors de l’emprise
de la fouille.
LA
PROXIMITÉ D’AUTRES STRUCTURES
Sur
le site, les archéologues ont également identifié
la périphérie d’une agglomération et
d’autres activités. Ainsi, il a été dégagé
un four à chaux. La craie dont les gisements sont à
moins de 2,5 km est chauffée pour obtenir de la chaux qui est
utilisée dans la construction.
Un
grand four à pain a également été
fouillé. Des prélèvements intérieurs ont
été effectués qui seront analysés (par
les carpologues) pour déterminer quelles céréales
étaient consommées. Malgré un mauvais état
de conservation lié à l’acidité des sols,
les os d’animaux seront étudiés par une
archéozoologue pour inventorier la faune (bœuf, porc et
mouton principalement) et donc comprendre les pratiques alimentaires.
La découverte récurrente de scories suggère
enfin l’existence probable d’artisans forgerons à
proximité.
LES
CARACTÉRISTIQUES DE LA PRODUCTION DE CÉRAMIQUES
Les
céramiques produites sur place sont des productions communes
servant au quotidien. Les travaux des céramologues vont devoir
distinguer les différentes productions, mais aussi chercher à
retrouver des traces de la diffusion de ces vases dans la
région. Le fait que cette agglomération, avec son
officine de potier, soit située à moins de 2 km de la
voie reliant Saint-Quentin à Soissons, et à moins de 7
km de la voie fluviale que constitue la Somme est un point important.
Par ailleurs, d’autres voies secondaires passent sans doute
dans l’agglomération qui n'est révélée
que sur une très faible surface. Une petite portion d’un
chemin, délimité par des fossés, a été
identifié sur deux des parcelles fouillées.
Par
la détection de plus d'une vingtaine de fours, le site de
Montescourt-Lizerolles constitue donc un site majeur gallo-romain.
Les découvertes des prochains mois lors de la fouille des
derniers lots du lotissement devraient encore étoffer ce
corpus.