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NAUROY




Le manoir perdu

Le château aurait été construit eu 1776. En 1914, il était la propriété de Monsieur Ronnelle. Le maréchal French, commandant en chef du Corps expéditionnaire britannique, s'installa un temps au château au début de la Première Guerre mondiale.
Description:
Le château était une construction rectangulaire en brique et pierre à deux niveaux de sept travées, couverte d'une toiture en ardoises percée de chaque côté par trois lucarnes aux frontons triangulaires ou courbes. Les deux façades étaient similaires à l'exception de la fenêtre centrale du premier étage remplacée du côté de la ferme par un grand bas-relief. Si l'ensemble du château était plutôt en hrique, la pierre par ses motifs donnait beaucoup de mouvement à l'ensemble surtout dans ses lignes verticales où s'encadraient les ouvertures. Au premier étage la fenêtre du centre et les deux des extrémités éraient surmontées de frontons. Une grande ferme jouxtait le cbâteau.
Destruction:
Lors de la Première Guetre mondiale.

Extrait de: Il était une fois des châteaux dans l'Aisne . Jean Eck .

Etudes historiques sur la

REFORME DANS LE VERMANDOIS

Par Jacques Pannier, Pasteur

III

L’église de Nauroy depuis ses origines jusqu’à nos jours

Avec des documents inédits relatifs à diverses églises

du département de l’Aisne

Saint-Quentin, Hargicourt, Jeancourt, etc

Mémoire couronné par la Société Académique de Saint-Quentin

Paris - Librairie Fischbacher (Société anonyme) - 33, rue de Seine, 33

1899

 NOTICE HISTORIQUE

Sur NAUROY ET SES ENVIR0NS

Au point de vue des Origines et du Developpement du Protestantisme

(1559-1837)

Avec des Documents inédits relatifs à diverses Églises du département de l'Aisne

(SAINT-QUENTIN, LEHAUCOURT, HARGICOURT, JEANCOURT, RONSSOY, LEUZE, ETC.)

C'est pour l'histoire une condition indispensable que d'entrer dans toutes les doctrines, que de comprendre toutes les causes, que de se passionner pour toutes les affections.

(MICHELET, Journal de l’Insctruction publique, 25 janvier 1835 )

INTRODUCTION

" Dans les départements du Nord, de Jemmapes, du Pas-de-Calais et de la Somme, il y a près de cinq mille âmes faisant profession de la religion réformée. A l'exception de cinq à six cents, reste précieux de la Révocation de l'Edit de Nantes, tous sont des prosélytes, au moins en la personne de leurs pères. Le nombre en a toujours augmenté, même en ces temps critiques ", Cette lettre, écrite par le pasteur Jean de Visme, de Quiévy, en 1810, pose et résout d'une manière générale, pour l'histoire du protestantisme dans tout le Nord de la France, une question que nous avons essayé d'étudier avec quelques détails, dans les pages suivantes, pour la seule Eglise de Nauroy.

L'histoire du protestantisme dans le département de l'Aisne, et notamment dans le Vermandois, a été l'objet de plusieurs études spéciales; la plupart des documents connus, ainsi qu'un grand nombre de mentions accidentelles concernant telle ou telle localité, ont été publiés dans le Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français; mais en consultant les quarante et quelques volumes de cette collection, ainsi que les ouvrages d'histoire locale, on est surpris de ne trouver, en tous cas, rien de précis sur les origines et les développements du protestantisme dans l'un des chefs lieux de paroisse actuels du Consistoire de Saint-Quentin : Nauroy.

Le dépouillement des registres de l'état-civil déposés aux archives municipales de Nauroy nous a permis de combler dans une certaine mesure cette lacune; nous avons utilisé, en outre, divers papiers de famille et autres documents inédits, les traditions locales, les registres des Eglises réformées du Câtelet et de Lehaucourt, déposés au greffe du Tribunal civil de Saint-Quentin, enfin les actes récemment publiés d'après les registres des Eglises wallonnes de la Barrière.

Nous espérons pouvoir, grâce à ces données nouvelles, expliquer ce fait qui paraît étrange lorsqu'on le constate d'abord : une vingtaine de communes composent actuellement la circonscription paroissiale de l'Eglise de Nauroy ; plusieurs ont joué dès le début un rôle assez important dans l'histoire de la Réforme en Picardie... Mais aucun protestant originaire de Nauroy n'est signalé avant la Révocation : c'est-à-dire que l'histoire protestante semble devoir commencer pour Nauroy précisément au moment où elle finit pour tant d'autres communes de France.

CHAPITRE PREMIER

LES ORIGINES DE LA RÉFORME AUTOUR DE NAUROY

1. - Les Eglises du XVIe siècle

" Le Nord, disait en 1782 Court de Gébelin, a toujours été merveilleusement disposé à se réformer ". Au XIe siècle, les Cathares firent beaucoup de prosélytes en Artois ; en 1235, le premier inquisiteur général nommé pour toute la France, Robert le Bougre, fait brûler plusieurs hérétiques de Douai, Cambrai, Elincourt, etc.. Le grand mouvement religieux du XVIe siècle trouva dès le début en Picardie un terrain des plus favorables ; un peu partout un grand nombre de personnes sortirent de l'Eglise catholique romaine pour revenir à ce qu'elles jugeaient étre la pure doctrine de la Bible et la tradition de l'Eglise primitive. Parmi les premiers martyrs et défenseurs de la Réforme, plusieurs sont picards : le gentilhomme Louis de Berquin, brûlé à Paris en 1529; les savants Lefèvre d'Etaples et Olivetan, traducteurs de la Bible en français, etc. Calvin naquit à Noyon en 1509 et fut titulaire de la cure de Marteville près Jeancourt, sans qu'il semble d'ailleurs y avoir jamais exercé ces fonctions (1527-1529).

La Réforme, partout latente, dut être sinon importée, du moins encouragée en Vermandois par des protestants venus des régions voisines, la Thiérache et le Cambrésis : il y en avait à Landouzy dès 1525, à Cambrai dès 1541. Après avoir longuement examiné cette question nous sommes arrivé à la certitude que les premières Eglises du Vermandois furent, comme on disait alors, " dressées ", c'est-à-dire régulièrement constituées avec ministres de la parole de Dieu, anciens et diacres, aussitôt après (sinon peut-être avant) le premier synode national de Paris et la paix de Cateau-Cambrésis (1559), et surtout après l'édit de janvier 1562. C'est ainsi qu'en 1566 on allait "  prendre la cène " à Prémont dans une sorte d'enclave du Cambrésis. Au Câtelet, rendu à la France en 1559, une Eglise fut établie sans doute vers l'époque où la sanglante répression des assemblées protestantes au Cateau (1567) força les réformés du Cambrésis à se joindre, pour leurs réunions, à ceux de Vermandois, relativement plus libres. En tout cas lorsque l'Eglise est rétablie au Câtelet en 1592, les époux et parents mentionnés sur les registres portent des noms bibliques qui ne laissent aucun doute qu'il y eût déjà, une trentaine d'années auparavant, des deux côtés de la frontière franco-espagnole, beaucoup de familles huguenotes.

Les habitants des environs de Nauroy ont donc pu aller au prêche d'abord à Prémont, ensuite au Câtelet. Nous connaissons seulement (de 1592 à 1599) quelques-uns de ces derniers. lls formaient des groupes assez importants au Câtelet et dans les localités voisines : Beaurevoir, Gouy, Bony, Villers-Outréaux, et d'un autre côté à Prémont avec Brancourt, Elincourt, Malincourt ; enfin à Bohain, qui fournit le plus fort contingent : c'était une étape importante sur la grand'route du commerce et des idées entre Paris et les Pays-Bas.

2. - Le régime de l'Edit de Nantes

Cependant aucune de ces localités ne fut choisie lorsque l'Edit de Nantes (1598) donna aux réformés de Picardie le droit d'avoir un lieu d'exercice public dans cette région : pour être plus près de Saint-Quentin on choisit, sur les terres de la famille protestante d'Aumale, Lehaucourt.

C'est là que se réunirent jusqu'aux approches de la Révocation des assemblées atteignant parfois le chiffre de trois mille communiants. "  Tous les hérétiques des lieux circonvoisins, dit un Mémoire de 1665, s'y viennent rendre ; ... plusieurs viennent s'establir dans Saint-Quentin, si bien que dans peu de temps ils pourront esgaller le nombre des catholiques".

La collection des registres de baptêmes, mariages et enterrements faits par les pasteurs de Lehaucourt n'est pas complète (1599-1617; 1668-1685); on y trouve mention de nombreux " quartiers " ou sections de paroisse ; le Câtelet, Villers-Outréaux, Malincourt, Beaurevoir, Bohain, Brancourt, Hargicourt, Templeux-le-Guérard, etc. Mais nulle part il n'est question de Nauroy.

Voici donc un premier point établi : le protestantisme à Nauroy même ne remonte pas directement aux origines, très anciennes, de la Réforme en Picardie au XVIe siècle ; il ne date pas non plus des développements très considérables de l'Eglise de Saint-Quentin sous le régime de l'Edit de Nantes, relativement favorable pendant la première moitié du XVIIe siècle. Les premiers protestants vont paraître à l'époque des persécutions.

CHAPITRE II

LES NOUVEAUX CONVERTIS SORTIS DU CATHOLICISME APRÈS LA RÉVOCATION

1. - Notes topographiques et historiques sur Nauroy, la Boîte à Cailloux et les environs

Quelques remarques géographiques aideront à l'explication de ce fait curieux. Nauroy (aussi écrit Norroy, Nourois ou Nouroy) se trouve sur un dos de terrain entre les sources de l'Escaut et divers vallons s'abaissant jusqu'à la Somme ; bien que l'altitude soit peu considérable, elle est cependant l'une des plus élevées de la région, et sépare les bassins de la mer du Nord et de la Manche. Toute cette région était autrefois couverte par la forêt d'Arrouaise. Un peu au nord passait la frontière entre la France et les Pays-Bas espagnols. Nauroy était dans le diocèse de Noyon, mais tout près de l'archevêché de Cambrai ; dans l'élection de Saint-Quentin, mais tout près de celle de Péronne. Maintenant, de même, les départements du Nord et de la Somme touchent de ce côté à celui de l'Aisne.

La route de Saint-Quentin au Câtelet par Lehaucourt - aujourd'hui un chemin creux dit " la vieille route de Cambrai " - ne traversait pas Nauroy, mais passait à l'est ; (la route nationale actuelle passe à l'ouest, par Bellicourt). Nauroy se trouvait un peu en dehors des tournées ordinaires des diverses autorités: évêque, police ou soldats. Par contre, on peut suivre facilement sur la carte une ligne de routes, de chemins et de simples "  voyettes " qui, parallèle à la frontière (et sur la lisière de l'ancienne forêt) part de Bohain pour aller dans la direction de Péronne en passant par Brancourt, Montbrehain, Ramicourt, Joncourt, Nauroy, Bellicourt, Hargicourt,Templeux. Or, toutes ces localités sont précisément de celles où aujourd'hui encore il y a des protestants. En maint endroit la route profonde creusée par le passage séculaire des charrois n'est visible que lorsqu'on arrive sur le " crinquet " ou talus, et se prête admirablement à des va-et-vient secrets. Enfin telle partie de cette ligne - derrière Montbrebain par exemple - porte ce nom significatif : le chemin des Huguenots.

Et en effet la tradition constante, en plusieurs de ces endroits, dans les anciennes familles protestantes, souvent apparentées les unes aux autres, est que, dans les temps passés, hommes et femmes (celles-ci " relevant leur jupe pardessus leur tête ") allaient, de tous les villages, dans cette même direction .... où cela? aux réunions de la Boîte-à-Cailloux.

La Boite-à-Cailloux est une dépression de terrain naguère encore boisée et aujourd'hui labourée, sur le terroir d'Hébécourt (Somme), entre Templeux, Jeancourt et Hargicourt, chefs-lieux actuels de trois paroisses réformées. Nous avons trouvé dès le XVIe siècle et pendant tout le XVIIe des protestants aux deux extrémités de la ligne ci-dessus tracée ; ils allaient alors au culte au nord (au Câtelet) ou au sud (à Lehaucourt) ou à l'est (Prémont, Bohain) : c'est à l'ouest qu'au temps de persécutions on se réunit, dans des régions moins fréquentées. Or il fallait passer par Nauroy. On partait par petits groupes, à la tombée de la nuit, de Bohain ; ceux de Brancourt se joignaient à eux ; à Montbrehain, parmi les protestants, à Nauroy, parmi les catholiques, il y avait des amis ou parents, hôtes chez qui on prenait un moment de repos, on chantait quelques psaumes, à mi-voix, peut-être... Et eux aussi, un jour, suivaient plus loin, à travers les bois ; et après avoir assisté aux réunions de la Boite-à-Cailloux, s'ils n'étaient pas (ce qui arrivait quelquefois) des espions ou des traîtres, plusieurs revenaient " retournés ", convertis. Tandis que l'expression officielle nouveaux convertis s'appliquait aux anciens protestants, les vrais nouveaux convertis c'étaient ces anciens catholiques qui avaient le courage de se joindre à l'Eglise persécutée, l'Eglise sous la croix.

2. - La Révocation

On sait avec quelle rigueur on sévit, de toutes les manières et particulièrement dans les provinces frontières, contre les protestants, même avant la Révocation. Dès 1683, l'exercice du culte fut interdit à Lehaucourt. Par un placet au roi, de janvier 1685, "  le sieur Malesieu, capitaine du Castelet, demande, en considération des pertes qu'il a souffertes pendant les guerres, et de ses services [peut-être pour avoir abjuré lui-même, ou procuré des abjurations ?], la confiscation des biens du sieur Abraham Enoc et d'autres religionnaires de la ville de Saint-Quentin qui ont quittez le royaume pour allez s'establir en Angleterre, conformément aux édits et déclarations du Roy ".

Un avis envoyé de Saint-Quentin à l'intendant d'Amiens, Chauvelin, le 18 septembre 1685, porte : " Ceux de la R. P. R. prennent toutes sortes de précautions pour assurer leur bien et le porter dans les endroits où ils ont la liberté de leur religion... Une bonne partie a pris le chemin du Cateau et de Cambrai ", Chauvelin répond au contrôleur général, le 24 octobre : " On fouille ceux que l'on arreste et l'on leur prend tout leur argent et jusques aux moindres hardes, de sorte que, quand ils sont en prison, ils n'ont pas de quoy avoir du pain, etc, "

Pendant les années qui suivirent 1685, un grand nombre de protestants picards se réfugièrent à l'étranger ; ceux qui restaient en faisant semblant de se convertir, aidaient leurs coreligionnaires à passer la frontière en leur servant de guides et en leur offrant l'hospitalité ; voici ce qu'en dit un rapport au lieutenant général de la police : "  A Saint-Quentin ils y entrent les jours de marché dans la confusion du moment. Et y étant ils ont une maison de rendez-vous où ils se retirent, et où les guides viennent les prendre, Pour les faire sortir ils s'habillent en paysans et paysannes, menant devant eux des bêtes asines... Ils viennent les prendre dans les passages où sont donnés les rendez-vous, la nuit, et principalement quand il fait fort noir, ou lorsqu'il pleut bien fort, parce que cela leur fait un grand bien pour la conduite. "

3. - Les réunions de la Boîte-à-Cailloux (1691)

Enfin, en octobre 1691 un pasteur originaire de Vervins, émigré après la Révocation, puis revenu d'Angleterre, Gardien Givry, arriva à Saint-Quentin: c'est lui qui passe pour avoir tenu les premières réunions à la Boite-à-Cailloux, bien qu'il ait pu y en avoir d'autres avant lui, en l'absence de tout pasteur. Quatre députés de sept villages vinrent le prier de passer chez eux, parce qu'ils voulaient abandonner le catholicisme. Le dimanche suivant un de ces députés mena Givry dans un vallon où étaient 500 personnes, de 110 familles catholiques. Tous déclarèrent qu'ils voulaient abjurer. " Après ces déclarations, il prêcha dans cette assemblée depuis neuf heures du soir jusqu'à minuit, à la lueur des feux et des flambeaux; mais il ne voulut pas pour cela recevoir leur abjuration, afin qu'ils n'eussent aucun sujet de dire qu'on les avait surpris. Il les remit au dimanche suivant, et l'assemblée s'étant faite au même endroit et à la même heure, il essaya de faire comprendre à tous ses auditeurs les avantages de la R. P. R.; et en même temps les dangers temporels auxquels s'exposaient ceux qui demandaient à la suivre. Mais tous ayant répondu qu'ils ne voulaient plus être de la communion de Rome, il reçut toutes leurs abjurations, et ne voulut point cependant les admettre à la Cène, parce qu'ils n'étaient pas assez instruits. Il n'a pu se souvenir que du nom de Templu, qui est un des sept villages, ayant oublié les six autres ; mais il dit que tout le monde sait à Saint-Quentin que les habitants de ces sept villages ont abjuré la religion catholique dont ils faisaient profession ".

Les deux historiens qui ont examiné de plus près la question conjecturent que ces sept villages étaient, outre Templeux-le-Guérard, Lempire, Hargicourt, Jeancourt, Vendelle, Nauroy et Montbrehain, ou peut-être le Ronssoy. Ils croyaient que ces villages ne renfermaient aucun protestant avant la Révocation: cependant la tradition locale, au commencement de notre siècle, renfermait des indications contraires, conservant vaguement le souvenir de deux sortes d'éléments dans la composition des Eglises : " Depuis plus de cent ans, écrivait-on en 1806 à Rabaut le jeune, il y a des réformés à Hargicourt qui ont professé ouvertement notre religion, ainsi que dans les villages circonvoisins, C'était sans doute un résidu que Dieu y avait conservé après la Révocation de l'Edit ".

Ces centaines d'abjurations eurent un grand retentissement ; les autorités s'en émurent : " Comme Sa Majesté, écrit aux évêques de Noyon et d'Amiens, le secrétaire du roi, a connu qu'on pourrait empêcher ces perversions et réunir sincèrement les nouveaux catholiques, si les évêques s'appliquaient à connaître les conducteurs des protestants aux lieux où les exercices ont été faits, et à les gagner par des récompenses et bienfaits de Sa Majesté, elle m'a ordonné de dire à l'intendant de conférer avec vous sur ce qu'il y a à faire, et de vous écrire que vous ne pouvez rien faire qui lui soit plus agréable que d'empêcher ces perversions ",

Givry fut arrêté à Paris en mai 1692 et enfermé à l'île Sainte Marguerite : mais les assemblées continuèrent. Les intendants Bossuet et Chauvelin reçurent de vifs reproches : " Sa Majesté a appris avec étonnement qu'un tel désordre soit arrivé dans votre département, sans que vous en ayez été averti ; Elle m'ordonne de vous dire que vous ne devez rien négliger pour en empêcher le progrès, voulant que vous fassiez dès à présent arrêter le nommé Potel, de Templeux, qui est marqué comme un des plus coupables, et que vous m'informiez des noms des six ou sept autres qui le seront le plus, afin que, suivant l'avis que vous me donnerez, on les fasse arrêter et mettre où vous jugerez à propos. A l'égard des autres il faut que vous employiez les voies de la douceur pour tâcher de les ramener, et leur faire connaître leur égarement, ainsi que le danger auquel ils se sont exposés de pouvoir être sévèrement punis comme relaps ",

4. – Rapports officiels sur les protestants à la fin du XVIIe siècle

Les anciens et nouveaux protestants, malgré ces rigueurs, n'en continuèrent pas moins à se réunir : en 1695 ils furent visités par le pasteur du Désert Claude Brousson, martyr trois ans plus tard. Le recueil de ses sermons, intitulé la Manne Mystique, dans des éditions de ce temps, se trouve encore chez quelques familles. Cependant, il faut admettre qu'en 1700 beaucoup étaient partis, ou inconnus, car l'intendant Bignon ne compte plus qu'une centaine de religionnaires de ce côté : 18 à Templeux, 12 à Heudicourt, 3 à Bernes, 13 à Hargicourt, 60 à Jeancourt. Un autre document de la même époque nous apprend que " Monseigneur l'évêque de Noyon, accompagné d'un grand nombre de missionnaires, alla faire des visites dans tous les lieux de son diocèse qui étaient infectés du poison de l'hérésie ; la miséricorde de Dieu répandit tant de bénédictions sur ses travaux, ses charités, ses prédications et ses conférences, que les hérétiques firent abjuration de leurs erreurs entre ses mains, et continuèrent à remplir leur devoir quelque temps. La guerre étant survenue, les plus malintentionnés prirent ce prétexte pour cesser tous les exercices de la religion catholique ".

Sur notre région ce Mémoire ne contient que les indications suivantes : " La paroisse de Jeancourt est composée de 360 personnes dont il n'y a presque que la moitié de véritables catholiques, quoiqu'ils soient tous de parents catholiques ;... plusieurs assistent assez souvent à la sainte messe et se raillent des cérémonies de l'Eglise ; ils se rangent tout au bout de l'église ; où ils font des postures indécentes ; quelques-uns se trouvent en des assemblées qui se tiennent la nuit, où on lit des lettres qu'ils reçoivent de Hollande de la part de quelques ministres, en forme d'exhortation ".

" Paroisse de Hautcourt, Jean Clément, valet de meunier, âgé de cinquante-cinq ans, natif de Brancourt, et Madeleine Toffin, sa femme, native de Hautcourt, anciens catholiques, ne vont point à l'église, et sont pervertis... Le nommé Jean, valet de charrue, et Daniel Target, lieutenant du village, répandent partout des discours contre la religion.

" M. le marquis de Le Hautcourt demeure ordinairement à Villers-Hautereau, diocèse de Cambrai; il est toujours hérétique et très opiniâtre ".

CHAPITRE III

HISTOIRE DES FAMILLES PROTESTANTES DE NAUROY D'APRÈS LES REGISTRES CATHOLIQUES

DE 1684 A 1758

1. - Observations générales

C'est précisément à ces années troublées de la fin du XVIIe siècle que remontent les plus anciens actes de l'état-civil conservés dans les archives municipales de Nauroy. Le premier registre porte bien sur la couverture : 1686 à 1719 ; malheureusement l'année 1687 est incomplète et les suivantes, jusqu'en 1692, n'y figurent plus. Cette coïncidence confirme singulièrement ce que nous avons dit sur les abjurations en masse, ou les retours au protestantisme, dans les sept villages mentionnés en 1691, et sur les perturbations profondes apportées dans tout le pays par le succès des réunions de la Boite-à-Cailloux.

Les seuls actes conservés pour 1687 sont des baptêmes qui s'arrêtent après cette mention. " Vu par nous dans le cours de nos visites, ce 27° de may 1687. (Signé : François de Clermont ?)." C'est sans doute la tournée épiscopale signalée tout à l'heure ; nous n'avons pas trouvé trace d'autre visite faite à Nauroy depuis cette époque par l'évêque de Noyon.

On a rajouté, dans le recueil des archives de Nauroy, deux cahiers d'un autre format pour les actes de 1684 et 1686, et un acte de 1690. En octobre 1691 parut un nouvel édit du roi sur la tenue des registres, et la série complète commence en 1692. Le curé de Saint-Léger de Noroy était alors un certain Grandin. Il est remplacé en 1693 par un jeune prêtre de vingt-huit ans, Bongendre, qui reste à Nauroy jusqu'à sa mort en 1735 et y avait peut-être été placé pour agir plus vigoureusement contre les protestants. Ceux-ci ne sont nommés qu'en 1758, mais, bien auparavant, il nous semble retrouver de temps en temps les traces de leur existence.

2. – Familles Potentier, Vatin, Bas, Courtois, Duproix, etc.

Au sud-ouest du village, sur la route de Lehaucourt, au milieu des bois, se trouvait la cense d'Etricourt.

A deux reprises, pendant l'hiver, en 1709 et 1710, le fermier Mathieu Boucher témoigne que deux personnes sont mortes " dans des sentiments véritablement chrétiens " ; un pauvre mendiant étranger, et un grenadier au régiment de Choiseul-infanterie, compagnie du roi. Que faisait-là ce soldat ? Etait-ce un simple passage de troupes, où y avait-il des garnisaires dans certaines maisons du pays ?

A Etricourt encore on voit arriver en 1715 un homme portant un des noms qui figurent dès le XVIe siècle sur les registres du Câtelet et de Lehaucourt, et existent aujourd'hui encore à Montbrehain : Etienne Potentier, fils d'Etienne et de Marie-Françoise Vatin, de Montbrehain. Il épouse Madeleine Dossu et meurt en 1738. En 1740, Antoinette Vatin, de Montbrehain, épousant Jacques Fontayne, a pour témoin Robert Boucher. En 1751, Ambroise Potentier, soldat au bataillon de Péronne, milice de Picardie, épouse la fille d'un Boucher. Nous apprenons ainsi que les parents Potentier sont morts, enterrés peut-être dans quelque jardin sans l'intervention du clergé. Le curateur est Claude Duproix, encore un nom protestant actuel, comme Vatin.

Des Vatin habitaient alors Riqueval, hameau proche de Nauroy : trois filles épousent Jean Wattebled, Antoine et Pierre Ydron, et le premier de ces mariages est fait par " maître Philippe Brinay ", un prêtre étranger à la paroisse, peut-être un missionnaire (3 juillet 1693). Une petite Wattebled meurt en 1705 à cinq jours sans que nous ayons vu son baptême. Puis ce nom ne reparaît plus qu'une fois jusqu'en 1737. Les Lesourd semblent aussi, d'après les actes de baptême, avoir caché plus d'un mariage ou décès au curé. Le même indice nous apprend qu'en 1727 Albert Loth, présent à Nauroy en 1715, était aux galères. Etait-ce pour sa foi ?

Trois noms qui reparaîtront fréquemment dans l'histoire protestante de Nauroy figurent dès l'origine sur les registres, et ensuite de moins en moins : Bas, Courtois et Duproix. Ils s’allient souvent à des familles (protestantes ?) d'autres villages, ou que nous avons déjà rencontrées. En 1684, Louis Courtois, journalier, d'Hargicourt, épouse Marie Baudry; en 1686, on baptise Mathieu Courtois, fils d'Etienne. En 1693, meurt (sans indication qu'elle ait reçu les sacrements) Magdeleine Carlier, femme de Jean Bas. En 1718, François Bas épousera Elisabeth Carlier, " de Templu ". D'autres Bas s'appellent Claude, Louis, Joseph, Jacques, lsidore. C'était alors comme aujourd'hui une nombreuse famille (plus de la moitié des chefs de familles protestantes actuels portent ce nom à Nauroy, et presque toutes les autres leur sont apparentées). Les Duproix sont plus rares. En 1706, Jean laisse veuve Marie Dossu et François épouse Jeanne Dossu. En 1712, on voit par le baptême de Claude Lesourd que son père Claude avait épousé (où ? et comment?) Marie-Anne Courtois. Cette énumération, en rapprochant souvent les mêmes noms, nous laisse soupçonner l'existence latente d'une petite communauté sur laquelle le clergé avait les yeux. Pour le décès de ses membres, le curé allonge la formule ordinaire... " Après avoir reçu les sacrements de pénitence, d'eucharistie et d'extrême onction " ; il met quelquefois : " mort dans des sentiments chrétiens "... quand il ne supprime pas toute mention de ce genre, et pour cause : ainsi lors de l'inhumation de Catherine Vitasse, femme de Jean-Louis Bas, en 1735, et d'Antoinette Bas, âgée de soixante-quinze ans, en 1740...

En 1735, brusquement, les enfants de ces familles sont qualifiés illégitimes : " Marie-Françoise fille illégitime de Louis Bas et de Magdeleine Fontaine, ses père et mère [expression inusitée] ". De même pour Jacquot Lesourd, fils d'Alexis et de Madeleine Charlet, A peine après avoir introduit cette formule, le curé meurt, et en 1736 son successeur, peut-être parce qu'il ne distingue pas encore bien entre ses paroissiens, baptise " Marie-Magdeleine, née en et de légitime mariage de Louis Bas et de Magdeleine Fontaine ". En 1739, une Lesourd épouse encore un homme de Montbrehain : Charles Carez. En 1742, Jean-François Duproix épouse Magdeleine Bas. Jean-Baptiste et Denis Boucher sont " amis du marié ". En 1756, Joseph Fontaine épouse Anne-Catherine Courtois, fille des défunts Claude Courtois et Anne Dudebout, dont nous n'avons pas vu le décès enregistré. De même en 1757 nous apprenons par le baptême de leur fille Marie-Hélène le mariage hors de Nauroy de Pierre Courtois et Reine Vitasse. Où ? et quand ?

Ces points d'interrogation résument l'impression que laisse cette première partie des registres catholiques de Nauroy, de 1684 à 1758. Les protestants n'ont encore été nommés nulle part, mais on les sent partout : quelques nuances de rédaction, quelques rapprochements de dates et de lieux, nous ont permis de reconnaître à coup sûr sinon tous les individus, du moins les principales familles : dans les hameaux d'Etricourt et de Riqueval, où ils avaient pu être moins inquiétés, les Vatin, Wattebled ; à Nauroy même les Bas, Courtois, Duproix, Fontaine, Vitasse. Nous les avons vus, les Courtois et Duproix surtout, recourir de plus en plus rarement aux cérémonies catholiques, allant sans doute chercher au loin le pasteur... enfin nous avons constaté des relations assez fréquentes avec les groupes protestants de Montbrehain (Potentier, Vatin, Dossu), Hargicourt (Courtois), Templeux (Carlier). Le chiffre des baptêmes qui pendant longtemps reste étrangement supérieur à celui des inhumations (voir appendice II) peut s'expliquer en partie par le fait que les nouveaux-nés de familles protestantes étaient baptisés par le curé, en exécution des édits du roi, tandis que les vieux huguenots étaient encore enterrés secrètement.

Tous ces indices sont bien en harmonie avec ce que nous apprend l'histoire générale.

3. - Nouvelles persécutions après 1724

Le protestantisme dans le Nord de la France a fait preuve au XVIIIe siècle d'une remarquable vitalité ; attendant avec une espérance inébranlable la venue de jours meilleurs, les "  nouveaux convertis " de 1685, les prosélytes de 1691, et leurs descendants, n'ont cependant pas participé aussitôt que le Centre et le Midi à la réorganisation des Eglises par les " Synodes du Désert " ; ils n'ont point eu la visite d'un Antoine Court ; mais ils ont eu à souffrir, comme tous les autres, du redoublement de persécution qui suivit la déclaration du roi de 1724, la plus rigoureuse qui survint entre la Révocation et la Révolution.

" Aussitôt, disait Louis XV, que. Nous sommes parvenu à la Majorité, notre premier soin a été de Nous faire représenter les Edits pour en renouveller les dispositions et enjoindre à tous nos officiers de les faire observer avec la dernière exactitude... I. Défendons à tous nos sujets de faire aucun exercice de Religion autre que de la Religion Catholique, et de s'assembler pour cet effet en aucun lieu et sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine contre les hommes des galères perpétuelles, et contre les femmes d'être rasées et enfermées pour toujours dans les lieux que nos Juges estimeront à propos, avec confiscation des biens....

" II. Ordonnons à ceux qui ont cy-devant professé la R. P. R. ou qui sont nez de parens qui en ont fait profession, de faire baptiser leurs Enfans dans les Eglises des Paroisses où ils demeurent dans les vingt-quatre heures après leur naissance..." (sous peine d'amende et même par de plus grandes peines.

V. " Voulons qu'il soit établi autant qu'il sera possible des Maîtres et Maîtresses d'Ecole dans toutes les Paroisses où il n'y en a point, pour instruire tous les Enfants des principaux devoirs et mistères de la R. C. A. et R., les conduire à la messe tous les jours ouvriers, etc ".

La Déclaration fut appliquée très strictement en Vermandois ; on peut lui attribuer l'augmentation notable des actes enregistrés par le curé de Nauroy les années suivantes (Appendice II). En 1727, l'évêque de Noyon signale sept villages très pauvres, les sept mêmes à peu près qu’en 1691, " où la religion se perd par la perversion " et où il faudrait élever des maisons d’école : Brancourt, Jeancourt Hargicourt, Montbrehain, Vendelle, Templeux, Ronssoy. Mais il ajoute que " les habitants s'opposent à l'établissement " de ces écoles. En effet les conversions au protestantisme continuaient en pleine persécution ; dans tel village (Jeancourt) la messe n'était pas célébrée pendant six mois, les deux tiers des habitants ayant cessé d'être catholiques et les autres étant divisés entre eux.

Les autorités saisissaient toutes les occasions de poursuivre. Voici un cas curieux et amusant relevé dans l'inventaire des procédures criminelles à Laon : un religionnaire est condamné en 1729 pour avoir " chanté dans les rues, à une noce de prétendus réformés, une chanson commençant par ces mots :

" Les abbés vont souvent chez vous, Iris,

Qu'y vont-ils faire ? "

et avoir dit aux violons :

" Vous jouez comme les curés chantent ".

La déclaration de 1724 renouvelant les rigueurs de la Révocation, produisit naturellement les mêmes effets : il y eut un nouvel exode des protestants du Nord. " Il sort tous les jours de Picardie et des frontières de cette province des familles entières qui sont vivement persécutées" ; ainsi s'exprime une lettre adressée en août 1725 au synode hollandais de Leeuwarde. Le synode " exhorte toutes les Eglises d'envoyer leurs charités à l'Eglise de Tournai afin qu'elle soit en état de recevoir ces fidèles, et de leur fournir de quoi se transporter avec leurs familles dans les pays protestants ".

L'Eglise de Tournai ! c'est en effet là qu'il faut maintenant chercher de nouveaux éclaircissements sur l'histoire des protestants de Nauroy au XVIIIe siècle.

CHAPITRE IV

LES VOYAGES A TOURNAI

I. - Les Eglises de la Barrière

La première partie de ce travail avait déjà été rédigée d'après les registres catholiques de Nauroy lorsqu'a paru une précieuse publication qui confirme et complète les résultats auquels nous avait déjà amené cette étude : les registres des baptêmes, mariages et inhumations faits dans les églises wallonnes de la Barrière : Tournai, Armentières, Menin, Ypres et Namur.

Les Provinces-Unies avaient fait insérer des clauses sauvegardant la liberté de conscience dans tous leurs traités signés avec diverses puissances aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les troupes hollandaises occupaient notamment depuis 1715 certaines villes formant comme une barrière entre la France et les Pays-Bas autrichiens. Dans plusieurs de ces villes, entre autres à Tournai, furent ouverts des lieux de culte où les aumôniers prêchaient non seulement en flamand, mais aussi, et quelques-uns exclusivement, en français. Ces derniers reprirent un titre qui paraît s'être appliqué depuis le XVIe siècle aux protestants de Saint-Amand et des environs : pasteurs de l'Olive, surnom mystérieux désignant l'Eglise persécutée. Dès les premières années les habitants français de la frontière et même de régions éloignées, accoururent en foule aux prêches. Ce mouvement fut assez important pour qu'on en informât le pape ; il s'en émut et écrivit à Fénelon, alors archevêque de Cambrai. Voici la réponse du prélat (28 mai 1711) : " Il est vrai, très saint Père, qu'une multitude innombrable se rend chaque dimanche des villages dans les villes et aux camps, pour entendre les discours des hérétiques et proclamer ouvertement son adhésion à la secte ; mais il est certain que, avant l'invasion du pays par les troupes hollandaises, ils étaient secrètement hérétiques et avaient été élevés dans l'hérésie de Calvin. Ce sont les restes de la secte de ce pays, qui ont feint depuis cent vingt ans d'être catholiques, et ont trompé la vigilance de l'Eglise par la plus honteuse hypocrisie en recevant les sacrements qu'ils haïssent ".

2. - Les Mariages à Tournai

C'est précisément pour ne plus recevoir ces sacrements catholiques, du moins ceux du mariage et de la messe, que les protestants du Vermandois, imitant ceux du Cambrésis, se rendirent dans les Eglises de la Barrière. Il n'y a dans les registres aucun acte de baptême concernant les familles de Nauroy ; le fait s'explique aisément par la rigueur des édits du roi, la grande distance, et aussi par l'article de la confession de foi réformée déclarant que " l'efficace du baptême ne dépend pas de celui qui l'administre ", en sorte qu'en continuant à faire baptiser leurs enfants par le curé, les protestants de Nauroy pouvaient obéir au roi sans faire violence à leur conscience.

Mais quant au mariage, il fallait à tout prix éviter la confession et la messe. Dès 1696, Brousson conseillait de se tenir pour marié " après avoir passé un contrat de mariage, fait publier les bans par un huissier, et demandé acte de cette union au juge du lieu ". Les synodes avaient formellement interdit de contracter mariage devant un prêtre. L'ancienne discipline, comme aussi les règlements nouveaux, là où on en avait pu formuler et appliquer, prescrivaient aux fidèles de ne pas différer d'aller demander la bénédiction de leur mariage " dans la compagnie des fidèles, par le ministère des pasteurs, et non autres " : cet article de la discipline avait précisément été rappelé en 1755 par le colloque de Haute-Normandie, le plus voisin de notre région. Il semble que les règles en usage dans les églises de France quant aux attestations, annonces, etc., furent observées autant que possible dans l'église de Tournai.

On y célébra, entre gens venus de Nauroy (Nourois, Noroy) 28 mariages dans l’espace de 23 ans. Nous reproduisons ci-après les deux premiers actes, mentionnant deux frères et deux soeurs mariés le même jour :

" Le 13 septembre 1755 ont été mariez dans nôtre Eglise Pierre Courtois et Marie-Reine Vitasse, tous deux demeurant à Noroy, Election de Saint-Quentin et Généralité d'Amiens.

" Le 13 septembre 1755 ont été mariez dans nôtre Eglise Claude Courtois et Françoise-Anne Vilasse, tous deux demeurant à Noroy, Election de Saint-Quentin et Généralité d'Amiens ".

Les autres actes libellés de même que nous résumons en appendice concernent les familles Bas, Vatin, Le Sourd, Potentier, Malézieux, Fontaine, Louchart, Leclercq, Idron, Daudré, Généraux, Bauduin, Duproy, Charlet, Watbled. Il y a plusieurs alliances avec des personnes de Templeux, Hargicourt, Jeancourt, Vendelle, Ronssoy, Bertaucourt, Bohain ; les secondes noces sont fréquentes.

3. – Les membres de l’Eglise de Tournai

Plusieurs des hommes et femmes mariés à Tournai figurent avec beaucoup d'autres (en tout cinquante-deux) sur la " liste des membres de l'Eglise wallonne hors de Tournay ", c'est-à-dire des personnes qui, venant assez souvent au prêche et participant aux sacrements, étaient considérées par les pasteurs comme faisant partie de leur troupeau : 29 hommes et 23 femmes de Nauroy sont ainsi mentionnés tantôt isolément tantôt par petits groupes, avec des protestants de villages voisins : Hargicourt, Templeux, etc. Nous en donnons la liste complète plus loin. Elle paraît dater de 1762 pour la plus ancienne partie, qui relate les abjurations de 1741 ; et elle renferme un dernier nom de Nauroy en 1775. Les adhésions isolées de néophytes et les noms nouveaux sont plus nombreux ces dernières années, comme si l'exemple des plus anciens protestants avait enhardi une à une d'autres personnes à se joindre à eux (Dauville, Giles, Lomon ou Lamand, le Fevre, Toffin). Et c'est bien ainsi en effet que les choses se passaient, d'après les traditions de famille.

On raconte qu'on prenait, pour " aller à Tournay " deux paires de sabots : l'une pour aller, l'autre pour revenir. Car le voyage était long (une centaine de kilomètres ! ) et en certaines années où la persécution était plus vive, on n'était assuré ni d'arriver à Tournai ni de revenir à Nauroy. En 1732, le duc de Boufflers, gouverneur de la Flandre, averti que beaucoup de protestants allaient prendre la Cène à Tournai, établit un cordon de troupes le long de la frontière avec ordre de les laisser passer à l'aller... Au retour, " le second jour de Pâques ", on arrêta plus de deux mille personnes. Un " état de ceux qui font profession de la R. P. R. en l'élection de Péronne, et qui vont au prêche à Tournay par la route de Cambrai, Vicogne et Saint-Amand " dressé en 1731, mentionne des protestants de Ronssoy et Templeux (Dron, Douen, de Rancourt ou Drancourt). Un état semblable pour l'élection de Saint-Quentin, porterait peut-être dès cette époque des noms de Nauroy. Pour le moment, la liste des membres de l'Eglise hors de Tournay, rédigée après 1751, étant plutôt de l'année 1762, la plus ancienne date certaine où l'on constate la présence de gens de Nauroy à Tournay reste celle des mariages Courtois-Vitasse : 1755.

CHAPITRE V

LES PROTESTANTS DE NAUROY DE 1758 A 1778

1. - Formules diverses employées dans les actes par les curés

" Tantôt ils étaient déguisés en ouvriers de ferme allant aux champs, porteurs d'une fourche, d'un râteau ou d'une bêche. Tantôt ils ressemblaient à des marchands ambulants, ayant sur l'épaule un ballot de toile ou sur le dos une hotte garnie de marchandises diverses ".

Suivons maintenant les pieux pèlerins sur le chemin du retour. On remontait la vallée de l'Escaut, plutôt à travers les forêts, en évitant les grandes villes comme Cambrai où l'archevêque était trop redoutable; mieux valait s’arrêter dans les environs de Saint-Amand par exemple, à Lecelles, dans quelques maisons huguenotes où l'on conserve aujourd'hui encore les traditions d'une large hospitalité. Et, revenus à Nauroy, reprenons l'étude des registres tenus par le curé, après cette année 1755.

A partir de 1758 et jusqu'en 1787 où les protestants reçoivent, par l'édit de tolérance, un état-civil régulier et distinct, leur existence est attestée tantôt par l'usage formel du mot " protestant " (de 1758 à 1761, et après 1769), tantôt par l'emploi d'expressions plus ou moins infamantes, et non plus seulement ambigües comme celles relevées précédemment. Les curés de Nauroy, comme ceux de toute la France, étaient naturellement fort embarrassés pour qualifier une situation anormale, et les variations de leur vocabulaire reflètent assez exactement, dans ce petit coin de Picardie, les alternatives de rigueur et de tolérance dans le gouvernement et l'opinion publique.

Les historiens les plus compétents fixent vers 1744 l'époque à laquelle les protestants recommencèrent à faire bénir leurs mariages par des pasteurs, et vers 1754 celle où l'autorité civile, pour remédier à une situation juridique intolérable, facilita implicitement les mariages protestants à l'étranger. A Nauroy, les mots " père et mère " et " protestants ", ne sont employés ensemble, pour désigner les parents d'enfants légitimes, qu'à partir de juillet 1758. Encore n'en était-il pas de même dans toute la Picardie, à Parfondeval, par exemple.

Voici le premier acte de ce genre qui figure sur les registres de Nauroy : il concerne deux personnes mariées en effet à Tournay, le 26 février précédent (Appendice III) :

" L'an de grâce mil sept cents cinquante huit, le 9e jour de juillet est né aujourd'hui DE ET EN LÉGITIME MARIAGE et a été baptisé par nous, curé soussigné, Marie-Suzanne fille d'Amant Bas et de Jeanne Vatin, PROTESTANTS, garçon mulquignier audit lieu. Le parin Jean-Louis Dégremont, fils de Louis Dégremont et d'Angélique Baudoin, mulquinier audit lieu, la mareine Marie-Chaterine (sic) Bas, fille de feu François Bas et de deffunte Marie-Chaterine Baudoux, fileuse audit lieu. De ce interpellés de signer les parein et mareine ont déclaré ne sçavoir écrire. Fait double à Norroir, les jour et an que dessus. [Signé :] d'la follie, curé de Norroir ".

Dès l'année suivante, en pareille circonstance, ledit curé rétracte aussitôt sa formule libérale, dans un acte qui nous apprend du même coup le décès du père, un Potentier qui, à treize mois d'intervalle, était allé faire bénir son premier, puis son second mariage à Tournai :

"  L'an de grâce mil sept cents cinquante neuf, le 17e jour de mai, est né de et en légitime mariage [raturé, et, en interligne, au-dessus : " de père et mère mariés en l’église protestante ", ce qui est répété à la fin de l'acte avec la mention " renvoi approuvé ", et la signature du curé] et a été baptisé par nous curé, soussigné, Pierre Romain, fils de feu Romain Potentier et de Marie-Hélène Vitasse, vivant mulquignier en cette paroisse. Le parein a été Siméon Idron fils de Thomas Ydron et de Marianne de Rumigny, garçon mulquinier audit lieu, la mareine Marie Catherine Boucher, fille de Jean Baptiste Boucher et de Catherine Malezieux, aussi mulquinier audit lieu. De ce interpellés de signer, les parein et mareine ont signé avec nous. Fait double les jour et an que dessus. [Signé :] Boucher, Ydron, d’ la follie, curé "

Deux mois après, la formule change encore dans les actes suivants (que nous résumons en appendice V) : les mots père et mère sont omis, mais le lieu du mariage est mentionné par le curé, soit qu'on lui présentât un des certificats du consistoire dont nous avons parlé, soit que le fait s'explique simplement par la notoriété publique et une sorte de possession d'état : " Le... a été baptisé N., fils de N. N. mariés en l’église protestante de Tournay ".

Une fois, en 1760, le curé met seulement : " mariés ensemble ". François Bas et Marie Miroux n'étaient donc probablement pas allés à Tournay : les registres nous apprennent seulement le second mariage de F. Bas en 1763 (App. III) ; avaient-ils été mariés par un pasteur du désert, ou pardevant notaire... ?

On surveillait évidemment d'assez près, conformément aux édits, la naissance des enfants de parents réputés protestants : ils sont presque toujours présentés au baptême le jour même, au plus tard le lendemain. Et si les parents habitent d'ordinaire une autre commune, le curé n'en fait pas moins observer la règle en prenant pour parrain et marraine les premiers venus et en se contentant des déclarations de la sage-femme (ce n'est pas sans cause que la profession de sage-femme avait été dès 1680 réservée aux seules catholiques ! ) :

" L'an de grâce mil sept cents soixante, le 16e jour d'avril, il nous a été présenté par Anne Dupon, sage-femme demeurante à Bellicourt, un garçon à baptiser quelle nous a ditte être né dans cette paroisse par accident et être fils de la nommée Marie-Elisabeth Pilois, mariée en l’église protestante de Tournay avec le nommé Elie Trocmé laboureur à Hargicourt, depuis deux mois... ".

Les renseignements sont d'une exactitude minutieuse, car cette femme (d’Etreux) avait en effet été mariée le 17 février :

" On lui a imposé le nom de Joseph-Daniel et le parein a été Pierre-Joseph Plateaux, cabartier, demeurant audit lieu, la mareine Marie-Magdeleine Lomon, épouse dudit Plataux.., etc. ".

Dans les registres des inhumations, des formules analogues montrent que les protestants commençaient à la même époque (1759) à recourir aux services du curé pour faire enterrer leurs enfants dans le même cimetière (sinon peut-être dans le même endroit ni avec les mêmes cérémonies) que les catholiques :

" L'an mil sept cents cinquante neuf, le 23e jour d'aoust, est décédée Marie-Reine âgée d'environ un mois, fille de Louis Bas et de Marianne Daudré, mariés en l’église protestante de Tournay, garçon mulquinier audit lieu, et l'inhumation de son corps fut faite dans le cimetière de cette paroisse par nous, curé soussigné, en présence de témoins qui ont signé avec nous. Fait double les jour et an que dessus. [Signè :] Cornu [qui semble avoir été à cette époque le clerc séculier de la paroisse], Ydron, d’ la follie, c. de Norroir ".

Après quatre ans de répit, l'année 1762 marque la transition vers une nouvelle période d'intolérance, au moins dans les formules. Un acte d'abord non daté applique à des protestants enregistrés comme tels les années précédentes, la mention (omise ces années-là) : de et en légitime mariage. Un second la supprime. Un troisième après les noms du père, puis de la mère, ajoute en marge : " sa femme, renvoi approuvé ".

En 1763, brusquement, paraît, infligée aux enfants de ces mêmes personnes, une double qualification infamante qui n'était pas usitée pour les naissances naturelles (assez rares d'après nos registres) quand la mère était catholique :

" L'an de grâce mil sept cents soixante trois, le 16e jour de juin est né aujourd'hui et a été baptisé par nous, curé soussigné, Pierre-Etienne fils illégitime du concubinage d'Amant Bas, mulquignier audit lieu, et de Marie-Jeanne Vatin, etc. ",

Jusqu'en 1770 la formule employée dans 26 baptêmes et trois actes d'inhumations est fils ou fille du concubinage de, etc., et, une ou deux fois; du concubinage public. Ces mots sont biffés et les mots : "  sa femme ", ajoutés sur plusieurs actes, avec cette mention en marge : " approuvé le renvoi et les ratures en exécution de l'arrêt du 7 mars 1778 ", et un paraphe : c'est la conséquence d'une importante affaire dont nous parlerons bientôt.

Ce changement de dispositions de la part du curé semble avoir eu deux effets contraires : d'une part il y a tel enfant qui meurt sans que ses parents l'aient fait baptiser : le 27 janvier 1762 Jean, fils de Jean-Charles Vatin et Marie-Joseph Daudré. D'autre part tels membres de familles protestantes meurent " après avoir reçu les sacrements de l'Eglise ", par exemple, le 14 octobre 1762, Jean-Louis Bas, âgé de soixante-six ans. Il est vrai qu'il était " époux en seconde nopce de Marie-Jeanne Dubois ", et que sa femme a pu le faire rentrer dans le giron de l'Église romaine.

Quelques années avant (1769) on rencontrait des mentions comme celle-ci : Jean-François Guille, décédé le 17 mars " sans avoir été muni des sacremens, le curé n'ayant point été appelé ".

En 1769, le curé reprend la formule de 1758 : " N. N. protestants ", à propos de l’inhumation d’un petit garçon de quinze jours, non baptisé. Les années 1770 à 1778 offrent successivement et même alternativement dans les registres de baptêmes, une étonnante variété d'expressions et de périphrases, où le nom du père, qui ordinairement précède celui de la mère, est tantôt mis après, tantôt même (1774) omis ; avec ou sans commentaires dans ces divers cas :

" N. fils de P. et M. " (sans la mention : de et en légitime mariage ; L, LI, LII),

" N. fille de P, et M., laquelle fille est née de gens qui vivent hors du sein de l’Eglise (XLVII) ",

" N. née dans la religion protestante et fille de P, et M. (XLVIII) ".

" N. né de M. " (LVII, LVIII),

" N. né de M. le père absent " (LIV, LV),

" N. fils de P. qui étant présent au baptême s'est lui-même déclaré père et a reconnu ledit enfant pour son fils, en présence des parrain et marraine ; et de M. ". (LVI, LIX),

" N. né de N. et de P. qui étant présent au baptême (id.) " (LX, LXI, LXII),

Les registres d'inhumations présentent beaucoup moins d'actes rédigés d'une façon anormale (7 au lieu de 72, en vingt ans). Un assez grand nombre d'enfants en bas-âge (Malezieux, Fontaine, Vitasse, etc.), dont nous avons signalé les baptêmes (App. V), sont enterrés sans observation par le curé. La plupart des protestants étaient sans doute inhumés " en terre profane ". Les membres âgés de familles déjà relevées meurent rarement " avec les sacrements de l'Église " ; tel, cependant, Claude Duproix, à soixante-douze ans (21 février 1777). Remarquons que les diverses branches de la famille Bas, si fréquemment citées d'après nos registres pendant la période antérieure à 1758, sont de moins en moins représentées dans les actes enregistrés par le curé.

Dans les actes de mariage, une seule trace de protestantisme, mais assez intéressante : un vieux père, veuf, donne - hors de l'Église - et pardevant témoins son consentement au mariage de son fils, lequel n'est pas qualifié protestant et épouse certainement une catholique :

19 septembre 1775 : " Entre Louis-Joseph Bas, mulquinier, âgé de trente-deux ans, fils d'Etienne Bas, aussi mulquinier, qui, ne venant pas à l’église attendu qu’il professe la religion prétendue réformée, m'a donné son consentement de vive voix en présence de Pierre Marin, mulquinier, et de Félix Berlémont, munier, qui ont signé; et de Magdelaine Landry, ses père et mère, de cette paroisse ; - Et Marie-Thérèse Noque, etc. ".

Ce consentement paternel et ce mariage ont eu lieu aussi tard que possible (et, j'imagine, après bien des discussions) : mais toutes les exigences du curé ayant été ainsi satisfaites, il enregistre, cinq mois après, le baptême d'un petit Joseph-Etienne Bas (10 février 1776) comme " fils légitime ".

Le vif désir d'obtenir pour leurs enfants cette qualification, ou du moins une formule équivalente, fut l'origine d'une démarche de plusieurs familles de Nauroy et d'une procédure judiciaire terminée en 1778 qu'il nous faut étudier maintenant, après avoir rappelé les circonstances de l'histoire générale auxquelles elle se rattache,

2. - La restauration des Eglises

La " restauration " des Eglises dans le Vermandois eut lieu entre les années 1763 et 1769 et peut-être d’abord, comme en 1692, près de Templeux. " Il y a plus de quarante ans, écrivait-on en 1806 à Rabaut le Jeune, qu'on exerce à Hargicourt le culte public ", Dès 1766, le pasteur Charmuzy (que les Picards appellent parfois Charles Moisi) écrivait à un ancien de la Brie ces conseils qu'il donna sans doute à plus d'une Eglise renaissante :

" Il faut aller tout doucement dans les commencements et ne pas trop se précipiter si l'on veut réussir. Je crois que vous feriez fort bien à présent de ne pas vous assembler régulièrement, mais seulement de temps en temps; car je crois que vos ennemis sont en grand nombre et qu'ils épient de près vos démarches. Vous comprenez sans doute que si vous ne vous assemblez pas régulièrement, ceux qui cherchent à vous nuire ne le pourront pas si facilement ; vous pourriez même vous contenter dans vos pieux exercices de lire les psaumes, de crainte que vous ne soyez découverts en les chantant ".

Tout en recommandant la prudence aux autres, Charmuzy ne craignait pas de s'exposer lui-même ; il fut arrêté à Nanteuil les Meaux le jour de Pâques 1770. Son successeur Jean-Baptiste Briatte qui fut, à notre connaissance, le premier " pasteur du Désert " originaire de ces régions, était d'un village proche de Nauroy : Serain. Peut-être est-ce le jeune proposant dont cinquante-six chefs de famille picards demandaient en 1766 l'admission au séminaire de Lausanne. Rien de pareil, dit Court de Gébelin, ne s'était vu depuis longtemps ; et deux ans plus tard Paul Rabaut écrit : " Un proposant arrivera bientôt dans la Picardie, et c'est un grand sujet.

Peut-être y eût-il ainsi pendant les années 1768, 1769, 1770, une première période où les protestants purent en quelque mesure jouir des bienfaits d'un ministère régulier : il n'y a pas, pendant ces années-là, un seul mariage célébré à Tournay entre gens de Nauroy (app. III).

En 1770 le comte de Saint-Florentin ordonne l'arrestation des ministres qui prêchent auprès de St-Quentin et les premières nouvelles que nous ayons sur l'histoire du protestantisme à cette époque sont une fois encore des nouvelles de persécutions. Briatte était allé à Versailles même et aurait couru de grands dangers si l'on avait su qui il était, ainsi que cela ressort du seul fragment que nous connaissions de la correspondance échangée entre lui et ses amis (11 janvier 1772) :

" Votre nom, lui écrit-on de Versailles, est en horreur ; vous êtes écrit sur le livre rouge... Je vais travailler à vous remettre en bonne odeur auprès du ministre [la Vrillière], et vous, travaillez de votre côté à faire cesser totalement vos assemblées... Le ministre a dit que, si cela ne finissait pas bien vite, on en appréhenderoit plusieurs au corps, et qu'il les envoieroit aux galères pour donner exemple aux autres ".

Cette lettre est signée Goui : ce n'est évidemment pas un véritable nom de personne comme paraissent l'admettre MM. Rossier et Douen, mais une désignation conventionnelle empruntée à un village voisin de Nauroy.

Si, comme cela est très probable, les protestants avaient dès cette époque recommencé à se rassembler à Nauroy. même, ils furent persécutés comme ceux d'Hargicourt, de Templeux, de Caudry (1772) après la tournée des pères missionnaires chargés de réagir contre les " assemblées générales " tenues par un prédicant vêtu " d'un habillement rouge foncé " sans doute Briatte.

" Jusqu'à l'édit de 1787, écrivait plus tard M, de Vismes, menaces, amendes, arrestations, emprisonnement, infamies même envers la personne des morts, tout fut employé pour dissoudre ces Eglises s'il eût été possible qu'elles le fussent ".

Un consistoire tenu à Lemé le 30 septembre 1772 reconnaît " M, le ministre Briatte pour notre vrai et légitime pasteur ". Il s'engage à visiter les Eglises de ce canton " deux fois par année " (et Nauroy figure sur les registres de Lemé parmi les lieux où il exerça son ministère, ainsi qu'au temps de ses successeurs). Mais, dans ces Eglises à peine réorganisées, tous les fidèles n'acceptaient pas sans conteste l'autorité du nouveau pasteur : les uns reçoivent " un imprudent qui s'ingère dans le troupeau du Seigneur sans vocation ", nommé Loreille; les autres continuent à aller à Tournay où les choses ne se passaient plus toujours aussi régulièrement que naguère :

" Vu les inconvénients des mariages bénits à Tournay, jusque-là que M. Dulignon, par un étrange abus de son ministère et au mépris de l'ordre, admet à cet état des personnes de religion contraire, et même des protestants qui méritent les plus sévères censures, les fidèles seront exhortés à faire bénir leurs mariages par le pasteur de ces Eglises ". On a conservé quelques-unes des attestations sur papier timbré que " Briatte, Mtre D. S. E. (Ministre du saint Evangile), donnait aux époux.

Pour l'instruction religieuse des jeunes gens protestants et aussi des prosélytes adultes, (surtout pour ceux, qui persistaient à aller communier hors de France), on employait un " nouveau catéchisme à l'usage de l'Eglise wallonne de la garnison de Tournay, en II parties, dont la seconde roule sur la controverse ". C'est un curieux petit volume de 48 pages, imprimé en 1772 " à Londres, chez Thomas Fritsch, dans le Stradt " (orthographe du mot Strand qui indiquerait plutôt une presse hollandaise). L'exemplaire qui m'a été donné après la mort d'un vieux protestant de Montbrehain en 1896 porte les noms de Proy Courtois ; il est broché avec une sorte de papier peint à fleurs, qui lui donne une apparence fort peu ecclésiastique, et d'ailleurs sans aucun titre qui pût attirer l'attention d'observateurs malveillants.

En tête se trouve cette intéressante recommandation :

" (N.-B.) Les personnes de Picardie qui se présentent pour être reçues chez nous à la Communion sont priées de se servir du Cathéchisme, et de s'attacher surtout à la controverse, ils doivent aussi savoir parfaitement l'Oraison Dominicale, le Symbole des Apôtres et les dix Commandements.

Ainsi conclu en Consistoire à Tournay, par les Conducteurs de l'Eglise walonne ".

Tandis que la première partie traite en vingt pages, suivant le plan ordinaire, de Dieu, de l'homme, du péché, de Jésus-Christ et des sacrements, une seconde partie, plus longue, comprend les " sections de controverse " : du service public et des pélerinages, contre l'invocation des saints, des oeuvres, du prétendu purgatoire, du pape, contre la transsubstantiation et la messe, etc. Les catéchumènes sont invités à exposer la doctrine " prétendue catholique ", puis à la réfuter par diverses citations bibliques et arguments rationnels. Par exemple :

Demande. Qu'entend l'Église romaine par la transsubstantiation ?

Réponse. Qu'après la consécration il n'y a plus de pain ni de vin dans la Cène.

Demande. Renversez ce sentiment.

Réponse. Les passages suivans le renversent de fond en comble: etc.

Les catéchumènes, dont beaucoup étaient enfants de catholiques et souvent anciens catholiques eux-mêmes, recevaient ainsi de très fermes instructions pour pouvoir défendre leur foi, mais sous une forme généralement modérée.

La même tendance, avec plus de précautions, se retrouve chez les protestants qui n’allaient plus à Tournay, et non sans une intention de protester contre le zèle compromettant de quelques néophytes. En cette même année 1772, le règlement consistorial déjà cité porte (XXIII) : "  Nous voulons nous conformer aux lois du royaume dans lequel nous vivons et aux édits du roi notre souverain, en tant qu'ils ne blessent point notre conscience ; c'est pourquoi nous ne souffrirons pas qu'au mépris de ces lois et édits, et pour donner du scandale à nos frères de l'Eglise romaine, les fidèles de notre société affectent de travailler les jours de fête, ni fassent des choses qui pourraient indisposer le gouvernement contre nous, et nous ravir la tolérance et le support dont nous jouissons. "

Cette tolérance ne fut malheureusement pas de longue durée.

Après que Briatte se fut retiré à Paris, Bellenger et surtout D'0livat, qui résidait à Hargicourt, réorganisèrent le colloque comprenant d'abord (1776) les anciens et diacres de cinq communes ; Nauroy était rattaché à ce groupe qui ne s'étendait plus comme au temps de Briatte, aux églises de la Thiérache et de la Brie champenoise; ils exercèrent leur ministère au milieu de fréquentes alertes.

" Pendant cinq à six mois de suite, les cavaliers de la maréchaussée se sont transportés, l'épée nue à la main, dans les sociétés protestantes, à Templeux, Vendeuil [Vendelles], Hargicourt, Nauroy, Jeancourt, etc..., ils ont fait aussi l'impossible pour arrêter dans les bois, dans les chemins, dans les maisons, une personne soupçonnée d'être le ministre des protestants du Cambrésis. " Ces renseignements figurent dans un Mémoire adressé au roi en 1777, par Court de Gébelin, fils du pasteur Antoine Court, établi à Paris depuis la mort de son père (1763) et qui mettait à profit ses nombreuses relations dans le monde politique et lettré pour défendre officieusement, comme " député des Eglises ", les intérêts de ses coreligionnaires.

C'est à ce titre qu'il présenta aussi en 1777 un Mémoire sur les enfants de la Picardie et du Cambrésis qualifiés illégitimes sur les registres de baptêmes.

3. - La question de la légitimité des enfants de protestants. L'arrêt de réformation du 7 mars 1778

Nous avons rappelé à diverses reprises combien était embarrassante au point de vue civil et ecclésiastique la question des mariages non célébrés par le curé, et comment l'absence de ce sacrement entraînait la contestation de la légitimité des enfants issus de ces unions, sur les actes de baptême. Nous avons vu que dès 1746 les protestants d'Essommes réclamaient, mais en vain. De même en 1762 ceux de Richaumont.

En 1766 des gens de Wanquetin mariés " pardevant le ministre de la religion P. R. à Tournay, le dimanche 15 du mois de septembre 1765, sur les 3 heures de l'après-midy " sont condamnés à " faire réhabiliter leur mariage dans les formes prescrites par les canons et les ordonnances du royaume " par devant l'ordinaire : faute de le faire dans la huitaine, cent livres d'amende à chacun, et ordre de se séparer.

En 1769 un mariage célébré au désert par Paul Rabaut est validé par le Parlement de Toulouse. C'est là un fait exceptionnel. Mais des avocats et conseillers au Parlement figurent souvent parmi les auteurs de lettres, mémoires, questions, dialogues, etc., dans la lutte engagée dès 1751 contre le clergé par les partisans de la liberté religieuse et philosophique. Cependant, parmi les cent et quelques publications retrouvées aujourd'hui, aucune, à notre connaissance ne se rapporte spécialement, par son auteur ou par son objet, au Nord de la France. Pour les protestants de ces régions, plus que nulle part ailleurs, l'intervention de Court de Gébelin fut un bienfait inappréciable.

Il fit présenter au Parlement de Paris une requête au nom de cinquante-six chefs de famille (dont trois femmes, deux qualifiées veuves) savoir: vingt-huit d'Hargicourt, onze de Jeancourt, cinq de Nauroy, douze de Ronssoy. Ils signalaient les " irrégularités et vices " qui se trouvaient dans les actes de baptêmes de leurs enfants sur les registres de ces quatre paroisses, " soit par les obmissions des noms des pères et mères légitimes, soit par l'insertion des mots illégitimes, des oeuvres, la dénomination de deux pères et autres expressions " (les deux premières étant les seules que nous avons formellement relevées sur les registres de Nauroy). Ils demandaient en conséquence que ces actes fussent réformés et qu'à l'avenir on mentionnât, suivant l'article 4 de la déclaration d'avril 1736, " le jour de naissance, le nom donné à l'enfant, ceux de ses père et mère, parrain et marraine, et ce en conséquence et conformément aux déclarations de ceux qui présenteront lesdits enfants au baptême ".

Après avoir entendu le rapport du conseiller Pommyer, la cour rendit, le 7 mars 1778, un arrêt accordant sur tous les points satisfaction aux requérants.

Cinq seulement d'entre eux étaient originaires de Nauroy : Michel Fontaine, Charles Delaporte, Claude Courtois, Charles Vatin, Louis-Joseph Vatin. On s'attendrait à en trouver davantage, puisqu'une douzaine d'autres figurent, dans des circonstances analogues, sur les registres de la même époque (App. V). Depuis 1762, date de l'acte le plus ancien dont la réformation soit ordonnée, quelques-uns étaient morts, ou avaient perdu leurs enfants, (Claude Courtois réclame pour cinq des siens : il en avait eu au moins neuf) ; d'autres enfin n'avaient pas les moyens de payer les frais d'une telle procédure (cela paraît avoir été le cas pour la famille Bas).

Dans le mois qui suivit l'arrêt, le procureur Namuroy requit en leur nom (le 14 avril) le président lieutenant général au bailliage de Vermandois de procéder à la réformation des actes visés (14 sur 72 que nous avons relevés). Outre l'exemplaire toujours déposé, conformément aux édits, au greffe du siège du bailliage, on y avait aussi apporté, en exécution de l'arrêt du Parlement, le double exemplaire des Archives paroissiales (les n° III, IV, V, de la collection actuelle). Un grand nombre de témoins étaient convoqués : parents, ou à leur défaut, frères et soeurs des défunts; parrains et marraines, ou proches parents les remplaçant pour attester qu'ils avaient rempli ces fonctions. Les onze actes dont nous donnons un spécimen montrent que presque tous avaient pu répondre à l'appel : cependant deux hommes sont " absents " : Louis-Joseph Bas depuis un an (1777), François Vatin " depuis dix ans " (1768) ; une femme de Montbrehain, Marie-Jeanne Hurtret, est " dans un état d'infirmité ". Le mot " protestant " n'est pas une fois prononcé dans ces déclarations, et il est rayé dans les actes où il figurait. Voici quelques exemples des actes: avant et après la réformation :

(10 février 1764) : " .... Marie-Joséphe-Pacifique, fille du concubinage public [rayé] de Charles Vatin, garçon mulquinier, et de Marie Joséphe Daudré [en surcharge : SA FEMME] ". En marge, en travers : Approuvé les ratures en exécution de l'arrêt du 7 mars 1778 " et un paraphe (du lieutenant général Dartois ?).

(1er septembre 1771) : " Marie-Elisabeth, fille de Charles Vatin et Marie-Barbe Caron + + protestants [rayé] et mulquinier audit lieu ". En marge : " + + SA FEMME, approuvé le renvoy, etc. ",

(25 mai 1777) : " Pierre-Joseph né de + Marie-Reine Duproix, fileuse de cette paroisse + + et de Louis-Joseph Vatin, compagnon mulquinier qui étant présent au baptême s'est déclaré lui-même père et a reconnu le dit enfant pour son fils ",

En marge : "  + LOUIS-JOSEPH VATIN, MULQUINIER, ET DE + + SA FEMME. Approuvé, etc. ".

Ces ratures, astérisques et additions marginales, qui surchargent les pages ordinairement tout unies, sautent aux yeux dès qu'on feuillette le registre. Grâce à toutes ces retouches, le texte reprend à peu près la physionomie des actes qui précédent et qui suivent. Assurément le scribe accomplissait une grande oeuvre, réparait une grande injustice, aux yeux de ceux qui l'entouraient, ce 22 avril 1778.

On peut aisément se représenter l'émotion de tous ces braves gens, " mulquiniers " et " fileuses " venus en troupe, au nombre d'une quarantaine, au siège du bailliage, quelques-uns déjà vieux, mais la plupart dans la force de l'âge, puisque l'aîné des enfants intéressés a seize ans, et plus de la moitié, de un à sept ans seulement.

Pour eux, pour les familles d'Hargicourt, Jeancourt et Ronssoy réhabilitées par le même arrêt, pour toutes les Eglises du Nord, cette année 1778 était le commencement d'une ère nouvelle, aucun mariage entre habitants de Nauroy n'est plus célébré à Tournai après cette époque : cependant il faudra attendre neuf années encore pour que le mariage des protestants soit officiellement reconnu par l'édit de tolérance.

CHAPITRE VI

LES PROTESTANTS DE NAUROY DE 1778 A 1787

1 . - L'exécution de l’arrêt

Le clergé, on le conçoit, ne se résigna pas facilement à exécuter un arrêt qui déclarait mal fondées (ne fût-ce encore qu'à moitié) ses prétentions et ses formules.

Pendant toute l'année 1778, le desservant Baroux continue à inscrire sur les registres de baptêmes les enfants protestants comme nés de une telle et un tel, " qui étant présent au baptême a reconnu ledit enfant pour son fils, etc. ".

Mais en 1779 arrive un nouveau curé, Deboux, licencié en théologie de la faculté de Paris - peut-être l'envoyait on dans cette petite paroisse, peu accoutumée à avoir pareils titulaires, pour mieux surveiller les hérétiques encouragés par leur récent succès. - Contrairement à l'usage de ses prédécesseurs, il n'indique jamais si les personnes mariées ou inhumées ont reçu les sacrements de l'Eglise. Au répertoire, fort bien fait, on trouve après divers noms, la mention : "  DE LA PRÉTENDUE RÉFORMÉE " ou : " R. P. R. " Dans les actes de baptême l'indication du légitime mariage est tantôt omise, tantôt raturée.

Pour les familles qui avaient directement bénéficié de l'arrêt de réformation - et même pour quelques autres on emploie souvent la formule rétablie sur les actes antérieurs à 1778 : " X. né de N. et N. SA FEMME ". Une fois seulement le nom du père est inscrit avant celui de la mère :

(15 mars 1779) : " Jean François, né d'aujourd'hui, d'Henriette-Susanne Bruyon, native de la paroisse de Bohain, domiciliée en celle-ci depuis environ trois ans, et de Pierre-Louis Bas, compagnon mulquinier, etc. ".

Cette année-là, sur 31 baptêmes, le tiers concerne des protestants ! Voici d'ailleurs les chiffres depuis que les registres permettent, sans aucune erreur possible, de reconnaître les actes nous intéressant :