En 1782, madame de la Plesnoye, la dame du Château de Vadencourt était
fort jeune. Elle aimait faire bâtir et Nicolas Grain qui ne demandait pas
mieux lui servait d'architecte. Grâce à ses plans, à ses dessins et à leur
rapide exécution puisqu'il était maçon, il parvint à gagner son amitié et
sa confiance.
En 1784, il bâtit, ainsi la laverie et la boulangerie du Château. Avant
de construire la laverie, il fallut commencer par démolir l'ancien
pigeonnier. Au cours de ce travail, la tour de briques s'effondra sur les
ouvriers, blessant N. Grain et tuant son camarade Séguin. N. Grain fut
désespéré par la mort de son compagnon. Il poursuivit néanmoins la
construction de la laverie et pendant l'hiver fut occupé à l'intérieur du
château à divers travaux de menuiserie et de charpente. Puis l'été suivant
il fut occupé à faire des cheminées, des pavés, des croisées aux
chambres...
Et maintenant, c'est lui qui parle : " Sur la fin de l'an 1787, lorsque
la Dame de la Plesnoye faisait exécuter force projets de fantaisie, il y
avait au château de Vadencourt un seigneur Brabançon qui se faisait
appeler le comte de Veltent. Il se disait le cousin de la dame. Et en
effet, à s'en rapporter aux apparences de sa conduite envers la Dame, et
de la Dame envers lui, il existait une amitié au moins plus que
cousinale.
C'était absolument la matière d'un vrai et parfait roman. Tous les
petits dessins qui me donnaient tant d'occupations ne tendaient qu'à
représenter des histoires romanesques.
Ici, c'était un jardin anglais, là c'étaient des petits cabinets de
feuillage et de verdures garnis de statues, sinon tout à fait immorales,
du moins avec des postures très voluptueuses. D'un côté des petits arcs de
triomphe sur lesquels étaient gravés des chiffres et des caractères
chinois et des emblèmes mystérieux. D'un autre côté, il s'élevait un
tertre vis-à-vis d'une petite maison de plaisance que l'on appelait
l'orangerie. Le tertre était perpétuellement couvert de fleurs selon les
différentes saisons. Du haut de ce tertre, on apercevait du premier coup
d'œil cent sites divers. Des ponts en l'air, des autres, des petites
cavernes jonchées de chèvrefeuille. La petite orangerie ressemblait à ces
palais enchantés par ses ornements intérieurs et ses statues.
Enfin, les deux amis, ou amants, avaient rassemblé dans ce petit
terrain tout ce qui pouvait contribuer à la jouissance des sens. Nous
finissions de percer de nouvelles croisées sur la partie méridionale de
cette orangerie lorsque parvint la nouvelle de la mort de monsieur le
comte de la Plesnoye, mari de la Dame. (Ce seigneur aurait été tué dans un
duel). Il était alors à Paris, dans un quartier,
Comme étant exempt dans les gardes du corps et breveté de brigadier des
armées du roi. Et c'était le bruit commun que ce jeune seigneur devait sa
mort à son avancement précoce.
A cette nouvelle, la Dame nous fit dire d'abandonner l'ouvrage sur le
champ, qu'elle ne voulait plus rien faire, pas même demeurer à
Vadencourt.
Elle poussa sa haine (son chagrin sans doute, NDLR) au point de ne plus
voir ni parler à aucune personne de Vadencourt, ni même à moi qui
d'ordinaire était son favori. Alors, l'on eut dit que l'on était dans un
de ces palais enchantés du temps des fées et dont l'enchantement venait
d'être détruit par la même magie avec laquelle il avait été construit.
Dès ce moment, la Dame partit pour Paris avec son cher cousin et on ne
la revit plus jamais à Vadencourt. "
(Tiré des Mémoires manuscrits de Nicolas Grain - Tome second -
Livre premier).
Recueilli et adapté par (c)André VACHERAND Secrétaire Général de la
Société Académique de Saint-Quentin