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L'entre deux guerres.


Le passé méritait, plus que jamais son nom. Chaque brique fut retournée précautionneusement pour déterrer les moindres cartes postales et manuscrits. Malgré l'attention de tous les sens, la cueillette fut maigre. Il ne restait ni vie, ni trace, ni survivance. Les temps anciens manquaient simplement à l'appel . Ni l'église, ni le château, ni la mairie n'offraient de prise pour les regards. Les femmes et les enfants n'avaient plus de toit. Les hommes valides qui étaient restés pendant les quatre années, n'avaient plus d'outil de travail et se trouvaient spoliés par le changement de monnaie. Les jeunes conscrits d'avant 1914 avaient l'estime de la patrie et comptaient sur la nation reconnaissante pour vivre mieux, ailleurs.
Une fois l'occupant parti, tous les habitants se demandèrent quel pouvait être l'avenir sur cet amoncellement de débris ?
La communauté juive avait juré de ne retourner qu'auprès d'une seule ville détruite, au début de notre ère, hélas loin d'ici. Le pasteur protestant, très attaché à son temple, n'avait plus assez d'ouailles. Le curé ne retrouva plus les belles cloches d'airain qui avaient été bénites huit années auparavant. Il fallut bien du courage à ceux qui revinrent. Le sort ne donnait de consolation qu'à ceux qui avaient avant la guerre " acheté de la terre " à contre courant de tous les conseils des experts reconnus d'alors..... ou de l'or.
Dès que l'armée de Debeney eut franchi les ponts du nord, l'armistice ne tarda pas. Il fut signé à Rethondes, près de Compiègne le 11 novembre 1918 . Cette cérémonie étrange clôturait un conflit armé où le vainqueur accordait grâce à celui qui rendait les armes. Les officiers reconnaissaient cette pratique comme leurs ancêtres chevaliers l'avaient fait. Le peuple, lui, la rejetait comme il bafouait toutes les obligations héritées des classes minoritaires dirigeantes. Sous la pression populaire, Foch, le généralissime, revint dans la célèbre clairière trois années plus tard, en 1922, pour y inaugurer une stèle commémorant la victoire sur le "Criminel Orgueil ".
La marque ambiguë du confessionnal et du talion était gravée dans la pierre. La victoire n'était pas l'arrêt des criminels, elle se voulait la vengeance du méprisé sur le méprisant. L'ordre moral gommait le droit pénal sans l'effacer. La faute était celle décrite dans les premières pages de la Genèse. Adam et Eve étaient chassés du jardin d'Eden, non pas tant d'avoir enfreint l'interdiction de voler la pomme que d'avoir voulu égaler en connaissance le maître des lieux.
En minimisant l'aspect matériel, seule la notion morale de la réparation de la faute était retenue. Il fallait " faire payer " !
Hélas, dans le débat sur les causes ,le méprisé prenait le risque d'être méprisable.
La politique de la France vis à vis des pays meurtris fut, de ce fait, indigne, comme elle le fut vis à vis de l'Allemagne. Les préjudices étaient noyés dans un débat théologique sur le prix de la faute, sans pater, ni ave, ni pardon. Clausewitz, dont le nom est attaché à la deuxième armée allemande qui patrouilla près de chez nous, avait déjà clairement énoncé que la diplomatie était la continuation de la guerre par d'autres moyens ( et vice versa). A mille jours de la fin de la guerre, un camouflet à l'honneur d'un pays était fait, alors même que les crimes n'étaient pas jugés et les réparations pas estimées !
Quelles raisons précipitaient le gouvernement à jouer au coq de basse-cour, alors que le poulailler était encore en ruine ?

Petite annonce de 1920 .....Il n'y avait plus grand chose au pays , même les femmes manquaient!


Clémenceau, le tigre, qui avait sorti Foch de son moteur, était l'âme du radicalisme anticlérical. Poincaré, président de la République, incarnait l'union nationale sans pourchasser les croyants. Les curés s'étaient montrés aux premières lignes du front lors de toutes les boucheries et jouissaient d'un capital de sympathie inégalable. Les accusations de calotins et de diminués sexuels tombaient très très bas devant des hommes qui avaient connu l'humidité des tranchées, la peur au ventre, les gaz mortels, la soupe froide, l'absurdité des ordres, et partagé les derniers instants de milliers de frères de combat.Le trouble dans les esprits est le pain blanc de la politique des partis. Deschanel remplaça Clémenceau le 18 février 1920. Très vite, Millerand, champion de la veste à revers multiples et as du faire-la-manche à gauche comme à droite, prit la suite.
La troisième République, malgré la couleur du vernis, restait et perpétuait les vieilles recettes qui ressemblaient à de la bonne administration , à défaut d'imagination. Son premier péché fut l'or, reflet doré de l'orgueil. La France garda la parité de sa monnaie exprimée en or, comme si le sou, qui circulait à Saint-Quentin, Péronne ou Ham entre la sucrerie, la brasserie, la laiterie et la banque, avait la même valeur que celui qui circulait, après 1918, alors qu'il n' y avait plus rien. Le gouvernement s'épuisa dans son illusion de richesse et, en 1919, la très charitable Banque d'Angleterre coupa ses crédits. Il n'importe ! puisque le vaincu était le coupable ! La France demanda solennellement la réunion d'un tribunal international pour y faire comparaître trois cent trente criminels de guerre dont Guillaume II, Hindenburg, Ludendorff, le Kronprinz. Satisfaction fut donnée à notre pays mais la comparution des inculpés était contraire au code de la guerre ; les accusés ne se présentèrent pas.
Au chapitre des erreurs, il faut aussi citer le traité de Versailles. Tout fut fait pour établir un parallélisme entre celui de 1870 et celui de 1918 et satisfaire l'amoureux de symétrie mais, avaient-ils vraiment quelque chose de commun ?
L'Alsace et la Lorraine furent restituées, certes, mais devait on rapprocher les deux guerres sur le plan des indemnités ?
Le premier traité avait chiffré à 5 milliards de francs-or la rançon à payer par la France. Le second, qui en préambule y faisait référence, imposa 400 milliards de francs-or de réparations, ce qui dépassait la fortune totale de l'Allemagne.
Les Anglais estimaient la somme raisonnable à 75 milliards. Les Allemands comprirent que le premier traité prévalait sur le second, quant au raisonnable ; aussi, la France toucha-t-elle la somme qu'elle avait versée : 5 milliards de FF, soit 2 % de sa créance !

A quoi peuvent servir des traités, qui ne sont que chiffons de papier, si ce n'est à établir des références entre les Etats ?
A notre discrédit, s'ajoute aussi que, dans une négociation de cette importance, la République se présenta avec Clémenceau, le tigre mangeur de curés, puis Deschanel ,le promeneur du clair de lune ( il fut retrouvé en pyjama marchant le long d'une voie ferrée ), puis Millerand, le socialiste de droite, franc-maçon. De gauche ou de droite, nos représentants arrivaient avec des arriérés de paiement aux grandes puissances et une fatuité qui gênait les pragmatiques Anglo-saxons. La France théoricienne de la paix voulait une paix multilatérale qui penserait aux Lithuaniens comme aux Monténégrins mais ne voulut pas réclamer à nos envahisseurs, yeux dans les yeux, point par point, la note à payer.
La réconciliation ou la reconstruction commune aurait été des ambitions plus justes que la réparation. Le problème moral faussa complètement la perspective. Il y eut, derrière tout cela, une inflation de mots et d'idéaux que nous retrouvons sous chaque préau d'école lors des élections. Nos gouvernements pacifistes et idéologues exigeront finalement trop, au point que les Anglais et les Américains eux-mêmes se lasseront des rodomontades et des propos enflés de nos diplomates, alors qu'un inventaire objectif n'avait même pas été fait. Nos bourgeois de représentants tenaient, de plus, absolument à ce que les prix de construction de 1914 soient maintenus pour plaire à la veuve de Carpentras° mais sans souci des besoins immédiats des sans-abris de chez nous. L'inflation des mots allait agir comme une levure sémantique et entraîner, dans le domaine des relations économiques, la hausse des prix. Ce que nos économistes appelaient enchérissement, se commua en inflation.
Puisque nos propres alliés ne considéraient plus le franc comme de l'or et mesuraient leurs crédits, il n'y avait que deux issues : ou réduire les avances et confirmer ainsi la valeur de la monnaie ou laisser courir. La France, pays vainqueur, devint mauvaise payeuse, au moins autant, sinon plus, que sa voisine vaincue.
Fille de la démagogie, la haine déchira le tissu social, valeur par valeur, village par village, usine par usine, pays par pays. Les historiens mettent aujourd'hui beaucoup l'accent sur les forces sociales centripètes pour expliquer que les classes prenaient conscience de leurs forces dans la course au pouvoir. Cette idée sera même élevé au rang d'explication ultime de l'histoire ; l'homme, ouvrier de l'histoire, ne serait pas son propre patron ! Tous ses actes s'inscriraient dans un processus logique déterminé par les " mouvements sociaux ", comme la marche à pied le vendredi veille de week-end, le défilé sous banderoles, la " manif " , la prise en otage des consommateurs !
Parmi les actes moins visibles, le sabotage industriel, le toujours-plus, la parole non tenue, l'esprit de parti, les riches mis à l' encan, les valeurs de paix sociale assimilées à de l'exploitation bourgeoise!
Les élucubrations trouvaient de plus en plus d'adeptes occasionnels en juste proportion de l'obstination des gouvernements à maintenir les valeurs passées dans un monde à reconstruire.Les plus audacieux de nos compatriotes qui entamèrent les demandes de " Dommages de Guerre" comprirent vite le double langage d'une administration politique qui n'avait qu'une idée en tête : la pêche aux voix. L'administration promettait la réparation et montrait avec fierté le nouveau bâtiment de la poste, copie conforme de celle d'avant, la mairie et les écoles, entourées d'échafaudages. Confiants, nos concitoyens recommencèrent à payer l'impôt, puis déposèrent leurs dossiers. Ceux-ci mirent dix ans pour cheminer ! Il fallait des rapports d'architecte, des estimatifs, et encore d'autres pièces. A celui-là, qui avait perdu plusieurs maisons locatives et une entreprise de construction, on fit part qu'il était de nationalité belge, son cas n'avait évidemment pas été envisagé par le traité. Cette jeune fille héritait d'une belle maison de ses oncles et tantes décédés tous les deux, il fallait soumettre un dossier un peu plus circonstancié.
L'administration ne sera d'aucune aide, bien au contraire. Suspectée dès le départ,l'héritière ne surmontra pas les obstacles à temps, la construction ne sortira pas de terre et le bien deviendra vacant . Il y eut foule de cas de cet ordre qui lésèrent nombre de familles. Puis, il y eut ceux qui blessèrent le visage même de la France. Tous ses enfants, pour mille générations, devenaient orphelins !
Le château de Moy, de Savriennois comme les donjons de Coucy et de Ham auraient dû figurer en première ligne des réparations, car l'assimilation à des objectifs stratégiques était, à l'époque de l'artillerie lourde, parfaitement abusive ; là encore, personne n'avait pensé au patrimoine historique qui était autant à la France qu'à l'Europe et à notre civilisation ! La honte !
Au firmament des symboles, la poste, les voies ferrées qui furent vites reconstruites par une brigade de vietnamiens, les mairies, et les murs des hospices étaient propulsés loin devant les monuments propres à l'histoire de la région et hors de portée des biens privés. Un fossé se creusait entre le parti qui tenait le haut du pavé et le peuple démoralisé. Il s'agrandira avec la suppression du concordat en Alsace-Lorraine, l'impôt sur le capital, l'irresponsabilité présidentielle de 24 à 27, s'agrandira encore avec le franc dévalué, la scission des radicaux de l'union nationale. Après le jeudi noir, la crise de 29 mettra un point final à l'esprit de fraternité et de solidarité qui s'effilochait irrémédiablement .
Le député de Laon, Paul Doumer, devient Président de la République en 1931. Notre région détruite se fiera à ce méridional, sans conteste vaillant, puisqu'orphelin jeune, radical et bon écrivain. Rien ne permettait de penser qu'il aurait pourtant la moindre efficacité contre la crise. Les Français polémiquaient et Doumer excellait dans ce domaine. Professeur et journaliste, c'était l'archétype de l'ignare en matière économique. Mais, nos concitoyens ne souhaitaient qu'une chose de leur élu : qu'il fasse avancer ces dossiers de réparations qui tardaient et tardaient par le fait de gens du même acabit que ce député et qui tenaient le même langage .
Doumer, le sort s'acharnant depuis toujours sur notre région, ne put guère accélérer le traitement des dossiers. Il fut assassiné par un émigré russe dont les motivations étaient plus teintées d'intégrisme religieux que de calcul politicien. Son successeur, promu par Polytechnique et une gauche plus modérée, arrivait trop tard pour infléchir la crise profonde du pays. M Lebrun, étant ingénieur, avait pourtant des capacités pour comprendre l'économie du pays, mais la malade devait être profondément incurable. Pour sauver la France, il reviendra à Lebrun l'insigne honneur d'appeler le Maréchal Pétain , après que la III République eut déposé son bilan.
Les Allemands de la seconde guerre mondiale se souviendront de Foch et de sa stèle peu diplomatique et, par dérision, déporteront Lebrun au " Bloc d'honneur", marque d'un respect de façade pour des valeurs qui avaient perdu toute signification des deux côtés du Rhin, voire de l'Atlantique à l'Oural . .
L'inventaire de ces deux décennies ne ressemble à un film néo-réaliste que parce que ce style était l'expression vraie du temps. Il serait incomplet s'il manquait l'image d'une vue réconfortante : l'ouvrier retrouvant son vélo, l'enfant blessé qui reçoit un bonbon. Notre raison d'espérer, ce fut la survivance à travers l'enfer des orféons du village. L'école de musique était une oeuvre dont personne ne se souvenait des origines. Les cuivres et tambours appartenaient à la commune mais servaient indifféremment aux fêtes patriotiques, sportives, religieuses et même aux bals. Après la guerre, une liste complète fut faite des disparitions, vols et dégradations et des instruments neufs réapparurent. Le bénévolat fit le reste et la clique ressuscita. Jamais, aucun critique musicologue ne s'est déplacé pour auditionner les troupes. Elles sont pourtant ici, grâce à leurs flon flons et sa cohorte de canards, indispensable. Leur présence porte témoignage, en effet, que Dieu donne, pour l'éternité aux hommes de bonne volonté,des preuves que l' " Harmonie " existe . Pour cela, il suffit de peu : un tambour fébrile, un clairon emprunté et une trompette couinante et le village ouvre ses fenêtres, chante et court vers la place !
Une autre musique vint habiter aussi chez nous, à cette époque. Elle meugle chaque début de mois régulièrement, en nous obligeant à nous rappeler où nous avons posé la trousse contenant le masque à gaz . Cette machinerie remplaçait les dispositifs d'alerte des buttes avec efficacité,....... une guerre trop tard !


Note : °La veuve de Carpentras est cette dame riche du sud qui possède toute l'épargne monétaire du pays. Veuve de guerre, pensionnée autant qu'on peut l'être, elle n'a jamais admis que son mari soit mort, dans nos contrées, pour la France et entretient, depuis, vis-à-vis de la Nation des rapports d'exploiteuse revancharde !



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