Raoul le Grand.
Pour certains , l'entrée dans le douzième
siècle est à marquer d' une pierre blanche car apparaît pour la première fois
la mention de " nation picarde".Les provincialistes extrapolent par analogie
l'existence d'un peuple unifié par l'histoire et la culture et prêt pour le sacrifice suprême. Ce peuple
serait celui qui nous connaissons
aujourd'hui par son parler et sa région. La réalité s'avère,elle, fort éloignée car
dépendaient de cette nation les ressortissants de Liège, Maastricht, Amiens,
Saint-Quentin, Noyon, Laon, Arras, Tournai mais non les Lillois, ni les Compiégnois, ni les habitants de Beauvais.
Elle mérite toutefois considération car c'est le haut degré de civilisation de ce périmètre qui se trouve honoré.
La diffusion de la charrue à socs
asymétriques, le collier de trait pour les chevaux, l'assolement triennal ont
sculpté nos terroirs et rythmé les années depuis cette date et sans grande
modification jusqu' aux années cinquante du vingtième siècle. Les abbayes de la région imprégnées du
souvenir des moines irlandais et des exploits carolingiens garderont mémoire de récits légendaires et
imaginaires de personnages qui sont souvent présentés comme issus de Haute
Bretagne, voire de Grande Bretagne. Tristan et Yseut, le roi Arthur, Lancelot
du Lac et la saga du Graal doivent leur merveilleuse existence à un moine
érudit de l'abbaye de Saint-Quentin qui rassembla et fit la première rédaction
de l'épopée. Ceci n'est guère pour étonner quand on entend le nom même des
héros. Ils sont français ou à tout le moins françisés de longue date. Ces deux composantes de la vie du comté alors qur notre récit
n'atteint que la fin des années mille, soulignent la faible distance qui nous
séparent de ces temps. L'agriculture est toujours notre richesse et retient par
son humus millénaire plus de corbeaux que nulle part ailleurs. Les récits de
l'épopée celte inondent nos téléviseurs comme tout les écrans de la terre et
nos enfants croient confusément en l'existence de héros dont rares sont ceux
qui savent qu'ils sont aussi issus de
chez nous. Deux personnages très modernes vont aussi
passer prés de chez nous en ces temps : l'un est mal connu bien que fondateur
de l'Abbaye de Prémontré et l'autre plus puisqu'il forma avec Héloïse un des
premiers couples mythiques : le philosophe Abélard . Laon, ancienne capitale d'Empire abritait à
l'ombre de son évêché une école épiscopale dont les origines remontaient à
Charlemagne et qui avait connu des fortunes diverses. Parce que sa librairie, pillée autant que faire se peut par
l'administration parisienne, fut absolument prodigieuse, plusieurs ouvrages
attestent de l'éclat de l'école : le zéro y apparaît, la musique y est pour la
première fois écrite( écriture messine de l'époque de l'évêque Drogon de Metz)
bien avant l'écriture grégorienne. Aux alentours de 1100, un de ses écolâtres (
la distinction élèves/enseignants dénaturera l'école plus tard) du nom
d'Anselme de Laon fut l'inventeur du zéro et se lança dans un débat qui divisa
les "penseurs": la querelle est connue sous le nom de querelle des
nominalistes et des réalistes : comme le zéro, une idée est un concept qui peut
n'exister que dans l'esprit........ La pensée pouvait traiter de choses
imperceptibles et virtuelles. Anselme l'avait pressenti et plus tard Abelard
l'amoureux osera défendre l'affirmation . La thèse de ce dernier complète celle
d'Anselme et est connue sous le nom de conceptualisme : les idées générales
existent comme des conceptions de l'esprit mais ne font pas partie du monde
réel. Ce merveilleux philosophe et théologien, après les martyrs de la
chrétienté, fut un des premiers persécutés de la science. En 1121 à Soissons ,
il fut condamné et excommunié pour la première fois. En 1140, à nouveau, le
synode auquel participa Saint Bernard de Citeaux le condamna et l'excommunia
pour une seconde fois. On sait parce qu'il a écrit lui même sa vie, que son
existence fut difficile et pourtant Abélard trouva des protecteurs pendant
ses vingt années de galère. Ce monde n'était
pas monolithique car les Universités étaient nées. Regrettons à nouveau que la
terre picarde n'en hébergeât pas. La "nation picarde" n'existait, en
effet, qu'au sein de ces nouvelles entités qui regroupaient en nations les
étudiants de chaque grande région. L'école de Laon manqua donc l'occasion de se
muer en Université, alors qu'elle était
célèbre pour les matières enseignées : le grec, la musique, la médecine, les
mathématiques et quand Abélard y séjourna, la théologie. Elle assurait à l'évêque une réputation
d'ouverture intellectuelle et attirait les esprits audacieux. Parmi ceux ci, Norbert était un visionnaire,
il s'était violemment opposé aux vélléités de l'empereur germanique Henri II
depuis Canossa jusqu' au concile de Worms . Là même, il sera encore plus
papiste que ses confrères. Il fut préférable qu'il s'éloignât un peu. Parce
qu'il connaissait la réputation de notre évêque Barthélémy, il le sollicita pour venir installer une abbaye
et fonder une communauté sur les terres épiscopales. C'est ainsi qu'il fonda
l'abbaye et l'ordre de Prémontré en 1121. Là, formé sous la règle de Saint
Benoît, de jeunes ecclésiastiques, vont être préparés à l'apostolat dit
paroissial. En équipe de deux, ces missionnaires seront affectés aux petites
communes rurales et dans les bas quartiers des villes naissantes. L'ordre des Prémontrés existe toujours et a
survécu aux siècles. Il innovait par le respect des vertus de
l'Eglise et l'ardeur missionnaire. Ces principes mettaient en péril les rentes
des abbés ; l'abbaye fut plus tard récupéré par les managers et le recrutement
de défenseurs du bas peuple freiné. L'idée dut s'exiler . Pourtant, quand, un
dimanche matin, viendront sonner à votre porte deux jeunes Mormons à vélo, en cravate et chemise
blanche , repensez à Norbert de Prémontré ! Cette époque de diffusion profonde de la foi
a laissé pour la postérité un témoignage indiscutable. Aux sources de l'Escaut,
se trouve aujourd'hui le village de Bony. Alors que tous nos villages étaient
fichés, ce n'était encore qu'une terre en friche qu'un serviteur du mayeur de
Saint-Quentin demanda pour s'y retirer du monde et s'y livrer à une vie de
retraite religieuse. Garemberg vécut là en état d'absolue pauvreté mais
accueillant tous les errants et les malheureux voulant se joindre à lui. Sa
communauté devint vite importante mais n'avait pas de prêtre. Parmi les
premiers sortis de Prémontré, un jeune prêtre accepta de vivre avec cette
communauté misérable. Un village naquit ainsi, avec la charité de nos seigneurs
qui n'imposèrent qu' un cens de 12 sous par an pour toutes les terres occupées.
Les terres furent labourées, une église construite, une maison de religieuses
qui fut transférée plus tard à Macquincourt, Bony devenait pierre vivante. Garembert ne prétendait pas à l'état de clerc
défini par le pape Grégoire et par le concile de Latran, et ne fut pas
admissible à la canonisation mais fut reconnu bienheureux. Comme Abélard et comme Norbert, Garembert
préfigurait une nouvelle race d'hommes, celle d'individus qui seuls, par l'
effet de leur seule volonté et action, concrétiseront des idées nouvelles. Dans ce monde, où la spiritualité commençait
à agir, et où les communes se constituaient, justement pour pouvoir agir,
c'est-à-dire ester comme dit toujours le langage juridique aujourd'hui,
Raoul-le-Grand ou le Borgne chercha à servir au mieux son sol et donc, ce qui
revenait au même, son image et sa gloire. Il était fort et bien mis de sa personne et
cousin de Louis le Gros, lui aussi de bonne mine, et roi de France. La
distinction de Roi était passablement écornée. Philippe Ier avait expérimenté
que son onction ne lui évitait pas l'excommunication alors que ses frasques
n'étaient pas que dictées par l'amour des belles. Godefroy de Bouillon qui en
1099 avait pris Jérusalem s'était vu proposé le titre de Roi de Jérusalem ,
l'avait refusé, au grand soulagement des barons et des évêques, se contentant
de titre de protecteur du Saint Sépulcre. Etre Roi n'ouvrait plus de crédit et Louis
n'était qu'un seigneur d'une principauté très réduite de Senlis à Orléans et
coincée de toutes parts, mais c'était sans compter sur Raoul du Vermandois,
Capétien par son père et Carolingien par sa mère, dont le domaine était
beaucoup plus vaste, comprenant Crépy en Valois, Noyon, Péronne, Saint-Quentin
et jusqu'aux terres d'empire du Nord . En 1111, un vassal du roi de France, Hugues
le beau, seigneur de Puiset et lointain cousin de la mère de Raoul du
Vermandois se met à rançonner le comté de Chartres. Raoul n'est encore qu'un
jeune homme de vingt ans et, avec ses troupes, participe aux escarmouches. A la
prise du château de Livry qui verrouille le contournement de Paris, il perd un
oeil mais est vainqueur. Hugues sera fait prisonnier et le premier récalcitrant
sera éliminé.Le service que venait de rendre le Vermandois
à la France méritait une contrepartie. Le départ des croisés laissait des fiefs en
certaines mains peu scrupuleuses. Ainsi Enguerrand de Boves devint Seigneur de
Coucy en l'usurpant à son seigneur Albéric, puis épousa Alde, qui lui apporta
Marle . De Marle à Coucy en passant par La Fère, Laon et les forêts de
Saint-Gobain, le domaine formait une pénétrante dans l'axe Saint-Quentin,
Péronne et Meaux, Orléans . Thomas dit de Marle car le château de Coucy
n'existait pas encore et parce que c'est au château de sa mère qu'il fut élevé, fit partie de la première
croisade de 1096 qui après Byzance et Antioche reprit Jérusalem, la ville
sainte. Comme Hugues du Vermandois, il revint au pays frustré de ne pas avoir
reçu de principauté et déçu du peu de profits d'une si longue expédition. A son retour, il commencera par
" tuer " son père et attaqua une
terre d'église de l'évêque d'Amiens vers Roye sur Matz. En
cette "occasion", il fit périr trente hommes . Comme en cette même époque
, Simon du Vermandois, évêque de Noyon commençait l'édification d'Ourscamps
confié à l'ordre de Citeaux, il fallait que cette cruauté cesse au plus vite .
En 1114, il sera excommunié par un concile de Beauvais et toutes ses terres sur
le comté d'Amiens lui seront confisquées. Dans ce climat de compétition vers les bonnes
places et en raison des ponctions monétaires occasionnées par les croisades,
l'arbitre suprême, la majesté royale manquait terriblement de moyens et ses
plus proches soutiens les évêques lui accordèrent un très important coup de
main. En 1111, fut instituée la " communauté
populaire", rassemblant en milices armées, les serfs d'église, les curés
et les clercs sous les bannières paroissiales. La piétaille
n'avait pas l'élégance et la technique des chevaliers mais les forgerons, bénis
par le clergé, adapteront les lances,
les casques et allègeront les épées pour ces soldats d'un nouveau type. C'était
une pierre de plus dans le jardin des grands féodaux insoumis et orgueilleux. Thomas de Marle, mis au ban de l'église et de
la chevalerie, chercha appui et finance. Laon, cité phare de l'Occident,
n'était pas qu'un temple de connaissances et de lumières. Les conflits d'idées
s'exprimaient comme ailleurs. La simonie qui perturbait l'église avait, en la
personne de l'évêque de Laon, Gaudry, successeur de Barthélémy, un partisan acharné. C'était un allié tout
trouvé. De plus, les habitants de la ville n'étaient pas insensibles aux propos
audacieux des nouveaux intellectuels. Ils se révoltèrent, une première fois,
en 1115, contre tous les grands :
seigneur cruel, évêque simoniaque, prévôt corrompu. Le roi et les communautés
populaires vinrent mettre de l'ordre, mais il fallu attendre 1117 pour que le
pouvoir concède une charte de libertés aux habitants. Cette paix était
nécessaire car Louis le Gros voulait consolider de manière magistrale son
pouvoir royal. L'empereur germanique Henri V exerçait une pression intolérable
sur la France minuscule où son roi vivait prisonnier. Il n'avait même pas pu
être couronné à Reims et l'empereur venait de rappeler ostensiblement son
pouvoir sur la Champagne. Le roi convoqua ses fidèles dont Raoul du Vermandois
comptait parmi les meilleurs et les milices populaires à Saint- Denis . Avec
l'oriflamme de Saint-Denis et les bannières provinciales, la troupe attaqua
l'Empereur sur les coteaux de Champagne au cri de
"Mont-Joie-Saint-Denis" exprimant en raccourci, la direction à
suivre, la conduite à tenir et le signe de ralliement. La victoire sur l'empereur
consacra le cri qui devint une formule magique pour les soldats combattants
sous la bannière fleur de lysée. Thomas de Marle, réfugié dans son château de
Coucy, restait à éliminer pour éradiquer les vassaux insoumis. La bataille eut
lieu en 1130. Les troupes royales, Raoul du Vermandois, Odon II de Ham dit
Pied-de-loup entreprirent le siège. On
dit que c'est Raoul qui blessa gravement Thomas. La charité imposait de ne pas
achever un chevalier, il fut fait prisonnier et acheminé à l'école de médecine
de Laon. La médecine du temps se chargea d'abréger sa survie. Le seigneur du Vermandois, qui résidait le
plus souvent à Péronne et souvent à Crépy en Valois, n'avait plus grand chose à
craindre et son roi non plus. Les normands, les Flamands, et beaucoup d'autres puissances
attendaient sans doute leur heure mais Louis avait nommé Raoul comme sénéchal
de France et les autres avaient vite compris qu'il valait mieux se tenir coi. L' aura royale reprenait des couleurs. Louis
fit venir le pape Innocent II pour
sacrer son fils Louis VII le jeune. Innocent II séjourna à Crépy au château de
Raoul. Il y rencontra donc l'épouse de notre seigneur, du moins sa dernière
Adélaide de Guyenne qui était la propre soeur du Roi. Le Vermandois était bien
alors l'ainée des filles de France et lorsque le roi repartit en croisade, il
confia son armée à Raoul, c'était bien la plus grande marque de confiance qu'il
pouvait donner à celui qui avait perdu
un oeil pour lui. Raoul et le roi Louis VI sont peu évoqués
dans l'histoire officielle qui se contente d'insister sur la faiblesse de la
France face aux puissances montantes que sont l'Angleterre, l'Allemagne et
l'Espagne. Mais s'appuyant sur une population cultivée,
des milices populaires et une grande confiance dans la vaillance physique de
ses chefs, la monarchie et la France n'étaient pas affaiblies. Innocent II, qui
n'était pas naïf , l'avait pressenti . La France savait, comme le Phénix,
renaître de ses cendres.
Raoul II et Philippe d'Alsace.
Deux siècles après l'époque héroïque où Herbert II, sire du Vermandois séquestrait
l'empereur Charles III, la famille avait des liens avec les plus grandes
lignées de l'Europe. Les fils de ce seigneur avaient recueilli des terres
proches , Troyes, Meaux, Châlons, Beaune, Amiens et Hugues, l'évêché de Reims.
Ce prolifique seigneur, me direz-vous, devait avoir aussi des filles ?.
Deux, en effet, vécurent. Alix épousa Arnoul
Ier le Grand, Comte des Flandres qui gouverna cette importante province voisine
de 918 à 964 et fut l'une des mères de cette importante lignée. La seconde fille ne se maria pas au loin, non
plus, mais opta pour les rives ensoleillées de la Loire. Elle épousa Thibaud
Ier, comte de Tours, Blois et Chartres. Sa descendance dut garder une
nostalgie des provinces du septentrion et s'employa à remonter vers la
Champagne au grand déplaisir du roi de France. Quoi qu'il en soit, son arrière
petit fils Thibaud III récupéra la Champagne, tout en mariant son fils à la
fille de Guillaume le conquérant. Leutrade figurait comme ancêtre vénérable
pour la Champagne et l'Angleterre. En regardant la carte, apparaît une
géopolitique d'alliances complexes déjà très raffinée et assez équilibrée. La puissance de la Champagne, ses liens avec
l'Angleterre et plus tard avec la Navarre confirmaient une richesse bien connue
de nos prédécesseurs. Plus nouvelle était celle des Flandres. Cette province
humide, fangeuse et venteuse semblait profiter avec retard des premières
abbayes riches de Saint-Riquier, Therouanne et Saint-Omer et commençait
seulement à développer de manière intensive, l'élevage du mouton et de l'orge à
bière. Ces productions de pays pauvre trouvèrent un socle propice lorsque,
après Hastings et la conquête de l'Angleterre, les grandes voies commerciales
se mirent à traverser ce plat pays.
Pour réussir le décollage économique, les
comtes des Flandres s'appuyèrent sur l'église, le commerce et l'artisanat. Le
plus fameux de ces comtes fut Baudouin V de Lille. La métropole du Nord,
capitale des Flandres pendant un millénaire fut , en effet, sa création. Il
s'était rendu compte que son pays, tiré vers le Vermandois riche au sud-est,
l'était aussi au nord-ouest par ses échanges vers l'Angleterre. Il craignait, à
terme, la bipolarisation et imagina de construire sa capitale à mi chemin de ces
deux aimants. Lille n'était qu'un marécage et Baudouin en fit don à une
communauté ecclésiastique avec charge d'installer un lieu de culte et une zone quasiment franche pour les
négociants et artisans qui voudraient s'implanter. L'idée, on le sait, réussira
et la province en sortira renforcée. Il y a même fort à parier que ce
libéralisme d'entrepreneur d'état ait marqué de manière indélébile les
populations flamandes au plan de l'audace commerciale et de l'esprit
d'entreprise. Les grands, dans le Vermandois, comme en
Flandres, n'étaient pas que des vassaux insoumis et rebelles à l'autorité
royale comme cherche à le faire croire l'histoire de France. Ce furent aussi
des administrateurs attentifs et inspirés, souvent très appréciés du peuple. Le visionnaire Baudouin de Lille eut deux
enfants : l'aîné hérita du Hainaut et
du prénom qui sera porté six générations de suite et est devenu le prénom de
prédilection de la monarchie belge, le cadet eut la Flandre et la Frise , cette province riveraine du "Vater Rhein" dont la partie la
plus originale traverse la plaine d'Alsace.
La liaison fluviale deviendra aussi familiale lorsque Robert Ier mariera sa fille
Gertrude à Thierry d'Alsace qui deviendra comte des Flandres en 1128. La famille d'Alsace comptait parmi les
grandes références de la Chrétienté : Sainte Odile avait déjà son pélerinage et
était invoquée pour toutes les maladies des Yeux , Saint Bruno, vers l'an
mille, canonisé avait été pape sous le nom de Léon. Aussi Gertrude se confia à
son mari en bonne chrétienne, sûre de la foi de son époux. Celui-ci fut, en
effet, un époux modèle et le couple eut deux enfants: Philippe Ier dit d'Alsace
et Marguerite d'Alsace. Philippe , superbe parti, épousera la fille
aînée de Raoul-le-Grand, sénéchal du royaume, chef de l'armée. Le mariage eut
certainement lieu à Péronne ou à Noyon et les réjouissances furent certainement
nombreuses, même pour le petit peuple qui n'était jamais oublié dans les
sacrements chrétiens. Une ombre, cependant, obligea toute
l'assistance à un peu de retenue, et la raison du peu de relation de
l'évènement vient sans doute de là. Lors de son mariage, Elisabeth, bien que
l'aînée ne pouvait que souffrir en silence de la maladie de son frère Raoul II.
Affligé d'une maladie depuis son jeune âge, il végéta et mourut à 17 ans.
L'historien Henri Martin, fils de Saint-Quentin rapporte que la ferme de
Saint-Ladre, située au foubourg d'Isle est sise sur l'emplacement d'une
léproserie, fondée vers l'époque de Raoul. La lèpre faisait sa première apparition dans
notre histoire peu marquée par les maladies jusque là. Les vieux dictionnaires
prétendent qu'elle fit son apparition en France avec l'invasion romaine. La
Gaule de l'époque était un vaste territoire que seuls des soldats de
constitution robuste parvenaient à traverser au pas du légionnaire de ses
régions sud jusqu'aux nôtres, aussi le fléau s'éteignit de lui-même sous les
rigueurs du climat. Les croisades avaient été beaucoup plus perfides car les
hommes et les chevaux ignoraient tout des risques des voyages lointains et
parce qu'il ressortait du devoir de la chevalerie de ramener un malade, même
agonisant, jusqu'à sa terre natale, la lèpre tuberculeuse arriva tout soudain
sur les citoyens du 12ème siècle alors que le soldat romain, qui subissait les premières
faiblesses, était laissé au bord du chemin avec un viatique pour revoir le
soleil et y mourir. Plusieurs sites à La Fère, Péronne, Noyon,
Saint-Quentin, et même dans de petits villages remémorent ce terrible fléau qui frappa fortement les populations et
instilla dans les esprits que la terre sainte n'était pas si saine que cela. Un
mouvement de solidarité naquit à la suite de cet avant-goût de peste qui avec
l'épidémie terrible marqua un tournant dans l'histoire du monde. L'expression
de " tournant de l'histoire" ne peut être utilisée qu' avec
parcimonie car son contenu relève du subjectif, pourtant, dans cette avancée de
l'humanité qui habitait dans nos maisons et chassait sur nos terres, un
paramètre va changer : les purs peuvent revenir impurs, les francs rentrer
souillés et affaiblis, nos bannières devenir des linceuls. Le Roi Renaud de guerre revint..........
Alors que l'épopée carolingienne assimile la
défaite de Roncevaux avec panache, aucun texte épique ne parlera d'Antioche et
de Jérusalem. Seule, la nation juive continuera à souhaiter chaque année de se revoir à Sion.
Les Chrétiens d'ici verront chaque jour les lépreux et se mettront bien en tête
de passer au loin .... le plus possible. Une très petite minorité, malgré la laideur,
la puanteur et le péché, combattra le devoir d'exclusion de ces ci-devant
croisés mis en croix par eux mêmes. Cette charité semblera se mettre en place
très lentement. Et pourtant, dans les régions reculées du monde d'aujourd'hui
où sévit encore cette maladie aisément guérissable, l'organisation la mieux
structurée et la plus présente est bien l'Ordre des Chevaliers de Malte. Les premières léproseries s'avèreront des
mouroirs pour beaucoup de détracteurs
pendant de longs siècles d'obscurantisme. On peut aussi avoir une vision
positive de ces premières tentatives de gestion de ce qu' il faut bien
qualifier de vrai défi aux religions, aux sociétés, à tous et trouver admirable
que la solidarité ouvrait spontanément des restos du coeur avec toit pour la
nuit, à des époques que nos écoliers croient caractérisées par l'exploitation
de seigneurs riches et en bonne santé sur des serfs, endettés et malades. Raoul II ne décéda pas au terme d'une longue
vie, d'excès et de méchancetés, il eut en partage la léproserie et connut la
réclusion pour mourir à 17 ans. C'est sa soeur ainée Elisabeth, qui récupéra
la seigneurie de Péronne et du Vermandois et, étant marié au Flamand Philippe
d'Alsace, ce dernier devint le chef de nos cités, terres et forêts, de nos
églises et de nos châteaux. Cette transition s'effectuait en l'an 1167.
Elisabeth n'aura pas d'enfant et à sa mort, le fief revint à sa soeur Eléonore.
Celle-ci sera aussi sans descendance, si bien que les descendants de Philippe
d'Alsace revendiquèrent le Vermandois. Dans cette requête légitime, le propre
filleul de Philippe d'Alsace avait des prétentions. Après tout, il tenait de
son parrain son prénom Philippe et de l'origine de Saint-Quentin, son surnom,
Auguste.      
Philippe Auguste troublera un peu la
dévolution entre les familles directes, en bafouant sans doute le respect qu'il
devait à celui qui fut, pendant son enfance, son tuteur moral, mais il avait
assimilé une leçon : le Roi a d'abord besoin d'une assise sûre, de soldats,
d'agriculteurs, de chevaux, de blés, d'épées et des forteresses existantes. En
annexant le Vermandois aux terres royales d'Ile de France, le roi commettait
une fellonie mais il n'aimait guère ses cousins flamands, ni personne et
Philippe était de la trempe de Jules
César, calculateur et politique. Il achetait une région prospère en promettant
simplement de maintenir les droits et privilèges des communes et communautés.
La frontière avec les terres d'Empire, le fort de Péronne, celui d'Athies, les
abbayes et le fisc annuel comportaient quelques atouts. La France assimilait
notre comté qui devenait terre du Royaume et nous, ses habitants, prenions la
nationalité françoise . Jusqu'à la Révolution, les rois de France respecteront
les écrits d'avant. Six siècles durant, le charte de Saint-Quentin sera
l'écrit constitutif des habitants de la commune, relisons-le ici dans sa
version confirmative de Philippe Auguste :
I:- Sachent ceux présents et à venir que nous
avons accordé et fait jurer en notre nom de garder et de maintenir
inviolablement dès que le comté du Vermandois sera en notre possession, les us
et coutumes dont les habitants de Saint-Quentin jouissaient du temps de Raoul
et de ses prédécesseurs sans préjudice néanmoins de l'obéissance et délité qui
nous est due comme souverain et du respect qui est dû à l'Eglise de
Saint-Quentin comme épiscopale et à cause de sa juridiction de chrétienté.
II:-De même tous les pairs du Vermandois et
grands personnages du Comté ont juré de l'observer, les clercs, sauf le
privilège de leur ordre, les chevaliers, sauf le fidélité due au comte comme
souverain.
III:- Les habitants de la commune ont la
liberté de leurs biens ; aucune réclamation ne peut être faite si ce n'est par
jugement des échevins...
VI:-La commune ne pourra exercer la justice
hors de la banlieue, mais dans ses limites, elle l'exercera telle qu'elle le
devra...
VII:- Si un étranger ayant commis un meurtre,
un vol ou un rapt, se réfugie dans la ville, il pourra être arrêté par notre
officier de justice en quelque lieu de la ville qu'il soit.
VIII:- Un étranger peut se faire incorporer
dans la commune à moins qu'il ne soit de nos hommes ou serfs.
IX:- Nos francs hommes pourront s'établir
dans la commune, sauf à payer, au seigneur abandonné, le droit personnel, ou
par ceux qui ne sont pas attachés à la glèbe.
XI:- Un délit constaté et dont la plainte est
faite en présence des mayeurs et jurés, entraîne la démolition de la maison du
malfaiteur ou le rachat si les mayeurs et les échevins le veulent ; la rançon
est employée à entretenir les fortifications de la ville.
XIV:- Si quelqu'un forfait à la commune, le
mayeur peut le sommer de paraître en justice ; s'il ne se présente pas, il peut
être banni ; et sa maison démolie, même dans la banlieue par les mayeurs et les
gens de la ville.
XV:- Tout habitant peut être cité partout où
il est rencontré seulement de jour. Si quelqu'un meurt, possédant quelque
tenure, le mayeur et les jurés doivent mettre aussitôt les héritiers en
possession ; ensuite, s'il y a procès, la cause sera débattue.
XVI:- Tous les procès doivent se terminer
dans l'enceinte de la ville de Saint Quentin.
XXIV:-Il sera payé pour l'entretien des
chaussées de la ville, une obole par voiture de 2 chevaux non ferrés, et un
denier quand ils seront ferrés; le double pour une voiture de quatre chevaux.
XXV:- Un homme étranger est sauf de ce qu'il
apporte; mais ce qu'il laisse appartient au seigneur délaissé pourvu qu'il en
ait disposé comme il doit à son seigneur...
XXXVIII:- Au premier ordre, la commune se
rendra à notre armée; ceux en armes ne seront tenus de comparaître en justice
depuis l'ordre donné.
XlV:- Nous ne pouvons ordonner la refonte des
monnaies sans le consentement du mayeur et des jurés.
LVII:-Nous ne pouvons mettre ni bans, ni
assises de deniers sur les propriétés des bourgeois.
LIX:-Les gens de la ville peuvent moudre leur
blé et cuire le pain où ils le veulent.
LX:-Le mayeur et les jurés peuvent, s'ils ont
besoin d'argent pour la ville, lever un impôt sur les héritages et l'avoir des
bourgeois et sur toutes les ventes et profits en ville.
Ce texte anticipe toutes les
chartes qui fleuriront alentour : Reims en 1139, Amiens, Compiègne, Noyon et le
Vermandois, dont la commune de Saint-Quentin devenait le phare en inaugurant
l'ère nouvelle. Celle-ci a produit les cathédrales gothiques, les forts et
châteaux et les joyaux de notre civilisation. Dans l'arrière plan de cette
réussite, travaillaient les paysans depuis toujours, les clercs, maintenant
astreints au célibat et à la pauvreté, des villageois soucieux de respect, des étrangers
nombreux dont notre charte rappelle l'existence. L'homme n'accède pas, comme
dans le mécanisme révolutionnaire, au pouvoir. Il offre sa force de
travail, se voit reconnaître les droits sur les fruits de ses entreprises et
donne en gage, pour ses actions, sa maison. Ce contrat qui donnait comme
sécurité, pour tous, les propres biens de nos parents aura une singulière
destinée puisque toutes les pierres dressées du pays seront jetées au sol autant par des envahisseurs que par des
alliés. Nos pères admettaient cette sanction au nom de la justice.........
L'auraient-ils supportée de causes injustes ?
Bouvines, le XIIème Siècle.
S'étirant sur près d'un millénaire, le
moyen-âge demeure toujours une pomme de discorde au sein de la communauté
nationale. Encore aujourd'hui, le clivage politique se trace entre ceux qui,
héritiers de Jules Ferry, considèrent
cette époque comme un long calvaire et les héritiers de Michelet qui y voit
notre âge d'or. Quelque chose de notre culture baigne dans une appréciation
inconsciente et déterminante, déchirant, à tout jamais, notre communauté en
deux. L'ignorance, comme le disait déjà Pascal, est
la chose la mieux partagée car cette longue période recèle autant de sublime
que d'infâme, autant d'admirable que de détestable et pourtant les
présentations les plus objectives ne rallieront jamais les opinions des adeptes
des deux camps. L'idéologie, qui est une manière dogmatique de parler de
l'histoire semble, aussi, être née en ces temps obscurs et y avoir laissé son empreinte.
"Bon fut le siècle, au temps des
anciens, on
y trouvait foi, justice et amour croyance aussi, dont il reste bien peu ; et
si changé, perdu a sa valeur....... De
tout en tout se vont affaiblissant; la
foi du siècle va tout défaillant ; Frêle est la vie, ne durera longtemps. "
Les premiers poèmes de la langue française
portent aussi le sceau d'une certaine nostalgie historique. En ce milieu du
douzième, ce texte annonce déjà cette sinistrose que certains croient être un
mal moderne et hexagonal. Il porte le
poinçon de ce fond de morosité que les Celtes ont, paraît-il, légué aux
habitants de notre pays mais révèle des préoccupations nouvelles.
Le consensus va s'étiolant et la coupure se
dessine. Les chevaliers, seigneurs, chrétiens d'observance
et de façade, recherchent dans les querelles une justification à leur privilège
de porter les armes. Les serfs accèdent au statut de manant qui n'est que la
liberté de fuir, si les choses tournent mal. Rien de plus ne leur sera alloué
par la religion du salut. L'Eglise, dans ce monde qui va construire le
Mont-Saint-Michel, les cathédrales d'Amiens, Reims, Noyon, Soissons, Beauvais,
Paris, Chartres, devient malade. La vision du monde ne sera plus unanimiste.
Le Gaulois, robuste, franc et paillard donnera une progéniture faite de
pessimistes, frileux, épargnants, administrés et aussi de sceptiques, pragmatiques, rebelles. Heureusement, l'héritage
était colossal et les trois cents
fromages existaient déjà....... rendant le Français, à tout jamais, difficile à
comprendre pour un étranger. La France, n'existait pas encore, me
direz-vous ! Le domaine royal, hérité par Louis VII,
n'était qu'une langue étroite de terres allant de Noyon à Orléans, surnageant
au dessus de domaines beaucoup plus étendus à la manière d'une île. Son père
avait ferraillé ferme avec l'appui du comte du Vermandois, pour éloigner Marle
et Puiset qui menaçaient Laon et Troyes. Louis VII, parce que l'Angleterre, la
Normandie, l'Aquitaine sont devenues les provinces riches, est marié avant la
mort de son père à Aliénor d'Aquitaine. Pour la jeune fille, c'est presqu'une
mésalliance. Le roi de France est un rustaud marié à une bordelaise. Paris est
un cloaque alors que Saint-Emilion a été chanté par le poète latin Ausone, et fournit le meilleur vin du monde et les
esprits les plus subtils. Ce sera le début tragique d'une saga
infernale. Le mariage durera de 1137 à 1152, années pendant lesquelles le jeune
roi aura plus à faire qu'à s'occuper de sa diablesse de femme. Mais Louis est
un pieux, prompt à l'assaut mais pas bon au lit. Il combattra d'abord Etienne
de Blois qui était le successeur de la couronne anglaise pour remettre la
Normandie au duc d'Anjou, Henri Plantagenêts d'Angers. Puis, sur l'insistance
de saint Bernard, il rejoindra la grande Croisade avec Conrad d'Allemagne. Ce
qui aurait dû être une promenade en pays conquis, butera sur la perfidie des
Grecs, pourtant chrétiens, et sur le constat d'adultère d'Aliénor, sans doute
les chaleurs d'Orient ! Louis sera trop bon, car au concile de Beaugency sur
Loire, il est pressé d'en finir avec cette galante et pour faire annuler son
mariage plus rapidement, il accepte de restituer à la dame de Bordeaux ses
comtés de Guyenne et Poitou, un bon quart du pays en somme. Ce
divorce à l'amiable fut, vraisemblablement, forcé car la dame placera son
existence postérieure sous le signe de la vengeance et de la haine féminine.
Elle épousera Henri II Plantagenêts et le servira fidèlement comme souveraine
d'Angleterre toutes les fois qu'il faudra pour rabaisser le roitelet naïf. Dans
cette lutte, ses propres enfants seront aussi retors qu'elle, ce qui fera la
matière de nombreux romans anglais qui aiment, par dessus tout, les intrigues
fourbes et perfides et du théâtre shakespearien dont l'objectif sera de
démontrer la suprématie des Anglais sur leurs ennemis, quels que soient les
moyens. Louis aura finalement un fils d'Adèle de
Champagne dont le parrain sera le seigneur du Vermandois. Philippe Auguste, à
quinze ans, contre l'avis de sa mère, épouse une certaine Isabeau du Hainault, âgée de treize ans . Philippe
d'Alsace, son parrain, avait-il manigancé l'affaire ? Certainement, mais le
filleul lié par tous les liens possibles ne sera pas docile longtemps. Philippe
Auguste, selon une disposition fréquente, n'imitera pas son père et s'inspirera
du souvenir de son aïeul : Louis le Gros. Comme lui, il partira petit et n'aura
aucun des gestes charitables de son
père. Le peut-il, pris dans sa souricière, et pressé par le clergé à faire
comme les autres un tour à Jérusalem ? Son action sera toute pragmatique mais sans
état d'âme. Le parrain, comte du Vermandois, est aussi son tuteur et le chef
des armées..Pareille tutelle risquait de briser l'échine de la monarchie. Le
Capétien connaît le talon d'Achille de Philippe d'Alsace : comte-pair de
France, sans descendance. Vite, Philippe Auguste revendique le Vermandois et
l'Artois et mobilise son ost, les milices religieuses et les communes, c'est
que son assise militaire est large. Il encercle Paris avec toutes ses troupes.
La manoeuvre est d'essence politique car Paris n'est pas hostile au roi mais
les observateurs voient bien l' ultima ratio. La commune de Paris va tomber
dans les mains du roi et grossir considérablement les effectifs armés. Aucun
des féodaux alentour ne pourrait contrer la marée de la piétaille et Philippe, l'Alsacien des Flandres, est trop
proche du suzerain, de plus, il meurt opportunément en Palestine en 1191. Pour
plier honorablement, une médiation menée par le roi d'Angleterre, Henri II
Plantagenêts et le légat du pape reconnaît Bohain, Saint-Quentin et Péronne et Ham au roi, son vivant durant.
Mais, notre sire, Eléonore, dernière fille de Raoul mourra en 1214 sans enfant.
Philippe Auguste annexera à cette date notre région au domaine royal sous
administration d'un bailli. La terre à fisc tombait depuis 1191 à pic car notre
petit roi voulait faire honneur à son rang. Faire la troisième croisade avec
Richard coeur de Lion et Frédéric Barberousse était un challenge ruineux, bien
qu'il ait fait précéder l'enrôlement d'un nouvel impôt : la dîme
sarrazine. Le roi de France se sortira honorablement de
la confrontation mais tirera mieux la leçon: les croisades ne servent à rien ;
les Anglais comme les Allemands sont des fastueux alors que lui n'a que le
moyen d'être vertueux et habile. En butte avec Richard au coeur de Lion, avec
Jean sans terre, Baudouin des Flandres, l'empereur, tous seigneurs de larges
contrées, l'art du roi de France sera de lutter sans arrêt mais sans provoquer
la coalition des ennemis-confrères et de s'appuyer non sur ses vassaux mais
principalement sur les milices religieuses et des cités libres. La
multiplication des chartes a aussi ce petit côté pratique.
La vertu pratiquée préfigure la " raison
d'Etat " et l' exercice de la monarchie au sens plein. Les tours du
château de Péronne seront multipliées, la dîme très scrupuleusement perçue, les
évêques français respectés. Lorsque Baudouin des Flandres envahira l'Artois,
Philippe contre-attaquera mais comprendra vite qu'il vaut mieux céder et
pactiser. La seule vertu que ce roi n'aura pas, montre
à quel point la tutelle de Rome importait dans ces temps. En 1199, Philippe II
épouse Agnès, la fille du Duc de Moravie, après avoir répudié Gelberge, soeur
du roi du Danemark. Fait sans respect des formes et des usages, le pape
n'autorise pas le mariage et jette l'interdit sur le domaine royal. Tous les
clercs se trouvent, dès lors, en situation d'insoumission: ni prière, ni dîme,
ni messe, le roi est nu. La situation durera 8 mois et finalement, est-ce la
raison ou le démon de midi ?, Philippe rappellera Gelberge à ses fonctions. L'anguille royale saura aussi faire de
l'extorsion de fonds sur la communauté juive, des marchandages avec les grands,
mille petites et grandes vilenies et restera pourtant pour toujours le
vainqueur de Bouvines. A force de lutter contre tous séparément et
de se mettre à dos l'arbitre suprême en robe papale blanche, Philippe le
combattant attisera l'union sacrée de ses ennemis. Ainsi Jean Sans Terre coalisera l'Empereur germanique Othon, le Comte de
Boulogne, les Anglais et toutes les troupes fidèles aux Plantagenêts pour aider
Baudouin des Flandres que le roi de France déteste cordialement pour avoir
échoué contre lui dans sa première tentative en Artois. L'affrontement eut lieu
à Bouvines en 1214. La
victoire, indécise jusqu'à la fin, et lieu de faits d'armes légendaires puisque
l'étendard allemand y fut volé par les Français, constitue pour l'ensemble des
historiens l'acte de naissance de la nation française. Les troupes royales rassembleront les
seigneurs et leurs troupes mais surtout
les milices communales et c'est bien d'elles que jaillira la force du triomphe.
Or, les communes et les grandes abbayes disposant d'une troupe ne sont guère
nombreuses dans le pays étriqué d'île de France. Orléans, Paris, Meaux, Rouen
et une partie de la Normandie qui viennent de rallier depuis peu le domaine, et dans cette liste pèseront , encore une
fois, lourds Compiègne,Soissons, Laon, Reims et tout le Vermandois. Pour les
habitants proches du lieu de bataille, la motivation était double: Philippe
était leur seigneur, les coalisés se réclamaient de Charlemagne et de l'église
de Rome mais oubliaient l' histoire. La milice de Saint-Quentin comprenait Gérard
de la Truie, qui perça le cheval de l'empereur et Wallon de Montigny à qui fut
confié l'oriflamme de Saint-Denis. Bouvines n'aurait pas été possible sans cette foi inexplicable d'un
peuple qui portait une espérance. Le roi récompensa la région en y mettant en
prison le comte de Salisbury, frère du roi d'Angleterre, ce qui revenait à
promettre à la ville et à son clergé, le revenu de la rançon attendue. Le règne de Philippe Auguste ne finira pas
avec la victoire de Bouvines mais nous ferons une halte en cette année 1214,
après 34 années de règne et presqu'autant d'incorporation du Vermandois dans le
domaine royal. L'inventaire de ces quelques décennies
confond tous les économistes et les
analystes: les cathédrales gothiques se mettront à pousser avec leurs clochers
vertigineux et leurs rosaces admirables, un peu en contrebas, des beffrois
symboliseront une structure nouvelle, à l'écart, les seigneurs soucieux
d'efficacité seront moins audacieux en architecture mais placeront sur chaque
butte un fort plus ou moins grossier mais toujours imprenable. La littérature et la musique laisseront moins
de traces visibles et pourtant formeront le véritable terreau de notre culture. Cette évocation dithyrambique oublie qu'il a
fallu parfois plus d'un siècle pour finir les gargouilles, les mâchicoulis, et
les carillons des campaniles et que la France, à la disparition de Philippe
Auguste, ne comptait que peu des monuments que nous admirons aujourd'hui, le
dénombrement pourtant nous le prouve :la majorité de ces oeuvres admirables germeront dans les esprits et se
préfigureront dans la pierre en quelques courtes années. Avec des croisades multiples, des batailles
parfois féroces des grands, des problèmes insolubles de dévolution, les Francs
vont devenir maçons et construire des merveilles, comme si tous les troubles du
monde n'étaient rien que des motifs risibles à caricaturer dans les voussures
de pierre et que la vie humaine au service de l'esprit donnait un sens à tout,
jusqu'à la matière. Il faut regarder les cathédrales en oubliant
toutes les balivernes que les éducateurs et même les curés diffusent et
toujours considérer le travail des bâtisseurs et le rôle de la pierre d'angle. La plus profonde sagesse réside dans la
boutade du graveur de pierre à qui l'on demandait ce qu'il faisait. L'un répondit qu'il travaillait la pierre,
l'autre, qu'il gagnait son pain et le dernier dit qu'il construisait une
cathédrale !
Toutes nos vies hésitent entre ces trois
options. Nos prédécesseurs nous donnent une réponse éclatante: ni le travail,
ni l'argent ne sont des fins, jamais, nulle part !
Les croisades, les Cathédrales, les écrivains, les
sciences .
Notre cheminement dans l'histoire est un exercice littéraire que le cinéma et
l'imagerie virtuelle enrichissent pour peu que le lecteur fasse la plongée dans
la re-création du passé. En arrière-plan, les lignes du paysage sont les mêmes que celles que nous voyons tous les jours. Au
premier-plan, à l'exception des silos, ce sont les églises qui invitent à
l'entrée concrète dans les 12 et 13 èmes siècles. La majorité de ces bâtiments
sont de reconstruction récente mais les volumes sont proches de ceux des
bâtisses des siècles anciens. Rares sont les hommes qui justifient et défendent
de tels édifices pour la société contemporaine ! Ce doit être un pied de nez d' ancêtres espiègles, car,
comme Nostradamus fera des prédictions ésotériques jusqu'à nos années de fin du
20ème siècle, les églises ne peuvent pas avoir été érigées pour un autre but
que de nous intriguer encore et toujours. A la basilique de Saint-Quentin, sur le sol,
un labyrinthe force l'oeil à chercher l'issue d'un entrelacs inextricable. Les
rosaces ne se retrouvent nulle part sur les façades des maisons à colombages,
sur les beffrois et sur aucun palais latin ou grec. L'aventure de l'architecture est
indissociable des croisades car elle donne à la spiritualité de l'époque une
dimension verticale en compensation d'une dimension horizontale entravée. Après la première croisade de Bernard
l'Ermite, notre concitoyen picard, la seconde rassembla en 1147 le roi de
France et l'empereur d'Allemagne. La troisième conduisit notre sire Philippe
Auguste, Richard Coeur de Lion et Frédéric Barberousse , certes, à Jérusalem,
mais aussi à se détester dès le retour.. En 1202, l'Empereur d'Allemagne
partira avec ses seigneurs sous la pressante recommandation du pape qui veut
éloigner Henri IV des tentations des investitures . En 1212, l'Europe centrale
fraîchement christianisée se joindra au convoi. Cette même année, partira de la Somme ou de
l'Oise la croisade des enfants. Les légendes racontent que des enfants partirent en bandes vers la terre sainte et
furent pris par les barbaresques et vendus comme esclaves. Certains pensent que
la cohorte se disloqua bien avant d'atteindre les côtes de la Méditerranée. La
fin de cette pieuse aventure dut toutefois toucher les esprits car les énergies
se démultiplieront sur notre sol non plus pour partir mais bien pour fixer Dieu
chez nous. Et Dieu est lumière... Pour que les églises cessent d'être des forts
obscurs, la lumière devra traverser la pierre et transpercer la muraille. La
rosace s'imposait à l'architecte et petit à petit va entraîner un formidable
pas en avant des bâtisseurs. La première rosace apparut sur la basilique
des rois à Saint Denis vers 1144. L'arc était encore en plein cintre, roman.
Saint Rémi de Reims aura la sienne en 1162. A Noyon, la rosace apparaîtra en
1186, à Laon en 1223, enfin à Notre
Dame de Paris en 1245. La rosace ne figurait au départ que sur la façade mais
l'effet magique l'attirera vite près du transept, de même qu'il faudra la
placer toujours plus haut. L'histoire des cathédrales gothiques est bien celle
d'un pari fou qui s'achèvera à Beauvais et à Strasbourg. Pour monter, la voûte
deviendra ogive et l'arc gothique sera de plus en plus pointu. Les cathédrales de France naîtront ainsi de
l'exaltation des évêques, de la richesse des trésoreries des chapitres, et des
risques du pèlerinage lointain. L'épopée du gothique à arc brisé commence à
Chartres, Reims, Saint-Quentin , Amiens vers les années 1210. Les constructions
dureront de 20 à 50 années. Celle de Beauvais sera achevée en 1272, mais les parties hautes s'effondreront peu après (
1284). L' avertissement fut sévère et bien d'autres
inquiétudes occupaient le monde et les évêchés. La dynastie capétienne directe vivait ses
dernières années et l'Eglise était atteinte d'un mal terrible, qui va la
discréditer, depuis l'institution de l'inquisition en 1194.Pourtant de ce siècle, commencé par le triomphe
de nos milices à Bouvines et qui fera sortir de terre la basilique de
Saint-Quentin, nous retiendrons cette journée de 1257, où Saint Louis viendra à
Saint-Quentin inaugurer la collégiale que nous voyons encore aujourd'hui de
toutes les buttes dominantes de la région. On dit qu'il séjourna plusieurs
jours, heureux de pouvoir prier son saint patron. Mais quel était donc le saint
patron d'un saint lui-même : Quentin, Clovis, Cassien ou Victorice ? Ces deux
derniers furent transportés dans la crypte de la cathédrale, ce même jour.
Clovis n'accéda pas à la canonisation qui fut accordée à Clotilde mais pour les
rois de France, il était bien le saint patron et Saint- Quentin était le lieu
mythique de la terre de France où ce fondateur, en passant, avait changé le
monde avec l'aide de saint Médard et de saint Rémi. Les rois n'entretenaient pas une vénération
du passé en marge des bulles du Pape pour rien : la foi dans ses propres
convictions est, plus que tout autre, l'apanage des peuples libres et des
monarques éclairés. La course au gigantisme qui élèvera la voûte de 35 m à Paris, à
37.95 à Reims, 42.30 à Amiens et 48 à Beauvais gratifiera le Vermandois d'un
très honorable 43 m, mais quels furent les vestiges des croisades, me direz-vous
?
Aujourd' hui encore, le pèlerinage du diocèse
est à Liesse. On y vénère une statuette de vierge mauresque à l'origine
douteuse. Sans mettre en question la foi des pèlerins, cette vénération ne
s'explique que par le traumatisme subi par les chrétiens du temps et par une
habile récupération de l'Eglise : sans mettre en danger les récoltes, les dîmes
et décimes et toutes les corvées et taxes, Liesse se substituait à une
promenade hasardeuse qui ne rapportait rien ! Parmi d'autres vestiges, nous mentionnons
aussi le village de Frières-Faillouel. Frières est la forme françisée de
fratrie et rappelle que le lieu fut crée par des frères pèlerins revenus au
pays après de nombreuses années et souhaitant vivre en communauté. Leur maison
deviendra un village. Mais la Palestine et le ciel sont loin, alors
que deux nouveaux dragons pointent le nez tout près. Ceux-là nous
accompagneront maintenant en permanence : l'Angleterre et l'Allemagne. Parce qu'elle fut notre première ennemie et
parce que la brouille fut une histoire de femme, la méfiance a toujours dominé dans les rapports entre les deux
peuples. La "perfide Albion" sera toujours ce peuple incapable de
parler notre langue, jaloux et joueur qui posera problème et placera Gisors aux
portes de Paris . Après Aliénor d'Aquitaine qui changera de lit royal, Philippe
Auguste et les milices du Vermandois tenaient par la victoire de Bouvines d'une
part un droit de suite et, de l'autre, un otage en la personne du frère du roi.
Sur le continent , les Plantagenets, c'est à dire Jean Sans Terre, puisque Richard
Coeur de Lion est mort, avaient déjà essuyé une défaite en voulant conquérir le
Poitou que Louis VIII le Lion encore prince héritier reprendra. Avec Bouvines,
la coupe sera pleine et les barons anglais, las des querelles continentales
demanderont la "grande Charte", copie dénaturée de celles des cités
de chez nous. Les barons voulaient surtout ne pas avoir à traverser le
"Chanel " pour des vétilles et revendiquaient, sur le continent, les
fruits du pillage. Mécontents, les barons appelleront Louis de France
pour le faire Roi . En 1217, Louis a hâte de régner et il saute sur l'occasion
comme sur le premier bateau. Londres,
les barons et les petites anglaises, à l'instar d'aujourd'hui, ne méritaient
qu'une courte visite. Il repassa en France pour l'hiver et aussitôt, une
révolution de palais réinstalla Henri III, fils de Jean Sans Terre. Aux
premières tulipes, Louis repart conquérir sa couronne mais tombe dans un
guet-apens. Le jeune Henri III réfléchit : réclamer une
rançon, c'est provoquer la France et déclarer la guerre que les barons ne
veulent pas. Ne pas la réclamer, ne serait pas anglais ! Finalement, averti de
la faiblesse des finances françaises, il accordera à Louis une prime de départ
de 10000 marcs d'or. Louis le Lion acceptera le cadeau et quittera les rives
insalubres de la Tamise. Dans le calcul du Français, il y avait le projet tacite de renflouer la caisse pour
reprendre les domaines des Plantagenet en France.
Des acquisitions d'abord, Boulogne, Montreuil, Clermont en Beauvaisis puis des batailles vont réapparaître :
Chinon, Fougères, Saintes. A cette dernière, en 1242, le roi d'Angleterre va
perdre son trésor et Louis IX faire la bonne affaire. La fin de son règne sera, de ce fait, plus paisible. Il pourra
inaugurer la collégiale de Saint-Quentin et y remercier son saint patron et
finir son règne au pied de son chêne de Poissy. La trêve dura un peu plus
longtemps que d'habitude et Saint Louis commencera l'édification de Carcassonne
et multipliera les châteaux dans la province de Guyenne devenue vassale du roi
de France. L'Allemagne, n'avait de Reich que le nom.
Othon avait été battu à Bouvines et le sentiment national, n'existant pas, n'en
souffrit guère. L'évènement sonnera toutefois comme les cloches de l'angélus.
Il était temps de s'éloigner des palais de marbre d'Italie où les querelles
florentines et les cachotteries papales remplissaient l'ordre du jour. Heureusement, les grandes familles électrices de
la diète s'opposeront encore longtemps, mais déjà la "bulle d'or",
qui sera de 1356 jusqu'en 1806 le texte de base de l'Empire allemand, naît dans
les imaginations. Une grande famille de notre région y participera directement
: la famille des Luxembourg. L'inventaire du monde laissait au royaume de
France une carte maîtresse à jouer ; les seigneurs français tenaient les lieux
saints, les anglais se repliaient sur leurs positions, les germains se
cherchaient, le trésor français venaient de faire bonne fortune. La prospérité,
fille de la paix pouvait frapper de sa baguette nos villes et nos campagnes.
Les cathédrales repoussaient d'années en années les limites du possible. Deux
éléments sont encore à mettre sur la liste, parce qu'ils expriment mieux que
tout l'évolution des esprits : les oeuvres écrites et les découvertes des sciences. Le mouvement des communes et les étudiants
canalisaient un sang neuf et un esprit nouveau. Loin du pouvoir, l'expression
populaire trouva dans le théâtre des places et des parvis son lieu de
communication. A la Fère, dotée d'une abbaye et depuis 1207
d'uns charte, accordée par Enguerrand de Coucy contre une rente perpétuelle
annuelle de 100 livres parisis ( bien utile pour l'agrandissement du château)
Jean de la Fère sera l'un des premiers romanciers français. Il est l'auteur du
" riche homme et du ladre". Le
thème même introduit tout Balzac, Dumas et une bonne moitié de la littérature
américaine. La première pièce de théâtre vraiment
française est en picard et fut jouée à Arras en 1276. Sa lecture est un
ravissement car tout le peuple de ce temps évolue, parle et bouge de la manière
la plus authentique. Le moine, intéressé par l'argent et porteur
de reliques, le tavernier, le riquier, c'est-à-dire le riche, le médecin bien
sûr ignare, le fou, les fées venues de l'époque celtique et le clerc Adam qui
veut poursuivre ses études à Paris, les personnages vivent par eux mêmes et, ce
n'est pas une savante construction dramatique qui structure le jeu théâtral. Ce
n'en est que plus savoureux et merveilleux de fraîcheur.
N'entend-on pas, Gillot vantant la femme de
Mathieu l'Anstier de " s'aider des ongles et des doigts contre le bailli
du Vermandois " ! Et combien sont comiques les lamentations des clercs qui
risquent de perdre leurs rentes s'ils se remarient ( la " bigamie"
des clercs était toute théologique puisqu'ils étaient veufs. Ce qui était
choquant, c'était qu'ils reprenaient toujours épouses parmi les plus jeunes
beautés du pays.)
A la fin du " Jeu de la Feuillée",
les dernières tirades sont écrites en picard. On ne s'étonnera donc pas que
cette pièce n'ait jamais été enseignée dans les écoles de nos arrondissements
où il serait plus vite compris et apprécié qu'au collège de France. Ce faisant,
l'Education Nationale, nous prive de notre seule thérapie authentique: notre
rire.
Ecoutons le moine de Jean Bodel né vers 1165
et mort lépreux vers 1210 annonçant l'heure de la séparation et la fin de la
représentation.
" Je ne fach point de mon preu chi (preu: profit) puis ke les gens en vont ensi
n'il n'i a mais fors baisseletes (baisseletes
: filles) enfans et garconnallles. Or fai (garconnailles : groupe de garçons)
s'en irons; à Saint Nicolai commenche a sonner des cloketes ".
Dans l'oeuvre de Jean Bodel, il faut aussi
mentionner son poème de " congé ", où il fait ses adieux à ses amis
et leur demande de lui obtenir une place dans une léproserie. Le scribe
s'effacait devant l'homme de lettres. Le trouvère s'adressait à l'humanité de
manière personnelle et pathétique. Avec Jean de la Fère et Jean Bodel, un esprit
nouveau soufflait qui révèle, plus que tout, l' humanité de nos prédécesseurs
du 13 ème ; pourtant le savoir en général, les sciences et les techniques
demeuraient bien réduits. Il était surtout confidentiel et mal vu à la
cour. L'Eglise admettait que les corporations possédassent des techniques architecturales, chimiques,
sidérurgiques mais freinaient la synthèse et l'analyse scientifique. La foi chrétienne n'avait pas encore atteint
toutes les couches de la société, pouvait-on laisser s'infiltrer le doute?. Il viendra, malgré les préventions, quand
même !
L'inquisition, les Cathares, Valdo. Saint Louis. L'Anjou et La Mafia
L'histoire est une ligne
droite en virage permanent que l'on aperçoit dans un rétroviseur, le nez plongé
dans le guidon. La relater tient de l'exploit du pilote dont l'attention
surveille autant le poids lourd à dépasser que le bolide encore minuscule qui
se rapproche et déjà domine la chaussée. En ce treizième siècle que l'on
retient souvent comme celui de saint Louis alors que son règne dura 44 ans, la
religion et le moyen-âge sont présentés comme triomphants. Si tel avait été le
cas, notre région aimée du roi aurait sans doute témoigné une plus grande spiritualité religieuse au long des
siècles, or le Vermandois sera encore largement considéré au XIX ème siècle et
encore plus maintenant comme une terre de mission, largement déchristianisée.
Des évènements lointains et
sous-estimés cependant l'expliquent . L'arianisme n'a, sans doute,
qu' effleuré le Nord de la Seine mais
avait été dominant en Bourgogne, Auvergne et dans le Sud-Ouest de la France,
laissant derrière lui un sentiment mitigé sur les dogmes de trinité divine et
du Christ, fils de Dieu et Dieu lui-même. Le voisinage avec l'Islam et avec les
communautés juives tant au Moyen-Orient qu'en Espagne sans remettre en cause la
supériorité de la Chrétienté instilla des motifs de scepticisme chez beaucoup
de lettrés comme chez les gens honnêtes et aussi chez tous les nombreux révoltés par l'opulence de l'Eglise
et par sa compromission avec le pouvoir. L'origine du mouvement
cathare est souvent placée dans une généalogie sulfureuse et hérétique très
sophistiquée. Nous la placerons plus simplement au coeur même d'une société
ouverte comme celle d'aujourd'hui où les sectes pullulent et en désarroi face à
son avenir. La doctrine religieuse cathare s'inspire de certaines hérésies bien
que ces points soient encore
controversés mais c'est surtout l'institution qui détonne: église sans
hiérarchie qui rejette les ajouts de Rome et veut retrouver la pureté
originelle, dogme qui place le péché dans l'amour du monde et ose bénir la révolte, croyance dans le salut
individuel. Les temps n'étaient pas
encore mûrs et la chrétienté, relayée
par la force des chevaliers bardés de fer de nos régions, ne cherchera pas à
comprendre au delà du crime de lèse-majesté. La répression dans laquelle
nombre de grands chevaliers se salirent est tristement célèbre du côté de Montségur, d'Albi, Lavaur et de nombreuses cités du domaine des rois wisigoths
ariens. Le pire, pourtant, dépasse l'atroce et l'arbitraire. L'esprit humain
admet la violence brutale comme un résidu de l'humanité mais ne tolérera jamais la torture des idées et des
croyances. Or en 1184, un Pape italien, nommé après une décennie de
décomposition de la papauté, recherche un moyen de réimposer sa présence et de
conforter sa place devant l'empereur du Reich. Celui qui domine l'Allemagne
s'appelle Frédéric Barberousse et est un germanique caractéristique : presqu'
illettré, son modèle est bien sûr Charlemagne et ses droits sont à l'aune de
ses forces. L'entente de ces deux hommes
donnera le pire des poisons de la Chrétienté: l'inquisition. Les musulmans usaient
efficacement d'une loi miséricordieuse pour les fidèles et des lois de la
barbarie pour les autres. Pourquoi ne pas s'en inspirer ? Le châtiment corporel
fut donc admis pour les hérétiques ainsi que pour ceux coupables de
trahison. Du châtiment à l'aveu forcé, il
n'y a que ce fil ténu qui sépare la torture et la sanction. Au départ, cette parodie de
justice permettra des condamnations bénignes comme la flagellation ou la sanction-pélerinage. Très vite
s'ajouteront de réelles abominations: la confiscation des biens, la destruction
des maisons, la mort sur le bûcher. Cette dernière s'inspirait
de la vieille lubie de la purification par le feu et punissait les coupables de
relapses ; c'est-à-dire ceux qui reniaient une religion même fraîchement
adoptée ou imposée. S'appuyant sur ces textes, quatre siècles plus tard, Jeanne
d'Arc, qui n'était pas suspecte de désobéissance à Rome, pas plus que de
sorcellerie, fût brulée vive à Rouen. La répression sur les
Cathares et sur les Albigeois sera l'ignominie qui provoquera des hauts le
coeur chez nombre de croyants. Bientôt des esprits s'élèveront à Genève (Pierre
Valdo vers 1200 ), en Angleterre( John Wyclif), à Prague (Jean Hus) pour sortir
de l'Eglise de Rome et de son erreur. Dans ce monde confronté à
l'obéissance aux dogmes et à la justice, des voies divergentes creuseront des
abîmes profonds entre les peuples.
L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne opteront pour la justice expéditive.
L'Angleterre, pour des histoires de femme, choisira de faire taire le défenseur
de l'autorité du pape, Thomas Beckett, et s'orientera vers une justice
pragmatique. La France eut, dans ce domaine aussi, une destinée moyenne. Saint
Louis connaissait Frédéric Barberousse et les monarques d'Angleterre. Il
n'ignorait pas que son aïeul Philippe Auguste s'était attiré les foudres de la
papauté. Riche et bien considéré par ses voisins, Saint Louis se pencha sur la
pratique de la justice. Malgré l'onction , le roi ne pouvait " dire le
droit" infailliblement; Louis
consultera les avis les plus éclairés du temps parmi lesquels Pierre de Fontaines,
bailli du Vermandois et natif de la région, faisait autorité. Ce jurisconsulte
ne pouvait s'être vu confiée la charge de notre région sans la compétence ni la
confiance intime du souverain. Il utilisera, lui-même, le mot fort d'amitié dans un écrit paru en 1253 intitulé
"Conseil que Pierre de Fontaines donna à un ami ". Le roi ne s'estima
pas outragé par l'outrecuidance d'un sujet qui osait lui donner un conseil
d'ami ; le dialogue social et l'amitié se pratiquaient vraiment en ce siècle d'or......,
aussi, en 1254, le roi chargera le Parlement de la mission auparavant
régalienne de dire le droit. Le sire de Joinville, historien de la cour, dit de
lui que le roi s'en servait pour " ouir les plaids de la porte, pour
recevoir les requêtes et faire droits aux parties". A coté d'une fontaine
de sagesse et au pied de son chêne, Louis IX créa ainsi la justice
contradictoire où l'accusé avait droit à une défense . Il limita aussi les
pouvoirs des baillis sur le domaine royal. La canonisation de Saint
Louis en 1297 consacrait un homme, bien imparfait à beaucoup d'égards, un pays, le Royaume de France, encore petit
sur la carte, et surtout un système : la primauté du droit. Le monde ancien véhiculait
encore des légendes tenaces qui reposaient, on peut le penser, sur des faits
divers réels. Ainsi, la chronique rapporte qu'en ces siècles d'apogée, le
village du Fayet fut le théâtre d'un acte de sauvagerie sordide. Rollon II, le
seigneur du Fayet, avait fait un mariage envié avec Gabrielle de Vergy, belle
pomme de l'Est bourguignon. De moindre culture qu'elle et plus intéressé par la
chasse et la vie au grand air, Rollon sera trahi par la belle qui sera séduite
par Raoul de Coucy, forte personnalité qui se moquait des rois et des princes
et sera même un peu artiste, poète et musicien. Les temps n'étaient pas tout à
fait prêt pour le Roman de la Rose. Rollon, dit-on, tua le prétendant, lui
arracha le coeur et le fit manger à l'infidèle. Cinquante années après
l'évènement, cela ne sera plus possible. La justice royale et la justice de
l'Eglise se seront dotées de moyens qui permettront d'espérer en des lendemains
meilleurs. Cet espoir perpétuel de l'humanité sera, à nouveau, ici comme
ailleurs, déjoué par des périls nouveaux. La volonté de bâtir une
société juste au delà de la féodalité s'imposait chez nous comme une condition
de progrès et d'avenir. Louis IX souhaitera vivement répandre cette semence de
paix sur toutes les terres connues et sans chef. C'est ainsi, que, sur les
conseils du Pape, et des grands, il aidera son frère, le comte d'Anjou, à
devenir Roi de Naples et des deux Siciles. En ce milieu du treizième siècle, ce
domaine constituait la troisième perle des principautés françaises après le
royaume, proprement dit, et les lieux saints. Pour la même raison qui fera
de franc le synonyme d'honnête, la mayonnaise française ne prendra pas dans le
mezzogiorno. La volonté de justice sera vite le motif de rejet de cette
monarchie par le petit peuple. Encore, aujourd'hui, ces
terres brûlées sont le domaine de l'ormetà, de la vendetta, du contrat sur les
têtes et des parrains qui décident. Les juges continuent à y vivre sous escorte
et en sursis. La " mafia " est, en effet, née, à cette époque, en
réaction aux idées de Saint Louis et des monarques français. Mafia, ne
l'oublions jamais, est la contraction du slogan qui apparaîtra pendant la
domination française sur ces terres du sud : " Muerta alla Francia",
mort à la France ! Dans le même temps donc où un pas significatif sera fait
dans le bon sens, un rejet violent s'organisera ailleurs. Sans prôner de
théorie de défense de la mafia, cette
leçon de l'histoire n'est pas mentionnée dans les manuels de philosophie; la
seule justice, digne de ce nom, est celle comprise et légitimée par le peuple,
théorisée par Diderot. La présentation, plus
généralement faite dans le "penser correct ", est plus réductrice : les chevaliers français
auraient "exploité " les habitants du pays ; les fameuses
"Vêpres Siciliennes" commémorant les assassinats de 1283 où beaucoup
de nos compatriotes moururent, ne seraient, dans ce contexte, que de la
légitime défense contre des colonialistes. Si tel avait été le cas, la France
ayant quitté depuis longtemps ces terres lointaines, la mafia n'existerait plus depuis longtemps !
Organiser une boucherie au choeur des églises et au moment
des vêpres était un message cynique,
absolu et de longue portée : aucun
pouvoir ne saura contrecarrer sans danger la pieuvre et ses sbires, aucune
justice ne soumettra la "loi du milieu" ! A ceux, nombreux, qui croient
qu'il ne reste plus rien à faire sur terre, les déboires de la justice contre
le banditisme organisé invite à un sérieux examen de conscience. Les excès de pouvoir des
petits juges, en cette fin de second millénaire, avec les "affaires"
en France et " Manu pulite" en Italie ne sont-ils pas les résultantes
amplifiées de trop d'années, qui font des siècles,de complaisances, faiblesses et inerties ?
L'Italie comme la Navarre ou
la Poméranie peuvent paraître loin du Vermandois et pourtant la famille de
Guise sera pendant plusieurs siècles toujours du côté de l'Italie; plusieurs
villes de la région seront en Navarre, quant à la Poméranie son heure arrivera.
Philippe le Bel.
A la canonisation de Saint
Louis, Philippe le Bel était sur le trône depuis 12 ans avec le titre de Roi de
France et de Navarre. Il régna encore dix sept ans. Ce roi était d'un nouveau
type qui inaugurait ou préparait des temps inédits.Son monde pourtant était,
encore, à son avènement, celui du
Concile de Lyon. En 1274, l'apothéose,
atteinte à l'inauguration de la Collégiale de Saint-Quentin, avait pris une dimension quasiment universelle. Saint
Louis, certes était mort à Tunis d'une expédition malheureuse souhaitée par son
frère, Charles d'Anjou qui pensait soumettre un voisin gênant de son royaume de
Sicile. Cependant l'auréole du roi
français, "Fontaine de la Justice " rayonnait toujours sur l'ensemble du monde connu.
Ainsi vinrent à Lyon : le
pape Grégoire X, les représentants des royaumes de France, Angleterre, d'Aragon,
de Sicile, de l'Empire d'Orient et même les mongols de Perse venus proposer une
alliance contre le sultan turc. La réunion de la société des
nations n'avait pas grand chose à apporter à un monde qui vivait la paix au
quotidien. L'Europe se devait de célébrer
une période bénie. Lorsque deux siècles, plus tard, les seigneurs féodaux
ressentiront le besoin de consigner les " riches heures " de leurs
châteaux, l'évocation ne sera qu' une enluminure nostalgique d'un passé révolu.
La chevalerie n'aura plus de pouvoir, et la peste et la famine décimeront les campagnes. Les "riches heures
" demeurent toutefois de superbes tableaux d'un passé qui a vraiment
existé..... au temps jadis.....dans le milieu du treizième siècle.. Le bonheur et la prospérité,
dans notre livre de témoignage, ont la caractéristique constante de n'être
jamais à l'heure. Commencées au quatorzième siècle, les "riches
heures" montraient des campagnes prospères, des églises pleines, des
chevaliers dévoués et fiers, et partout des bâtisses superbes, comme neuves.
C'était bien une carte postale des douzième et treizième arrondissements,
pieusement reconstituée pour les petits enfants qui ne connaissaient qu'horreurs et désenchantements.
Le Vermandois, avec Péronne
fortifiée, dont le château avait été rénové par Philippe Auguste, les abbayes
de Homblières, Noyon, Péronne, Saint Quentin et sa collégiale, les murailles de Coucy, Moy, Laon, Noyon la
chantante, était un nid douillet sur lequel se reposait la France pour ses
rentes et pour sa défense. Nos voisins des Flandres et
de l'Artois ne pouvaient espérer cathédrales aussi hautes, ni terres à blé
aussi fécondes mais ils échappaient aux
ponctions royales directes. Comme la sécurité règnait, les échanges favorisèrent
vite les zones qui détenaient un peu de disponibilités. L'Angleterre, les pays
de la Hanse et les Flandres avaient dans la pêche du hareng et la fumaison du
poisson une matière première, formidable génératrice de revenus. Harengs et
morues n'étaient-ils pas les aliments
symboles de la chrétienté ? De plus, riches en sel et en protéines, ils
assuraient des réserves alimentaires pour les longs hivers et les longs
carêmes. Cette économie va rapidement en susciter une autre. Les hommes sont
marins à plein temps, laissant aux femmes et aux enfants les salaisons et
fumages. Que vont devenir les champs et les bêtes qui, depuis toujours,
remplissaient l'emploi du temps de chaque jour de la vie ? L'Angleterre fit ainsi la
célébrité d'une petite île du large des Pays-Bas, où une variété de mammifères
vivait, dans le plus total isolement, sans nécessiter d'entretien. Le mouton à
poil long ( de l'île de Texel ) devint rapidement l'animal domestique de tout
ce périmètre. Il fournissait la viande et une laine de qualité pour les
vêtements. Avec le poisson, la laine devint ainsi le pondéreux le plus
transporté. Il s'échangeait contre du bois et des céréales dont ces pays
étaient chiches, mais aussi des épices et, petit à petit, des produits
manufacturés. Les Flandres et l'Artois, depuis les déconvenues de nos
expéditions lointaines faisaient figure d'Eldorado et ce, d'autant plus, que la
fiscalité y était douce et légère...... La prospérité des rives de
la mer du Nord pesa de manière importante sur notre histoire, car du concile de
Lyon à " la grande peste ",soixante années seulement séparent des sommets de félicité et des
abysses de détresse. L'éclat des provinces du
Nord brillait d'autant plus fort et le coeur des Vermandois choisira
secrètement, depuis cette date, de
regarder vers les beffrois. Le percepteur venait du Sud et les affaires se
faisaient avec le Nord. Les filles du Sud apportaient aux mariages des terres
et des intrigues. Celles du Nord mettaient dans la corbeille des ducats, du
travail et une robuste santé. Insensiblement, le sentiment d'appartenance au
domaine royal sera objectivement ressenti comme un désavantage. L'arrivée de Philippe le Bel
va accélérer ce processus. Lui-même est fils d'une princesse du Brabant et a
épousé la reine de Navarre. Ces héritages et la faiblesse des autres monarques
lui donnent une place enviée. Il a laissé, cependant, à la postérité l'image
d'un roi, panier percé, fourbe, cruel, assoiffé d'argent et beau. L'or n'est-elle pas la matière dans
laquelle les rois gravaient les traits de leur visage ? Avec Philippe le Bel, la
monnaie faisait son entrée dans la panoplie des instruments du pouvoir
régalien. Personne n'en connaissait, à dire vrai, ni les mécanismes, ni les
effets pervers. Philippe commença, comme
tous les Golden Boys, très jeune. Dès son arrivée au pouvoir, il ordonna la
baisse de la quotité d'or dans la monnaie imposée par le roi de France et qui
avait donc cours forcé. Etait-ce l'examen des comptes des communes que Saint
Louis avait imposé dès 1256 mais qui remontèrent avec des retards importants à
Paris qui obligeait cette manipulation ? Vraisemblablement pas, car les
communes ne réclamaient pas grand-chose même si nombreuses étaient celles qui
se trouvaient déjà en virtuelle faillite. Philippe, par la dévaluation, visait
plutôt les régions récemment rattachées au royaume et surtout les évêques et
les abbés, insupportablement riches et oisifs. Le premier à manifester fut
l'évêque de Pamiers en Ariège. Riche des confiscations des biens des Cathares,
des prélèvements sur les pélerins de Compostelle et des droits de douanes à
l'import sur les marchandises venant des terres maures et juives d'Andalousie
(l'orange était le plus rare et le plus cher des fruits connus), Bernard de
Saisset, évêque, se retourna directement vers le pape et accusa le roi de
faux-monnayage. Philippe le fait arrêter. Le pape Boniface VIII, lui aussi très
près de ses pécunes, somme par la bulle " Ausculta fili ", au fils
d'Auguste, de libérer le descendant des apôtres. Philippe lit la missive, la
transforme en une boulette et la jette au feu, puis la remplace par un texte
qui ne mentionne pas l'évêque de Pamiers, pas plus que la manipulation de la
monnaie mais uniquement la " collation des bénéfices". Là-dessus, il
convoque les Etats Généraux du royaume à Paris le 10 Avril 1302. Le Tiers Etat
est au courant des finances communales, les seigneurs possédent le droit de
justice, quasiment indexé sur le coût de la vie et des rentes exprimées en
nature. Que va dire le clergé ?
Partout les ordres mendiants, des franciscains aux dominicains, appellent à la
vertu de pauvreté. Le clergé, de plus se défie
des papes italiens. Philippe obtiendra gain de cause pour une cause immorale et
perverse, ce qui lui tendra la perche pour des dévaluations en série. A ce jeu,
il fera même chuter la papauté italienne et appauvrira la riche contrée
voisine. Pour de maigres motifs,
Philippe, ayant " collationné des bénéfices" partit en guerre contre
le prince des Flandres : Gui, riche et rebelle ( parce que riche). Il pénétra
sur son domaine en 1300, le fit prisonnier ainsi que ses barons. Gui décéda en prison à Compiègne, sans que les affrontements ne cessassent . En 1304,
les troupes françaises seront victorieuses à Mons en Puelle et le comte Robert,
fils de Guy, se voit imposer le traité d'Athies de l'an 1305.. Ce traité mettra fin
temporairement au conflit et sera aussitôt complété par une ordonnance
obligeant le bailli de Paris à une autre manipulation monétaire. Athies, cité
de Clotilde, Ragegonde et Saint Thierry
contribuait à flouer beaucoup d'épargnants, mais rétablissait aussi ses
finances communales comme énormément de communes de France. Avec les rentrées
inattendues d'argent, Philippe le Bel, vint en 1307 à Saint-Quentin où il
séjourna avec la reine et toute la cour et fit renforcer toutes les
fortifications.La mécanique diabolique de
la razzia était lancée et les Juifs et les Templiers tomberont bientôt sous les
appétits voraces de ce monarque. La politique de Philippe le
Bel ne pouvait laisser indifférent et, à chaque spoliation, le parti gallican
grossissait. Le pape, récusé par les Etats Généraux, veut reprendre ses troupes
en main et convoque le synode des évêques français à Rome. Philippe réagit et
reconvoque les Etats Généraux. Celui-ci choisira Guillaume Nogaret, ancien
cathare, pour organiser un concile de toute la chrétienté et juger le pape.
L'affaire était présentée comme la prétention d'une puissance étrangère sur des
revenus nationaux. Machiavel n'était pas né mais avait déjà trouvé en Philippe
son maître. Quant à Dante, il ironisait sur la divine comédie mais comprenait
le risque d'une montée des nationalismes. La mission de Nogaret fut
facilitée par la rivalité des Colonna, famille ennemie du pape Boniface VIII et
par la proximité du roi français des deux Siciles. Le Saint Père fut atteint
d'une crise cardiaque, suite à une forte émotion comme on dit encore
aujourd'hui dans ce pays où la mort arrive plus vite qu'ailleurs. (Nogaret
l'aurait giflé, ce qui aurait provoqué la mort du pontife). Le nouveau Pape
devenait sinon l'otage, du moins l'obligé de Philippe. Le séjour dans une ville
aux pratiques malsaines était de moins en moins recommandable. Le pape vint
s'installer à Avignon. Philippe avait soumis à sa
volonté :la papauté et les provinces
riches des Pays Bas. Il lui restait à traiter le problème de l'Angleterre. A cette affaire grave, il
sacrifia sa fille Isabelle de France qu'il maria au futur roi d'outre manche:
Edouard II. C'était l'assurance de la paix pour l'avenir et la justification du
prix payé par les Juifs, les Lombards et les Templiers à l'autel de la raison
d'Etat. Hélas, Philippe était un roi maudit et le destin donnera un camouflet à
ses oeuvres patiemment réalisées. La justice divine se plaçait du côté de Dante
comme aux plus belles heures de la tragédie grecque. Petit-fils d'un saint
vénéré, sa fin de règne sera occupée par de sordides histoires de femmes
pécheresses. Le péché de chair atteindra les trois brus du roi. Comme feu Saint
Louis avait assigné au parlement le soin de la justice royale, l'affaire
cessait d'être privée pour devenir publique. Le droit canon et le droit civil
ne plaisantaient pas sur le sujet et les brus furent mises dans l'impossibilité
d'assurer une descendance aux Capétiens. En 1315, Philippe le Bel meurt. Trente années après, la
France sera vaincue à Crécy et trois années après cette défaite, la peste noire
tuera plus qu'aucune guerre, près du
quart de la population du pays ! Les dévaluations et les jalousies pour les
pays plus prospères ne représenteront que des pécadilles sur lesquelles toute
l'humanité s'étonnera qu'elles aient pu être des pommes de discorde. Avant cette plongée dans la
tragédie, regardons une dernière fois nos belles campagnes, presqu'aussi
peuplées qu'aujourd'hui, et nos villes fortes , abritées derrière de solides
murailles, sûres d'elles-mêmes et immensément confiantes dans la justice
royale.
Crécy. Luxembourg. La
peste noire.
" Philippe, avant peu, tu seras assigné à comparaître devant
le tribunal de dieu. Maudit sois-tu et toute ta descendance !"
La malédiction des Templiers, condamnés au bûcher, sortait du
coeur de chevaliers qui avaient fait voeu d'Eglise et n'avaient rien à se reprocher. N'étaient-ils pas pieux et
dévoués, détenteur de legs laissés par les premiers et plus nobles chevaliers
de la Chrétienté : Baudouin, Herbert, Frédéric, Saint Bernard même ! Ils seront les victimes
expiatoires, sans doute innocentes. La volonté de puissance du roi français ne
rencontra qu'une opposition fade de la part du pape et des évêques. L'argent serait-il
devenu maîtresse du monde ? La nef des fous, la comédie
divine, Machiavel et toutes les estampes lucifériennes reviennent en force pour
tirer vers le bas notre civilisation. Des causes plus objectives
sont malheureusement intervenues. Vers 1315, les récoltes sont mauvaises et la
famine frappe durement les cités qui ont poussé trop vite en Italie, comme en
France. L'urbanisation n'en est guère frappée et Dante qui jettera un oeil
pessimiste sur notre société n'entreverra pas le pire. Celle-ci frappa, au beau
milieu du siècle, en 1350, et le tiers de la population française disparaîtra,
victime de la peste noire. L'image de la mort ratissant avec une faux
s'incrustait dans tous les esprits et sur de très nombreuses estampes. Le temps
des cathédrales, des chartes et des libertés était bien révolu. La peste,
c'était l'effroi d'un petit peuple d'artisans qui avait nourri en effectif les milices communales. La France perdait
largement plus que le tiers de sa puissance militaire. C'était une catastrophe
pour un pays qui avait osé braver sous Philippe le Bel le monde entier !
Le " fatum "ne
fait rarement les choses à moitié et ce sera pire encore pour notre ambition nationale; la France venait de subir,
deux années auparavant, une autre défaite. En mariant Isabelle de
France au monarque anglais, Philippe le Bel s'était endormi dans une fausse
sérénité car ses fils, trompés par des femmes volages, n'arriveront pas à avoir
de descendance. Philippe V le Long
convoquera les Etats généraux en 1317 pour écarter les femmes du trône. Lui,
puis son frère, chercheront à destabiliser les princes flamands sans apercevoir
le risque de recours au voisin anglais. Or Edouard , le fils d'Isabelle de
France, grandit et s'avère fin diplomate. Il soutient les Flamands contre les
Français sans participer lui même et va se présenter en 1338 à la diète de
Coblence sur les bords du Rhin pour obtenir les possessions du roi de France en
terre d'Empire. Cette subtilité juridique qui nous échappe un peu aujourd'hui
nous concernait tout particulièrement car l'Empire commençait aux limites nord
du Vermandois : Cambrai, Arras reconnaissaient Edouard pour roi. Poussé par les Flamands et
nombre de nos concitoyens, Edouard pénétra en France en 1339 avec une armée qui
avait tiré les leçons de Bouvines . En face, le nouveau roi
s'appelle Philippe VI de Valois et il attend l'Anglais sur la Somme au
Ponthieu. Edouard a de solides appuis
dans les Flandres et contourne les positions françaises. Remontant l' Escaut,
cette rivière bénie des envahisseurs du Nord, il attaque Saint-Quentin en 1339
et ravage le pays, la Fère et Laon. En 1340, les Etats du
Vermandois déclarèrent ne pouvoir payer l'aide que le roi demandait un peu
partout pour la défense du royaume ! Nos gens se méfiaient du
nouveau roi, du Valois: l'activité de Philippe de Valois ne s'était-elle pas bornée à intriguer et à agglomérer les
mécontentements des princes de sang et de la haute noblesse ? Pour défendre la France, il
s'appuiera surtout sur ce qu'il crut être le rempart de la chrétienté : la
chevalerie et l'ost. L'affrontement eut lieu à Crécy en 1346. La noblesse
française va perdre, sur cette terre picarde, une grande partie de ses
illusions et beaucoup d'hommes. Les archers anglais faucheront l'élite
guerrière avec une arme indigne de la chevalerie : l'arbalète. Autre surprise,
la perfide Albion provoquera les Français dans un combat de nuit. Parmi les Français, le duc
Jean du Luxembourg, roi de Bohême, très âgé et aveugle tint sa promesse de
chevalier et participa à la boucherie. Les Anglais, lorsqu'ils parlent des
chevaliers français ont, encore aujourd'hui, une moue ironique. Bien que
monarchistes et contempteurs de la noblesse, jamais ils ne comprendront les
actes de bravoure qui exaltent notre sens de l'honneur: ceux du duc de
Luxembourg et le célèbre
" Messieurs les
Anglais, tirez les premiers !" ( Il faut remarquer quand-même que le code
de la chevalerie, remis à l'honneur par les ordres chevaleresques de l'époque
interdisait de reculer, ce qui dans un combat, quel qu'il soit, limite fort
l'action).
Le duc du Luxembourg rentre
par ce comportement chevaleresque dans notre histoire. La majorité de ses fiefs
se trouvaient en terre d'empire: la Capelle, les Ardennes, Liège, Maastricht.
La superficie du Luxembourg, que nous voyons sur nos cartes, ferait sourire les anciens ducs. C'était une
famille de première importance sur l'échiquier européen. Le pape Jean XXII avait même oeuvré, une quinzaine
d'années avant Crécy, pour faire reconnaître le droit du roi de France ( Charles
IV le Bel, dernier fils régnant de Philippe l'aussi beau) qui était marié à
l'héritière des Luxembourg, comme empereur d'Allemagne. Le malheur s'étant vraiment
acharné sur les rois maudits, celle-ci mourut d'une chute de cheval et, une
nouvelle fois, la construction de l'Europe dut attendre.La renommée des Luxembourg,
dont les jardins et le palais abritent les amoureux du Quartier latin et le
Sénat de la République, doit
beaucoup à plusieurs cités du
Vermandois et de ses régions voisines. L'idée de Jean XXII n'obtint pas l'aval divin et notre région manquera
son destin de lien entre les deux nations franques. Après la mort de l'héritière
du Luxembourg, après Crécy, relater l'histoire consiste en une énumération de
péripéties sinistres et implacables. Qu'expliquer ? l'arrivée de la peste
noire, les rois sans descendance, l'Anglais qui prête hommage , un jour et se
délie, les Etats Généraux qui votent " la Grande Ordonnance" limitant
les pouvoirs du Roi ( proche dans l'esprit de la charte anglaise qui interdit
les impôts destinés aux combats outre-Manche. L'usage était bien de faire
campagne en "prélevant sur la bête", c'est-à-dire sur le pays
conquis.). Le monde était un peu
déréglé.
La France était en miettes.
Le miroir distant de Barbara Tuchman Ce 14ème siècle, où se glorifiera Enguerrand VII de Coucy, et qui est si important pour la compréhension des siècles suivants .
Barbara Tuchman est une historienne américaine qui a commencé par s'intéresser à la peste noire en Europe, car cette endémie a profondément touché la région la plus peuplée et au sein de laquelle la communauté juive fut pariculièrement affectée . Dans ses découvertes historiques novatrices car les universitaires et historiens stipendiés ne voyaient en
ce siècle, rien d'instructif , elle fit la découverte de Coucy-le-château et donc de la lignée des Enguerrand . Certes la France était en miettes mais l'Europe guère en meilleur état .
Le parallèle avec le 20ème siècle après la première guerre mondiale sautait au yeux comme la ruine du plus fort château fort du monde, fondé par Enguerrand III de Coucy . Son intérêt ,dés lors, de focalisa sur Enguerrand VII et tout le livre de plus de 600 pages est un chant d'amour pour ce seigneur, vaillant soldat et personnage central dans toute l'histoire diplomatique,miltaire et culturelle de l'Europe .
Enguerrand VII n'existe guère dans l'histoire de France officielle et pourtant il est, de loin, le personnage le plus considérable du Vermandois . Retracer ici son destin , ses exploits, victoires mais aussi, défaites et négociations de paix serait plagier le travail récent de Barbara Tuchman qui, par ailleurs et par son amour pour Coucy, s'est aussi plongée dans
la grande guerre secrète de la première guerre mondiale . Là aussi, son oeuvre de vérité la place à très haut niveau dans les contributions à la vérité historique.
Comme ses ouvrages sont encore en vente aujourd'hui, l'auteur de ces lignes interrompt le cours de son texte pour inviter tous les lecteurs à parcourir "The distant Mirror" et les autres ouvrages de celle qui a parcouru notre pays , analysé son histoire , ses malheurs et glorifié son honneur avec des yeux clairs et affectueux .
Certes la situation de l'Europe au 14ème siècle était dramatique et pourtant les hommes dominèrent pratiquement tous les conflits de toutes natures, finiront l'édification des prestigieuses cathédrales comme ils feront avancer le droit, la diplomatie et la paix .
Cette césure dans notre développement vise aussi à souligner l'importance de revisiter sans cesse l'histoire et d'oser le faire en dépit des accusations de révisionnisme et autres complotisme, séparationnisme et antiacadémisme .
La France était en miettes donc.
La papauté compta longtemps deux papes et, même un temps, trois ( le concile de
Constance dura 4 années de 1414 à 1418, dates prémonitoires pour ramener la
papauté à un seul représentant). L'Orient, autre bateau ivre, tombera sous le
cimeterre des Turcs en 1453. Mais, en ce début du quatorzième
siècle, la dureté du temps n'est pas encore aperçue et à chaque coup dur, il sera imaginé une
parade. Contre la famine de 1319 et de 1320, le roi Philippe le Long permit
l'établissement de la foire de Saint-Quentin, le 9 octobre, à la saint Denis,
avec franchise et exemption de tous droits. La braderie annuelle, où
chacun peut vider son grenier, est chez nous plus ancienne que l'Amérique et
prouve bien que nos ancêtres respectaient déjà la police municipale et le
paiement des patentes et surtout avaient des objets à vendre en cas de besoin. Pour autant, le contrôle de
la police municipale était encore contesté. Le bailli du Vermandois et le
procureur du roi avaient revendiqué en 1316 le droit d'exercice de la justice
aux magistrats municipaux dans les faubourgs. Charles le Bel, époux de la belle
du Luxembourg, rendit ce droit aux magistrats de la cité, moyennant 600 livres
tournois de peine pécuniaire en 1322. Philippe de Valois, plus que
ses prédécesseurs, avait besoin de Saint-Quentin. Il restitua , par la charte
de 1347, toutes les anciennes libertés, privilèges et franchises. C'était aussi le prix de la
reconnaissance de la validité de notre milice . En effet, vers 1340, peu après
l'entrée d'Edouard III en France, le fils du roi, Jean II le Bon, n'avait-il
pas pris pour garde de sa personne et de son navire destiné à traverser le
détroit, les Arbalétriers et les Pavésiens de Saint-Quentin ! La fidélité de nos
concitoyens ne manqua pas, non plus, après la défaite de Poitiers où le roi
Jean et son fils furent faits prisonniers par le Prince Noir, allié de Charles
le Mauvais, roi de Navarre. En 1356, à l'initiative
d'Etienne Marcel et de l'évêque de Laon, les Etats Généraux seront convoqués et
le paiement de la rançon décidé. Toute la noblesse du Vermandois mais aussi les
cités contribuèrent, malgré la vive opposition d'une forte minorité. Au petit
peuple insolvable, il fut demandé de relever les remparts dans le but " de
se maintenir plus étroitement encore dans le service de l'obéissance au roi".
En une époque où il ne semblait plus y avoir place pour l'espérance, la région s'appuyait sur sa foi
qui soulève les montagnes et permet d'affronter le destin. Plusieurs Saints et
Saintes vinrent illuminer ces temps sombres. Parmi ceux-ci, Colette de
Corbie nous est particulièrement proche. Contemplative, recluse, mais
rayonnante dans sa communauté, elle redonnera vigueur aux communautés clarisses
et posera les fondements de plusieurs couvents. L'histoire ne rapporte pas, à
ma connaissance, quel fut son message mais les théologiens affirment qu'elle
fut une des inspiratrices de Jeanne d'Arc ; la bergère illettrée qui entendait
des voix. Saint Michel et Sainte Geneviève, à qui Clovis avait donné la
Fère, avaient parlé à Jeanne. Elle eut fort à craindre de l'accusation de sorcière. Heureusement que
Colette, Catherine de Sienne et Thomas
Ekhart à Stasbourg avaient auparavant témoigné de la force de la voix de l'
Esprit Saint. Jeanne ne sera finalement pas condamnée pour avoir entendu des
voix. La spiritualité, comme
l'arôme du vin, restitue souvent mieux que les rapports de presse l'évolution
profonde des sociétés. Derrière Jeanne et Colette, il faut, en effet, aussi
mentionner Christine de Pisan. Sa place dans le monde des lettres de la seconde
moitié du quatorzième siècle lui vaut d'être écrivain officiel ( Livre des
faits et bonnes moeurs du sage Charles V), moraliste ( Livre des trois vertus)
et une authentique femme courageuse( Epître sur le Roman de la Rose et le Dit
de la Rose). Dans cet ouvrage, Christine
défend la femme contre "
l'aventure courtoise ", où l'amoureuse devait écorner le contrat de
mariage . L'air du temps ne permettait sans doute plus les écarts des décennies
précédentes mais l' Epître valait surtout parce que c'était une femme qui parlait
d'elle-même, sous sa seule inspiration. Son talent faisait merveille
aussi dans les rondeaux. Ces petites poésies servaient le top cinquante d'alors
et étaient fréquemment mis en musique. Guillaume de Machault compta parmi les
compositeurs qui vivaient de cette musique fine et populaire. Ce natif d'un village
proche des sources de l'Aisne et de Reims devint, après un séjour chez le roi
de Bohême, chanoine en cette ville de Champagne. La bohême, qui est toujours un
mode de vie à consonance musicale, n'était pas limitée à Prague puisque son
seigneur n'était autre que le duc du Luxembourg, fantastique personnage
aveugle, combattant en armure et mourant sous la pluie des flèches, par
fidélité au devoir de chevalerie. Il fut donc aussi le protecteur du créateur de la musique polyphonique. Ce
génie de la musique mérite une des premières places dans la mémoire de
l'humanité. Il vécut de 1300 à 1377. Si jamais les livres futurs
permettaient de diffuser de la musique d'accompagnement, c'est Guillaume qui dirait
ici, mieux que ces lignes, la joie et le plaisir de vivre sur ce sol où nos
contemporains n' entonnent que des lamentations et complaintes ternes. Les temps troublés apportent
également des idées fortes : les Etats Généraux de 1357 instaurèrent la
monarchie parlementaire . Il n'en sera reparlé qu'avant la chute de la
monarchie. L'institution donna l'image malencontreuse d'être une administration
fiscale supplémentaire. La France en avait assez ! Personne ne s'inquiéta de ne
pas en entendre parler ! Pratiquement, la même année,
de l'autre côté du Rhin, la "Bulle d'Or" fixait la constitution de
l'Empire, en prenant bien soin d'examiner ce que la France et l'Angleterre
avaient à proposer. Les règles d'une monarchie élective s'appuyant sur une
fédération donnaient un air de nation à un territoire vaste et composite: la
reconnaissance s' effectuait avant la solidarité. La mécanique était complexe
mais sage. Chez nous, la solidarité
existait depuis des lustres mais marchait à sens unique : la province avait
payé et payerait. Paris continuerait à
profiter, sans aucune reconnaissance du ventre.
Le Vermandois au temps
de Charles le Sage, des deux papes. Vers la guerre de Cent
Ans.
Sans que ce fut l'expression
d'une volonté plus belliqueuse qu'ailleurs, la guerre de cent ans enserrera
dans ses griffes notre province de son début jusqu'à sa fin et y développera
misères et désolations en une proportion largement supérieure à la moyenne.
Pendant ce siècle de conflit très localisé, le contemporain du 20ème siècle ne
peut oublier que le monde prit, en
contrepoint avec cette querelle de clochers, une toute autre dimension : vers la fin du treizième siècle, Marco Polo
s'était aventuré jusqu'au coeur de la Chine et venait de rapporter quelques
souvenirs qu'il évoquera dans la cellule humide d'une prison italienne . Au
terme de la guerre de Cent Ans, l'Amérique sera découverte et les caravelles
vogueront vers les extrémités de la terre. La France qui avait été toujours en
première ligne quant aux grandes inventions et découvertes manquera à l'appel
du large. Faute d' échappatoires, les conflits internes et larvés doubleront de
violence. Coincé entre les terres
d'empire, la Flandre, l'Angleterre et la France, le Vermandois retrouva sa
vocation d'origine de sacrifié, soit sous forme de champ de batailles, soit sous la forme plus moderne
de monnaie d'échange. La terre devait encore tout
supporter mais ce n'était pas sans cause que le Vermandois figurait, à nouveau,
dans la sélection lugubre. Herbert II avait été notre
plus célèbre comte et avait placé ses enfants aux quatre coins de l'hexagone en
miniature du pays d'alors. Leutrade, sa dernière fille, devint ainsi l'épouse
de Thibaud de Champagne, premier comte de cet important domaine. Lorsque Saint Louis, descendant
de la famille du Vermandois, par la tante de Leutrade, Béatrice, règla le
problème des Cathares et des Albigeois et s'intéressa à l'Aragon, le titre de
Roi de Navarre retourna dans la lignée de Champagne. Philippe le Bel récupéra
le titre et l'adjoignit au titre de roi de France en épousant Jeanne Ière. Elle
fut la dernière reine-mère capétienne et, avec l'extinction des capétiens
directs , c'est Louis, Comte d'Evreux et frère de Philippe le Bel qui prit
cette couronne presqu'exotique. Mais dans l'histoire des
rois maudits, la fille du premier fils de Philippe le Bel, épousa le fils du
comte d'Evreux, Philippe III. Le couple, contrairement à ses oncles, eut un
fils : Charles le Mauvais, comte d'Evreux, de Champagne, Brie, Chartres et roi
de Navarre. Outre ses possessions, seule sa grand-tante Isabelle de France
était plus proche que lui du trône. Mais Isabelle avait été mariée à Edouard
d'Angleterre et les pairs de France optèrent pour l'application de la loi
salique qui écartait Charles le Mauvais et Edouard II puis III puis son fils le
prince Noir, vainqueur de Crécy. Un tournoi à deux ne peut
durer longtemps. A trois, le Valois, le Prince Noir et le Mauvais, l'issue
nécessite beaucoup plus de temps. Les trois personnages n'étaient que de
vulgaires voyous mais affublés de titres de roi, parents, et possesseurs de
fiefs riches. Dans l'arrière-plan, le peuple savait tout des duels fratricides
commis sur son dos. Poussé par la famine et la crainte, il se souleva en Somme,
Oise, Laon, Péronne, Montdidier. Ce furent les "Jacqueries", décrites
comme sauvages. La localisation de ces soulèvements permet de penser que le
Vermandois fut douloureusement
concerné. Nombre de châteaux et
chaumières partirent en fumée. Sur la carte, les lieux de
ces drames se superposent souvent avec des terres du Navarrais ou avec des
terres proches de son domaine. A cela, une explication
s'impose. Lors de Etats Généraux de 1356 où Etienne Marcel et la noblesse
accepta de payer la rançon de Poitiers au Prince Noir, la Picardie était
représentée par Robert le Coq, évêque
de Laon, et Robert de Corbie. Ceux-ci s'opposèrent au paiement de la rançon et
soutinrent Charles le Navarrais, Mauvais de surcroît.En Novembre 1357, celui-ci
fut reçu en triomphateur à Amiens . .alors qu'il sortait de prison pour un meurtre !
Pendant deux années, les
jacqueries auront des aspects d'escarmouches entre le parti des Navarrais et
celui légitimistes des Valois. Charles le Mauvais dut même "évacuer"
Robert le Coq, en difficulté à Laon, pour le nommer à l'évêché de Calahorra (en
Navarre) . Mais il serait simpliste de
penser que seuls ces deux partis avaient des défenseurs dans la classe moyenne
de nos cités et villages. La Flandre était trop proche et l'Angleterre trop
prospère pour ne pas pouvoir fomenter des troubles.Le risque d'éclatement de la
classe moyenne, prise entre la folie des familles règnantes et les jacqueries,
amena les protagonistes à une accalmie. Une paix fut conclue avec le roi de
Navarre à Pontoise en 1359 . Edouard d'Angleterre, ayant
palpé la rançon de Poitiers, déclara abandonner ses prétentions sur le royaume
de France. Ce n'était pas tout, il mettait main basse sur la belle province de
Guyenne, en faisant reconnaître l'incursion illégale du Prince Noir. Vous pourriez penser que la
liste était assez longue ! Il y avait encore une cerise sur le cake ! Jean II
le Bon était rentré en France mais l'imprudent monarque avait dû laisser ses
fils en otage. Il fallut repayer pour réunifier la famille royale.
Cette guerre était ruineuse
et la France se saigna les veines. Sous Jean le Bon, on ne compta pas moins de
85 dévaluations de la monnaie, soit une perte de 70 % de sa valeur. Les
jacqueries, puis la révolte à Paris où Etienne Marcel sera assassiné
s'expliquent aussi dans ce contexte de crise profonde. Comme l'histoire est aussi
une théorie ondulatoire, il fallait une pause. Le traité de Brétigny, par
lequel Edouard fit le geste de réduire ses prétentions, peut aussi être interprété comme le constat
que le pays revendiqué n'était plus à
même de nourrir la bête et ne valait plus la chandelle. Epuisée, la France trouva en
Charles V le Sage, un monarque attendu. Son règne de seize années ne connaîtra
pas de grande tragédie. Plusieurs signes sympathiques éclairciront même l'athmosphère
: Du Guesclin devient notre héros national en gagnant les coeurs fiers de
Bretonnes et d'Espagnoles ; le fils du roi, Philippe de France, comte de
Bourgogne épousa Marguerite des Flandres. Une résurrection de la
Lotharingie et une version primitive de l'axe Nord-Sud prenaient place
durablement et mettaient le Vermandois dans la position d'un coin fiché dans le
flanc d' un tronc de chêne puissant. Les bienfaits de la paix
coûtent souvent plus chers que les périodes troubles où les dettes quérables sont
irrécupérables. Le pays se saigna à nouveau pour redresser ses finances et son
crédit.Le roi était, en son royaume, l'ultime bénéficiaire de chaque fait et geste de son bon peuple
et Charles V le Sage chercha, sentant
venir ses derniers jours, le moyen de s'assurer le bon souvenir de ses
contributeurs. Il accorda à Saint- Quentin de nouvelles franchises mais estima
qu'il fallait une mesure plus générale. La fiscalité, empilation
désordonnée de droits, taxes, corvées, dîmes, décimes, excises, péages,
retombait immanquablement sur les mêmes. Le monarque décida donc en 1380, la
suppression du "fouage", l'impôt inique par excellence puisqu'il
frappait forfaitairement tous les paysans sans considération de ressources, de
cheptel, ni de surface, ainsi que les petits artisans. C'était l'impôt per capita sur tous ceux qui n'avaient pour
moyen de survivre que le travail de la terre ou celui de leurs mains. La
suppression d'un impôt dans notre pays constitue un évènement rarissime et une
décision plus pragmatique que théorique. Ici, les plus pauvres ont toujours pu
payer ; réduire la charge, autant enlever le collier aux chiens, pourquoi tuer
la poule aux oeufs d' or? Sitôt Charles V le Sage,
mort, son fils surnommé, par dérision pour son penchant pour d'autres
activités, le "Bien Aimé" ressortira la hache de guerre et arrêtera
la gabégie de son père: le fouage fut rétabli . Essayez de vous installer dans
l'agriculture ou dans certains petits métiers et vous comprendrez le poids
rémanent du "fouage" sur ces activités où l'endettement commence
avant les semailles et où les taxes et impôts grèvent tout le fruit des
récoltes ? Les révoltes reprirent
rapidement en Picardie . Les mayeurs de Saint-Quentin et de Laon eurent quelques complaisances avec le
petit peuple et laissèrent sans doute s'effectuer quelques "manifs"
de mauvaise humeur . Ils furent promptement démis et les villes furent
condamnées à des amendes. Cette sanction témoignait du mépris grandissant que
les monarques valois vont entretenir avec leurs sujets de cette région nord.
Ceux-ci deviennent suspects ! Le pays voisin est sous domination bourguignonne
et la fiscalité est là-bas un panier de fleurs sympathiques . Comment éviter la
tentation du large, si ce n'est en renforçant la chaîne. Vers les années 1380,
les troubles gagnèrent toute l'Europe. Les Flandres et la ville de Gand
joueront un rôle de plaque tournante de la révolte. C'est de là aussi que vint
ce mouvement mystérieux des " Gens
Intelligents ", dont la présence a été signalée à Saint-Quentin. En cette
période sinistre, la secte n'empruntait pas les voies de la joie sur terre,
loin de là. Son message confirmait l'âpreté des temps et donnait du grain à
moudre à ceux qui étaient convaincus que seuls, les purs, solidaires,
pourraient passer au travers . L'anarchie du temps et des
idées se mesure assez bien par le grand schisme de 1378, où la papauté
disjoncta et eut deux papes. L'affaire fut réglée plus
tard mais les croyants comprirent qu' au delà d'informations tendancieuses et
imprécises la maison n'étaient plus celle du Dieu véritable. Les gens intelligents l'avaient compris comme un grand
nombre d' européens. La méfiance construit la
division et chasse la monnaie. Dans ce
processus, la communauté juive, qui vivait paisiblement chez nous, s'avéra très
exposée. La fin du règne de Charles V
le sage et l'arrivée du "bien aimé" amenèrent le peuple de Paris et
des villes de France à tirer sur l'ambulance : les juifs, qui pratiquaient le
colportage, la médecine et le crédit, n'avaient rien à voir avec les misères
d'un pays malheureux mais en paix, furent mis à l'index et nombreux furent
expulsés de leurs maisons. Le parlement, réuni sur ce sujet, fera réinstaller
les Juifs avec l'appui des soldats et, par contre, laissera un peu filer le recouvrement
du fouage des petits artisans de la capitale. Cette dérogation , une fois de
plus, elle, n'arriva pas jusqu'à nos rives. Le phénomène d'éclatement
tua également le Vermandois. A partir de ces années, ce
qui constitue une entité géographique indiscutable et un chapitre de l'histoire
du Pays, sera volontairement oublié. L' hôtel de ville de
Saint-Quentin, qui fut construit de 1330 à 1509 sous l'impulsion de Noël
Collard,en porte témoignage. Sur la
façade, s'affichent six écussons : l'emblème
des comtes de Moy( fretté), dont le magnifique château construit vers la même époque n'est plus que souvenir,
celui de la famille des de la Fons (Fonsomme) représentant trois hures,
celui de la ville représentant Saint-Quentin
encadré de Fleurs de Lys, celui du Vermandois (échiqueté surmonté de lys),
celui des familles d'Y (chevronné),
celui des familles d'Origny ( dauphins adossés).
La ville ne fédérait alors
plus qu'un terroir réduit. Les autres communes regardaient ailleurs et
dépendaient de seigneurs rivaux sinon hostiles dont beaucoup ne juraient plus
fidélité aux seules fleurs de lys ! Le Vermandois restera
pourtant car le titre de comte demeurera et sera porté jusqu'au célèbre fils de
Louis XIV, qui le porta sans que jamais personne ne vit son visage. C'était un
titre appartenant à la famille royale et un de ses plus chers mais le siècle de
la dislocation du monde transféra cette réalité concrète dans le domaine des
esprits, des souvenirs et des songes prémonitoires.
La guerre de Cent Ans. Jeanne.
Le monde était devenu fou et
l'épidémie eut son couronnement en 1392, lorsque le roi de France Charles VI
fut, lui aussi, atteint. La psychiatrie séjournait encore dans les limbes et ce
roi faible d'esprit, violent parfois, souvent lucide heureusement, était le roi
consacré. Il restera en vie,
souverain, jusqu'en 1422. Notre pays
touchait le fond. Bernard Shaw a écrit que
" ce n'est que sur le papier que l'humanité a été, jusqu'à présent, un
modèle de courage, de sagesse, de vertu et de liaisons durables ".
Cette réalité indubitable,
le français chevaleresque l'admet moins bien que l'anglais amoral et
pragmatique. Et pourtant à la fin de la guerre de Cent ans, c'est un anglais
qui contredira les écrits honteux et reconnaîtra la sainteté d'une jeune fille
, modèle de courage et de vertu, par son seul témoignage. Cette affirmation
verbale mettra quatre siècles pour être reconnue par l'Eglise. La vérité n'a
pas toujours besoin des livres et l'humanité existe au delà des bibliothèques.
Ce petit bout de femme, Jeanne d'Arc, n'étonna pas qu'un anglais mais celui qui déclara: "nous avons
brûlé une sainte !" parlait vrai malgré toute la folie de ceux qui se
disent sages et savants. L'histoire magnifique de
Jeanne qui est indissociable de celle de la nation française connut sur notre
sol une page déterminante. Nombreux sont ceux qui ont préféré l'occulter par
crainte de malédictions apocalyptiques, comme si Dieu devait punir les faiseurs
de saints !
Charles VI, dit le Bien
Aimé, passa à Saint-Quentin avec sa charmante épouse, Isabeau de Bavière. Quoi
de plus normal, la ville aimait et était aimée de son roi. La collégiale
subissait régulièrement des agrandissements et ce passage fut commémoré par la
pose d'un vitrail sur le côté nord et aujourd'hui disparu représentant le
couple royal agenouillé à côté du martyr.Les destructions n'ont pas
fait regretter sa disparition et pourtant quelle leçon pour nos écoliers et
pour nous-mêmes ! Quentin honorant un roi fou et sa femme qui bradera le pays !
Peu de temps après la
visite, le processus meurtrier s'accéléra. Le roi d'Angleterre Edouard III est
dépossédé de son trône par Henri IV, comte de Lancastre(ou Lanchester). Le
frère du roi de France, le duc d'Orléans, est assassiné sur ordre du duc de
Bourgogne, Jean Sans Peur . L'héritier du duc d'Orléans organise sa vengeance
en rassemblant autour de lui les "armagnacs", ducs de Berrry,
Bourbon, Bretagne et connétable d'Albret. La folie du roi laisse la porte
ouverte à une coalition bourguignonne, proche de la reine. L'Anglais, qui
n'aime rien tant que la division sur le continent et estimant le pays
suffisamment gras après 35 années d'une relative paix, va, en 1415, descendre pour revendiquer à
nouveau le trône de France. Le choc eut
lieu à Azincourt. Si la nation française est, dit-on, née à Bouvines, la nation
anglaise est issue de cette victoire.
Shaekespeare va, en effet, la mettre en toile de fond de son oeuvre. Tous les Anglais seront initiés à admirer en
vers et avec des mots forts leurs seigneurs et le meilleur d'entre eux, leur
roi : du féodal de souche française sans vergogne et pilleur sans scrupule, le
dramaturge fera un être humain, torturé et pathétique. >Des 1700 prisonniers
égorgés, il ne fut point parlé. Les huit barons qui périrent dans la bataille glorifièrent la vaillance de
l'agresseur. Les ducs d'Orléans et de Bourbon, qui furent faits prisonniers,
témoignèrent de la magnanimité du prétendant au trône. Nombreux furent les
seigneurs et simples soldats de la région qui trépassèrent à cette bataille
funeste. Citons particulièrement Robert de Bar, comte de Marle, grand
bouteillier de France, président de la chambre des comptes de Paris, seigneur
de Ham ainsi que le Gaucher de Rouvroy, vicomte de Ham, sire de Coudun et
chambellan de charles VI. La mort du premier, Robert de Bar, précipita le
mariage de sa fille , Jeanne de Béthune, avec Jean du Luxembourg en 1418. Ce
grand était aussi seigneur de Beaulieu et Beaurevoir, dont nous reparlerons
bientôt. La désinformation fut, il
faut le dire, d'une remarquable efficacité car la monarchie anglaise gagna dans
l'opinion une notabilité que les rois de France qui n'oseront pas mettre en vers la défaite de leurs ennemis,
n'atteindront jamais.Azincourt fut un désastre
logique, la France n'ayant pas d'âme ni de guide. Les militaires situent aussi
à Azincourt l'arrivée de la guerre moderne : Crécy marquait le glas de la
chevalerie du fait de l'arrivée de l'arbalète, Azincourt inaugura les premiers
coups de feu, preuve que Marco Polo n'était pas allé en Chine pour rien, (la
bombarde était apparue peu avant) et
enterra définitivement le mode de combat venu de la chevalerie. A Azincourt, rien de la
haine entre Armagnacs et Bourguignons, les grands crus rivaux, n'avait trouvé de motif d'apaisement . Quand
Jean sans Peur fut assassiné en 1419 sur le pont de Montereau en présence du
Dauphin, le fléau de la balance bascula. Le dauphin n'aurait-il pas commandité
le meurtre ? Les Bourguignons, entraînant
Isabeau de Bavière et même le Parlement et le roi, pas vraiment lucide , ce
jour-là, passent alliance avec l'Anglais. C'est le traité de Troyes dont les
manuels racontent qu'il donnait la France à l'Angleterre. En effet, Henri V se
voit donner la couronne alors que
Charles VI a des descendants directs. Ce traité n'était pas qu'un papier avec
des rubans. L'Anglais épouserait Catherine de France et la plus grande partie
du Vermandois passerait en son pouvoir . Il y avait une logique économique dans
cette attribution car la région était, au fil du temps, devenue une région
drapière et lainière dont le commerce allait surtout vers le Nord, mais de là à
devenir anglaise ! Henri V resta cependant
notre sire jusqu'en 1434. Jeanne, entre temps,
chevaucha en prisonnière nos monts et
valons. Pour expliquer Jeanne d'Arc,
il est fait souvent cas d'une intervention divine.Que pouvait, en effet,
comprendre une gardienne de moutons aux conflits sanglants entre des familles de haute noblesse ?
Qu'est-ce qui poussa Jeanne
à aller démasquer Charles VII qui n'était pas convaincu d'être l'héritier
légitime du royaume, doutant qu'il était de la paternité de son père ?
Seul le message des
difficultés du temps et le besoin de paix va la conduire infailliblement. Après
le sacre du Roi Charles VII à Reims, ville éternellement fidèle, il fallait
reprendre Paris et cette Picardie carolingienne qui avait scellé son engagement
de soutien de la foi. La région était à l'image du pays. L'Anglais était
souverain. Parmi les seigneurs , Péronne et Ham étaient dans le fief des
Luxembourg. A l'Est, les Guise avaient une forte influence. Tous vivaient au
gré des circonstances et d'alliances fluctuantes. Dans ce monde, deux
personnages vont se rencontrer : Jeanne et Guillaume de Flavy. Ce dernier est
de cette noblesse du Vermandois qui enregistra sa lignée après le capitulaire
de Quierzy et les croisades. Comme les Saint-Simon, les
Moy, ceux d'Y et de Fonsomme, il sait que ses rentes seront rognées à
perpétuité par des fermiers chafouins et une administration vampire. Son
avancement social passe par le service armé en étant le brave des braves qui
sera remarqué par le roi, ou par un beau mariage, ou encore par une "
aubaine " . Il est issu d'une
lignée vaillante qui a suivi Herbert en Palestine, dont l' aïeul guerroya avec
Charles V contre Jean le Mauvais, roi de Navarre au siège de Tournai en 1358.
Son père a été Chevalier Teutonique et a combattu et évangélisé, par le fer, la
pieuse Pologne.Malgré l'ambition, Guillaume
ne peut guère espérer mieux que cette charge de capitaine de Compiègne. L'
Angleterre,la Navarre et la Bourgogne,
tous les ennemis de la France ne sont pas loin. Pour garder Compiègne, la
troupe n'est pas insignifiante mais il s'agit surtout de guetteurs, lanciers,
arbalétriers habitués à monter à l'assaut de nos châteaux forts et quelques
chevaliers.Jeanne arrive avec une
troupe de près de deux mille hommes, commandée par des zélotes de la première
heure: Xaintrailles, Ambrois de Loré, Jean Foucaut, Hugli de Kennedy (
écossais) et l' italien Baretta. Soissons vient d'être reprise. L'ennemi,
sentant le danger, passe le pont de Choisy le Bac le 16 Mai et se place face à
Compiègne le 20 Mai. L'armée anglaise se poste à Venette, les Picards des
régions de Péronne, Bapaume, Thiérache s'installent à Clairoix et les
Bourguignons à Coudun. Guillaume tient la garnison,
en grand péril, et Jeanne arrive, en partant à cinq heures du matin, le 23, de
Soissons avec 32 hommes d'armes, 43
arbalétriers, 20 archers, son chapelain, Poton de Xaintrailles et Baretta. Guillaume et Jeanne décident
dans la journée un coup de main pour enlever un avant-poste isolé à la tête de
la chaussée de Margny et tenu par Baudot de Noyelles ( ville près de Lens,
faisant partie du fief des Luxembourg).L'opération commence à cinq
heures du soir. L'incursion n'est pas attendue, mais, par hasard, Jean du
Luxembourg (seigneur de Ham, Guise, Beaurevoir, entre autres) et le Seigneur de
Créqui cheminent sur les falaises de Margny pour observer les défenses de
Compiègne.Dès six heures, ils font
lever la garnison de Clairoix. Peu après, les Anglais de Venette font de même
et coupent le repli. Les assaillants se trouvent bloqués. Jeanne est
désarçonnée par un archer picard du nom de Wardonne. La nouvelle fut vite
colportée à l'arrière. Guillaume ordonna à ses
troupes de ne pas sortir et fit, dit-on, fermer les portes. Dans les jours qui
suivirent, il consolida la place mais n'engagea aucune manoeuvre pour récupérer
la pucelle, son frère et ses compagnons. Guillaume figure dans
l'histoire pour ce non-évènement. Comme Charles le Mauvais, Judas, il est le
partenaire indispensable de la tragédie. Soldat, brave, courageux, réaliste, il
a pesé l'affaire et en a référé à La Trémoille qui commande l'armée. Jeanne a fait sacrer le roi,
Compiègne est assiégée, son village natal subit depuis trop d'années les
contre-coups de pillages et d'exterminations absurdes. En face, Jean du
Luxembourg devrait être son ami. Il est picard contre les Picards. Dans les
régions du Nord, la fille a autant de droits que le fils. Les voix, qu'est-ce
pour un terrien où le catholicisme est encore en germe ? non, Guillaume n'ira
pas sauver la fille à cheval ; d'ailleurs que représente -t-elle ? La Trémoille
devrait recevoir les ordres du roi pour intervenir. Il préfère attendre l'ordre
qui ne viendra pas. Le Vermandois laissa Jeanne à son sort et fit fermer les
portes. Encombrante, trop près de la ligne de front, elle sera amenée à Ham,
puis à Beaurevoir ( dont le nom rappelle l'origine romaine qui jalonne la
chaussée Brunehaut où se trouve encore une tour du château fort portant le nom
de sa prisonnière). Echappant un instant à
l'attention de ses gardes, elle s'enfuira à pied et sera rattrapée à Nauroy en
un lieu-dit " folemprise ", étymologiquement, ce sont ceux qui la
reprenaient qui commettaient acte de folie ! Jean du Luxembourg attendait que le roi paie rançon et trouva vite la
jeune fille très, très embarrassante. Elle fut donc vendue pour 10000 livres
tournois aux Anglais. Prise à Compiègne, qui était dépendante de l'archevêché
de Beauvais , c'est à Cauchon que revint le devoir d'instruire le procès.
Beauvais, relevant de la juridiction de Rouen, le sort s'acharnait sur Jeanne.
C'est au coeur du Pays normand que l'affaire sera traitée et l'anglais voulait
la mort de Jeanne ! Le Vermandois fut la limite
du parcours de la femme soldat, mais également la ligne de départ de la sainte.
Le procès de Jeanne est une des plus belles pages de l'humanité. Toute la
raison est du même côté. Elle n'est que faiblesse . Pire, affaiblie, elle
accepte la communion en s'engageant à ne plus porter d'habit d'homme.
L'eucharistie reçue, elle se ravise et comme les soldats anglais ont laissé là
ses habits masculins, elle les passe pour respecter son voeu précédent de les
porter tant que la libération de la France ne serait pas achevée. Jeanne savait qu'elle devait
mourir et qu'il fallait qu'elle meure. Les juges avaient écarté les accusations
de sorcellerie et d'hérésie mais son acte la condamnait pour relaps à la
sanction antique de l'inquisition cathare: le bûcher. Les grands, les clercs, tous
avaient raison. Guillaume aussi. Et par-dessus tout le monde, le soldat
anglais, ce 30 mai 1431, qui dira " nous avons brûlé une sainte ".
Nombreuses sont les vieilles
de nos villages qui savent encore sur quelle route Jeanne passa avec son
escorte. Le point de savoir, où elle allait et pourquoi, est effacé des
mémoires mais le passage de la sainte est toujours vivant. Il y eut, sans
doute, des paysannes et des ribaudes qui osèrent sortir de leurs chaumines pour
regarder le cortège et s'étonner, à
haute voix, des injustices, des trahisons et des violences faites à une femme, qui courageusement défendait un monarque
qui régnait encore sur le patelin, huit années auparavant.
La paix de Jeanne. La
Bourgogne. Blanche. Le connétable . Castillon. La fin du Moyen-âge.
La mort de Jeanne n'était
qu'un fait divers et pourtant quelque chose avait changé. Le concile de Constance
avait contribué à un peu de clarté dans l'église. Partout l'individu commence à
exister. Guillaume de Flavy comme tous les habitants du Vermandois avait suivi
les échos que la rumeur colportait sur cet étrange procès. Aucun
"papier" n'existait encore pour diffuser les débats mais l'opinion
publique révélait, déjà, et même par son silence, une indiscutable existence.
Le pays, des deux côtés de la fracture politique, écoutait et manifestait dans
cette attention une unité de fait. Les batailles cessèrent une année durant et une trêve de quatre
années prolongea cette période de grâce divine. Ce temps fut utile au roi de
France qui se fera présenter une délégation venue de Saint-Quentin lui
signifier sa fidélité en sa personne royale. L'autre roi de France, Henri
VI, roi d'Angleterre, après la mort de Jeanne ressentit l'appel du Saint
Esprit. Sans l'onction, jamais le peuple ne le légitimerait. Aussi, le 16
Décembre 1431, il se présente à Notre Dame de Paris. La plupart des prélats du
royaume étaient absents? N'était-ce pas en pleine période de chasse ?
L'archevêque de Sens dont dépendait Paris s'était excusé. Finalement , c'est le
cardinal d'Angleterre qui conféra l'onction, entouré des évêques de Paris,
Beauvais, Noyon et du Chancelier Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne,
comte de saint Pol, Bapaume, Péronne . Le peuple assista et ne retint de la
cérémonie que l' expression "tiens, un ange passe !" que nous
utilisons encore pour faire parler le mutisme contre une approbation tacite . On
ne dit rien ! L'ange passe, on n'en pense pas moins ! Dix huit années après, la
guerre de cent ans était terminée. En 1435, Charles VI et le
Bourguignon Philippe le Bon s'entendent et signent le traité d'Arras. Le
Vermandois, sauf Ham et les villes de l'Oise, devint bourguignon. C'était un
contrat d'échange très moderne que nous connaissons en finance sous le terme de
bail à réméré. Philippe achetait l'usufruit
du Vermandois moyennant 400 000 écus d'or, avec foi et hommage au roi de France
qui se réservait le droit de rachat. Par cet arrangement complexe, Charles VII
restait souverain et seigneur sans les charges et les bénéfices et pouvait
racheter le fonds de commerce.Pour les adeptes de la
numérologie et des chiffres, le fonds de commerce de la région valait donc
cette somme en 1435. A titre de comparaison, le bail représentait 40 fois le
prix de vente de Jeanne d'Arc ; l'activité de rançonnage était bien plus rentable que les autres,
n'etait-ce pas conforme aux usages de la chrétienté ?
L' exécution de Jeanne frappa
l'humanité car il s' était agi d'une faute doublée d'un archaïsme. Une preuve
en fut donnée par un fait divers qui se déroula une décennie après à Nesles. Guillaume de Flavy, qui à
défaut d'avoir sauvé la pucelle, avait gardé Compiègne, se trouva favorisé par
l'affaiblissement des Anglais et la paix avec les Bourguignons. Cette situation
méritait d'être rentabilisée. Guillaume organisa donc plusieurs expéditions
parfaitement punitives sur Noyon qui avait été du côté du sire de Créqui. Avec
ce petit pécule, il tenta une opération tout aussi cavalière en demandant la
main de Blanche d'Overbreuc. Celle-ci portait le titre de vicomtesse d'Acy et
avait 16 ans alors qu'il passait la quarantaine. Vicomtesse ! Il y avait un
brin d'arnaque, là-dedans, que Guillaume avait flairé. En effet, le précédent
seigneur était mort sans héritier et la dévolution au père de Blanche était
plus que suspecte, puisque de notoriété publique, il était arrivé désargenté de
sa région d'origine proche du Boulonnais où l'anglais régnait maintenant. Guillaume, en stratège
machiavélique, épousait la fille, permettait au père de payer les frais, droits
et impôts qui lui faisaient reconnaître la pleine propriété et récupérait le
tout, par bon et valide mariage. La cérémonie eut lieu très solennellement à
Compiègne en Avril 1436.La pauvre Blanche, dont
l'esprit était nourri des premiers sentiments de galanterie, de courtoisie et
qui ne pouvait ignorer l'exemple de Jeanne, était livrée à un soudard, pingre(
Blanche devait demander à l'intendant Simon d'Aubigny l'argent des quêtes et
aumône) et coureur de jupes. Dans son infortune, elle trouva compassion auprès
du barbier de Guillaume, Jean Boquillon et auprès d'un bâtard élevé à Flavy
mais surtout l'amour auprès d' un jeune capitaine, Pierre de Louvain,
commandant Noyon. En février 1449, au château
de Nesles où Blanche vivait cloîtrée, en entretenant une correspondance
amoureuse avec Pierre, Guillaume vint la rejoindre dans ce château hérité de sa
mère . Il sera étouffé sous un oreiller et saigné par Blanche et ses deux
comparses. L'affaire fit un bruit
énorme et l'objet de nombreuses chroniques. Les Compiégnois poussaient un
soupir de soulagement mais une femme qui était mère d'un enfant pouvait-elle
commettre un crime au nom de l'amour ou du dégoût qui lui inspirait son époux ?
La justice d'alors se
démarquait de l'arbitraire que saint Louis avait proscrit mais demeurait très
primitive surtout en matière de moeurs et pourtant Blanche obtint rapidement
une lettre de rémission, c'est-à-dire de sortie de prison. Son ami Pierre
aurait payé ..... Les frères de Guillaume dont certains étaient du côté
bourguignon et d'autre du côté français demandèrent l'appel du jugement au
Parlement de Paris qui servait de recours suprême pour la noblesse. Celui-ci
confirma et le Roi publia le 14/11/1540 la lettre de rémission finale qui
permettait à Blanche d'épouser Pierre.
Il est resté une chanson de
cette affaire car Pierre aussi fit un séjour en prison à cause ce cette affaire
qui troubla beaucoup la petite noblesse. - Je veux mon ami Pierre,
tra la la la la la Je veux mon ami Pierre, celui qu'est en prison, celui qu'est en
prison ! Jeanne était passée,
innocente et sacrifiée. Blanche sera coupable et libérée. L'une comme l'autre,
comme Christine de Pisan et Colette de Corbie, elles avaient fait sauter un
verrou du destin de l'humanité. Cette étape historique confondante fut peu
relatée et commentée sur le papier, l'humanité sortait grandie, discrètement.
Il faut rappeler aussi à cette date carrefour, que c'est Isabelle la
Catholique, reine d'Espagne qui imposera un certain Christophe Colomb, qui
provoquait des risées dans toutes les cours misogynes d'Europe, pour une
expédition impossible ! Dans l'histoire de France,
nos concitoyens qui tinrent le mauvais rôle font légion : Herbert, le Comte du Fayet, Guillaume de
Flavy, Jean du Luxembourg, ajoutons
Isabeau de Bavière dont le portrait résista aux bris de verre jusqu'en à la
grande guerre de 1914/18 à la collégiale de Saint-Quentin. Cette galerie rassemble
nombre de personnages que Jules Ferry, Michelet et d'autres ont mis à l' index
par simplisme. Nous sommes ainsi dissuadés très tôt d'exercer notre
esprit critique et transmettons inconsciemment ce qui est étymologiquement une malédiction. La nation n'aurait rien été
sans nos ancêtres, personnages entiers et souvent courageux ! Au delà du bien
et du mal, ils ont d'abord été des membres importants de la famille et leurs
jugements ont été dictés par la terre, les liens de sang, la foi, les rapports de
voisinage et indiscutablement un message pour leurs descendances . L'évocation des
considérations complexes qui ont présidé à des décisions condamnées n'a
évidemment pas place dans les manuels ni dans l'opinion dominante. Ainsi, trop souvent, les condamnations précédent les jugements !
L'école de la
République voudrait bâtir, sur ces
déformations, une société réconciliée. La construction, qui en résulte, édifiée
sur du sable, plonge l'humanité dans un malaise ressenti confusément et tragiquement.
Vérité en deçà des Pyrénées,
Mensonge au delà, dit- on, pour mettre en garde des concitoyens souvent
chauvins et ignorants.Peu soupçonnent
que cette chaîne de montagnes puisse se
dresser à cent kilomètres du centre du pays et le fracturer. Parce que c'est un problème
politique actuel, il nous faut parler ici de notre concitoyen Gabriel Hanotaux,
natif de Beaurevoir qui, au début du vingtième siècle, a écrit l'"
Histoire de La Nation Française ". Diplomate de profession, mais surtout
homme politique très engagé, Hanotaux savait mieux que personne que la paix se
construit sur des différences , sur l'amour des hommes et sur le pluralisme, et
pourtant son oeuvre porte la marque
indélébile d'une époque qui endoctrine encore nos universités . L'histoire devait justifier la politique, pas seulement
en théorie mais aussi pour asseoir une majorité au parlement de la troisième
République. Dans ce contexte, ce natif de Beaurevoir, député de l'Aisne,
ministre, n'imaginait pas qu' il ait pu agir comme un agent inconscient de la
" KulturKampf " qui détruira sa maison et son village. Il ne s'était
pas trompé pourtant et son analyse était juste; la faute reviendrait plutôt à ces lecteurs, exégètes et aux
professeurs ! Vers le milieu de notre
chronique sur l'histoire du Vermandois et alors qu'entre en scène un autre
personnage passionnant car il fut le bâtisseur du fort de Ham, notre cri de
révolte est bien un appel au révisionnisme historique permanent. La démocratie ne saurait
survivre sans une perpétuelle remise en cause, l'honneur des peuples, affirmons
le clairement, pas plus ! Cette philippique tombe, par
mégarde, à la fin du moyen-âge alors que chaque page et chaque fait
justifierait semblable plaidoyer ! Par ce détour philosophique,
il n'est cherché, ici, qu'à exorciser
une angoisse intime et à montrer
combien nos croyances sont sujettes à caution : le moyen-âge, médiéval et obscur n'a jamais existé, pas plus que la
France et la Nation et le conceptualisme d'Abélard demeure une grande question
d'actualité ; seules, néanmoins, les décisions de nos ancêtres expriment
concrètement une vérité respectable et significatrice et interpellent
directement nos consciences. Mais bref, coupons court à ces jérémiades ! Jean du Luxembourg , qui
tenait Guise et de nombreux fiefs, reçut, par sa femme, Ham qui verrouillait les sources de la Somme et tenait la
clef entre le Nord et l' Ile de France. Alors que son beau-père avait été du
côté du parti armagnac, lui est du parti des Bourguignons et d'Isabeau. Du 18
Janvier 1428 jusqu'à 1440, ses possessions feront tache d'huile : Vendeuil,
Annoy, Bruyère et Annoy dans le Laonnois, Flavy-le-Martel, Beaurevoir. Ces
investissements sagement réalisés ne devaient rien au hasard. Jean du
Luxembourg n'avait-il pas vendu Jeanne d'Arc pour une rançon de 10 000 Livres Tournois. Lorsque le traité
d'Arras viendra clôturer certaines querelles, le roi de France et le
Bourguignon prendront en compte les nombreuses acquisitions de Jean du
Luxembourg dans l'appréciation du crédit-bail du Vermandois, car nul n'ignorait
que Jean n'avait pas de descendant direct. Mais le marché avait été
traité et le roi de France n'avait pas encore les moyens, la seigneurie revint
donc à Louis du Luxembourg, Comte de Saint Pol, Connétable de France, neveu de
Jean et héritier par son épouse du fief
de Ham. Il fut un des bâtisseurs du
fort de Ham et ,comme souvent en ces temps, se remaria, après le décès de son épouse, à une femme digne de son rang
: pas moins que la soeur de la reine de France, Marie de Savoie. La fonction de Connétable de
France situait aussi ce seigneur important. Il n' était pas moins que le chef
de l'armée, en une époque où l'art militaire subissait une véritable
révolution. La cavalerie était quasiment morte à Crécy, la chevalerie venait d'être
étrillée à Azincourt et l'ost avait disparu en 1439 par l'édit du " deux
Novembre " qui créait l'armée française. Interdiction était faite aux
seigneurs de lever des troupes privées. Les capitaines des compagnies recevront
dorénavant leur commandement du Roi seul, et le Roi sera dorénavant le seul
signataire de la solde. Pour le
financement de la troupe , une gentille taxe du nom de" Taille Permanente
" faisait son apparition dans l'éventail des moyens de tonte du petit
peuple. Finis les pillages pour les
guerriers, reconnus pourtant comme un droit par les combattants francs, haro
sur l'ennemi qui ose vivre de cette manière ! Le Connétable devenait un
personnage anachronique mais, comme souvent dans nos armées, les officiers
supérieurs et le supérieur des supérieurs gardaient tous les privilèges du
rang, tout le charisme du chef et la gloire du grade. Il faudra attendre
Richelieu pour supprimer le poste et le titre du pacha suprême. Jean du Luxembourg, Comte de
Saint Pol, seigneur de Ham, La Fère, Beaurevoir, Vendeuil, Guise, voire Coucy
etc.....non seulement portait le titre et assumait la fonction mais il était
riche et puissant en plus... Le fort de Ham et les ruines des châteaux alentour
attestent d'une puissance prodigieuse dont le dispositif est une énigme. Vers où, ce réseau de forts
était-il dirigé ? Bapaume Péronne, Ham,
Guise verrouillent-ils la route Nord
-Sud ou celle qui va d'Est en Ouest ? Jean avait sans doute les
moyens d'une ambition personnelle et des projets pour notre région. Sa connaissance de l'art
militaire et sa bravoure avait été démontrée lors de la bataille de Castillon,
" Castillon la bataille " qui en 1453 chassait l'anglais de Guyenne
et de Gascogne. Puis en 1465, à la bataille de Monthléry, ses actes ( et son
mariage) lui vaudront le titre de connétable à la suite d'exploits guerriers. Superbe et porteuse de
bâtiments parmi les plus impressionnants du monde occidental , notre région ne fit pas attention au moyen âge qui
allait mourir. Par un texte promulgué en
1438, le roi supprimait d'un trait de plume l'obligation des
"annates" au pape et confirmait les dispositions
"canoniques" du concile de Paris du début de la même année,
c'est-à-dire la supériorité du concile sur le pape et l'indépendance du Roi
pour les questions temporelles. Les finances de l'Eglise faisaient à nouveau
l'objet d'une O.P.A sauvage pour la fortune unique du Roi. Il incarnait seul la
nation et disposait de moyens pour la façonner. Gabriel Hanotaux jugera, en son
temps, l'oeuvre achevée : la Nation française érigée pour toujours ! Malraux,
au début de nos temps, affirmera la fragilité de cette supposition,
"Civilisations, nous aussi savons que nous sommes mortelles ! " Le Vermandois de la fin du
moyen âge pensait aussi que tout était
bien et que sa force participait de celle d'une nation modèle, n'ayant rien à craindre de personne. au monde !
Chez Charles Le
Téméraire avec les bourguignons. Louis XI à Péronne. La fin tragique de Jean
du Luxembourg.
Le traité d'Arras avait
réglé l'appartenance des villes de la Somme. Tous les riverains y chantaient
désormais " et, je suis fier et je suis fi-er d'être bourguignon "
avec l'accent picard et du bout des
lèvres. On parlait encore de la sympathie manifestée par la tante de Jean du
Luxembourg et marraine du roi de France à la petite prisonnière du nom de
Jeanne. Les rois de France , après tout, étaient tous natifs de familles du
terroir et avaient conservé une réelle affection de la part du peuple en dépit d'une
notoriété publique qui créditait le roi d'une situation de
fortune bien inférieure à celle du Bourguignon. On le disait ouvertement
désargenté .
Le Comte de Saint Pol et
Philippe le Bon n'avaient pas vraiment cassé leur tirelire en achetant à réméré
le Vermandois et les villes de la Somme et avaient encore assez d'écus pour
éclabousser de fêtes et de magnificences tous leurs états. Philippe le Bon
avait indiscutablement un sens des affaires qui faisait défaut à la monarchie
française. Comme la prospérité venait
du commerce de la laine des régions flamandes, il instaurera l'ordre de la
Toison d'Or. Dans cette distinction, Philippe pouvait incorporer tout à la fois
les nobles vaillants( Louis du Luxembourg fut un des premiers chevaliers de
l'ordre) mais aussi des tisserands et drapiers, capitaines d'industries,
chevaliers nouveaux de temps nouveaux. La Bourgogne de Philippe se démarquait
des pratiques du royaume et ouvrait la voie au commerce et à l'industrie.
L'ouverture était judicieuse car les temps modernes venaient de commencer. Notre région, devenue
bourguignonne, continua à admirer l' entraînement des chevaliers bien que les
forteresses démontrassent déjà l'inutilité des armes blanches et s'intéressa à
d'autres activités. Le tissage, les colifichets, la broderie, la teinture, la
passementerie, vont connaître rapidement un essor prodigieux. Ces techniques
exigent aussi quelques connaissances de chimie et de physique dont les
développements ultérieurs assureront une vocation industrielle à nos
concitoyens. Parmi les progrès du temps,
il faut citer aussi les inventions des frères Bureau. Originaires de Reims, ces
deux artisans transformeront le lourd canon et la bombarde en des armes légères
et maniables. Expérimentées à Castillon la Bataille, puis à Monthléry, les gueules
de feu nouvelles donneront à la France un avantage considérable pendant des
siècles. De la capture de Jeanne en
1430 à la victoire de Castillon en 1453 et jusqu' au second traité d'Arras en
1482, notre région vécut une période de
paix et de libertés économiques. Une grande partie des ornements de l' hôtel de
ville de Saint-Quentin portent, dans leurs voussures et fleurs de pierre,
témoignage que le sculpteur était et
mieux nourri et mieux payé vers l'achèvement du bâtiment. Nous emprunterons l'autre
indice de la bonté de ces décennies au théâtre et à la pièce maîtresse de l'époque médiévale :
La Farce de Maistre Pierre
Pathelin. Comme son auteur est resté méconnu, les professeurs restent un peu
cois sur l'intérêt de sa lecture et pourtant la pièce porte merveilleusement
l'empreinte du peuple des petites villes vers 1460. On y trouve Guillemette, la
douce et sage villageoise, le malin Pathelin, clerc et avocat de son état,
c'est-à-dire deux fois du côté de la morale et le drapier. C'est ce personnage
qui est nouveau dans la comédie. Dans nos régions, il est
vrai, les valeurs monétaires sont devenues courantes: l'écu, le parisis, le
franc, le denier, les mesures diverses reviennent sous mille formes dans les
disputes avec l'apparition nouvelle d'un sujet irrémédiablement drôle et oublié
depuis longtemps: le crédit. Le drapier: " Par le
saint Soleil qui rayonne, je retournerai, qui qu'en grogne, chez cet avocat
d'eau douce. Eh bien ! Comme il sait retirer les rentes que vos parents ou
parentes auraient vendues ! Par Saint Pierre, il a mon drap, le filou ! je lui
ai donné ici même. "
Il y a dans le langage de la
pièce beaucoup de tournures qui ont inspiré le Capitaine Haddock et une
synthèse particulièrement intéressante de la vision de l'époque. En effet, Pathelin, pour
tromper son monde, va, à la scène cinq, s'exprimer dans les langues de
l'époque. La représentation théâtrale n'aurait, en toute vraisemblance, pas été
comprise au delà des zones où le français cohabitait avec le limousin, le
flamand, le normand, le breton, le lorrain, le latin et bien sûr le picard.
Le drapier:        " Dea! Il
s'en vint en tapinois        atout mon drap soubz son esselle.
Pathelin ( en picard):        Venez ens, doulce damiselle et que veult cette crapaudaille ?
       Alez en arrière, merdaille!......
       Ca tost, le veuil devenir prestre.
       Or çà, que le diable y puist estre
       en cette vielle prestrerie
       er fault il que prestre rie
       quand il deust chanter sa messe !
Guillemette:        Hélas ! hélas!
       L'heure apresse
       qu'il fault son dernier sacrement
       mais comment il parle proprement
       Picart ? Dont vient tel cocarderie ?
Guillemette:         Sa mère fust de
Picardie
       pour ce le parle maintenant . "
|
Ce monument du théâtre fut
composé trente années après la fin de la guerre. Il révèle un réel dynamisme
commercial et aussi les problèmes moraux de la prospérité. Pathelin, qui
devrait être le bon, est un filou. Le drapier niais et ridiculisé porte à la
catharsis les problèmes de la majorité des spectateurs. Guillemette représente
pleinement la femme, joyeuse, indépendante et fine et est devenue l'héroïne
éponyme de la jeune femme de France . Derrière les tours du
connétable, le Vermandois profita indiscutablement de l'éclaircie mais déjà les
nuages noirs gonflaient dans le voisinage. Le Gentil Roi Charles VII
avait consolidé la cagnotte et s'était bien juré de ne plus connaître les
affres d'une situation financière délicate. Très tôt, son fils Louis ,comme c'est le cas fréquemment dans les
familles où le père économe réfrène les caprices des enfants, s'opposa à
l'autorité parentale. A 17 ans, il soutient " la Praguerie ",
mouvement de la noblesse qui trouvait prétexte dans le mouvement protestant
avant la lettre de Jean Hus à Prague pour garder le droit de lever des troupes
seigneuriales ( Droit aboli par la Grande Ordonnance de 1439). Puis il se ligua à
l'Empereur d'Allemagne, exacerbé par la critique systématique des habitants
d'une ville qui fera parler d'elle: Bâle. Arrivé à l'âge adulte, par son
mariage avec Charlotte de Savoie , il devint le dauphin, régent de la province
du Dauphiné et de ces belles montagnes. Le futur Louis XI dévoila sa
vraie nature. L'attirail royal comportait mille clauses fiscales et taxes
nouvelles. Il lui fallait des moyens pour une politique à long terme; Les exactions, spoliations,
confiscations se fondaient sur une volonté souveraine et les victimes à l'instar de Mandrin qui restera
célèbre
" Nous étions vingt ou
trentebrigands dans une bande.... La
première volerie que je fis dans ma vie......"
ne trouveront de compensation
que dans l'illégalité. Le roi même, son père,
entendit les suppliques de ses sujets et envoya une troupe pour arrêter le
dauphin. Celui ci trouva refuge chez le
duc de Bourgogne en Flandres. Le 22 Juillet 1461, le roi
meurt et Louis XI et Philippe le Bon font une courte chevauchée à Reims pour
que l'onction royale oigne le front du frondeur. Roi de France, Louis XI
poursuivit les méthodes éprouvées par le Dauphin et devint le premier roi de
France digne de ce nom. Le résultat vaudra à ce monarque une appréciation
mitigée, trop faible avec son médecin, trop généreux avec ses serviteurs,
fourbe c'est à dire très peu courageux, et très cruel. Les superlatifs ne
manquent pas pour cet homme dont plusieurs caractéristiques affirment une
vision des choses peu commune : . Il détestait Paris
A la fin de son règne, la taille atteignit
quatre millions de livres, somme jugée fabuleuse et excessive toujours
deux siècles après. Il
institua le Parlement de Bourgogne et celui de Bordeaux. Il mit en place le réseau des postes pour
les déplacements . Il commença de dresser l'inventaire des
coutumes de tout le royaume . Il n'accepta jamais qu'un ambassadeur
musulman rentre en France.
Il y avait du bourguignon et
beaucoup de français dans ce visionnaire. Son rôle, dans la destinée
du Vermandois, est absolument capital et confirme, a contrario, qu'il ne
pouvait y avoir de grand roi indifférent à notre province. Dès 1464, moins de trois
années après le sacre, Louis XI utilisa la clause de retour du traité d'Arras
et rachetait le Vermandois, Amiens et Abbeville . Ponction bien sûr sur le dos
du peuple et par la manipulation des mesures et des valeurs, diminution
immédiate des rentes des privilégiés. Comme dans le Dauphiné, les grands se
rebellèrent et organisèrent la ligue dite du " Bien Public",
terme qui, depuis l'origine, est donc teinté de volonté de défense des droits
acquis et de maintien des privilèges. L'épisode de Monthléry
intervint dans ce contexte et donna à Louis du Luxembourg l'occasion de se
glorifier: mariage avec la soeur de la reine, rente de 24000 livres, titre de
connétable et même insigne de l'ordre de Saint Michel institué par Louis XI
pour contrebalancer par la spiritualité évangélique l'ordre matérialiste de la
Toison d'or. Tant de cadeaux méritaient
une contrepartie. En effet, Louis du Luxembourg était un seigneur à double serment.
D'un côté, il prêtait allégeance au roi et, pour un montant au moins
équivalent, au prince bourguignon. Or ce puissant avait aussi quelques raisons
de craindre un Vermandois redevenu principauté ou comté comme au temps où
Herbert avait séquestré l'empereur. A Conflans, un pacte fut conclu : moyennant
200 000 écus à payer après la mort du frère du roi , Charles, Comte du
Charolais, Berry, Guyenne, Charles le
Téméraire reprenait ses domaines. La note s'était donc alourdie pour Louis XI
même si un petit crédit lui était alloué. Un traité, comme la
pluie n'arrête pas le pèlerin, ne
pouvait pas détourner le roi de son " bon-vouloir ". Pour ce faire, il fallait
fragiliser le Bourguignon et ramener Picardie et Artois au bercail. La
Franche-Comté, l'Alsace suivraient naturellement. Louis XI finança donc la
révolte des Liégeois. Ceux-ci comme toutes les bourgeoisies montantes,
instruites par Gutemberg et les financiers italiens, manifestaient de la
mauvaise humeur. Or le roi de France semblait
aimer ces rebelles et soutenait ouvertement le mouvement. A l'occasion d'une
entrevue que le roi faisait à sa belle-soeur, Marie de Savoie chez le
connétable Louis du Luxembourg au château de Péronne, le duc de Bourgogne,
grand souverain des lieux était là. Ce n'était plus Philippe le Bon mais un
certain Charles le Téméraire, allié au frère du roi, le très turbulent comte du
Berry et de Guyenne. Même, s'il s'agissait d'une visite de famille, la rudesse
du château ne pouvait qu'être le cadre d'une explication tendue ; ce que la
diplomatie qualifie habituellement, par
euphémisme, d'entrevue ou d'entretien chaleureux. Charles le Téméraire était le
fils de Marie du Portugal et devait crier le plus fort ! Louis du Luxembourg
était pris entre deux feux et surtout soucieux de ses domaines et de sa place
sur l'échiquier européen. Par un concours de circonstances, il était même, par
sa femme, devenu l'oncle du roi
d'Angleterre Edouard . Dans ce pugilat verbal dont l'épaisseur des murs ne
laissa passer que des échos assourdis, le roi de France, perdit des points
sinon la partie. Le peuple reçut l'information que le roi était tenu prisonnier
et même menacé de mort. La désinformation et la guerre des communiqués
existaient déjà. Par ce traité dit de Péronne, le roi de France donnait à son
frère la Champagne et la Brie au lieu et place de la Normandie qu'il gardait et
s'engageait à aller combattre, au côté de Charles Le Téméraire, les Liégeois
qu'il avait ouvertement soutenus. L'affront semblait fait au roi de France mais
le malin gagnait sur plusieurs tableaux :      
* la Normandie lui était acquise,      * la Champagne et la Brie allaient
à son frère qu' il savait pouvoir réduire d'une manière ou d'une
autre ( l'usage des "bonnes fillettes" était déjà connu
à qui osait s'en servir).
     * Les Liégeois battus auraient
encore plus de raisons d'en vouloir à Charles le Téméraire
Sur le chemin du retour,
Louis XI s'arrêta ostensiblement à Saint-Quentin et se montra largement au
peuple. Rentré à Tours, il convoqua les Etats-Généraux et ordonna au duc de
Bourgogne de comparaître. Le motif du contentieux était tout trouvé. Son frère
n'étant plus comte de Normandie, la promesse des 200 000 écus était échue. Il
ne fut tenu aucun compte des traités passés récemment et d'une éventuelle
novation qui aurait rendu caduque ce vieil agrément. Le Téméraire refusa de se
rendre devant ce tribunal subalterne. Le connétable de France, qui avait fait
graver sa devise " Mon Mieult" sur la grosse du tour du château de
Ham, fut donc commis à reprendre Saint-Quentin, ville royale. C'était du cent
contre un, Louis du Luxembourg possédait tous les forts alentour et les Saint
Quentinois qui avaient été influencés par le mouvement des "Gens
Intelligents" des villes du Nord et de la révolte liégeoise souhaitaient
le retour de l'ancienne charte accordée par Philippe Auguste. Nombreux étaient
cependant les nouveaux riches qui appréciaient l'économie nouvelle. Il était
prudent de prendre une forte troupe. Il fut compté 200 lances et un grand
nombre d'arquebusiers. Toute la stratégie personnelle de Louis du Luxembourg
avait été de reconstruire le Vermandois dans ses frontières naturelles et voilà
qu'il pénétrait au coeur du dispositif. Il chassa immédiatement le
gouverneur de la ville, le sire de
Craon, militaire directement à la solde du roi. La logique le conduisait à se
rapprocher du duc de Bourgogne, tout proche et défenseur des armées féodales et
aussi de l'Anglais, fortement frustré et au fond prétendant légitime. Il
demandait à ses voisins des soldats que ceux-ci recrutèrent sans problème. La
soupe du connétable provenait d'une terre riche et le lard figurait à
l'ordinaire. Certainement que dans cette
logique d'armement et d'ambition, Louis du Luxembourg sauta inconsciemment le
rubicon qui sépare la défense passive de la sécurité active ou peut être que
son message fut mal interprété. Les troupes anglaises paraissaient invitées à
Saint-Quentin par l'oncle de leur souverain. Quel ne sera leur étonnement d'être reçues à coup de
canon ! Notre seigneur venait, sans
doute, de se rendre compte que ses
alliances, qui lui avaient servi pendant cinq années à bâtir une terre promise,
risquaient de l'entraîner trop loin. C'était, à tout prendre un acte de
fidélité au roi qui remoralisait les citoyens de France qui trouveront une
autre aide providentielle à Beauvais, grâce à Jeanne Hachette. Louis avait placé son pays
et son ambition au delà d'un carriérisme politique. En repoussant les soldats
anglais, il s'aliénait Edouard IV et désavouait sa connivence tacite avec le
duc de Bourgogne.Charles le Téméraire et
Louis XI avaient donné maints spectacles de querelles sérieuses avec effets de
bluff, chantage et arnaque. Une opération pourtant les liait de manière peu
connue: Charles VIII, fils du roi de france, n'avait -il pas été fiancé à huit
ans avec Marie, fille du Téméraire! Devant l'attitude de Louis
du Luxembourg, le Bourguignon lâcha Edouard IV qui lâcha son oncle et signa
avec Louis XI le traité de Pecquigny(29.8.1475) sur la Somme. Une trêve de sept
années était stipulée et un gros chèque scellait le tout: 75000 écus et une
rente annuelle de 50000 écus. L'Anglais partait en confiant ses places fortes
au roi de France. Louis du Luxembourg écrivit à son neveu " Qu'il était
ung lashe deshonnoré et povre roi d'avoir faict ledict traité avecque Loys,
soubz ombre de promesses qu'il luy avait faictes, dont il ne lui tiendrait rien
et s'en trouverait deçeu".Ce courrier compromettant
fut porté à la connaissance du roi de France par Jacques de Saint Pol, frère de
Louis.L'affaire fut aussi
rapportée à Charles le Bourguignon. Louis du Luxembourg avait failli à des
principes de chevalerie. Il n'avait provoqué aucun combat, jamais fait couler
de sang inutilement et était resté loyal , pourtant il comprit vite la cabale
et se reconnut dans une situation critique: " Il ne savait plus que faire,
sinon de mourir en sa peau comme le renard " relata un historien. La mort de sa femme avait
fait tomber le seul rempart à la vengeance royale. Charles le Téméraire le fit
arrêter et conduire à Paris. Le Parlement le condamna à mort. Il fut exécuté
place de grève le 2 décembre 1475, non pas proprement mais improprement par un
bourreau novice et fiévreux qui fera rouler la tête à vingt pas. Il y a des bavures même chez ceux dont les clients
ne se plaignent jamais....
La cruauté de Louis XI
atteignit son apogée contre Louis du Luxembourg. Le personnage peut pourtant
être regardé comme sympathique . Il voulait construire et il a beaucoup fait
pour cela. Il voulait un Vermandois riche et heureux, ce qu'il réalisera presque. Comme Herbert, comme
Guillaume, il n'osera pas aller au bout de ses actes, retenu sans doute par une
main invisible qui a toujours dicté aux habitants du pays les voies du
sacrifice. Les manuels d'histoire
détruisent complètement sa mémoire alors que même Louis XI eût certainement
reconnu que son seul crime avait été d'écrire une lettre à son neveu pour le
mettre en garde contre des traités, payables en écus frappés à l'effigie
royale. Il n'eût pas toutefois discuté la sentence, c'était la sanction
prescrite par l'ordre de Saint Michel. Ce code d'honneur est aujourd'hui
occulté voire incompréhensible et les maîtres d'histoire se limitent à
ressasser que le Comte de Saint Pol était un de ces grands seigneurs débauchés
et désobéissants qui saignaient le petit peuple. Il méritait plus d'humanité,
ce que le petit bourreau fit involontairement en rendant témoignage que rien
n'est simple avant l'heure du jugement
dernier.
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