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Salut !
Ouvrir la fenêtre, Monter sur la colline,
Regarder alentour ! Telle est l' invite première du poète et du géographe. Elle
paraît bien singulière venant d' un historiographe du vingtième siècle où la
science s'entoure de compilations érudites et où les universités enferment le
savoir dans des boîtes à cirage qui ne sont que matière pour la brosse à
reluire. La terre qui nous entoure comme le tableau du peintre ne propose pas
de chaire à l'académie, elle n'est que silence, retenue et discrétion. Elle
accompagne nos vies et s'étonne toujours des titres qui figurent sur les cartes
pour la représenter. Ses vibrations nous mettent le cœur en joie et incitent au
travail des champs, parfois son humeur est sombre et sa tristesse se lit sur
tous les visages. Toute passion a une histoire. Bien avant les excès du
nationalisme, une relation forte lie le temps, les gens et la terre. Le pays
exprime déjà cette réalité complexe. On aime son pays et corrélativement on se
sent aimé ou délaissé par son pays. Parler d'histoire, c'est-à-dire de nous, du
nom des rues, des impôts, des Juifs, des Allemands et des autres , sans évoquer
des sentiments revient à poser sur les cartes des insignes, punaises, fanions.
Dans cet essai qui n'a pas l'ambition des grands ouvrages, notre dessein vise à
poser des signes là où celui qui regarde avec ses sens voit des repères. Osons
le mot, il s'agit d'une relecture et d'une interprétation de l'histoire d'un pays
admirable. La vérité historique voire l'exactitude scientifique s'inscriront
sur la toile mais derrière le pictural
il y aura toujours le mystère de l'entité qui sublime l'ensemble. La
passion pour le surnaturel, l'amour des hommes et le sens de la vie constitueront la matière élaborée de notre sol, de son
pouvoir et de ses exigences.
Pour parler du Vermandois, aujourd'hui, nul doute que seule une
inspiration iconoclaste, anarchisante voire antirépublicaine en motive
l'expression.
Remonter toute la destinée du pays qui nous regarde, c'est justement
s'opposer à ces affirmations primaires et en ouvrant ses cinq sens laisser le
pays lui-même prendre la parole.
Mémorial
du Vermandois.
Au
tamis de l'histoire, les pays, cantons , régions vivent les caprices de la
destinée des hommes. Tel pays éloigné, à la culture ingrate monte au paradis
alors que celui-ci besogneux et fier s'effiloche et tombe dans l'oubli. Tel
autre simplement perd la mémoire. L'un triomphe et laisse trace de sa gloire dans
des monuments magnifiques, l'autre vit humilié et tait son identité.
La justice des hommes brime avec raison autant qu'elle félicite par
erreur ; le plus souvent, elle se trompe simplement d'heure, ne voyant pas
l'évolution des esprits et les exigences d'une humanité qui cherche à tâtons
l'ascendance. L'homme vaincu et meurtri ou vainqueur et glorifié reste pourtant
ni plus ni moins que lui-même. Entre en compte alors une autre dimension de son
être, celle de savoir gérer son histoire, on dirait son parcours, aujourd'hui
que la précarité du travail supplante, dans les angoisses, la fragilité de la
vie même.
Les pays, nos contrées, enchâssent nos vies dans un écrin de générosité
naturelle et semblent avoir , eux aussi, une destinée. La célébrité, un jour,
la fête, puis la détresse, parfois la révolte et la folie, tout les guette dans
les pages d'un grand livre céleste . Dans les religions primitives, ils avaient
une place au panthéon des dieux . Israël, Jérusalem étaient désignés sur la
terre pour transcender leurs habitants.
Peu de romains croyaient qu'une louve pouvait allaiter deux
nouveau-nés, mais tous vénéraient la statue représentant ces trois êtres
lorsqu'il fallait défendre Rome contre les barbares.
Nos régions n'ont pas hérité de ces richesses disparues
avec l'émergence de la chrétienté. Pourtant comme les hommes, en dépit de tout,
elles ont un visage et une destinée. Leur originalité se cache parfois
longtemps derrière des masques et des apparences, des serments forcés et
sentiments refoulés.
Cette similitude avec nous mêmes fonde la reconnaissance d'une
existence de personne morale particulière.
La relation que ses habitants
entretiennent avec elle a, par bonheur,
perdu tout caractère administratif et corporatiste. Elle s'inscrit, de
plain-pied, dans le sensible, le sensuel et le consensuel.
L'histoire du Vermandois veut se placer dans cette
optique proustienne : revivre avec délectation une histoire
commune dont l'étrangeté vient de la proximité. . Tous ces faits se sont passés
là, sans doute pour rien puisque plus personne jamais n'en parle !
Et pourtant, les vieux chênes portent des blessures, les
cimetières abondent dans les bosquets d'arbres, sur nos collines, les saints
sont foison, partout se charrient des tonnes de betteraves en automne, et des
tonnes de blé sous le soleil brûlant de Juillet.
Une dimension matricielle s'impose dès le prologue, c'est
le paysage.. Parce que notre planète
n'est véritablement connue que depuis peu, il faut oser dire l'originalité de
ces quelques arpents de terre, plus façonnés par le travail des hommes que par
les ères géologiques.
Puis viendront les civilisations, certaines millénaires et
d'autres éphémères comme la visite des " Hommes Intelligents" à Saint
-Quentin au 15ème siècle. Chacune nous portera un message, ignoré parfois par
elles-mêmes, souvent proclamé haut et fort mais incompris.
Derrière la nature et les
grandes institutions viendront, en cortège, mille personnages qui habitaient
nos maisons, chassaient sur nos terres, regardaient le ciel comme chacun
d'entre nous.
Les plus nombreux ont laissé trace dans l'histoire . Les moins nombreux
constitueront la majorité de nos ancêtres, quidams méconnus mais toujours
présents sans qui rien ne fut possible.
C'est bien sûr à eux que je dédie ce livre. Le grand Jules
César ne leur a pas donné un nom pour qu'ils soient oubliés. Même écartelée par
une république ignorante, même écrasée par un amas de bombes , même amnésiée
par une histoire officielle d'obédience nationaliste, cette entité vit sa
solidarité de nature depuis la nuit des temps et continuera encore après la
dernière page de ce livre.
Je te le soumets, lecteur, comme on expose à un ami cher les raisons d'un amour
fou et d'une passion violente. Dans les composantes de cette flamme, il y a
aussi le feu destructeur des dernières guerres. Les témoins se sont tus mais
les pierres parlent encore et hurlent !
La rage naît du sentiment d'injustice. A elle, aussi, il
faudra laisser un temps de plume.
Longtemps
avant les débuts de l'histoire.
Avec certitude, avant que l'animal homme ne
conquière la région et y laisse son empreinte, les fleuves et les marais, les
forêts et les animaux sauvages avaient au long de millénaires commencé à tracer
les contours du paysage qui nous entoure. Les zones marécageuses alternent avec
les collines calcaires et les bois recouvraient, d'une végétation épaisse,
collines et vallées. Comme le chasseur découvre facilement les coulées par
lesquelles chemine le gibier sauvage, le paysage d'alors devait déjà laisser
apparaître la trace des grandes transhumances des troupeaux de bisons d'Europe,
et des mammouths qui jusque 5000 ans avant Jésus Christ brisaient tout sur leur
passage, saignaient la forêt, formaient des gués dans les rivières.
L'emblème du sanglier, ceux du léopard, du lion, du loup peuplent les
récits et les sceaux du haut moyen-âge. Enguerrand de Coucy est représenté
terrassant un félin terrible. Parmi les hôtes de nos forêts une place
particulière est à réserver aux cervidés. L'animal est beau et sa chair
succulente. Avec les chevaux, il est à l'origine de cet art de la chasse à
courre qui subsiste encore en forêt de Compiègne.
Dans le déroulement de la genèse, les flots avaient aussi été
remplis de poissons et le ciel
d'oiseaux.
L'homme et sa compagne seraient les bienvenus, si jamais ils venaient à
passer !
La première trace de vie humaine en nos régions est très ancienne et
même antérieure à l'homme de Neandertal dont le faciès nous est connu. A quoi
ressemblait l'Abbevillois qui occupait les bords de la Somme vers 650 000 ans
avant JC ? Nul ne e le sait. Il ne devait guère s'éloigner des marécages qui
lui fournissaient le poisson, nourriture de l'été comme de l'hiver et
construisait des huttes, savait tailler le silex biface et chasser des animaux
dont l'évocation seule fait froid dans le dos : l'hippopotame ou plutôt son
ancêtre acclimaté à nos climats, père des suidés, porcs et sangliers qui sont
toujours présents et le macharoide, ancêtre du tigre mais avec des incisives si longues qu'elles dépassaient la
mâchoire inférieure et ont été décrites comme des dents de sabre. Plusieurs
exemplaires de cet animal sont exposés au Palais d'histoire naturelle du Jardin
des Plantes à Paris, nos ancêtres n'ont, eux, pas tant d'honneur.
L'abbevillien a certainement longé la Somme mais nul ne sait jusqu'où !
Aucune autre trace de peuplement n'a été retrouvée avant la civilisation de
l'homme de Neandertal vers 80 000 avant JC.
Ce petit homme, à la mâchoire épaisse et très velu, a remonté la Seine
et l'Oise, laissant des vestiges de ses séjours dans les grottes de l'Ile de
France. Lui aussi chassait le rhinocéros et le mammouth avec l'astuce qui
remplace la force : il creusait sur les coulées de ces grands animaux des
fosses et achevait l'animal piégé avec les seules armes de pierre et d'os qu'il
connaissait . Plus souvent, il traquait l'aurochs ou l'ancêtre du cheval et
chassait les loups avec un fléau d'arme dont la masse était en pierre et la
chaîne en cuir.
Vers 40 000 avant JC et pendant
une longue période, l'homme s'est évanoui de nos régions. Nul ne sait vraiment
pourquoi, mais il est probable que le retour d'une ère glaciaire a
naturellement poussé des peuples, nomades de nature, ailleurs.
De l'époque de la
grotte de Lascaux à l'arrivée des Celtes, soit
des années 35 000 jusque vers l'an mil avant notre ère, les
groupes humains ne connaîtront pas d'assignation à demeure et trouveront vers
l'avant leur raison d'exister.
Parfois, à l'occasion d'un arrêt dans une grotte pendant
plusieurs générations, l'homme conscient déjà des évolutions du monde
transcrira ce qu'il a vu et ressenti. Mais le monde est trop vaste et trop
riche pour que ne soit nécessaire sa
transformation. Ce n'est, en toute vraisemblance, que vers les années trois
mille avant le Christ que la sédentarisation va se produire. Le Sahara devient
sec et chasse ses populations vers le Nil et l'Euphrate. Les peuples des Indes
qui connaissent déjà l'agriculture et l'élevage vont pénétrer en Asie centrale
et par vagues successives en Europe. Ceux du Sud profiteront de la mer
méditerranée pour atteindre les côtes de France et ceux de l'est des grands fleuves européens et de la mer
baltique.
Lesquels arrivèrent les premiers entre ceux du sud et ceux du Nord-est ?
La logique donne un avantage indiscutable aux tribus venant du Sud plus
proche . Celles d'Asie centrale ne manqueront cependant pas à l'appel. Chacune
finalement apportera quelque chose. L'Europe du Nord est alors recouverte d'une
épaisse forêt et de nombreux marécages. Pour vivre et se déplacer dans ce
monde, plusieurs instruments s'avèrent indispensables: le cheval qui permet de
longues expéditions en hiver, saison où les reconnaissances du relief sont,
grâce aux vues, rapides et sûres, la vache et le cochon qui constituent le
garde-manger, enfin le feu qui peut
tout . Dire que le peuple venu du Sud arriva le premier est une spéculation
intellectuelle bien sûr, d'autant que le pays était déjà peuplé de quelques
tribus taillant le silex et vivant de chasse et de cueillette. Ainsi au sud du
département à Fère en Tardenois , des fouilles ont révélé l'existence d'une
tribu de l'époque postglaciaire, utilisant surtout l'os, qui a séjourné de 7000
jusqu'à 3000 av J.C environ.
La confrontation cependant ne
sera pas longue entre les tribus de l'âge de pierre taillée et les arrivants
qui connaissaient la pierre polie et la poterie. La technologie du four, qui
est la prison du feu sous terre, marque une avancée prodigieuse que les Grecs
célébreront en désignant comme dieu Vulcain : ne personnalisait-il pas le
franchissement de cette étape ? En
Afrique, encore aujourd'hui, de
nombreux peuples refusent l'emploi de ces instruments et préfèrent le vrai feu
qui caresse de ses flammes les chairs de l'animal à cuire.
Le four amènera, plus tard,
d'autres révolutions : le bronze qui va caractériser une large période
protohistorique et surtout le pain.
Sur les sites de Campigny, Vers sur selle, Chaussée -Tiran court dans
la Somme, les vestiges démontrent les
premiers linéaments d'une industrie. La population est sédentarisée, honore ses
morts et produit des poteries en petites séries.
Alors que des traces de traditions danubiennes se manifestent dans le
pays , le bronze viendra sans doute
du Sud avant que le fer ne vienne du Nord.
L'âge du Bronze aura dans la région moins d'importance qu'ailleurs.
Les Grecs dont la culture domina le
monde le maîtrisaient et cela suffira à
leur puissance militaire en Orient et
même en Occident .Ceux-ci fondèrent Marseille, la phocéenne, et poussèrent, secondés par d'autres peuplades
indo européennes( les Italiens), une civilisation méditerranéenne qui avait
assimilé la fabrication des objets en bronze jusque chez nous. Cette
civilisation porte le nom de
civilisation ligure . L'habitat était en bois et si les toitures étaient le
plus souvent en chaume, quelques essais de toitures en tuiles furent tentés.
Les poteries et les vases gardaient les
premières semences et les premières
salaisons. A l'instar des autres peuples du monde, le polythéisme était la
croyance commune et l'explication du monde, la cosmogonie, ne pouvait venir que de représentations
rituelles voire théâtrales, parfois accompagnées de sacrifices.
Cette civilisation, maître dans l'art de l'or, du bronze
et de la poterie, a dû parvenir vers l'an mil avant JC et situe le degré
d'évolution de l'espèce humaine. L'un des seuls vestiges laissés chez nous est
le théâtre de Vendeuil. Sa taille moins impressionnante que celle des théâtres
grecs et romains permet de réunir plusieurs centaines de personnes. Ce n'était
plus des hordes à mâle dominant qui vivaient alentour mais bien des humains qui
s'assignaient un rôle sur la terre et se savaient dépositaires d'une mission
divine.
Sans beaucoup de fondements ni de preuves, il a été attribué à la
civilisation ligure la paternité des cités lacustres. Il est vrai qu' une
conjonction de faits corrobore cette supposition.
La population est
largement sédentarisée, maîtrise la technologie du four et du fourneau, sait
bâtir en bois des huttes pérennes . De plus, le marais ou le lac est une
protection naturelle contre les loups . Enfin , le cours d'eau proche permet
dans des poches de cuir, des vessies d'animaux
voire des amphores , le
transport du sel qui vient de la mer en remontant la Somme, l'Oise ou l'Escaut.
Ces paramètres rendent très vraisemblables les cités lacustres dans la
région. Les marais de l'Omignon, de la Somme et de l'Oise offraient des cadres
privilégiés de vie et le plus proche compagnon de l'homme porte confirmation de
cette longue période d'habitat dans ce milieu semi aquatique . Ce compagnon ,
vous l'avez reconnu, c'est le bouvier de Picardie, chien de marais par
excellence qui, comme tous les chiens, a été façonné par l'homme et son milieu.
Notre autre compagnon fidèle depuis la nuit des temps atteste de notre premier
logement. Le canard domestique authentifie toujours notre cuisine régionale. En
regardant un vol de canards sauvages, une évidence s'impose : des millénaires
ont été nécessaires pour fixer cet animal insaisissable autour de nos demeures.
Vers l'an huit cents avant J.C, le Vermandois n'était donc
plus une terre ouverte, une communauté y avait établi ses dieux, façonné ses
chiens, fidélisé des oiseaux et y entretenait le feu sacré.
La
géographie lui avait désigné une place au
carrefour du monde et donc une première loge dans l'histoire de
l’humanité.
LES CELTES .
Des millénaires s'étaient écoulés qui n'avaient effleuré le paysage
que d'un souffle. L'homme debout d'Abbeville qui, du haut de son 1 m 05,
bravait les derniers monstres de la préhistoire avait été suivi par l'homme de Neandertal,
1m 30, des talents d'artistes et une toison de bête fauve, puis enfin par l'homo sapiens, encore plus grand,
presque imberbe et qui priait !
Le Vermandois était, à l'orée de l'an mil avant JC, dans son état
originel, quasiment.. puisque la période antérieure aux glaciations et à la
disparition des dinosaures se situait dans des temps immémoriaux. Le premier
aperçu visuel du pays fait ressortir
les cours d'eau qui sillonnaient
au travers des terres, comme maintenant, dessinant une hélice à quatre
pales incurvées dans le sens des
aiguilles d'une montre. La Somme et l'Omignon partant à l' ouest, l'Escaut
cherchant le plat pays du nord , l'Oise enroulant du nord-est au sud-ouest donnaient l'impression d'un début de rotation d'un fluide en expansion. En
considérant ces sinuosités de l'extérieur de l'épure, les caractères de
convergence et de concentration s'imposent à l’œil.
Ici se croisent nécessairement les habitants du bord de la Seine et de
la Loire, ceux de la Somme et ceux qui descendent de la Sambre et de l'Escaut.
Or les fleuves ont été
les fils conducteurs des humanoïdes en marche. L'eau est plus importante que la
nourriture pour le corps humain. Dans les hivers glacés, les fleuves assurent
toujours un peu de nourriture à ceux qui laissent filer un hameçon en os avec
un peu d'appât dans le courant. C'est aussi une barrière naturelle pour le feu lorsque souvent volontairement
la forêt flambe. Les animaux domestiques de nos régions eux aussi boivent
beaucoup. Ce rappel de bon sens situe la raison de l'arrivée des hommes chez
nous et la signification que pouvait avoir le fait de passer d'un fleuve à
l'autre en franchissant des distances de l'ordre de 10 km qui séparaient les
bassins. Toute notre histoire est inscrite dans cette géographie particulière
qui fait que, de chez nous sans quitter les fleuves nourriciers, on peut aller,
à pied sec , de Rouen à Rotterdam, des côtes anglaises jusqu'à Dijon et même à Rome.
Car si la vie ne se conçoit qu'au bord de l'eau courante, l' homme craint l'eau
par une peur atavique, autant que le cheval qu'une flaque effraie. Le souvenir
des hippopotames qu'avaient vus les
Abbevilliens devait continuer à être évoqué lors des veillées ! Voilà
pourquoi les bandes de terres qui joignent l'Omignon à l'Escaut , l'
Oise et la Sambre , la Somme et l'Oise ont joué une place si importante dans
l'histoire de notre Occident, des origines jusqu'à la dernière guerre, où les
ponts sautaient allègrement pour rendre au paysage sa vérité séculaire.
Ce cadre géographique, les habitants peuvent le contourner en une
journée de cheval, ou trois heures de voiture .
De Péronne à Roisel puis vers
Vendhuille sur l' Escaut, de Bohain à
la Sambre et en redescendant par l' Oise
vers Moy, Tergnier et en
retrouvant la Somme jusqu'à Ham ,
rapidement vous aurez, sans mouiller vos pieds, pu poser au fil de l'eau des
messages pour les côtes d'Europe de la Bretagne jusqu'au Danemark et confié à
des porteurs capables de remonter les courants des mots pour vos relations de Langres , Paris, Troyes, Reims, Metz, Ulm, Strasbourg, Bâle,
Hanovre....
Cette possibilité, par faute de perspectives de l'homme
terrien, ne sera jamais totalement perçue, mais les fleuves , joueront, à
l'insu de nos ancêtres, le rôle de guide et tout ce qui compte d'envahisseurs
montés ou non fondront sur les quelques arpents de notre région, laissant
heureuses ou tristes traces.
Vers l'an mil avant l'ère chrétienne, venant vraisemblablement du
Kazakhstan et appartenant à des races détachées du creuset des Indes arriva le
long de l'axe Hanovre -Liège, en ayant très vraisemblablement cheminé aussi
jusqu'au nord de l'Italie, une tribu velue ou la femme connaissait le fourneau et excellait à faire de beaux à l'âme
simple. La musique avait une place magique et la flûte et la harpe
accompagnaient la transhumance. Les croyances s'étaient enrichies au long d'une
pérégrination lente lors des confrontations avec les civilisations d'alors. Les
dieux étaient multiples mais à l'instar des divinités indoues, derrière des
apparences, c'était souvent la même
force qui était reconnue. La cosmogonie servait surtout à désigner le chef qui
pouvait être une femme. Ainsi, élu par les hommes et par le ciel, le chef
devenait roi et il tirait de là sa légitimité.
Ce peuple arriva donc de l'est, comme d'autres, avec une vision aussi
compliquée que les autres mais avec deux atouts : le four et le fer.
L'histoire du fer occupe une place centrale dans celle de l'humanité
car, n'en déplaise à tous les philosophes et théologiens, sa découverte et son
exploitation ont placé l'Europe du Nord
dans une position privilégiée vis à vis du reste du monde. La métallurgie,
industrie née de l'art des maréchaux-ferrants donna beaucoup plus de force et
de puissance à nos régions que la
sagesse ou la culture de ses habitants.
La présentation historique de notre continent
a toujours sous-estimé cette découverte pour des motifs militaires,
voire d'espionnage et au nom de l'éthique . La vérité du dieu des Hébreux était
plus forte que le glaive, sans doute, mais cette épée était en bronze ! Celle
des chevaliers chrétiens sera en fer. Pour tous les intellectuels, rabaisser
ainsi les valeurs de la cité occidentale est une démarche honteuse. Pour les
gens de toutes les églises, le fer est le fruit de l'enfer . Vulcain est banni
sous terre. Dans la mythologie allemande, ce sont des nains affreux qui
couleront le métal, les Nibelungen dont Siegfried volera le trésor.
L'âge du Fer, dans l'histoire
mythologique, marque le début de l'humanité méchante. Le fer est depuis
l'origine maudit et le restera jusqu'à l'apparition d'une
malédiction plus terrible : la bombe atomique soit pendant près de 29 siècles
et demi.
La première coulée a dû avoir lieu 1000 ans avant le Christ entre la
Suède, où le minerai est abondant et les monts métalliques du Harz en
Allemagne.
Ce petit massif proche des provinces de Hanovre et du Brunswick est bordé par deux fleuves dont il faut
souligner l'importance, du fait de leur cheminement latitudinal : la Weser et
la Saale.
Avec les Celtes nomades, la métallurgie traversa le Rhin pour
s'implanter le long de la Sambre, adossée aux réserves forestières des Ardennes.
Vers 800 avant notre ère, les Celtes pénétrèrent dans le
Vermandois et s'y installèrent
durablement. Les signes de leurs passages foisonnent aux quatre coins de nos
cantons comme dans beaucoup de sites en France. Ici pourtant se trouvait l'avancée
significative : la tête de pont de cette invasion pacifique. Les dieux celtes
remplacèrent les croyances obscures des Ligures avec une tête en plus:
Gofannon, le forgeron. Parmi les divinités qui n'étaient que des avatars, il
faut citer, pêle-mêle : Sucellos, dieu de la fécondité cousin de Cybèle et de
Sylvain, Esus, le dieu des forêts, plus
connu des cruciverbistes que des gardes, le dieu des troupeaux, Smertios ou
Ognios, le dieu du commerce: Lug qui donnera son nom à Lugdunum( Lyon), Donn ( Donnerwetter!), le dieu sombre de la
terre, Belenos le guérisseur , Mallo, dieu de la guerre.
Tous figurent parmi les grands et veulent régner sur l'univers. Les petites
divinités sont, elles, plus proches de nous : Matrae protège les sources, Arto divinise l'ours, Epona les chevaux et
Taranis le chêne, ce bois si dur que
seul le fer pouvait entamer et dans les branches duquel fleurissait le gui, cet autre prodige de la nature qui donne un fruit
blanc en hiver à cueillir uniquement
avec une serpe d'or!
Statuette d'un Dieu Gaulois de la Guerre
retrouvée en Picardie
Les dieux, qui se prétendaient venus depuis la création du monde,
trépassèrent et leurs souvenirs furent
plus éphémères que la rosée du matin. Les Celtes ne leur devaient qu'une
considération modérée car ce qu'il nous reste de cette glorieuse peuplade
nous apparaît d'une utilité beaucoup
plus matérielle : les buttes celtiques,
nombreuses dans le Vermandois, souvent oubliées et mal entretenues, il
est vrai qu'elles ne recèlent pas d'or, sont de conception très pragmatique.
Leur message est cependant essentiel à la compréhension de notre pays. On sait
que ces tumuli ont été érigés, depuis le lointain Kazakhstan, partout où les
Celtes ont séjourné.
Comme une grande partie des premières recherches archéologiques a été initiée par
des idéalistes de l'époque romantique, les explications fournies en premier
relevèrent du pur délire poétique : les buttes commémoraient de brillants chefs
guerriers morts au combat. Sous chacune d'elle reposait donc un héros !
Vermand, Attilly, Flavy le Martel seraient des sanctuaires ....L'interprétation
suivait en droite ligne la mode académique pour l' égyptologie et confondait les
pyramides avec nos monticules, le pharaon avec de beaux soldats.
Nos prédécesseurs, quasiment nomades, n'avaient pas le fétichisme de la
mort non plus que celui du héros! Quand la bravoure se mesure chaque jour
contre les animaux sauvages et que la fin tragique est une compagne collective,
les morts ne peuvent être vénérés que démocratiquement et sans ostentation.
Non, les buttes servaient les vivants
et participaient à la force des Celtes autant que le fer. Vermand porte dans
son site toute l'explication de notre histoire. Sur une butte, qui permet de
dominer la cime des arbres, les vues portent loin et presque de tous les côtés. Tout alentour, de petits reliefs
sont en vis à vis et la distance qui sépare notre observatoire de ses
satellites n'excède pas deux heures de chevauchée.
De nuit, la proximité est encore plus flagrante et un petit feu, allumé
sur le sommet des buttes encore connues à ce jour, est visible à 30 kilomètres à la ronde.
L'intérêt des buttes se déduit du réseau qu'elles constituaient .
L'ennemi viendrait nécessairement par la ligne de crête et par les bois et l'arrêter avant la lisière était un
combat incertain, toutes les secondes comptaient et la technique de la fixation
et du contournement était une astuce militaire déjà bien connue. La butte
servait ainsi de poste d'observation et d'alarme. L'ennemi repéré était
harcelé, mais à la manière de coups d'éperons dans les flancs , sans plus et
jusqu'à être tiré vers la butte. Là, les maigres combattants faisaient front
avec l'énergie du désespoir et la certitude qu'une résistance de une à deux
heures suffisait pour que toute la région armée encercle les assaillants,
impitoyablement. Le dos contre la butte, ou à cheval chargeant en direction de
ce relief, les soldats de la région mourront nombreux en contrebas. La mémoire
des combats subsistera un peu plus longtemps que l'utilité de l'édifice, mais
l'entretien des buttes pour des motifs spirituels devint un luxe trop lourd ,
elles retournèrent à la terre
lentement. Avaient -elles encore un sens à l'époque de la gloire des Celtes que
l'histoire transforme insensiblement chez nous en Gaulois chevelus ? Vers 560
avant JC, les Gaulois descendirent jusqu'à Rome et les auteurs grecs parleront
d'eux avec frayeur mais aussi un brin d'admiration. L'élevage et le ferrage des
chevaux avaient donné des arguments aux
tribus pour aller au Sud en vainqueur. Mais
Rome vaincue se souviendra de la leçon alors que nos guerriers ne
ramèneront de la capitale du Latium que des pacotilles. Deux mondes s'étaient rencontrés,
mais, comme l'enseigne l'histoire des siècles, seuls les vaincus sortaient plus
forts.
Les premières habitats collectifs.
La ville éternelle commença, dès lors, à s'armer comme
l'ennemi, à organiser la cité pour sa
défense et sa gestion et à programmer son ascension vengeresse. Les hordes
gauloises, triomphantes repartirent plus divisées par le partage du butin
qu'elles n'étaient arrivées et fort heureuses de ne pas vivre dans une ville
marécageuse, surpeuplée et assez malodorante. Ses membres retrouvèrent vite leurs habitudes de campagnards
convaincus de leur supériorité corporatiste et ne ramenèrent ni l'écriture, ni les déclinaisons. C'était
écrit, l'écriture latine prendra sa revanche et donnera l'acte de naissance de
la matière de notre livre.
Du cinquième au premier siècle avant notre ère, pendant
quatre cents ans environ , le site de Vermand fut le centre lumineux d'un
cercle qui allumait, sur toute la circonférence, des feux de signalisation.
Plusieurs villages se spécialiseront dans la métallurgie du fer ,
Bohain, Péronne , Flavy le Martel et développeront les outils de base de la
chasse, de l'élevage et même des poignards. Dans les fours, aux multiples
usages, seront aussi préparés des
poteries pour la conservation des aliments, des statuettes et sera même
inventée ce produit si courant aujourd' hui : le jambon.
A une américaine qui riait du nom de Ham, intriguée par l' homonymie de
ce village français avec le jambon glissé dans son hamburger quotidien, il
m'est arrivé de dire, en plaisantant que c'était le lieu même où le jambon
anglais avait été découvert.
Les porcs et les sangliers domestiques constituaient déjà un aliment de
choix pour des familles qui savaient cuisiner dans des fours et dans des moules
en fer, résistant à la flamme et qui ne disposaient pas de suffisamment de sel
pour conserver des aliments par seule salaison.
Avec la sécurité conférée par les buttes, la science du
feu, de l'eau et du bois à profusion , les Celtes Gaulois vécurent heureux
longtemps chez nous, avec des réserves de nourriture à faire pâlir de jalousie
toute l'Afrique.
Des sépultures dites de l'époque mérovingienne ont été
retrouvées dans presque tous les villages de notre contrée, malheureusement au
siècle dernier à une époque où la datation au carbone 14 ne figurait pas dans
l'équipement de base des paléontologues amateurs.
Près de Vendhuille, au lieu dit
le " camp de Leziaux ", fut mise à jour la tombe d'un homme de cette
époque lointaine. L'homme savait que ses restes deviendraient poussière :
aussi, c'est à notre intention que dans son sarcophage boîte aux lettres, il
repose avec une épée en fer dans la main gauche, épée courte et droite à deux
tranchants, à la ceinture, un poignard et un couteau, une lance également et la
fameuse hache militaire à deux faces: la francisque.
Cet attirail solennise le rôle du fer et authentifie la
puissance du défunt. Les pièces d'or gauloises sans inscription écrite mais
figurant côté pile un soldat casqué et côté face un cheval fougueux complètent le viatique. A sa réincarnation,
ce personnage aurait droit au tapis rouge, à des égards et à de la
considération, même au 21ème siècle !
Le sens de l'éternité habitait déjà entre Somme et Escaut. Outre les
buttes que plusieurs historiens qualifiaient de tombelles, sans jamais avoir
excavé d'ossements de ces terres rapportées, les sépultures qui ont été
retrouvées à Achery, Anguilcourt, Brissy-Hamegicourt, Caumont, Cugny, Gouy,
Moy, Noyelles, Pontruet, Seraucourt, Thenelles, il faut citer les pierres
dressées, connues sous le nom de Menhirs.
Les péripéties de l'histoire et la méconnaissance des
signes ont eu raison de la plupart de ces monuments. A Gouy subsiste un lieu
dit " le château des Hautes Bornes", seul le nom reste des édifices à
usage d' habitation et à usage rituel.
A Beaurevoir, le site de la butte a conservé le nom de
"haute Borne", à Bois et Pargny, un menhir de 4.80 m de haut se
dresse encore rebaptisé le verziau de Gargantua (la pierre à briquet).
Le menhir de Doingt atteint lui aussi la hauteur
respectable de 4 mètres de haut. A Ham, plus modeste avec ses 2m 50,
l'imaginaire populaire lui a attribué une singularité : la " pierre qui
pousse" fait un tour sur elle-même chaque nuit de Noël ! Il fut dit aussi
que Gargantua, en passant à travers le pays, sentit dans son soulier quelque
chose qui le gênait et secoua sa chaussure ... A Bellicourt, on peut encore voir
un dolmen à la " pierre large". A Tugny et Pont, le Menhir porte le
nom savant de Mégalithe de la Pierre à Beni.
Le
message des Menhirs reste à décrypter et pourtant d'Irlande à Carnac, il
transmet un salut collectif, une affirmation d'unité au delà des distances.
Une foi commune, une "Weltanschauung", la
cosmologie se matérialise pour les spectateurs futurs.
Saint Thomas d'Aquin, en s'interrogeant sur la fécondité de la terre de
France en Saints et Saintes, écrivit : " Parce qu'en Gaule l'attachement
au sacerdoce chrétien devait être très fort, il fut permis par Dieu que, déjà
chez les peuples gaulois, les prêtres, qu' ils appelaient druides, définissent
le droit de toute la Gaule".
Parce que la terre portait en elle une valeur sacrée, les
Celtes de chez nous croyaient en un
destin supérieur et étaient prêts à lui sacrifier leur existence. Le sacerdoce
avait déjà un sens.
L'autre vestige indiscutable de la longue présence
celtique se trouve contenu dans le nom de la grande majorité des villages de
chez nous. Les consonances des lieux habités dans les points bas comme Moy,
Attily, Athies, Origny, Y, etc, ..tous les villages à terminaison Y, nous le rappellent amplement.
Maître des lignes de crête grâce aux buttes, Les Celtes
vivaient près des plans d'eau et des terres grasses une vie agreste heureuse et
n'auraient jamais imaginé que des envahisseurs ultérieurs viendraient
construire des demeures sur les points hauts, battus par les vents, sans eau et
à la merci des bêtes sauvages.
C'est ainsi que les villes et villages situés sur les sommets portent
chez nous des noms d'origine latine ou des noms de saints. Les Romains pour
implanter leurs oppida et les Saints pour fonder des abbayes, ne trouvèrent, en
effet, de terre libre que sur des points élevés.
Les vérifications de cette réalité historique, pourtant vieille de plus
de deux mille ans, surabondent!
Listes.
des buttes, Tumulus, Tombelles.
Annois, Attily,
Clastres, Croix-Fonsommes, Cugny, Etreillers, Fieulaine, Fluquières, Fonsommes,
Foreste, Frières-Faillouël, Flavy-le-Martel, Guivry, Holnon, Lesquières
St-Germain, Maissemy, Moy-de-l'Aisne, Omissy, Pontru, Vermand, etc...
LES
GALLO-ROMAINS .
Entre les hypothèses des chercheurs de la
préhistoire, la vision des vestiges laissés et les brumes des connaissances
historiques, l'imagination de chacun est appelée à combler les interstices
obscurs. Astérix, Obélix et leurs créateurs ont réalisé une résurrection
ludique proche du véridique sinon du vrai. Les preuves attestent, en tout cas,
que de 1400 avant J.C jusqu'à l'arrivée des Romains et la mention par Ptolémée de l'existence de notre contrée
parmi le monde connu, nos ancêtres vécurent dans un cadre raffiné et équilibré.
L'écriture n'était pas le fondement de la société et ce fait seul, vu d'une
époque où les médias ont confondu liberté d' informer et information
libertaire, la rend sympathique et conviviale. Le pâtre et le paysan vivaient
au milieu de sa famille élargie, à l'abri de buttes et de leurs feux. Les
divinités cohabitaient pacifiquement et des hommes étaient appelés à des
fonctions religieuses. Une mémoire collective avait pris racine et la
généalogie des patriarches gravait les cellules cérébrales des jeunes dès le
plus jeune âge. Le fil ne reposant sur aucun écrit dut être étiré fidèlement
pour que, au dix neuvième siècle, il soit rapporté que Saint-Quentin fut fondée
par RHOMUS ou RHOMAUS, 17ème roi des Gaulois qui devait vivre vers 1440 avant
notre ère .......
Vers l'an 200 avant JC, un évènement lointain provoqua un
cataclysme radical. L'Empire de Chine dont le niveau de vie était à cent lieues
du nôtre acheva l'ouvrage que les cosmonautes aperçoivent encore à l’œil nu de
leur capsule: la grande muraille.
En Occident, les éléphants d' Hannibal effrayèrent
l'Espagne, la Provence et le Latium en vain et Carthage finalement passa sous
le joug de Rome. L'univers grec pourtant à son apogée, à cause de la funeste
alliance des successeurs d'Alexandre avec les puniques, connut le même sort.
Moins étonnant qu'il n'y paraît quand on connaît
aujourd'hui l'affliction que vivent les fonctionnaires affectés au nord de la
Loire, le Vermandois est plus proche des steppes et de la Mongolie que de la
Méditerranée. En effet, les premiers tremblements vinrent de l'Est. Une tribu de Belges pénétra dans notre zone,
apportant vraisemblablement l'orge et la technique du malt nécessaire à la
bonne bière. La qualité de la terre, l'eau et la bonne température de nos
hivers firent le reste pour donner aux fruits de la vigne qui poussait chez
nous en sa limite nord extrême une concurrente redoutable. Pas sitôt tirée, la
boisson mousseuse fut ingurgitée par les Cimbres qui n'eurent que le temps de
préparer la cuvée des Teutons.
Cette dernière peuplade, poussée par d'autres, fut appelée
par le destin à un rôle particulier puisque, deux mille années après leur premier passage, l'évocation de ceux ci
ranima en chacun, dès la vue des casques à pointe un subconscient stupéfié par la brutalité et le sens de l'obéissance.
Pillards comme les autres, ils avaient, en plus, une manière de faire
indélébilement teutonique qui sacralisait la force et bafouait le droit. Les
Teutons crurent pouvoir dominer l'univers et affrontèrent Rome jusque dans son
sanctuaire. Comme leur Führer fut
vaincu à la bataille d'Aix-en-Provence, cette funeste envahisse use implosa et
quitta la scène pour quelques temps.
Amenés par les Teutons, des cousins germains avaient pris
rang dans le chapelet des invasions, si bien que la civilisation gauloise, qui
n'était qu'une imbrication de peuples attachés à leur sol et avec des croyances
voisines, optera progressivement pour l'empire du Sud.
Le peuple celte, maître du feu et du fer, n'apporta pas
son adhésion au modèle germanique et se trouva plus en communauté de pensée
avec les Romains, non les légionnaires stupides mais avec les vrais Romains.
Virgile, auteur des Bucoliques et des Géorgiques, fut le plus grand de ses
poètes et mérite le titre de premier citoyen d' honneur de notre région. L'abbé Coliette qui rédigea le premier
ouvrage sur l'histoire du Vermandois en
1758 mit en exergue la citation du grand poète latin.
" Salve, magna parens frugum, Viromandua
tellus,
magna virum : tibi res antiquae laudis & artis.
Ingredior, sanctos ausus
recludere fontes"
Géorgiques Livre 2
ver 173
Oh Sainte, mère de
grands fruits, terre du Vermandois ,
de grande potentialité :
à toi la pratique antique des laudes .
Laisse pénétrer les
saintes fontaines"
La référence à Virgile n' avait aucune portée historique car ces vers
étaient connus de tous les lettrés du temps et chacun savait que ce n'était pas
le nom du Vermandois qui figurait dans
la version originale. Toutefois, l'emprunt à Virgile valorisait indiscutablement,
aux yeux des lecteurs de ce temps, l'affirmation d'une communauté d'amour de la
terre et de ses beautés par delà les siècles.
Nous aurons par la suite à reparler de Coliette et de son ouvrage mais
il nous faut remarquer, dès son entrée en lice, l'esprit très particulier de l'époque où il écrivit. Sous la
présentation savante, on découvre vite un polémiste sourcilleux, souvent imbu
et suffisant, qui semble en guerre contre des hérésies. Dans ce climat, toute
inflexion de la réalité trouvait un bien-fondé idéologique qu'il est bien
difficile de comprendre aujourd'hui.
Les raisons invoquées par l'orthodoxie historique de la
conquête des Gaules par Jules César sous-estiment toutes l'aspect subjectif de
cette opération militaire : César n'aurait engagé les légions que pour "pacifier " des régions barbares
ou pour assurer la route de l'étain vers l' Ecosse et l'Irlande !
En vérité, Rome et Jules étaient plus fins que cela !
La richesse et la beauté de nos terres étaient bien
connues de nos voisins et un commerce florissant existait depuis longtemps. Les
tribus qui les peuplaient étaient certes turbulentes et fières mais une
majorité de celles-ci vivaient déjà sous les lois romaines ou bien avaient fait
allégeance. Ce qui intéressait Jules et le Sénat romain était d'opérer une
conquête assez facile, qui assurerait des réserves de blé pour Rome atteignant
le million d'habitants, hors de portée de l'Orient, certes sous contrôle, mais où l'influence de la
civilisation helléno-macédonienne damait le pion à l'hégémonie latine.
Par-dessus tout, la conquête militaire était la meilleure source
d'audimat connue au Sénat pour un jeune général ambitieux. César va donc
programmer sa guerre en parfait stratège des relations publiques et en grand
technicien des médias. Son ouvrage littéraire n'a, de ce fait, rien à voir avec
un dossier de communiqués de bataille, ni avec un traité de stratégie
militaire, ni avec un journal de bord. Rien de bien précis n' y figure et pourtant il ne cesse d'être lu et relu par
tous les historiens à la recherche de notre passé.
Relisons donc le livre deux qui relate la seconde
campagne, soit en 57 avant JC.
La Guerre des Gaules s'est trouvé ainsi être le premier ouvrage parlant
de nous.
Après sa première année de campagne en 58 av JC, dont
l'objectif était de protéger la Franche-Comté , la Bourgogne et la Suisse, déjà
alliées à Rome contre les Germains et les Suèves qui, quittant les plaines
d'Alsace, voulaient voir la mer, César
publia son premier livre et laissa ses troupes se reposer près de Dijon. La tribu voisine était celle des Rèmes dont le sanctuaire était la montagne de
Reims . Coincée entre la Rome puissante au sud et les belges au nord et à
l'ouest, un choix s'imposait et Iccios et Andocumborios, nommés pour la
circonstance représentants du peuple rème, vinrent eux-mêmes déclarer leur
alliance à César qui, avec le printemps, remettait ses troupes en marche pour
de nouveaux pillages.
Les Rémois indiquèrent clairement que le Soissonnais qui abritait un
peuple frère conspirait avec l'ennemi et que les Belges du nord avait l'appui
des Germains situés à la droite du Rhin. Le plan de campagne fut ainsi tracé
par la traîtrise.
César comprenait vite et agissait pareillement .
L'effectif ennemi fut chiffré comme suit sur la base des déclarations
rémoises :
Bellovaques Beauvais 100 000 dont 60 000 d'élites
Suessions Soissons 50 000
Nerviens entre Escaut et Sambre 50 000
Atrébates Artois 15 000
Ambiens Amiens 10 000
Morins
Boulogne
25 000
Ménapes Embouchure Escaut 7 000
Calètes Normandie Nord 10 000
Véliocasses Vexin 10 000
Viromandues
Vermandois 10 000
Atuatuques Namur 19 000
Condruses Ardennes \
Eburons " \ 40 000
Caeroesi " /
Pémanes " /
Total 346 000
Ce chiffrage n'avait rien d'un recensement et évaluait la
population en situation de prendre les armes beaucoup plus que des armées
régulières. Les Bellovaques et les Suessions étaient " donnés " comme
le risque majeur. Il n'en était rien mais les Rèmes comme César savaient déjà
exploiter les statistiques qui sont la troisième forme du mensonge.
Rome disposait de quatre légions aguerries et de quatre nouvelles, soit
40 à 48 000 véritables soldats répartis
en cavaliers numides, archers, frondeurs et la troupe.
Prétextant des troubles et des préparatifs d'agression de la part des
Belges qui commençaient à se grouper autour de la Fère, César passa au nord de
l'Aisne et installa son camp au delà de la rivière surmontée d'un pont. Il
laissa, sur la gauche du fleuve, Quintus Titurius Sabinus avec six cohortes.
Bibrax constituait une place fortifiée à l'extrémité du périmètre des Rèmes .
Les Belges s'en approchent et attaquent les remparts . De nombreuses polémiques
débattent encore sur la localisation de Bibrax. Si ce n'était pas Laon ,
c'était un des plateaux voisins . Averti, César lance en avant, de nuit, des troupes légères. Les Gaulois pris par
devant et par derrière contourneront l'obstacle par le sud pour se poster face
au camp de César. Les feux, placés sur les sommets du massif qui dominent,
s'étaleront sur 12 kilomètres. César reconnut qu'il commença par surseoir à la
bataille, puis calcula que cette troupe ne devait pas être supérieure en nombre
à la sienne. L'habilité de César fut après de laisser les Belges descendre vers
la tête de pont et de la contourner en mettant les pieds dans l'eau. Profitant
du pont, les cavaliers firent des incursions dans les lignes arrières de la
troupe embourbée pendant que les frondeurs et archers faisaient, de l'autre
rive, un carton. Il n'en fallut guère plus pour que la glorieuse coalition
rebrousse chemin avec des airs de débandades.
Les cavaliers
numides se firent une joie d'étriper les fuyards et revinrent le soir au camp
prudemment . César, fort de cette victoire, ordonna, dès le lendemain la marche
forcée sur la capitale des Suessions .
Pour conquérir la place, il fait monter à l'assaut les archers derrière des panneaux de bois et de peau
légers que les autochtones n'avaient jamais vus auparavant. Le combat fut si
bref que les Suessions obtinrent grâce pour leurs vies au prix de la prise en
otage des deux fils du roi Galba. Les Bellovaques pourtant si nombreux sur la
table d'effectif, regroupés dans leur capitale( lieu indéterminée mais entre
Compiègne et Creil), furent encore moins ardents et dès que l'armée fut en vue
de Bratuspantium, les vieux, puis les femmes et les enfants sortirent en
tendant les mains.... Comme la région était riche, César prit six cents otages .
Il ne restait plus que 176 000 hommes à soumettre.
Les Ambiens n'obligèrent pas César à traverser tous les
plateaux picards entre Oise et Somme, ils se "hâtèrent" de faire
soumission complète et vinrent dire pis que pendre des Nerviens, ces voisins du
Nord qui ne buvaient pas de vin, rejetaient les produits d'importation et ne
portaient pas de bijoux.
D'un point que nous situerons entre Montdidier et Roye,
les Romains partirent attaquer les Nerviens . Cela prit trois jours de marche,
dit Jules César, et la position des troupes coalisées fut connue lorsque la
longue cohorte arriva à 15 kilomètres
de la Sambre.
Pendant tout ce trajet de 120 Km, l'armée romaine contourna le
Vermandois par le sud en longeant l'Oise. Du haut de nos collines et des
buttes, nos ancêtres virent passer les légions et firent d'intéressantes
observations. Au chapitre des interrogations posées pour l'éternité, se trouve
celle de savoir pourquoi César ne coupa pas au plus court au travers de notre
région. Il passa prudemment au large et les Viromandues constatèrent :
a) que les légions avançaient
séparément , suivies chacune par la cohorte de leurs bagages et fourbi de
campagne
b) que la cavalerie légère
redoutable pouvait être très gênée dans les terres de bocages aux nombreuses
haies.
Ces deux indications, communiquées aux Nerviens,
déterminèrent le moment et le lieu de la bataille. Bien que les Atuatuques ne
soient pas arrivés, l'ordre de bataille fut donnée. César venait juste
d'installer son camp sur une hauteur dominant la vallée mais, en vieux renard,
venait juste d'adopter une progression plus resserrée, en regroupant les six
légions en tête de colonnes avec les "impedimenta" (bagages)
précédant les deux légions fraîchement constituées. La colonne était encore étirée
et les cavaliers de reconnaissance traversèrent le fleuve. La cavalerie belge
passa à l'attaque pour faire diversion et fixer l'ennemi, le gros des troupes
attendait caché à la lisière des bois de voir arriver le début du convoi des
bagages. A ce moment-là, la forêt se mit à courir, passa la rivière et remonta
vers le camp romain.
César, débordé, reconnut dans son livre qu'il ne dut sa
victoire qu'à l'expérience de ses capitaines qui surent pallier l'absence de
commandement.
Sur l'aile gauche des Romains, la 9ème et la
10ème légion firent face aux Atrébates et les refoulèrent sous une pluie de
javelots jusqu'au fleuve. Les Viromandues devaient être logiquement sur le
flanc gauche des Atrébates et affrontèrent la 8ème et la 11ème légion. Le
combat était numériquement équilibré mais Rome figurait dans une catégorie de
professionnels et les nôtres chez les amateurs. Nos combattants furent
également repoussés jusqu'au fleuve. Sur la droite, les Nerviens firent un
combat superbe et pénétrèrent même dans
le camp retranché romain.
La
cavalerie errait, le flanc gauche était immobilisé, le front droit flanchait.
Les cavaliers gaulois trévires, alliés de Rome, s'avisèrent que la paix des
braves ne leur serait pas consentie et tournèrent casaque.
César ne dut son salut qu'aux deux dernières légions qui vinrent
rétablir la supériorité numérique qu'il s'était bien assuré depuis le départ.
Dans aucune autre page de la conquête des Gaules, César n'avoua avoir été aussi
près de la défaite et en opposition avec des combattants aussi héroïques.
L'hécatombe fut à la hauteur de l'âpreté du combat et César présenta au peuple
de Rome comme une largesse le fait de laisser la jouissance de leurs terres aux
quelques survivants. A lire entre les lignes, chaque citoyen de la
ville-éternelle comprenait que des terres innombrables se trouvaient vacantes.
La fin de la campagne consista à asservir l'Artois et à confier tous les
territoires à la puissance romaine. César faisait des campagnes dans un but
simple : celui de mettre en place une administration qui devait lui rapporter
cinq cent mille sesterces par an.
Quoique la conversion soit hasardeuse, c'est un impôt de
près de 50 millions de livres du 18ème siècle, près de 5 tonnes d'or, qui, bien sûr, allait peser beaucoup plus
sur les petits perdants que sur les gros ou que sur les amis.
En l'an 1994, soit 2061 années après, ne soyez pas étonné de constater
que la Picardie et la Haute Normandie figurent toujours en tête du palmarès des
contributions fiscales françaises !
Le Vermandois, battu, n'avait que deux issues : payer régulièrement la
rançon et tirer profit du nouveau monde auquel il était brutalement intégré.
L'Empire romain offrait des opportunités nouvelles que les artisans des
forges, les potiers et les agriculteurs entrevirent vite. Aux moins
clairvoyants, les administrateurs laissés par l'armée de César expliquèrent
comment produire plus et mieux. Il était, en effet de tradition que Rome donnât
à ses légionnaires fidèles, issus des
quatre coins de l'univers, des terres à titre de pension. De nombreux vieux
brisquards de la septième et de la onzième armée obtinrent donc des terres.
Ce n'étaient pas des agriculteurs et ne le deviendront
jamais, mais, instruits de la dureté des citoyens romains pour les immigrants
sans fortune, de la pusillanimité des chefs, et des plaisirs de la campagne
comparés aux joies du régiment, ils s'implanteront véritablement chez nous. Une
dimension inconnue chez les Celtes et les Gaulois pénétrait notre région pour
la bouleverser.
Le légionnaire à la retraite comme l'administrateur
comprirent vite que le sol du Vermandois rapportait non pas du trois ou quatre
mesures de blé par setier mais du sept voire du huit. C'était beaucoup plus
qu'ailleurs et, de surcroît, les filles étaient belles.
Les Romains conçurent ainsi cette notion de " panier " qui
rassemblait l'actif, le passif et la situation nette de leur implantation en
sol conquis. Le fiscus ( panier) devint de ce temps la mesure du prélèvement
annuel sur le travail de l'agriculteur et l'incitation directe au rendement et
à la productivité. Le fisc et la fiscalité, loin d'être un fléau moderne, ont
leur place dès les premières pages de notre chronique et ne nous quitteront plus.
Même le "fléau de Dieu" n'aura pas raison de lui, non plus que les
cahiers des doléances de la Révolution.
Comptable plus que conseil, pillard plus qu'ingénieur
agronome, le Romain fit des agriculteurs de la région les plus productifs du
monde et les plus imposés. Cette " valeur en terre", qui maintient
sur notre humus les corbeaux plus fidèlement que sur tous les terroirs du
monde, vient de ces temps lointains. Une pratique courante est de l'estimer par
un "chapeau" lors des changements de propriétaire-exploitant. Les
Romains la trouvaient naturelle et complémentaire de la rente, alors que les
experts d'aujourd'hui se grattent encore la tête, sans doute moins bien faite
que celles d'antan..
Lorsqu'en 52 avant JC, soit cinq années après l'arrivée
des Romains, Vercingétorix interrogea les chefs de tribus du Vermandois sur
leur ralliement à la coalition contre César, l'intégration des Romains était
irréversible et nos hommes en armes ne figurèrent pas à Alésia.
Notre région bénéficia de sa nouvelle position au cœur de l' Europe
romaine du nord. Les villas, c'est à dire les grosses fermes se multiplièrent.
Vermand abrita dans son oppidum et dans ses abords une garnison romaine chargée
de protéger les frontières.
La
capitale de notre région vit le jour. Sur les collines de l'actuelle Saint
-Quentin, avec les possibilités offertes par le réseau hydraulique, naquit
AUGUSTA, une ville romaine nécessairement approvisionnée en eau courante.
Nous ne rentrerons pas dans le débat de savoir si ce fut
Vermand ou Saint -Quentin qui se dénomma Augusta ou Samarobrive, ni celui de
savoir laquelle fut la ville dominante, tant il est certain que ces villes
étaient centrales dans l'écheveau des voies romaines et que les pièces à
l'effigie d'Auguste et des empereurs y furent retrouvés en quantités
équivalentes.
Rome régna pendant près de cinq cents ans, mêlant cet
esprit de rigueur et d'universalisme à la pratique laborieuse des travaux du
fer et des champs de nos parents.
La Pax Romana rendait caduc le dispositif des buttes et pourtant la
mémoire de ces édifices était si grande qu'elles furent assimilées aux tombeaux
des vieux soldats qui vinrent profiter de leur retraite sous nos nuages .
Le voile céleste qu' occupaient Rome, sa culture et ses
dieux venait de se déchirer et la chrétienté commença par changer la datation
du début des temps. Le calendrier de Jules fixa l'année à 365 jours, il ne
restait plus qu'à modifier le rôle de l'homme sur terre.
De Palestine à Saint -Quentin, la redistribution des croyances
s'achemina en une traînée de poudre .
L’ Oppidum
de Vermand ( le Village d’ Astérix mais en vrai)
Les Romains Gaulois
Avec l'irruption
des Romains, le Vermandois cessa à tout jamais d'être une tribu autonome
célébrant à sa manière ses dieux et organisant, sans autre contrainte que sa
sécurité, son cadre de vie. César, dans ses harangues, promettait la paix
romaine et le respect des peuples avec de solides références ; nos 10 000 citoyens
en âge de porter les armes rangèrent leurs épées et leurs haches et cherchèrent
au ciel un repos pour leurs âmes un peu troublées cependant. Les dieux celtes
ne les avaient pas conduits à la victoire et ils présentaient moins de panache
que leurs cousins du panthéon romain. Ceux-ci étaient aussi haineux, méchants
et fourbes entre eux mais doués d'une tolérance confraternelle. Ils admettaient
tous les cousinages mais seule l'adoration des dieux romains avec les formules
latines ouvraient la voie à la citoyenneté romaine. Celle-ci constituait le
sommet de l'aristocratie des peuples un peu comme aujourd'hui les
fonctionnaires de Bruxelles. A eux les bonnes situations, à eux les honneurs,
les règlements et les émoluments. La seule différence venait de la résidence
sur place. Cette singularité explique mieux que tout la réussite de l'Empire
romain qui construisit l'Europe en moins de vingt ans. Les Romains n'aimaient
guère leur administration centrale qui était un coupe-gorge institutionnalisé
réservé à un nombre très restreint de familles. Loin des complots, des
assassinats et des coups d'état, les citoyens romains trouvèrent ici un séjour
agréable et comme la religion était très permissive sur le plan des mariages,
des lignées nombreuses de romains-gaulois naquirent sous nos climats.
L'accommodement matériel satisfaisait le plus grand nombre et pourtant nul, à
part les Césars et les Augustes, n'était en paix avec sa conscience. L'univers
était un, il n'y avait guère que trois écritures connues, l'hébraïque, la
grecque et la romaine, mais il régnait une pagaille effroyable au ciel. Seule
la religion juive était monothéiste, mais c'était la plus concentrationnaire
des trois et était elle-même divisée en plusieurs obédiences. Amenée de
l'Orient à dos de mulet, une présentation du monde pénétra jusque chez nous et
fut largement récupérée par les druides à la recherche d'une bonne nouvelle, la
lumière s'y opposait au taureau, c'était la religion de Mithra. Le taureau
symbolisait l'ensemble des forces telluriques, de la fécondité animale
jusqu'aux cataclysmes. La lumière ne se réduisait plus au Soleil des égyptiens,
les peuples maîtrisaient le feu ; la bougie et la flammèche à l'huile
s'achetaient au supermarché du coin, enfin le miroir, le verre et les pierres
précieuses donnaient un éclat divin aux choses.
La lumière captait le beau et l'énergie bienfaisante, le taureau
fonçait aveuglément.
Le ciel devenait un registre en parties doubles plus facile à
interpréter que celui d'avant où tous les dieux parlaient en même temps , mais
sans voix.
Nul doute que
"les temps étaient accomplis" comme l'écrit Saint Paul dans l'épître
aux Galates et que le message chrétien pouvait illuminer l'univers !
Depuis la guerre des Gaules, l'intégration du Vermandois
dans l'empire avait eu donc trois conséquences: la paix, la venue des Romains
et de leurs poids et mesures, un certain désarroi spirituel. En peu d'années,
s'ajoutèrent les voies romaines.
Si les buttes et les tombeaux anciens constituent
les données les plus fréquentes de nos communes, la troisième, après la
destruction de 14/18 et le cimetière
militaire, est la présence des antiques chemins empierrés. Du fait des fleuves
se croisaient là, la voie de Reims à Arras, celle de Soissons vers le
Nord, celle d'Amiens vers la Sambre et
la route de l'Angleterre vers Rome.
La grandeur d'Augusta
fut confirmée quand un de nos concitoyens fut élevé à la dignité de
chevalier romain : Brésius supérieur était son nom. Dans une cité riche où les
pièces frappées aux noms de César, Auguste, Tibère et Germanicus circulaient en
grand nombre, un serviteur fidèle, certainement apparenté par alliance,
méritait bien cet honneur.
Au cours des quatre siècles de cette période, on distingue
traditionnellement le haut et le bas empire .
Le haut vit régner quatre
dynasties impériales:
57 av J.C ->
68 ap : Les Julio-Claudiens règnent. Ce sont d'authentiques patriciens
romains qui imposent une paix forte partout et s'occupent à s'entretuer.
->
96 ap : Les empereurs Flaviens sont des gens de la campagne pragmatiques
qui renforceront les frontières et l'administration centrale.
-> 192 ap: Les Antonins sont
issus souvent des bourgeoisies romaines implantées hors péninsule. Ce sera le
siècle d'or.
->
235 ap: Les empereurs viennent de l'Orient. La paix romaine s'estompe.
Le bas subit la double poussée vers l'Est et vers le christianisme
-> 265 ap: Trente années
d'anarchie militaire ouvrent les frontières
->
305 ap: Auréliens et Dioclétien. Dioclétien mal connu était de basse
extraction, commença par persécuter les chrétiens de la plus dure manière connue
puis fut très conciliant et finit en sage en abdiquant. Il fut aussi
l'instigateur de l'impôt généralisé à tous les citoyens.
->
392 ap: Constantin, Théodose.
Le christianisme, religion d'Etat, à compter de 313.
La date où notre concitoyen Brésius acquit sa citoyenneté
romaine se situe vraisemblablement peu après l'édit de Caracalla qui, en 212,
fit citoyen tous les hommes libres. Dans sa fougue tiers-mondiste, ce dernier
conféra même le titre de citoyen romain à son cheval. Un peu d'éthique et de
raison semblait bien nécessaire alors que Rome gardait en souvenir vivace la
folie de Néron qui avait incendié la capitale par caprice.
La démence des grands protégeait notre zone éloignée et offrait
un terrain propice aux idées pacifiques nouvelles. Que, dès le premier siècle,
voire après la destruction du temple de Jérusalem, des familles juives soient
venues et se soient installées dans les cités naissantes, est une quasi
certitude. A Reims, Londres, Tournai et à Augusta, les communautés juives
arrivèrent dans la nuit des temps. Leur religion sans prosélytisme
s'accommodait partout et la possibilité du commerce et du change drainaient à
nous les forces vives des enfants d'Israël. Avec les retraités de l'armée
romaine, les druides défroqués, ils constituaient des relais naturels de la
nouvelle religion. Sans aucun moyen de diffusion et sans arme, celle-ci se
répandit dans l'humanité à une vitesse prodigieuse. Lorsque Néron prit sa lyre
pour chanter la beauté le l'incendie de Rome vers 64 de notre ère, la ville
comptait tant de chrétien qu' il en fit persécuter plus de 3000. Cet
acharnement étonnant pour un Romain aurait eu aussi pour inspiratrice Poppée,
sa maîtresse convertie au judaïsme.
Au IIème siècle, Lyon accueille une église chrétienne de langue
grecque. En 177, le martyr de Pothin et de 47 compagnons attestent de deux
choses : l'évangélisation avancée et le raidissement de Rome qui déclarera
caduque la législation de Trajan(vers 110) qui stipulait " le fait d'être
chrétien et de l'avouer n'entraîne pas de sanction légale ". Jusqu'alors,
les chrétiens étaient vus comme une secte de "cardeurs, de savetiers et de
blanchisseurs " particulièrement inoffensive. Malgré l'insécurité, vers
250, sept évêques partirent de Rome pour évangéliser la Gaule, l'un d'eux
devint Saint Denis.
Quentin de très noble famille partit plus tard avec onze compagnons.
Crépin, Crépinien, Firmin et Lucien et lui s'orientèrent vers la Picardie .
A cause de la répression, décidée par Dioclétien et
inspirée par Galère, destinée à
reprendre en main l'empire déliquescent, Quentin qui prêchait auprès des
communautés romaines et juives fut arrêté par le préfet de Rictiovare en 287.
Son martyre figure sur nombre de sculptures et de vitraux. Les ferronniers du
secteur eurent une singulière commande qui comprenait deux longues broches de
fer destinées à traverser des épaules jusqu'aux cuisses et dix lames fines à
glisser sous les ongles. Quentin, après une prière, se présenta aux bourreaux.
L'ignominie de l'opération s'acheva par l'agonie du martyr dont on trancha la
tête qui fut jetée dans la Somme. Peu de temps après, un soldat romain, ému par
la misère des habitants d'Amiens, trancha son manteau en deux. Il devint prêtre
et évêque de Tours vers 330. Saint Martin n'eut pas à subir le martyre car la
gaule romaine était quasiment christianisée. Les reliques de saint Quentin
reposaient dans les eaux sombres de la rivière. Le miraculeux alors surgit.
Cinquante cinq années plus tard, une Romaine quasiment aveugle du nom d'Eusébie
a la vision d'un ange qui lui dit :
" Va dans la Gaule, cherche un lieu appelé Auguste de Vermandois
et à l'endroit où le fleuve est traversé par la voie d'Amiens à Laon, tu
trouveras le corps de saint Quentin, mon martyr. Après l'avoir montré au
peuple, tu l'enseveliras, alors tu recouvreras la vue. "
Près d'Augusta, Eusébie interrogea un vieillard, Eraclien, qui lui
indiqua le lieu où la voie traversait le fleuve. Bientôt après la surface se
rida, puis s'entrouvrit, et les restes du bienheureux Quentin apparurent.
Eusébie ensevelit le martyr près du fleuve et recouvra la
vue. Une chapelle fut élevée et le lieu dit, Vicus Sancti Quintini, donna son
nom à la cité.
Eraclien comme la majorité des habitants savait, bien sûr,
mais ignorait que l'empereur romain
avait changé d'opinion et était très heureux de venger la mémoire de celui qui
avait osé leur parler. Le miracle de l'aveugle retrouvant la vue ajoute à
l'histoire très réelle un élément invérifiable. Les rationalistes raillèrent ce
point , dont les progrès des soins de la chirurgie oculaire nous apprennent
aujourd'hui la probabilité fréquente.
Le martyre de saint Quentin était au cœur de la tragédie
romaine car ses acteurs en étaient directement issus . Quentin, en effet,
n'était pas un quidam. Son père Zénon était sénateur romain et sa famille donna
plus tard un empereur. Galère ,l'inspirateur de la répression a donné son nom à
toutes les périodes noires de l'humanité. Eusébie était une grande dame qui fit
le voyage avec une grande suite. Eraclien, le vieillard, lui seul est de chez
nous. Encore habité des croyances celtes, il apprécie les Romains sans
s'obliger à croire à leurs dieux. Et pourtant, Quentin a subi le martyre devant
lui pour avoir osé parler d'un dieu unique, frère de tous les hommes et une
femme était venue de loin pour le mettre en terre comme c'est aussi
l'obligation pour les petites gens de chez nous.
Un brin d'émotion et de respect fit couler une larme à l’œil du vieux
Gaulois qui comprenait tout à coup que Quentin avait été sacrifié pour lui. Les
martyrs de Soissons, Amiens , Senlis,
Boulogne eurent aussi leurs témoins secrets jusqu'au jour où l'expression
religieuse fut libérée. Dire que la conversion fut générale serait omettre le
fond de croyances celtes qui différenciait le Gaulois des champs et le
Gallo-romain des villes. Les cités avaient, elles, choisi la croix comme
symbole de ralliement à une vision du monde, une, sainte, apostolique. Le terme
catholique manquait à l'inventaire car les conciles n'avaient pas encore
précisé les dogmes fondamentaux de la nouvelle religion. Très peu de temps
après, le concile de Nicée fixera le "credo" , statut constitutif de
l'Eglise catholique . Il précisera aussi les rapports des chrétiens avec les
païens . Ce mot qui a un sens plus proche aujourd'hui de celui de mécréant,
d'athée, voire de communiste, définissait la population des ruraux et des
paysans dont les évêques connaissaient les rites traditionnels et qui étaient
écartés momentanément des élus. Les rites dits païens perduraient mais avec
certainement moins de ferveur car les fouilles ont démontré que le théâtre de
Vendeuil fut délaissé définitivement
vers la fin du troisième siècle .
Augusta, la romaine,
devenait Saint-Quentin, la chrétienne. Comme ces évènements furent
localisés à l'Augusta Viromanduorum et que Saint Quentin fut dévastée par les
barbares vers la fin du III ème siècle, obligeant les Romains à s'installer
derrière les murs de l'oppidum de Vermand, lequel fut à son tour dévasté par
les Vandales en 407, ramenant sans douter les habitants au bord de la Somme,
une violente querelle d'expert s'est levée très tôt pour localiser la cité la
plus sainte, celle du martyr.
Comme beaucoup de thèmes réduits en peau de chagrin par le
rationalisme et le positivisme, ce débat n'intéresse absolument plus personne.
Coliette qui écrivait au milieu du 18ème siècle aurait fustigé durement notre
scepticisme et notre manque de foi. Laissons-le s'exprimer sur l'argumentation
qui ferait de Vermand, le lieu de sépulture du Saint :
" O mes frères, ô mes concitoyens, ô la province et le diocèse du
Vermandois, ô toute la France entière ! , où en sommes nous !. Quel comble
d'impertinences, de cacophonies, de suppositions, de rêveries, de gratuité, de
déraisonnements et de contradictions on a seriné contre notre Saint, notre
ville auguste et contre nous ! Mais on ne nous enlèvera pas la vérité: elle est
à nous; elle a parlé et nous a délivrés. Si elle avait moins combattu pour nous
etc... etc "
L'abbé Coliette, sur ce thème, devait maintenir éveillé un large
auditoire venu l'écouter à la basilique, vers 1758, mais approfondissait-il la
foi des petits gens qui, trente années après, auront, dans les cahiers de doléances, à parler des curés qui n'avaient
pas à travailler pour vivre ?
La difficulté de localisation d'Augusta, au delà de la
polémique, fut le résultat de destructions d'envahisseurs. Ce ne furent pas les
premiers ni les derniers mais les voies romaines venaient de baliser la route
des pillages et amenaient très directement vers un nouvel eldorado. La
fréquence des destructions va s'intensifier malgré la présence des troupes
romaines et reportera à la conscience des Vermandois le passé encore proche où
le pays s'appuyait sur ses propres forces et sur ses buttes pour sauver ses
récoltes, son bétail et ses huttes.
La première destruction d'Augusta qui entraîna le repli sur Vermand et
Marteville de la société romanisée demeure un mystère pour l'historien. La
destruction de Vermand est précisément connue tant par la date : 407 ap Jc que
par ses envahisseurs: les Vandales .
Mais qui donc, à l'intérieur du limes, avait donc pu fomenter des
troubles entre 300 et 400 ?
Les rapports impériaux en parlèrent peu, car il n'y avait sans doute
rien à gagner. N'y avait-il rien à perdre ?
Vers la fin du troisième siècle, Rome renforça ses troupes
en Picardie de 25 à 30000 hommes car un certain Postumus, allié des Romains, se
payait "sur la bête" et finalement
rançonnait à son profit la voie Boulogne Trèves. En 367, l'empereur
Valentinien vint à Amiens et y présenta solennellement son fils devant les
troupes. La place de Noviomagus, le Nouveau-Marché, Noyon la chantante, sera
ainsi créée de toutes pièces derrière
de solides remparts pour protéger les commerçants fidèles à Rome. Il y avait
beaucoup de sollicitude de la part du pouvoir central car un péril était à
craindre.
L'histoire
officielle évoque surtout les invasions petites et grandes. Il nous faut parler
aussi de la colère des petits. Les
ponctions des percepteurs romains et des propriétaires, souvent, descendants de
légionnaires retraités, mécontentaient la Gaule récemment soumise ( cf texte ci
après de Lactance vers 310). Par l'édit du Maximum, l'impôt venait à frapper les
premiers tisserands de laine de nos régions.
La grogne devenait rage contre les symboles de la
puissance romaine chaque fois que celle-ci fléchissait sous les coups de
butoirs des barbares du nord.
La première révolte paysanne toucha notre contrée vers 310-330
et est connue sous le nom de révolte des " Bagaudes".
La ville naissante de Saint Quentin en fut très
vraisemblablement la victime. Cette supposition extrapole simplement le fait
que les révoltes paysannes sont une rengaine de notre histoire et que depuis
des millénaires, les jacqueries et les manifestations d'agriculteurs ont droit
de cité. Depuis longtemps, les forces de l'ordre savent qu'il n'est pas utile
de s'y opposer et s'en gardent bien.
Entre la Rome fiscaliste et policière et les voisins remuants mais si sympathiques
dans leurs innocences primitives, le peuple va s'orienter vers le moindre mal.
Le choix portait entre Galère, Misère, Aventure, trois compagnes qui ne nous
quitteront plus !
Les siècles qui suivront seront des siècles de grandes afflictions mais
l'Empire romain s'était condamné. Le martyre de saint Quentin avait été
ignoble, l'oppression du petit peuple injuste mais cela n'était rien. Le 8
octobre 362, à Origny-Sainte-Benoîte, le bourreau coupa à coup de hache une consœur de Quentin. Elle aussi était
Romaine comme sa compagne Léobérie et animée par une foi de douceur et de piété
aux antipodes de la mentalité de ceux qui régnaient à Rome. Dioclétien avait
agi avec dureté et pour la grandeur de l'Etat, Julien l'Apostat et le préfet de
la province Matrocle, juif d'origine, voulurent briser le mécontentement
populaire mais se trompèrent de bouc émissaire. Benoîte vivait pieusement dans
une petite maison qu'elle avait fait bâtir sur une colline, au bord de l'Oise.
Elle aidait les pauvres et prêchait le salut des filles et fils de Dieu. Comme
le Christ, elle fut arrêtée, souffletée, fouettée, jetée au cachot. Les
narrateurs de l'époque qui n'avaient pas un millième des connaissances
médicales de notre époque, rapportent qu'elle attrapa une " plaie
universelle ". Nous savons bien aujourd'hui ce qu'est une infection
généralisée et les fièvres, faiblesses, fragilités qu'elle entraîne, et
pourtant Benoîte sortit guérie. Matrocle s'acharna et la fit mettre au supplice
du chevalet puis la renvoya en prison.
Benoite réapparut en pleine santé, au grand dam du préfet qui préféra en finir.
Nos ancêtres étaient restés circonspects devant le supplice de Quentin, le
doute n'était plus de mise maintenant que Benoite avait été vue quasiment
ressuscitée.
°Lactance:" Esprit fécond en inventions et en
machinations scélérates, Dioclétien .... associa.... trois princes à son
pouvoir, divisant le monde en quatre parties et multipliant le nombre des
armées.... Les colons, voyant leurs ressources épuisées par l' énormité des
impôts, abandonnaient leurs champs, qui retournaient à la forêt. Pour que la
terreur fût partout, on morcela à l'infini les provinces, et voici que
plusieurs gouverneurs et de multiples bureaux écrasent chaque pays, presque
chaque cité : ce n'étaient que fonctionnaires des finances, magistrats et
vicaires des préfets.... Comme ses énormes iniquités avaient tout enchéri
considérablement, il s'efforça par une loi de fixer les prix des marchandise.
Alors on vit, pour des articles infimes et de misérables denrées, le sang
couler à flots. La cruauté fit tout disparaître du marché, et la hausse des
prix sévit plus gravement encore. Enfin, la loi tomba en désuétude par la force
des choses."
L'arrivée
des FRANCS
L'époque, où traversant le Vermandois, Antonin avait
mesuré, en pieds romains, la distance de Augusta à Cambrai, Condren et
Soissons, remontait à deux siècles déjà. En dépit des troubles populaires, la
province occupait une place centrale dans le dispositif et dans les finances.
L'Empire romain n'avait finalement jamais été aussi proche. Valentinien était
venu présenter son fils aux troupes à Amiens. Le porteur de l'héritage culturel
romain portait le doux nom d' Ausone. Grammairien érudit, cet éminent latiniste
était originaire de la région bordelaise et il chanta les côtes de
Saint-Emilion dans de nombreux poèmes. Chrétien de peu de conviction, il fut
surtout le précepteur du futur empereur Gratien à Trèves qui était une des
quatre résidences impériales avec Rome, Constantinople et Alexandrie de 367 à
385 .
Vers 377, 378 arrivèrent des
steppes centrales poussés par le vent d'est, les Wisigoths et les Ostrogoths :
variété juive-arienne, issue peut-être des 12 tribus d'Israël. Ces peuplades
demandèrent asile à l'empereur représenté à Constantinople. Celui-ci, hors
d'atteinte des vagabonds et pourvu de sérieuses réserves en nourriture, refusa.
Le droit à l'immigration ne pouvait être reconnu aux arrivants puisque les
Romains n'occupaient véritablement nos latitudes que depuis deux siècles. La décision
prise, Gratien confia l'Orient à Théodose. La coupure demeurait formelle mais
lorsque , après une courte cavalcade, les Ostrogoths furent arrêtés aux
frontières actuelles de la Yougoslavie et que les Wisigoths pillèrent Florence
et Pise vers 400, l' Occident et l'Orient firent leurs adieux pour des
millénaires.
Même la route Rome-Trêves présentait dorénavant des péages périlleux !
Les Romains de nos régions ne pouvaient plus se fier au Rhin et aux
Oppidums du Nord, ils passèrent des contrats avec les chefs de tribus voisines
: Francs au Nord de part et d'autre du
Rhin et donc soumis en partie, Alamans sur la forêt noire et l'actuelle Ruhr,
Burgondes un peu plus loin.
Un fléau, outre l'instrument à battre le blé, définit le fer d'une
balance. Quand il apparut en Occident, Attila devint le " fléau de Dieu
". Malgré la forte odeur de ses accoutrements et ses grosses moustaches,
il fut sans doute moins meurtrier que Théodose qui extermina 7000 chrétiens en
Thessalonique et, pourtant, mérita son titre. La balance changea de côté et de
430 à 450, les piliers de l'Empire romain d'occident vacillèrent sur leurs
bases pour choir définitivement en 478.
Attila, selon diverses sources, aurait dévasté l' Augusta
du Vermandois après Reims et Laon ;
pourtant peu de preuves indiscutables l'attestent. Son itinéraire dans notre
pays ne fut guère glorieux et une espèce de miracle incompréhensible fera que
la croix des chrétiens, on ne sait pourquoi, atténuera partout ses ardeurs. Il
est vrai qu'à Metz comme à Reims, les seuls opposants seront les évêques qui
s'offriront vivants à l'épée du barbare. L'humain mongol dut se lasser de
tueries de notables en robe et sans armes, n'est-ce pas, hun ? A Paris,
l'obstacle s'appellera sainte Geneviève. Abomination ! Son chemin de croix se
poursuivra jusque devant le pape Saint Léon où il n'aura même plus le réflexe
de mettre sa main sur la garde de son épée.
Partout ailleurs, ses manières de faire
provoquèrent des fuites éperdues. Les premiers à déguerpir devant les Huns
furent les Vandales. Dans leur course éperdue, ils rasèrent Vermand,
Marteville, Amiens, Arras? Tournai, Soissons, Reims mais échouèrent sous les
remparts de Laon.
Etaient-ils suivis, accompagnés ou précédés par les Alains
et les Suèves ? Le problème des langues et la rapidité des faits firent
obstacle à un enregistrement et au contrôle des visas, l'infiltration fut
vraisemblable.
L'empire prenait l'eau de toutes parts. Les Wisigoths en 410 atteignent
Rome, la pillent et rejoignent l'autre colonne qui ira fonder un royaume
wisigothique de Gibraltar jusqu'à Bordeaux. Dans notre région, ce qu'il restait
de citoyen avait dû trouver l'abri dans les bois et le vide s'était installé
dans les murs des villes.
Cette situation s'avérait bien tentante pour la petite
tribu des Francs qui de Maastricht, Liège jusqu' au relief du Teutoburger Wald,
cherchait un peu de soleil et de considération. Clodion, leur chef, vint en 428 jusqu'à Cambrai et régla le sort
des derniers fonctionnaires en place.
Pour parcourir le trajet de Cambrai à Saint-Quentin , les premiers
Francs eurent besoin de 20 années et en 448, dans le climat jubilatoire
consécutif à la prise de possession des sources de la Somme et de l'Oise, de
deux villes et , sans doute, avec une
forte participation de la population locale, une fête que l'on ne peut que
qualifier de populaire échauffa les Francs et les Vermandois. La vigne poussait
chez nous, et le vin devait avoir une robuste charpente. Noyon, La Fère, Laon,
Amiens, Paris, Reims demeuraient sous le contrôle des troupes romaines et de
leurs reîtres. Aétius était leur général et disposait encore de troupes
disciplinées.
Profitant de la beuverie, elles vinrent, sans invitation, au milieu de
la surprise partie et défirent la joyeuse bande.
Mérovée et Childéric retournèrent prudemment au nord de Cambrai, sans
amertume jusqu'au jour où Aétius envoya ses agents secrets pour solliciter
l'aide des Francs. La mission fut aussi dépêchée à Toulouse auprès du roi des
Wisigoths. Une coalition armée bien hétéroclite et disparate, sous le
commandement d'Aétius, préfigurait un consensus national, poussé par un
instinct primaire de conservation. Attila avait pillé Metz, la Champagne, évité
Paris à cause de Geneviève puis avait buté contre Aetius et Theodoric, le Wisigoth
à Orléans. Aetius et Attila étaient de vieilles connaissances puisque le
premier avait séjourné à la cour, bien plus policée que l'imagerie le prétend,
du chef des Huns.
La troupe renforcée par les Francs de Mérovée fut rassemblée près de
Troyes, sur les célèbres champs catalauniques et, là, en automne 451, la horde
sauvage du fléau de Dieu fut vaincue. L'armée coalisée d'Aetius écrasa un autre
regroupement de circonstance de tribus de Germanie. Théodoric de Toulouse
aurait pu occire le père du futur Théodoric des Ostrogoths avant de perdre la
vie, à son tour. Cette bataille compte parmi les plus importantes de l'histoire
et parmi les plus sanglantes. 250 000
hommes y auraient trépassé.
Les pertes, dépassant les espoirs de gain, Attila fit
demi-tour vers la Hongrie avec un petit crochet à Rome où le pape comprenant la
détresse du soldat blessé dans son honneur lui signa un chèque, lui recommanda
une retraite bien méritée et l'assura même de son amitié s'il quittait le
plancher au triple galop.
La boucherie de la bataille et le retour penaud de l'envahisseur
accélérèrent l'agonie de l'Empire.
Aetius n'avait été qu'un élément du rempart où le pape, Sainte Geneviève et les
alliés francs formaient les tourelles principales. Egidius, fils de Aetius
succéda à son père mais ne put pas empêcher les Francs de redescendre vers
l'Oise. En 475, les Francs seront définitivement installés chez nous.
Possibilité de s'y fixer s'offrait définitivement à eux puisqu'en 476,
Rome sombrera , laissant la place à une tribu amie, on ne sait pourquoi, les Ostrogoths.
Cette amitié, si ce terme convient dans un univers qui
réapprenait la diplomatie, sera confirmée plus tard quand Théodoric, roi des
Ostrogoths, celui-là, et non des Wisigoths ( le Théodoric de Toulouse avait péri aux champs
catalauniques), épousera une sœur de Clovis. Ce nouveau monarque mariera sa
fille au roi des Burgondes, sa nièce au roi des Thuringiens, sa sœur au roi des Vandales occupant Carthage et sa
dernière fille au roi des Wisigoths.
L'empire perdurait mais les lois de la démocratie aristocratique
romaine faisaient place à une diplomatie de chefs de tribu et d'alliances
matrimoniales. Tous les historiens affirment qu'il s'agissait d'un retour à la
barbarie. En une génération, pourtant, ces monarques seront chrétiens, les
femmes occuperont des positions sociales qu'aucun empereur romain n'avait
accordées à aucun membre de la gent féminine et la chrétienté soutendra une
internationale européenne omniprésente.
Les Quentin et Benoîte avaient eu beaucoup de semblables
en deux siècles aux quatre coins de l'Occident. Comme Saint Martin, qui n'eut
plus à connaître ce sort, ils faisaient toutefois partie de la
"haute", et portaient la tunique romaine. Notre région pourtant
suivit le mouvement:
l'évêché de
Saint Quentin, en effet, entama sa lignée avec Hilaire en 365 après JC. Il fut
suivi de Martin, Germain, Maxime, Fossone, Alterne, etc Sophronie en 511, Alomer en 530, Saint
Médard en 531 etc etc.......
L'institution existe toujours, malgré ses doutes.....
Le catholicisme aura, tout au long des siècles, une
histoire ambiguë avec notre région et ses habitants. En ce quatrième siècle et
début du cinquième, deux points de repères attestent d'une présence chrétienne
déjà forte : Clovis donna La Fère à sainte Geneviève en reconnaissance pour son
intervention inspirée contre Attila et contre Egidius, à Homblières, fut retrouvée dans une tombe
un des témoignages les plus précieux de la Gaule primitive. Il s'agit d'une
coupe ou d'un ciboire en verre peint, représentant Daniel dans la fosse aux
lions et Adam et Eve au Paradis
terrestre. En son centre , le chrisme PX est entouré d'étoiles,
symbolisant le firmament
L'objet est maintenant visible au Louvre.
Homblières reçoit-elle les dividendes du legs d'un de ses anciens ?
Retire-t-elle, simplement, la fierté de savoir ? Le vol du bien et l'oubli me
semblent plutôt son lot.
L'autre témoignage a la forme d'une énigme. Les premiers Saints, après
les apôtres, furent désignés par des décrets impériaux les condamnant au
martyre. Saint Martin innove par la charité et le dévouement épiscopal.
Il rencontrera un jour Saint Patrick qui
réussira aussi paisiblement à évangéliser l'Irlande, c'est à dire la dernière
branche authentique des Celtes. L'Irlande et la France ont une très vénérable
histoire commune qui commença en ces siècles et nous a apporté une sainte très
proche puisqu'il s'agit de Sainte Grimonie, Vierge et martyre célébrée à la
Capelle. Contrairement à Sainte Benoîte venue du Sud, Grimonie est née en
Irlande et était fille de roi. En contact avec les premiers évangélistes, elle
fut instruite dans la foi catholique alors que ses parents restaient fidèles à
la religion et aux traditions de leur royaume celtique.
L'ordre du monde la désignait pour épouser le vaillant
chevalier beau ou vieux, puissant même impuissant que ses parents lui
choisiraient. Tel était bien l'ordre universel ! Grimonie, capricieuse sans
doute, s'enfuit, traverse la mer déchaînée pour rejoindre la Gaule belgique où
le culte nouveau est tolérée. Craignant une incursion de piraterie armée par
ses parents, elle remonte jusqu'en Thiérache, en vivant simplement et en
fréquentant les lieux de prière. Profitant, sans doute, de complicité de la
part des Francs encore barbares, une troupe de soldats irlandais arrive à la
retrouver dans sa lointaine cachette. A nouveau, elle refuse de se soumettre à
l'autorité parentale et à l'ordre séculaire des choses. La promesse d'un beau
mariage ne la fait pas fléchir. Elle est mariée au Christ. Cet aveu lui vaut la
mort. Enterrée subrepticement par la troupe irlandaise, sa mort sera rapportée
par les chrétiens du pays comme une histoire singulière car les histoires de
famille ne sont pas des affaires publiques, mais la mémoire des femmes perpétue
l'évènement. Le corps est retrouvé intact, plusieurs décennies après, de
nombreux miracles se produisent et le village de la Capelle naît autour de la
chapelle. Les ossements de Sainte Grimonie, comme ceux de Sainte Preuve, elle
aussi vierge et martyre postérieurement à Grimonie, ont été cachés sous la
Révolution et demeurent parmi les objets constitutifs de notre civilisation.
Le débat sur la place de la femme dans le monde déchaîne
encore des passions primitives alors que, pourtant, chacun sait bien que, sans
le sacrifice de Grimonie, la liberté et l'humanité seraient des valeurs plus
étriquées et moins exaltantes.
Les
Francs sont là.
En l'an 475, les
Francs retrouvèrent ce pays ami où ils aimaient déjà se rendre en visite
privée. Le Vermandois, pays de lait, de miel et de vin gardait une culture
ancestrale celtique où les feux de la saint Jean sur toutes les buttes du pays
annonçaient l'hiver et où le 25 Mars, les druides vêtus de robes blanches
allumaient les bûches sacrées. Les deux peuples se ressemblaient dans leur mode
encore très rustique de vie, dans la préférence de la chasse et de la
chevauchée sur la lecture et la réflexion et dans la certitude que l'existence
libre et au grand air valait tous les palais du monde.
Les Francs arrivaient de loin avec une réputation un peu moins mauvaise
que les autres pour avoir su cohabiter longtemps avec les Romains, tout en
gardant des liens avec des tribus plus hostiles comme celles de Thuringes, les
Saxons, les Suèves, les Alains et même
les Vikings. Une certaine pureté raciale les distinguait des Mongols, Hongrois,
Asiatiques laissant à penser aux ethnologues qu'ils venaient de Scandinavie alors
que leur langue les rattachait aux langues germaniques dont certains dialectes
sont encore très proches de l'ancien francique.
Cette tribu, sous le règne de Clovis, traversa le
Vermandois, accompagnée de Ragnachaire,
roi de Cambrai pour se défaire de Syagrius , dernier principe romain qui se
reconnaissait au service de l'empereur d'Orient, puisque plus personne à Rome
n'assurait la continuité.
La victoire de Soissons en 486 n' est qu'une date car la bataille n'eut
rien à voir avec celle des champs catalauniques. D'abord, Clovis traversa sans
aucune difficulté notre région, l'évêque de Vermand envoya certainement des fax
à ses homologues de Reims et Senlis, ce
qui facilita la marche en avant plus que le contraire. Coucy, qui dépendait de
l'évêché de Reims, aurait pu être un obstacle infranchissable, aucune halte n'y
fut faite.
Pourtant en rentrant à Soissons, Clovis mettait la main sur
l'inébranlable administration fiscale qui, par delà les temps, constituait
l'épine dorsale du pouvoir des colonisateurs et, dès lors, il ne sera plus
parlé d'une tribu mais d'un Etat, du royaume franc, du royaume de France. Dans
cette métamorphose qui résulte du passage d' un monde sans écriture et sans
administration à une puissance financière et juridique, le Vermandois comme les
Francs perdront leur caractère tribal. Pourtant cette ethnie, petite
ramification d'une ou plusieurs autres branches, avait un nom. Jules César
parlait de la cité des Viromandues ; le village de Vermandovilliers indique
aussi clairement que les hommes d'ici ne peuvent se confondre avec ceux d'à
côté !
L'origine de l'ethnie comme de son nom reste inexplicable , aussi
convient-il de dresser ici l'inventaire des suppositions.
La chronique du Hainaut, qui est un ouvrage important, cite un certain
Vermandion, chef des huns, ce qui a laissé à penser qu'une branche de ce peuple
soit venue s'installer, mais l'hypothèse est, bien sûr, à exclure, car le nom
latin circulait bien antérieurement.
Par contre, il se peut fort qu'un ou plusieurs chevaliers
de chez nous, hostiles à Aetius aient rejoint la coalition formée par Attila et
aient été reconnus comme Vermandions.
Plus parlant est le
rapprochement entre Vermanus et Germanus, surtout en rappelant que le sens
étymologique de germanus est vrai, authentique.
Que quelques germains pussent avoir été reconnus comme
patriarches de la tribu relève de la forte probabilité. L'analyse latine du mot
vermandois mérite aussi d'être citée mais rend perplexe car la traduction en
"porte parole du vrai" peut aussi bien être retenue que celle de
"mangeur d'hommes".
Les origines du Vermandois s'éloignant jour après jour, la tentative
d'explication devient sujette à délire affabulatoire. Il nous faut, à nous
qui demeurons les pieds sur terre nous
contenter de nous interroger sur le miracle de la transmission de la
terminologie .
Comment, donc, la population en changeant de colonisateur
va-t-elle conserver ce signe distinctif, incorporé dans son nom ?
L'administration romaine, dont l'efficacité fiscale et
militaire a tenu l'Europe pendant plusieurs siècles, avait installé sans doute
dans notre contrée un dignitaire de haut rang, citoyen romain
nécessairement, de longue ascendance et
avec des états de services qui lui valaient une liste civile rondelette.
Rome, dans nos régions, avait
accordé à ses semblables un titre de comte dont l'importance se mesurait à leur
panier, c'est-à-dire à l'assiette fiscale qui leur était reconnue. César avait
trouvé un peuple, les romains convertiront cette manne en un panier confié à un
comte et les Francs reprendront la place telle quelle. Douze siècles plus tard,
un individu dont les attaches avec la région seront des plus ténues, se
déclarera toujours comte du Vermandois. Les habitants du pays lui seront tout à
fait étrangers, ses revenus tirés de chez nous insignifiants et pourtant, le
Comte du Vermandois portera à la face du monde la conscience d'être le
président d'un conseil imaginaire de surveillance d'une personne morale
enregistrée au début des temps historiques. En lui supprimant son titre,
l'individu perdra la boule et la société, un archiviste payé avec des ronds de
jambes et des flatteries de petit garçon. Les générations suivantes seront,
elles, les vraies perdantes, car
l'entité sera découpée, de nombreux villages voisins n'auront plus les mêmes
valeurs, la capitale perdra son arrière pays, les recherches archéologiques
d'Athies seront séparées de celles de
Vendeuil ou de Vendhuille; combien de
blessures à l'amour-propre du pays, par
pure méchanceté ?
La sagesse des Francs, en arrivant chez nous, sera profonde et
vénérable. Même en changeant les hommes et les dieux, n'est-il pas plus sage de
récupérer des titres qui accordent la légitimité et ne sont que tigres de
papier plutôt que de les brûler au nom
d'un hypothétique progrès qui restera toujours à démontrer ?
Mérovée, Clodion, Clovis, que beaucoup de manuels rangent parmi les
barbares, ont été tout le contraire et notre terre en porte témoignage.
En effet, si les
premiers gouverneurs de la province sont peu connus, on sait que Léodégarius,
ou Léger fut comte de Boulogne en 484. Eméramus ou Aimeri épousa une comtesse
d'Aquitaine et agrandit les provinces sous son autorité. Wagon 1er lui succéda
en 511. Wagon II s'enrichit de seigneuries dans le Cambrésis et en Bourgogne.
Il avait marié sa fille Bertrade au roi Clotaire II qui hérita ainsi du
Vermandois vers l'an 600. Dans la famille royale mérovingienne, le Vermandois
sera confié à Garifrède vers 660 par Clotaire II. Ce comte fut donc le premier
d'une longue lignée qui, après le capitulaire de Quierzy vers 870, ( Il s'agit
de ce petit village à côté de Noyon, dont il sera souvent parlé par la suite ) prendra soin de faire enregistrer
tous ses membres.
Les Francs prendront le relais des Romains souvent par le
jeu des mariages, à tel point qu'il sera souvent jasé, par des cours jalouses
d'Europe et d'Asie, que la France descendait des Gaulois par les femmes et de
Rome par les mâles.
La France se distingue nettement des pays, états , Land du
reste du monde par la féminité qui caractérise cette nation. Marianne figure
une réalité profonde qui commença en cette époque lointaine après les
sacrifices de Sainte Benoîte, de Sainte Grimonie et grâce à la première de nos
reines : Sainte Clotilde.
Clotilde, comme son futur époux, n'était pas issue de
familles du type bon chic, bon genre. Son père
Chilpéric et son oncle Gondebaud se disputaient la Bourgogne, dominée
par un envahisseur germain, goth et arien, qui s'étendait de Metz jusqu' aux
confins du Mâconnais. Le voisin du nord
et de l'ouest n'était autre maintenant que la tribu franque. Entre les deux
zones, Saint Rémi priait Dieu et parlait de paix. Que le mariage ait été
arrangé, n'étonnera personne.
Clotilde fut élevée par Gondebaud qui avait assassiné son
père. Un jour, elle recevra la visite d'un mendiant Aurélius, agent secret
d'une puissance étrangère qui lui parlera de Clovis et obtint, dit-on, son
consentement. Gondebaud donna le sien aussi, pensant se débarrasser d'un témoin
gênant et convaincu de sa supériorité sur la tribu voisine.
Le mariage eut lieu en 493 et fut heureux puisque
plusieurs enfants naîtront. Clovis s'était marié à 27 ans et mourra à 45.
Pendant ce laps de temps, il arrêtera la progression des Alamans à Tolbiac avec
l'aide de Dieu et au prix de son baptême, vengera son beau père en battant le
fils de Gondebaud et en annexant la Bourgogne, puis en battant les Wisigoths à
Vouillé près de Poitiers. En 510, à Tours, l'Empereur de Byzance Anastase
consacrera sa gloire en lui conférant le titre de " roi des Romains ".
Il mourut en 511 et fut enterré à Paris, à l'église qui venait juste de
recevoir le corps de Sainte Geneviève.
Pour être complet, il faut aussi ajouter qu'il trucida
pratiquement tous les petits rois de Cambrai, Tournai, jusqu'en Rhénanie qui
pouvaient faire ombrage à son pouvoir.
L'histoire lui fit reproche de ces règlements de " comtes "
et le félicita de l'anéantissement des royaumes burgondes et wisigoths. Pas un jugement de l'histoire ne sera jamais
exempt d'idéologie et de parti pris. Toutes les annexions trouveront des défenseurs patentés . Toutes
les mesures de police seront, pour l'éternité,
impopulaires.
Pourtant l'appréciation historique est tout à l'opposé des
intentions avouées de Clovis. La vengeance inspirée par Clotilde et l'action
militaire commanditée par saint Rémi ne visaient pas vraiment à une annexion.
Clovis tenait à chasser l'arianisme et à honorer ainsi la promesse faite à Rémi
d'être l'apôtre de la Trinité. Son but n'était pas de piller ces états, ni de
les déstabiliser. Sur le plan intérieur, la cruauté du roi fut indiscutablement
sanglante mais n'était-elle pas le vrai prix de l'instauration de la monarchie.
Le roi portait l'onction divine, son pouvoir était un, même si son dieu était
triple. Tous les autres étaient de trop.
Dans l'histoire de France, Clovis n'accéda pas à l'ordre
des saints. Pourtant son prénom se perpétuera d'âge en âge sans aucune
objection religieuse. Saint Louis comme tous ces homonymes prédécesseurs
étaient dépourvus de saint patron. Pas tout à fait, Clovis avait une sépulture
solennelle, avait reçu le pouvoir de guérir les écrouelles et était célébré
dans certaines églises.
Lorsque Louis IX vint inaugurer la basilique de
Saint-Quentin, sept siècles après Clovis, le roi, dit-on, fut très ému d' être
sur un des hauts lieux de la vie de son saint ancêtre, pratiquement dans la
ville de son saint patron.
L'importance du passage de Clovis dans le Vermandois pour l'histoire du monde comme la Sainte
Trinité s'élèvent au rang des articles de foi. Rien ne le prouvera jamais.
Toutes les objections s'effondrent pourtant devant l'évidence.
L'activité
des rois fainéants en Vermandois.
"Qui sait ? Peut-être les Barbares n'ont-ils pu
pénétrer dans l'Empire romain qu'afin que partout, en Orient et en Occident,
les églises du Christ fussent pleines de Huns, de Suèves, de Vandales, de
Burgondes, et d'autres peuples
innombrables de croyants. Ne faudrait-il pas alors louer et célébrer la
miséricorde divine, puisque grâce à notre ruine, tant de nations ont eu
connaissance de la vérité, avec laquelle elles n'auraient pas été en contact
autrement ?"
Ces questions posées par Orose
au Vème siècle, nous le savons maintenant, étaient proprement prophétiques, et
pourtant la prémonition pèche par angélisme. L'Empire romain n'avait jamais été
une cité de Dieu sur terre et s' il avait pu apparaître la cité des hommes pour
certains, c'était celle de " happy few" qui acceptaient un voile de
l'épaisseur de la toile à peplum sur les appels de la conscience.
Sans Clovis, en effet, que serait devenu ce que nous savons du débat
inauguré moins de 70 ans avant par Saint Augustin, sur la cité de Dieu et la
cité des hommes. En exécutant devant toute son armée un soldat au nom du vase
de Soissons, Clovis avait inséré une dimension nouvelle dans la fonction royale
qui était inintelligible aux empereurs : le roi, aussi, avait à rendre des
comptes à Dieu, à son fils et à son église.
Ni Clovis, ni Orose, ni Rémi, ni Augustin ne pouvaient
entrevoir un instant le monde qu'ils contribuaient à construire. Et pourtant
tout se passa en un siècle obscur et de décadence !
L'année où les terres franques allaient être partagées entre ses fils,
les évêques de France se retrouvèrent en concile à Orléans en 511. Saint Rémi,
Saint Vaast, Saint Gildard frère jumeau de Saint Médard, Saint Germain étaient
là dans cette assemblée vénérable. Sophronie représentait le Vermandois.
La qualité des participants aurait dû, en toute logique, résoudre des
questions fondamentales de la foi et figurer parmi les grands conciles de la
chrétienté , mais ce serait oublier qu'une Eglise demeure constituée d'hommes
ressemblant plus à leur temps qu'à des images pieuses. Nos saints pères,
évidemment inspirés par le Saint Esprit, décideront que les clercs seront
nommés par le roi à l'exception des fils et petits-fils de prêtres......
songeaient-ils à la sainteté, ces évêques doués de sens du concret ?
Cette décision, prise à une date charnière par des saints
éminents, est totalement ignorée de tous les manuels de l' histoire, alors qu'
aucune de nos cathédrales, aucun mur d' abbaye, même en ruine, n'est explicable
sans ce rappel. Entre le concile d'Orléans et le célibat des prêtres, cinq
siècles vont s'écouler, qui chacun, à sa manière, va conforter l'Eglise, créer
les lignées de prélats et accroître ses richesses.
En coupant les têtes des statues des saints à la
Révolution, le peuple croyait s'attaquer à des symboles, il fut là aussi
trompé, c'étaient bien les saints qui nichaient dans les porches et les
voussures qui avaient édifié la puissance de l'Eglise, d'une Eglise ouverte à
tous en principe !
Les saints d'alors n'avaient pas les mêmes perspectives que nous, comme
ne l'auront pas les fils de Clovis. Thierri, Clodomir, Childebert et Clotaire
prirent dans l'ordre Metz, Orléans, Paris et Soissons. Clotaire, dernier fils
de Clotilde, hérita du Vermandois, pièce centrale d'un territoire qui allait de
Beauvais jusqu'à Liège, voire jusqu'au Rhin mais ces lointaines provinces
n'étaient guère sûres et les villas, propres au séjour du prince, peu
nombreuses.
Clotaire
mourut à Compiègne en 561 à 61 ans après une chasse en forêt de Guise. Sa vie
est un morceau de choix pour ceux qui aiment les grands espaces, les femmes et
l'existence frustre de gens simples. A l'exception de sa déclaration peu avant
sa mort ( "Hélas ! quel pensez-vous que soit le roi du ciel, qui fait
ainsi mourir de si grands rois sur la terre ? ) ", son oeuvre législative
est des plus minces. Pourtant comme son père, il agrandira le royaume en battant
les Thuringiens et en annexant la France du Sud-Est et sera l'ami d'un Saint
que nous apprécions particulièrement puisqu'il fut l'évêque de Vermand :
Médard. Dans le butin collecté en Thuringe par lui et par Thierri, son
demi---frère, roi d'Austrasie, il ne sera pas trop exigeant et ramènera une
jeune captive de 10 ans et son frère. Ils étaient neveux d' Hermenfroi, roi de
Thuringe et valaient tous les trésors. Clotaire les installera dans une de ses
villas préférées : Athies en plein coeur du Vermandois. La jeune Radegonde
vécut là comme les jeunes filles de chez nous, occupée par les tâches ménagères
et instruite des prières et des prêches de l'évêque de la ville voisine. Malgré
le déracinement , le sang fut le plus fort : elle développa un port de reine et
une vive intelligence qui subjugua
Clotaire dès que Radegonde fut en âge d'être mariée.
Le caractère d'une fille de Thuringe élevée dans une ferme
de chez nous où la femme sait diriger les chevaux, planter, récolter le blé,
tisser et préparer la bière ne peut se manipuler comme celui des filles
des îles indolentes ou de l'Arabie.
Radegonde s'enfuit d'Athies dès qu'elle eut connaissance du projet de mariage
de Clotaire, qui n'avait rien d'un chevalier puceau et fringant, ayant déjà eu
trois épouses . Radegonde invoqua son amour pour le Christ et son désir de
rester vierge, disent les ouvrages religieux pour pensionnats de jeunes filles.
Elle cédera pourtant aux pressions du roi et son mariage sera célébré très
solennellement à Soissons. Reine, elle assuma parfaitement sa tâche et exerça
une forte influence sur ce mari mal dégrossi. Dévouée pour les pauvres et les
malheureux, elle fit construire un hôpital à Athies et aurait même,
miraculeusement, fait sortir des fers
les prisonniers des geôles de Péronne. Clotaire retrouvait une femme de
la classe de sa défunte mère et en était heureux. Radegonde avait un
tempérament de reine jusqu'à la perfection, au point même d'obtenir le divorce.
Son mari avait fait tuer son frère pour des raisons qui ne nous sont pas connues
et aussitôt, Radegonde fit comprendre qu'elle ne pouvait plus, en conscience,
assumer son rôle de reine de France. Elle prit l'initiative d'aller à Noyon
voir Saint Médard et de lui faire part de quitter son mari.
Médard était expert dans le
règlement de conflits portant sur des vols mais la demande de Radegonde n'avait
pas encore de jurisprudence. Les couvents de femmes n'existaient pas. Par
contre, l'église honorait la virginité et le dévouement total pour les autres.
Les moines de Lérins commençaient à diffuser l'idée d'une existence
possible à l'écart du pouvoir royal et pour le bien de tous. Médard hésita,
dit-on, et finalement aida Radegonde à rejoindre Saint Martin à Marmoutier,
l'abbaye qu'il avait créée. Son influence et sa raison tempérèrent la colère de Clotaire et Radegonde partit.
Après Tours, elle fonda l'Abbaye de la Sainte Croix à Poitiers où grâce à sa
sainteté et à sa reconnaissance comme reine, elle obtint du patriarche de
Jérusalem la dépouille du bienheureux martyr, Saint Mammès et surtout de
l'impératrice Sophie d'Orient, un morceau de la vraie croix.
Pour Poitiers, un autre enfant du pays, Charles Martel,
lèvera dans le Vermandois tous les chevaliers nécessaires pour vaincre les
chevaux de feu de l'Islam. Le péril représenté par l'envahisseur n'
apparaissait pas à nos concitoyens mais l’œuvre de Radegonde et le bout de la
croix appartenaient à notre contrée ;
les biens d'une femme de bien ont une valeur inestimable qu'aucun
musulman ne comprendra jamais. L'arabe, convaincu de la supériorité d'une
religion qui admettait la naissance miraculeuse du Christ, eut bien du mal à
comprendre l'acharnement bestial de ses adversaires à défendre une communauté
indépendante de femmes et un colifichet
de bois vermoulu.
Grâce en soit rendue à Sainte Radegonde d'Athies, et fille
de Thuringe, pays d'Allemagne qui souffrira autant que le nôtre des
vicissitudes de l'histoire.
Comme Saint Rémi, natif de Laon,
Saint Médard, né à Salency, joua un rôle déterminant auprès du roi. Sans
l'avoir voulu, il déshéritera un peu notre région en installant l'évêché à
Noyon en 531, après le pillage d'une bande de Vandales qui passait par là. Il
est vrai que la place était plus proche
de son village natal mais, ce ne fut pas une cause suffisante. La proximité de
la cour royale qui travaillait à cheval
entre Compiègne, Soissons, était plus importante. De plus, Médard obtiendra de
son roi l'évêché de Tournai , ce fut la consécration suprême des Francs et de
l'Eglise qui n'avait jamais auparavant autorisé pareil cumul des mandats.
Le regret de l'assoupissement de l'évêché du Vermandois
doit être ici tempéré car, même résidante à Noyon, la circonscription
épiscopale restera et demeurera celle du Vermandois. Médard l' avait voulu
ainsi et aurait été bien désolé de la trahison dont nous l'accusons à tort.
L'histoire du monde est pleine de ces destinées contraires à la volonté des
hommes ; Médard serait d'ailleurs bien surpris de savoir que son nom figure sur
la liste interminable des prénoms démodés, que sa place sur le calendrier
n'intéresse que les maraîchers, jardiniers et les marchands de parapluies,
enfin que le citoyen à l'évocation de Médard, tourne bien les yeux vers le ciel
mais uniquement pour y apercevoir les nuages.
Dans cet héritage involontaire, Médard pourtant n'aurait
pas désavoué la "fête des rosières", cette fête des jeunes filles aux
accents païens qu'il avait reconnue et autorisée dans son village natal de
Salency. La rosière deviendra, grâce à lui, une de ces institutions
merveilleuses, tellement simple, tellement belle que seuls les poètes, les
peintres et les âmes pures peuvent en exprimer la perfection.
Dans le monde laissé par Clotaire et Médard, un sentiment de sage équilibre se
laisse discerner. Les clercs enseignaient et défendaient la veuve et
l'orphelin, les chevaliers respectaient Dieu et les hommes, et les paysans
faisaient fructifier la terre.
Au premier plan que restait-il à faire aux rois bénis de
cette contrée ? L' historien révèle ici sa vraie nature, c'est un vampire,
voyeur ou un idéologue fanatique, parfaitement incapable de comprendre que des
rois trouvaient bon la chevauchée, la
chasse et une transhumance éternelle entre les villas qui jalonnaient la terre.
Ces rois n'étaient pas fainéants comme le jugea plus tard Eginhard pour
justifier le coup d'état des pipinides contre les descendants de Clovis, mais
simplement de bons gestionnaires, soucieux de ne pas favoriser trop cette
économie monétaire qui avait déjà coulé l'Empire .
Faut- il ajouter qu'ils furent aussi fin diplomates !
Pendant cinq siècles, la paix règnera dans le Vermandois
et dans les pays voisins. Les buttes
resteront les principaux édifices militaires, les églises et les abbayes
représenteront la société civile bien avant que les premiers châteaux forts ne
sortent de terre.
Parce que notre région ne revivra plus un temps de paix aussi long, une
analyse s'impose. Clovis, roi de Tournai fit comme son fils Clotaire une guerre
contre la Thuringe ; cette région centrale et riche de l'Allemagne fait de la
sorte son entrée dans notre histoire. A chaque fois, les Francs trouvèrent sur
le flanc-est des Ardennes un solide appui. Les habitants de cette région dont
Trêves, ancienne cité impériale, était la métropole, affirmaient une parenté
avec nos Francs français.
Ils seront qualifiés de ripuaires car vivant sur les rives
du Rhin, de la Moselle et de la Meuse. Clovis, qui épousa Clotilde la sainte
sur les conseils avisés de Rémi, savait pouvoir compter sur l'amical soutien
des ripuaires ; n'avait-il pas épousé en premières noces une princesse franque
née au delà des Ardennes. D'elle, il aura son premier fils Thierri qui recevra
naturellement Metz, Trèves et toute l'Austrasie. Clotaire, son demi-frère,
prendra l'ascendant sur toute la fratrie et pourtant maintiendra Thierri dans
ses possessions, lui laissant même la quasi totalité du butin sur les
Thuringiens à l'exception de Radégonde.
Cette entente entre Francs fut le ciment de l'Europe
beaucoup plus que celle nouée avec les Burgondes et les Goths. Charlemagne la
confortera car il comptera dans ses ancêtres plusieurs ripuaires mais il sera
le seul unificateur physique. Les Francs allemands et les Francs de chez nous
seront frères au sens plein du terme, sans abaisser l'un par rapport à l'autre.
Ce n'est que bien plus tard, que les liens de fraternité seront oubliés ;
les français revendiqueront des
valeurs universelles pour dominer l'autre, les Francs de Germanie rappelleront
que les Francs constituaient une race et que ce caractère imprimait une
dépendance supérieure à la raison.
Les Francs pensaient moins et vivaient heureux, à l'instar de rois
fainéants, modèles exemplaires pour les membres d'une société aspirant au
bonheur et à la prospérité.
Le Vermandois au cœur du monde.
La vision paneuropéenne des
Francs saliens s'inspirait de conceptions plus fédéralistes qu'impériales de la
"chose publique" et la politique passera au second plan derrière les
rapports de personnes. Cette étrangeté qui vaudra de la part de ses contempteurs
des qualificatifs de barbares
permettra, pourtant, la construction de l'Europe sans dirigisme, sans
parlement ni parlotes interminables. Des rives de la mer du Nord à l'Espagne et
l'Italie, les familles régnantes deviendront toutes parentes et les jeunes
héritiers prendront très jeunes l'habitude de séjourner longuement dans des
cours lointaines. Un latin de cuisine servait de langue commune et l'avis de
l'internationale catholique sera recherché partout où des risques de
divergences seront suspectés. Le droit Canon s'imposera à tous par simple
consensus. Nos régions du Nord déjà infiltrées par les Romains n'avaient pas
vraiment vécu dans des états de droit où la justice menait une existence
légale. Lorsque en 534, Clotaire gagnera toutes les terres des Burgondes jusqu'à
la Méditerranée, il pénètrera dans des états de droits anciens avec de
véritables traditions judiciaires . A ces particularités, il fallut que la
monarchie franque s'adapte également.
Les évêques et les clercs seront partout des appuis dévoués mais le
besoin se fera ressentir d'un élargissement des fonctions administratives.
C'est sans doute, à cause de cela que la puissance des maires de palais va
devenir grandissante.
Dans cette mosaïque de peuples, les rois vont construire l'Europe avec la technique des castors qui sont des animaux remarquables
chez lesquels la femelle provoque tous les débordements de lit de rivière et où
le mâle travaille avec les attributs de son sexe.
Ainsi, l'histoire de France et d'Europe va se transformer en une
préface à plusieurs épisodes du magazine Point de Vue, satisfaire totalement
les commentaires de concierges, et rapporter mille et une scènes de ménage.
Gratter quelque peu le subconscient de tous les Européens et vous verrez la
profondeur de ce sentiment commun de curiosité à l'égard des princes et de
passion généralisée pour les histoires d'amour des princesses et des rois.
De la mort de Clotaire, enterré à Soissons, en 561 jusqu'à la bataille
de Tertry en 687, notre contrée va
assister à de sanglantes rivalités féminines dont on peut s'interroger, dès le
départ, sur la portée historique réelle. Brunehaut, Frédégonde comme plus tard
les empoisonneuses de la cour de France et jusqu'à Marie Antoinette portent la
caractéristique commune de l'excès tant dans les crimes supposés que dans la
haine publique à laquelle elles auront à faire face. S'il y a peu de jugement
de complaisance à l'égard des reines, la faute en vient bien évidemment à la
manière de régler les conflits personnels de nos consœurs : l'homme trouvera
juste un duel inégal placé sous le signe de l'honneur alors que la femme
écartera toujours le duel comme moyen et l'honneur comme mobile de ses
règlements de comptes.
Cette divergence de point de vue sera le facteur
discriminant qui écartera la femme du statut d'être humain, pendant des
millénaires et jusqu' au milieu de ce siècle, car ce n'est que depuis trente
ans que la femme peut signer ses chèques, réclamer justice et travailler à son
compte.
Cette digression ne vise à pas à t' égarer, lecteur, dans
des propos philosophiques mais bien à te faire découvrir le monde
d'aujourd'hui: le Vermandois et l'Aisne sont, en effet, traversés par la
chaussée Brunehaut. Comme on nomme aujourd'hui les principales autoroutes,
cette route a perpétué le nom de cette reine de roman feuilleton.
Clotaire décéda en 561 laissant deux fils: Sigebert reçut
la rive sud de l'Oise et son prolongement vers les Ardennes et épousa
Brunehaut, fille du roi wisigoth d'Espagne, Chilpéric eut la rive nord, Noyon,
Amiens, Péronne, Saint-Quentin , Cambrai, Tournai et épousa Frédégonde. Paris commençait à être une cité importante
et pourtant les deux frères la considèreront comme un bien indivis sans grand
intérêt et ne valant aucun séjour prolongé. Frédégonde, moins connue que
Brunehaut, est le personnage intéressant de cet épisode, c'est en effet une
fille de chez nous. On sait qu'elle est née à Avaucourt en Picardie, d'une
naissance obscure. Attachée à la maison d'Audouaire , femme de Clotaire, elle
obtint d'être marraine d'une des filles, ce qui lui permit de rester au palais
lorsque la seconde, venue comme Brunehaut d'Espagne, chassa la première.
Frédégonde comprit vite sa haine viscérale contre les brunes du sud et fit
assassiner Galsuinte. Le roi épousa alors cette fille sans titre mais qu'il
devait connaître depuis ses tendres années et , en cadeau de mariage, fit jeter
Audouaire dans un de ces fleuves chauds et limpides de la région où les corps
sont rarement retrouvés. Avec un tel
palmarès, Frédégonde devint l'âme damnée de son mari puîné et une assistante
dévouée.
Brunehaut séjournait le plus souvent du côté de Cologne
mais ne se refusait pas des séjours à Reims et Laon. Frédégonde pensait que les
habitants de nos régions avaient les
meilleurs chevaux, les épées les plus tranchantes et qu'il suffisait de
compléter l'armement par quelques poisons violents pour obtenir la
réunification des terres franques. Par cinq fois, Chilpéric pénétrera dans les
propriétés de Sigebert. Celui ci ne disposait sans doute pas d'une
"ost" aussi vaillante que son frère mais l'Austrasie comptait des
grands plus riches en arrière-ban et une amitié forte avec la Burgondie, voire
jusqu'avec les Lombards. En 575, Chilpéric fut, pour la première fois, repoussé dans Tournai que les Austrasiens
assiégeaient. Frédégonde, de rage, fit assassiner Sigebert avec des armes
empoisonnées. Chilpéric triomphait mais "bien mal acquis....".
Brunehaut n'eut de salut que dans la
fuite chez les Burgondes avec son fils . Notre reine Frédégonde resta à côté de Chilpéric jusqu'à la mort de
celui ci en 584 ( certaines mauvaises langues disent qu'il fut assassiné par
Frédégonde qui aurait craint une répudiation à la suite d'une liaison avec un
maire de palais du nom de Landri, oh ! que de suppositions infondées ! ). La
confrontation avec Brunehaut allait commencer. Sans vouloir faire de parallèle
entre les deux femmes, il faut noter que Frédégonde mourut en paix en 595 et fut enterrée avec son mari
à l'église Saint Germain des Prés .
Brunehaut, ayant sauvé son fils, se débarrassa d'un
prétendant au trône, fils de Clotaire, et non encore majeur afin d'assurer la
régence. Elle fit assassiner Wintrion, duc de Champagne et maints autres grands
et se rendit si odieuse qu'elle fut chassée, nue de son royaume. Ce n'est pas
sur la chaussée Brunehaut qu'elle fut retrouvée et il est peu probable qu'elle
soit passée à cette occasion dans le secteur. Elle continua pourtant ses
méfaits, après avoir séduit Thierri, son propre petit-fils, qui l'avait
recueillie dans le dénuement.
On sait que finalement, elle fut condamnée à être tirée par un cheval
indompté, attachée par les cheveux jusqu'à ce que mort s'ensuive. La chronique
ne dit pas la non plus où le spectacle fut donné.
La chaussée Brunehaut n'est qu'un indice improbable d'un fait véridique
dont notre région fut l'origine et le support. Brunehaut eut droit cependant
une sépulture chrétienne à l'abbaye de Saint Martin d'Autun, mystère
supplémentaire !
Cette fin peu glorieuse eut lieu en 614 ou 615. C'était un épisode
d'une rubrique des haines ordinaires sur un fond politique : le conflit entre
la Neustrie et l'Austrasie. Les rôles de la Burgondie et de la Bavière
formaient un arrière-plan qui marqueront l'histoire pendant des siècles.
Quelque chose avait imprimé le subconscient des différents peuples et un
sentiment de ressemblance unissait des communautés sœurs mais pouvant se
détester jusqu'au crime passionnel.
L'époque glorieuse de la Neustrie dont le Vermandois était proche du cœur
correspond sensiblement au triomphe de Clotaire aidé de Frédégonde jusqu' au règne de Dagobert puis , avec
moins d'intensité, jusqu'à la bataille de Tertry, soit de 561 à 687. Les rois
et les maires de palais n'apportaient pourtant rien. Ils percevaient, buvaient,
guerroyaient au lointain pour des caprices d'enfants gâtés et n'avaient cure du
reste. Tout au plus, peut-on penser,
respectaient-ils l'Eglise et les artisans qui leur fournissaient bonnes
armes pour ferrailler, bons grains pour manger et bons chevaux pour cavaler.
Ainsi va la prospérité qu'elle bénéficie de l'oubli des grands et du respect
des nantis mais ne laisse que des traces éparses et fluettes dans l'histoire.
Cette période fut, en effet, pour nos régions une nouvelle avancée dans le
christianisme. La paix en Neustrie, la gloire de son roi et sa foi proclamée va
amener chez nous les enfants de Saint Patrick, l'Irlandais. Le mouvement des
prêtres et moines irlandais concrétisait des relations de voisinage et une
identité de vue et de vie. Aussi furent-ils nombreux ces prêtres irlandais d'un
nouveau style qui vont durablement pénétrer le pays. Le plus éminent fut
certainement Saint Colomban qui
rédigea la règle de cette communauté missionnaire. Les contes celtes n'étaient
pas rejetés, une assimilation
intelligente des récits populaires autorisait une évangélisation plus adaptée,
surtout le travail des champs s'intégrait dans la mission de l'homme sur terre.
Colomban passa chez nous avant d'aller vers Luxueil, Saint Gall et
l'Italie . Beaucoup de ses compatriotes s'arrêteront, défricheront, prêcheront,
baptiseront et bâtiront des églises.
Leurs missions étant identiques ; les vies de chacun seront souvent
semblables et la canonisation couronnera leur mérite.
Ces saints irlandais ont été nombreux :
Saint Fursy qui décèdera dans le Ponthieu. Evêque vénéré, ses reliques
seront mises en lieu sûr, assez loin de la côte pour échapper aux raids des
Normands. Il deviendra ainsi le Saint de Péronne. Ce ne fut que justice qu'un
saint d'outre-mer soit honoré en cette
ville dont l' étymologie vient de Parona Scottorum.
Saint Gobain, moins mitré, vivra dans l'humilité auprès
d'une petite communauté perdue dans le massif forestier immense des Sires de
Coucy et osera l'impossible : convertir les hommes des bois. Il fut martyrisé
par les barbares et par la presse officielle. Son nom demeurera inscrit, par
miracle, au lieu de son souvenir et ce n'est que mille années après que Colbert
en créant dans cette clairière une grande manufacture lui rendra sa notoriété.
Saint Boétian( 668 ), noble irlandais connut un sort
identique sans la célébrité. Sa vie austère et son langage d'exigence
irriteront les barbares de Pierrepont près de Laon. Sa châsse conservant sa
tête est toujours exposée malgré les
siècles de profond obscurantisme qui séparent notre ère de son temps.
Saint Etton dont la statue figure à Flavy le Martel et qui dut prêcher
vers Cambrai,
Saint Kilian qui évangélisa Aubigny.
Partout se créent des " Xénodochia ", maisons d'accueil pour
voyageurs chrétiens. Mais celles ci ne sont que des commodités rustiques,
souvent de simples huttes, pour des missionnaires qui ne fréquentent plus
l'élite et qui veulent porter la parole et la bonne nouvelle aux gens simples.
Ils mèneront un travail d'obscurs avec pour seule
ressource l'exemple. En haut, mieux financés, d'autres saints obtiendront des
résultats plus probants :
Saint Géry , patron de plusieurs paroisses du Nord du Vermandois et
évêque de Cambrai, et de haute naissance franque fondera Bruxelles,
Sainte Aldégonde, patronne de Maubeuge.
La christianisation de la Neustrie était presque achevée
et Saint Colomban trouva surtout en Austrasie des terres à évangéliser. Il sera
plusieurs fois confronté à Brunehaut et sera finalement bien soutenu par elle (
ce qui peut expliquer sa sépulture chrétienne). Après avoir séjourné sur le
plateau proche de Besançon, il fonda l'abbaye de Luxeuil, puis celle de Saint
Gall en Suisse ( Gall était avec lui) et finalement celle de Bobbio en Italie
d'où il entama la conversion des rois lombards, toujours ariens et rebelles au
dogme trinitaire.
Si Boniface fut l'apôtre de l'Allemagne, Rémi et Médard
furent ceux des Francs, Colomban mérite le titre d'apôtre de la Lotharingie.
Cette désignation se constate encore aujourd'hui dans les chrétientés de
Lorraine, Franche-Comté, Suisse, Bourgogne. La foi y est l'apanage des gens
simples et leur fierté. L'Irlandais Colomban ne devait pas dire grand chose
d'autre.
La providence lui avait offert des auditeurs attentifs
qui, avec les chevaliers croyants de la France Neustrienne, se ligueront à
temps pour barrer la route aux chevaux légers de l'Islam qu'un certain Mohammed
commençait à professer en Arabie dans ces années 600.
Le monde semblait occupé par les péripéties de conflits de
harpies haineuses alors qu'il s'agissait plus que jamais de savoir si Dieu
appartenait aux grands, aux faibles ou aux soumis ?
Dagobert
à Homblières et Eloy en Vermandois.
Le septième siècle répond absent à
l'appel de la quasi totalité des livres
d'histoire de classe. Tout au plus, comme exutoire à une curiosité excessive
est-il donné à fredonner la chanson de
Dagobert et de sa culotte à l'envers . Les paroles de la chanson sont d'une
grande portée épique et résument merveilleusement la situation de la royauté en
cette époque. Mais réduire un siècle à la caricature d'un règne de 7 années
s'avère très injuste... tout particulièrement pour notre région.
Le seul érudit qui finalement célébra ce siècle fut Mabillon, né dans
les Ardennes et mort à Saint-Germain-des-Prés. Il déclara que le septième
siècle avait été l'âge d'or de la France.
Pour le Vermandois, ce ne fut pas un siècle de paix, mais
la structure du monde faisait que les guerres n'étaient faites que par des
volontaires pour des causes fondamentales et que le peuple avait droit à la
paix de l'ordre naturel. On vécut donc en ce temps comme des dieux en France ,
sous le regard admiratif du monde et celui indiscret de la jalousie.
Clotaire II, en délaissant Soissons pour Paris et après
avoir attaché Brunehaut par les cheveux à la queue d'un cheval fou, confia
notre région à Garifrède vers 600. Il fit bien d'autres opérations de
donations, dévolutions, tractations sur ces terres de Neustrie qu'il hérita de
son père Clotaire et de Frédégonde d'Araucourt. En une époque où l'argent ne
circulait guère, les premiers textes fourmillent de ces donations notariées dont la contrepartie monétaire où
en nature figurait souvent peu dans le texte. En acquérant son fief, ce
seigneur devenait l'obligé d'un contrat qui s'appuyait entièrement sur les
coutumes franques. Les domaines d'alors formaient des cellules de production
dans lesquelles les éléments humains et matériels étaient indissociables. Leurs
gestions par les Romains avaient permis de connaître les revenus
annuels en nature et en argent qu'ils secrétaient. Le roi, en désignant un
seigneur, ne faisait que donner un gérant à l'entreprise ; le droit de vie et
de mort, d'usus et d'abusus faisaient partie des pouvoirs de gérance mais
jamais intégralement. La gérance, la tenure s'inspiraient du droit romain et
étaient de nature temporaire, le plus généralement d'une durée de 12 ans. Cet
usage était plein de raison. Le bénéficiaire disposait d'un temps de gérance
satisfaisant pour "faire sa pelote" tout en le contraignant à rester
fidèle à son maître. La gérance n'était transmissible à priori qu'à une
personne et les domaines royaux gardaient ainsi le caractère de "
fiscus" qui avait présidé à leur naissance. Il n' y avait pas de
contre-indication à installer un proche sur une parcelle du domaine puisque la
responsabilité du tenancier principal l'engageait, sa vie durant, vis à vis des
tiers. Le droit se déclinait sur l'adage simple d'un roi, une foi, une loi.
Ni écrite, ni discutable, la loi n'avait qu'une apparence d'unicité, car les clercs obtiendront
dès le concile d'Orléans une justice particulière.
La foi s'incarnait au sens laïque dans la personne du roi. Le roi
n'était-il pas doublement élu, par le peuple qui le hissait encore sur le pavois
et par l' onction de l'huile sainte?
Le roi était fondamentalement unique et seul face à sa
conscience.
Cette constitution naturelle se heurtera comme toutes les
entreprises aux dures réalités de la continuité et de la transmission du
pouvoir.
Les enfants royaux devenaient rois et ce principe
inapplicable aux citoyens obligeait le morcellement du domaine royal.
Le pays franc qui allait de la Loire au Rhin fut ainsi coupé en deux,
en trois, réunifié une fois, deux fois, trois fois par le simple jeu des
partages héréditaires et aussi par les assassinats et des " contrats
" exterminateurs. La dague et les poisons formaient l'attirail
des diplomates et les traités qui fleuriront en France plus tard n'engageront
que les clercs. La race des seigneurs, elle , ne sera respectueuse que de sa
parole et des usages de la tribu.
Ceux-ci plaçait la mort au centre de la justice :
l'ordalie laissait à l'aléatoire improbable la possibilité de juger à la place
de dieu, le prix du sang réglait à la manière du talion les conflits entre les
hommes, la" faide" autorisait de tuer pour laver son honneur.
Jamais sans doute n'y eut-il autant de justice en France !
Cette forme barbare de justice ne s'appliquait qu'aux rois,
heureusement !
Le peuple vivait loin des conflits sanguinaires
des princes de sang, n'ayant pas le sang bleu. La ligne de partage entre les
deux mondes se situait très haut, puisqu'elle fut constituée par les maires de
palais qui s'occupaient du peuple sans pour autant se mêler des histoires de la
dynastie. Leur heure viendra vite car l'internationale catholique penchera
naturellement vers le petit peuple.
Aussi les péripéties des Clovis II et III, Clotaire I, II,
III des Chilpéric, Sigisbert etc sont de peu d'intérêt. Pour une armure, ils
céderont une terre à une église ; pour un cheval, un seigneur obtiendra un
domaine ; la France servira de menue monnaie en un époque où l'argent-roi sera
supplanté par le roi et ses gens.
Pourtant pour un monarque ambitieux, les métaux précieux
peuvent être utiles.
En 613, la réunification de la Neustrie et de l'Austrasie sera refaite
sous Dagobert I . Né en l'an 600, il n'accèdera à la fonction royale qu'en 632
et pour 7 années. Son histoire courte se trouve éclipsée par celle du grand
Saint Eloy, patron des orfèvres et des serruriers. L'évêque de Noyon était
preuve vivante de la suprématie de la Neustrie sur sa voisine et éclipsait son
confrère de Reims. Surtout, il s'appuyait sur la nouvelle richesse du pays. Les
fours de maréchalerie, les forgerons, les potiers et les orfèvres prolifèreront
le long de l'Oise et de la Somme. Sous la protection du premier prélat du pays,
ces artisans très exposés pourront enfin faire valoir leur art. Les donations
citées plus haut récompenseront souvent une église qui n'était qu'un intermédiaire
dans une vente d'armes. Saint Eloy pourtant veillait à ce que ce commerce se
limite à réduire les prétendants au trône et laisse se multiplier les maîtres
de forge, tâcherons et les plus secrets de tous : les orfèvres.
L'évêché de Noyon devint ainsi la première puissance
financière du pays. Paris qui dépendait de l'évêque de Sens commençait à
poindre son nez mais ne cachait pas sa jalousie pour Noyon aux mille cloches et
aux nombreux monastères. Eloy connaissait bien son roi et le royaume. Les grands
seigneurs manifestaient encore leur attachement ancestral à ces provinces du
Nord allant jusqu'à Cologne et il fallait établir des ponts entre Neustrie et
Austrasie qui se chamaillaient sans cesse.
Parmi les raisons qui le poussèrent à construire la première basilique
de Saint Quentin, il y en eut d'autres tout autant matérielles et stratégiques.
Le Vermandois faisait partie du domaine royal depuis Clotaire II. Dagobert Ier,
empereur éphémère de l'Orient, puis Clovis II et Clotaire III voulaient sur leurs
terres une manifestation de splendeur royale.
Saint Eloy, spécialiste des châsses, fit exécuter des fouilles dans la
première église et finit par découvrir le 3 Janvier 640 le corps du martyr. La corporation des orfèvres transforma les ossements blanchis en
reliques rehaussées d'or ciselé, de pierreries fines et de velours rouge.
La perfection du travail attirera de partout des
admirateurs époustouflés par la beauté de l'objet autant que par la grâce
divine. Saint-Quentin devint un lieu de pèlerinage qu'affectionnaient nos
campagnards. Ils pouvaient admirer ce métal inaltérable qui contrastait
tellement avec le fer grossier des outils, s' interroger sur le sens du contenu
de l'écrin et prier Dieu, qui fait les saisons, de maintenir éternellement les
preuves de sa magnificence et de sa
bienveillance.
La prière du petit peuple naturellement confondait dans un même élan de
piété le saint martyr, le saint des saisons et le saint des dorures. L'émotion
troublait les êtres sincèrement car il n'était montré que la chose, aucune
clause annexe d'indulgence, de pardon ou de rémission ne polluait la démarche
et il n'était encore exigé aucune contrepartie en sous ou soumissions.
L'investissement s'avéra si profitable que plusieurs abbés joignirent à
leur nom les titres de Custodes, coutres ou trésoriers. Par là, ils désignaient
à chaque pèlerin qu'ils étaient, sans contestation possible, les
receveurs des dons avec ou sans reçus.
Les églises gothiques de France construites à partir du dixième siècle
figurent parmi les grands chefs-d’œuvre de l'humanité. Reims, Beauvais, Paris,
Amiens, Soissons, Noyon et plus loin Chartres et Orléans, pourtant, ne
restituent qu'une partie de leurs splendeurs en couleurs, ors,
statues et chants. L'imagination
permet de recréer ce monde qui nécessairement dura plusieurs siècles pour
parachever les plus beaux bâtiments que l'imagination des hommes et la science
des tailleurs de pierres ne réalisa jamais !
Pareils édifices plongeaient leurs fondations dans une société durable
avec des convictions solides et non pas sur du sable. Il fallut parfois un
siècle pour atteindre la coupole ou le premier clocher, mais pour préparer l’œuvre,
trouver les maîtres d’œuvre , les finances, les techniques, il en faudra trois
à cinq.
La foi qui déplace les montagnes ne mettra que la dernière touche à l’œuvre
des siècles...... et des humbles.
Dans ce monde en surgescence, le Vermandois assista enfin
au combat des maires de palais de la Neustrie et de l'Austrasie.
Elbroin, en Neustrie, rassemblait la force, la
magnificence et les meilleures opportunités commerciales de la région. A l'Est,
l'Austrasie subissait une bipolarisation entre le Nord et les régions
burgondes. Les pipinnides avaient l'administration des régions de la Sambre et
des Ardennes . La rivalité entre ces fonctionnaires sous-estimés par des chefs
querelleurs et stupides débouchera sur un règlement de compte.
Il eut lieu à Tertry en 686.
Et le Vermandois devint le centre politique du monde.
Le second seigneur du Vermandois après Garifrède fut
Ingomare. Il sera une pièce maîtresse de la Bataille de Tertry en 686 .
De Tertry à
Quierzy.
Alors que l' Asie Mineure et l'Afrique du Nord
bouillonnaient de la gestation du monde islamique, l' Occident vivait un siècle
calme, troublé uniquement par quelques
querelles de familles. Il serait hâtif d'en déduire, toutefois, que
n'existaient pas des divisions internes profondes dans les domaines de la
politique, des cultures, de la religion et de l'économie, mais malgré la
pluralité des coutumes, pays, monnaies, usages, une conscience collective
s'était bien cristallisée autour de la lignée franque et de la loi salique et
autour de la religion catholique. Comment le modèle vint à impressionner dans
les lointains oasis d'Arabie, peu d'historiens ont osé la recherche, pourtant
l'Islam va s'inspirer et radicaliser le prototype . Les dogmes de la Sainte
Trinité, l'Eglise indépendante , la discussion stérile seront purement évacués
pour les rendre compatibles avec la loi salique et les règles de la chevalerie
. Les bases ainsi revisitées et les armes de la cavalerie allégées, l'Islam va
, à l'instar des Francs, conquérir comme une traînée de poudre, toute la partie
oubliée de l'Empire romain
A l'époque de la bataille de Tertry, l'Espagne jusqu'aux portes de la
Turquie et les frontières de l'Inde est sous le contrôle des descendants du
prophète .
Les Mérovingiens doivent cesser d'importer le papyrus d'Egypte et se
rabattre sur le parchemin. C'est sous
cet éclairage, qu'il faut situer l'importance de ce choc de quelque deux mille
cavaliers, tous cousins de, part et d'autre de l'Omignon.
L'Italie n'existe pas, la Bourgogne est certes riche mais se satisfait
de sa vassalité franque, l'Allemagne attend Saint Winfried ( St Boniface pour
nous et pourtant né anglais ) qui va venir l'évangéliser après avoir sacré roi
des Francs, Pépin le Bref.
Seuls les Francs constituent une vraie Nation qui, de la Loire à Châlon
sur Marne et jusqu'à Cologne et aux rives du Rhin, est suffisamment riche et
forte pour que les aigreurs et méchancetés des familles régnantes se dissolvent
devant la puissance du consensus commun..
Le ciment de la religion et des traditions franques fut consolidé par
la mise en place de nombreux corps intermédiaires: l'Eglise, ses clercs de père
en fils et ses "fabriques" qui préfigurent les premières associations
à but non lucratif, les abbayes dont Saint Benoît a codifié les règles vis à
vis du monde profane, mais aussi, les fermes, les palais qui sont nombreux et
autonomes sous la gestion de maires , les agents divers du fisc, l'armée attend
de naître mais se manifeste chaque année par la réunion de l'Ost, enfin les
juifs qui seront vraisemblablement les colporteurs auprès des Arabes de la
nouvelle d'un monde de progrès attendant un vrai messie.
A Tertry, ce ne sont pas seulement la Neustrie et
l'Austrasie qui sont définitivement scellées, mais aussi le rôle des maires de palais au sein de
l'histoire, car va s'affirmer la conscience nationale et historique de ces
administrateurs.
Mais revenons au siècle qui va être celui des maires de
palais.
Sous le très jeune successeur de Dagobert, Clovis II (
639-657) , le gouvernement de la Neustrie et de la Bourgogne revint à la mère du roi, la reine Nanthilde
et au maire du palais Aega, puis à sa mort, à son successeur Erchinoald. A la
mort de Nanthilde, celui ci gouverna seul pendant quinze ans. Parent de la mère
de Dagobert, il marie sa fille au roi de Kent et donne à Clovis II une esclave
anglo-saxonne ravissante qu'il épouse : la reine Bathilde. Celle ci deviendra à
son tour régente pour son fils Clotaire III
et, à la mort d'Erchinoald, favorisera une politique centralisatrice
dont l'instrument sera Ebroïn, nommé, par elle, maire du palais en 658.
Les évêques de Bourgogne,
de Lyon, et même Sigebrand à Paris prennent des allures de grands
féodaux insoumis, Ebroin les fait exécuter. Comme Sigebrand avait été nommé par
Bathilde et suspecté de complot contre Ebroin, Bathilde est contrainte de se
retirer à l'abbaye de Chelles qu'elle a fondée. Cette maison deviendra la plus
prestigieuse pour les dames de l'aristocratie et méritera à Balthilde le titre
de Sainte. Chelles ne sera pas sa seule réalisation ; Saint-Denis,
Saint-Maurice d'Agaune et Corbie reçoivent d'importants domaines et privilèges
et deviendront des point d'ancrages très forts pour le pouvoir royal que les
Carolingiens n'auront qu'à récupérer.
L'Austrasie était, elle, sous la domination de Grimoald,
maire de palais de la lignée des Pépin . Il persuada le roi sans enfant
d'adopter son propre fils rebaptisé du nom mérovingien de Childebert. De ce
côté-là de l'Oise, furent également fondés de grands monastères, Stablo et
Malmédy pour les hommes et Nivelles pour les femmes ( fondée par Sainte
Gertrude).
Le roi Sigebert eut finalement, contre le projet de
Grimoald, un enfant : Dagobert II. A la mort du Roi en 656, Grimoald exila en
Irlande Dagobert et fit roi Childebert, l'adopté.
Les Neustriens ne pouvaient tolérer pareille atteinte à la
lignée mérovingienne. Ils firent tuer Grimoald et nommèrent Childéric II, frère
du roi de Neustrie Clotaire III.
La première tentative des pipinnides échouait. Childéric II, plus fort du soutien de ses
princes que son frère Clotaire, nomma
roi Thierry III, son frère, à la mort de Clotaire sans même demander l'avis des
grands de Neustrie et avec le soutien de Léger, évêque d'Autun et de Warin, le
Comte de Paris. Ebroin alla se réfugier à Saint Denis. Mais la Neustrie n'aimait pas ces manières
et Chilpéric et sa femme tombèrent dans une embuscade en 675, dans la forêt de
Brotonne, près de Rouen . Saint Ouen, évêque de cette ville, ne devait pas être
innocent et Ebroin retrouva le pouvoir. Saint Léger, qui était en résidence à
Fécamp, paya de sa vie son allégeance à l'Austrasie.
C'était comme un retour à la case départ, après vingt années. Ebroin
était à l'Ouest et Wulfoald, le pipinnide, avait réinstallé Dagobert II. Un
nouveau conflit de frontière provoqua à Langres en 677 une nouvelle bataille et
un nouveau pacte entre les deux pays francs.
Mais en 679, l'Austrasie est à
nouveau décapitée de son roi et de son maire . Ebroin exigea la soumission au
seul roi survivant, Thierry III, et
battit les troupes austrasiennes près de Laon.
Mais, vainqueur, Ebroin sera assassiné en 680 par
Ermenfroi. C'est la revanche des pipinnides . Le nouveau Maire de Palais de
Neustrie, Warathon entame un processus de paix pour éviter les pépins. Mais son
fils Gislemar le destitue et reprend la lutte près de Namur. Ce fils combattif
mourut opportunément et Warathon retrouva le pouvoir et organisa sa succession
en faveur de son beau-fils Berchaire.
Celui-ci voulut poursuivre le conflit armé, contre l'avis
de la noblesse neustrienne. L'évêque de Reims, Réole, fit appel à Pépin et ce fut la bataille de Tertry .
Après la victoire, c'est surtout l'arrangement qui
importe: la solution consista à couvrir d'une institution commune les deux
grandes entités politiques du monde franc.
Le roi neustrien Thierry III gardait résidence à Paris, mais son maire
de palais devait être pipinnide, Nordebert fut le premier . Pépin II continua à
résider sur ses terres d' Austrasie et gérait son pouvoir au travers de Drogon,
duc de Champagne et de Nordebert, maire à Paris.
Il n'y avait qu'un roi mais deux gouvernements qui ne
faisaient qu'une dynastie.
Cette situation paradoxale dura de 687 à 751, bien assez
longtemps pour que les rois fainéants mérovingiens se discréditent d'eux-mêmes
et que les pipinnides assoient leur pouvoir.
Au cœur de celui ci se trouvaient les villas de la famille dans notre
proche région. L'Oise était l'épine dorsale depuis toujours et les Pépins
possédaient l'importante villa d' Hannappes avec les forêts d'Andigny et du
Nouvion et la villa de Quierzy qui
contrôlait les forêts de Compiègne, Saint Gobain et de la Beine. Cette dernière
deviendra dès Tertry le centre névralgique du Royaume franc. Le roi, lui aussi,
détient de riches terres chez nous, Athies déjà citée, Mennessis que Chilpéric
confiera à Saint Armand , l'évêque de Maastricht , Ham et beaucoup d'autres
lieux.
Quierzy est à mi-chemin de Soissons et de Laon, de Paris
et de Liège, sans doute de Tours et de Cologne.
Les vestiges manquent totalement de cette grandeur incomparable et
pourtant Quierzy comme Tertry sont bien au centre de l'Histoire européenne et
méritent de figurer dans les livres de tous les enfants de la communauté.
On sait que Charles Martel y est mort et que Pépin le Bref
aussi. Charlemagne y serait né, bien que nombreux pensent qu' il est né dans le
fief de sa mère Berthe, à côté de Laon.
Derrière chaque roi, l'histoire nous révèle un Saint. Avec
Pépin le Bref, ce sera Saint Boniface, l'évangélisateur de la Haute Lotharingie
qui le sacrera roi mais avant cet évènement majeur, il nous faut parler du plus
grand des grands, son père Charles Martel.
Pépin,
Charles Martel, Quierzy et Charlemagne .
Pépin d'Héristal, qui infligea à Berchaire et au roi
mérovingien la défaite de Tertry, était déjà de la troisième génération des
maires de palais d'Austrasie. Le premier des pippinides, Pépin le Vieux , dit
de Landen, son grand-père avait été le défenseur zélé de la foi chrétienne, ce
qui lui vaudra la béatification. Pépin d'Héristal sera , de ce fait, naturellement
contre la politique d' Ebroin qui veut abaisser les grands évêques et contre son inspirateur. Finalement, il
triomphe et règnera sans autre partage que l'influence de son épouse Plectrude,
de la riche lignée des francs de la
région de Trêves .
Au décès du vainqueur de Tertry, les règles de succession
d' un maire de palais, princeps, n'avaient pas encore ce caractère indiscutable
de celle des monarques, bien connue sous le nom de loi Salique. Cette loi
d'ailleurs n' en était pas une puisque sa seule expression connue réside dans
un texte du 17ème siècle et on comprend que Plectrude ait cherché à écarter
Charles, fils de Pépin et d'une concubine Alphaide, au profit de son propre
fils Théobald.
Le roi et son maire de palais neustrien ne pouvaient que
s'inquiéter de la velléité de Plectrude et de l'emprisonnement de Charles. Un
premier assaut aux troupes de Théobald fut donné à Saint Jean de Cuise près de
Compiègne, sur les toutes premières marches du domaine d'austrasie. Les
Neustriens sous les houlettes de Chilpéric II, nouveau monarque et de Rainfroi,
nouveau maire du palais, croient leur heure venue. Ils s'allient avec les
Frisons et Saxons pour prendre l'Austrasie à revers et avant même le choc des
armes exigent de Plectrude la restitution de la quote-part du trésor revenant à
la Neustrie et à la Bourgogne. C'est alors que Charles s'évade de prison .
Il comprend vite la marche à suivre et
, entouré de partisans, il affronte les ennemis du nord., les Frisons. Ce n'est
pas une réussite sur le plan militaire mais c'est une victoire sur l' opinion
publique .
Charles apparaît comme le seul défenseur des francs contre les barbares
et se rallie les suffrages de la marâtre Plectrude. Mais seuls les Neustriens
représentent une opposition et Charles va donc se remettre en selle et se
diriger vers des champs de batailles que nous connaissons bien. Près d'Amblève,
puis à Vinci , l'affrontement sur les terres attenantes au Vermandois, tourne à
l'avantage de Charles. Vinci, le 28
mars 717, confirme le rôle de chef d'Austrasie et, sans mal, Charles obtient le
trésor d'Austrasie et la ville de Cologne, que sa belle mère tenait sous son
boisseau.
Dès lors, il fait flèches de tous bois, attaque les
Saxons, profite de la mort du roi des Frisons
pour conquérir Utrecht et
confier l'évangélisation à Saint Willibrod. Le Nord contenu, il règle
son compte aux Neustriens le 14 Octobre 719 entre Senlis et Soissons à Néry.
N'est on pas là en plein cœur de la Neustrie sur une terre de fisc bien plus
intéressante qu'une couronne ? De ces chevauchées entre Vincy et Néry , Charles
gardera l'amour profond de cette vallée de l'Oise et des terres de Quierzy qui
occupent idéalement la place centrale au cœur des pays francs. Car c'est lui
qui contrôle les finances, c'est à dire les réserves des grandes fermes, les
chevaux et les forges. Son pouvoir s'organise par le réseau de braves à qui
sont confiées les villas, et par le réseau des clercs qu'il protège. Petit à
petit s'édifient une chevalerie et une féodalité soucieuse de développement
économique comme de salut des âmes. Par le jeu des alliances , le domaine
pacifié s'étend de la Garonne jusqu'au Rhin. Les Juifs de Cordoue qui suivent
les Arabes comme interprètes, changeurs, médecins trouveront un nom pour ces
peuples qu'ils verront combattre : les EUROPENSES.
Charles ne s'engage pas si loin de ses terres pour rien.
L'Aquitaine et la Septimanie sont encore sous contrôle des Francs, mais les
Arabes font des percées fréquentes et, porteurs d'une vision d'un monde unifié
alors que le monde franc restait tiraillé depuis Clovis et Saint Augustin entre
la cité des hommes et la cité de Dieu .
Le même type de dilemme concerne Rome et les Lombards. Les
rois lombards menacent en permanence la papauté qui serait prête à sacrifier
son pouvoir temporel pour plus de sécurité spirituelle. Dès lors, la Cité de
Dieu qui n'est que la communauté hiérarchisée des clercs va se rapprocher
naturellement de l'organisation très matérielle des maires de palais.
Il ne manque à
celle-ci que l'onction divine or Pierre ne peut-il pas lier sur terre comme aux
cieux ? La chrétienté va naître de
cette conjonction pragmatique : Charles viendra aider la papauté, puis arrêtera
les Arabes pour honorer la mémoire de Sainte Radégonde. Ses actions dépasseront
les actions de simple police et les commandos de piraterie car elles seront
"récupérées" par les clercs et la papauté pour trouver une suite aux
actes des apôtres.
Mais pour parler de foi religieuse au travers de faits
guerriers, la description objective risquerait de troubler le lecteur, il sera
donc adopté une narration nouvelle que la littérature reconnaîtra comme de la
" chanson de geste". L'expression
a été réductrice pour la majorité des littéraires de tous les temps.
Pourtant, en notre époque de clips audiovisuels, les spectateurs que nous
sommes perçoivent mieux le pouvoir
évocateur des re-récréations puisque que chacun éprouve chaque jour
devant son poste de télévision combien on se lasse plus vite d'une relecture
que d'une rediffusion.
Charles Martel, l'intrépide va ainsi devenir dans les récits du cycle
de "Guillaume d'Orange", le
fantastique héros épique d'un art nouveau qui va agir comme le véritable ciment
de notre patriotisme et de notre langue.
Longtemps après, le cycle de Charlemagne fera l'objet de nombreuses
versions. Il faut aussi introduire ici dans les prémices de la littérature
européenne, le cycle dit du Graal et de
Tristan et Iseut qui mêlent si fort les accents celtiques et le combat
de la foi chrétienne. La présence d'un chevalier musulman dans ce cycle établit
de façon formelle que la pénétration arabe n'était plus crainte en tant que
telle. Nous verrons par la suite que les premières traces de ce cycle ont été
transmises par les abbayes de Saint-Quentin et du Vermandois, où résidaient
encore de nombreux missionnaires irlandais, un peu nostalgiques de leur île et
fort satisfaits du comportement des chevaliers francs.
Les péripéties de la bataille de Poitiers en 732 ( ou 733,
date soutenue par J.H Roy et J
Deviosse) contre Abd El Rhaman qui y
mourut ne présentent dans ce contexte que peu d'intérêt. Elle fut un peu à
l'instar d'une récente guerre d'Irak où la relation médiatique rendait les
faits militaires plutôt décevants. Poitiers marquera simplement la limite nord des incursions arabes et le
début d'une reconquête, qui descendra jusqu'à Narbonne et la Septimanie (
Languedoc, Provence). La population des régions asservies par les maures
accueillera chaleureusement les chevaliers. Pour une bonne majorité, ce sont
des libérateurs. Fini, cet impôt des pirates musulmans payé par les seuls
infidèles !
La papauté se félicitera de la détermination de Charles et
essaiera de l'amener à contrer les Lombards. Mais Charles qui porte maintenant
le nom de Martel et qui confie ses deux enfants à des éducateurs très
chrétiens, a pu apprécier la vaillance des Lombards qui se sont alliés aux
combats du Sud de la France.
De surcroît, par
tradition franque dont les lombards sont proches cousins, le fils de Charles,
Pépin est " fils lombard par les
armes " et cet honneur, réservé aux monarques, donne de l'appui aux ambitions du maire de palais
. Aussi, Charles recevra personnellement la chaîne du tombeau de Saint Pierre
en reconnaissance de son rôle dans la défense de la foi et de la papauté.
Pour ce faire, une ambassade extraordinaire sera ordonnée
par le pape Grégoire II qui, avec comme légat Saint Boniface, viendra lui
remettre à Quierzy.
Charles, en effet, après 27 ans de règne en qualité de
maire du palais d'Austrasie , et après quelques années de règne informel du
fait de vacance du roi mérovingien de Neustrie depuis 737, s'installe de plus en plus fréquemment à Quierzy. Tombé
malade à Verberie, c'est à Quierzy qu'il attachera son cheval et décèdera le 22
octobre 741.
Pépin est sur place. Il pourrait
immédiatement revendiquer aussi le titre de roi. Il préfèrera attendre la
réunion de l'Ost à Soissons pour cela.
A Pâques 742, il est toujours là et c'est bien normal, son épouse
Bertrade, native de Samoussy près de Laon, accouche de son premier né. Il
héritera, sur place du prénom de son grand père, dont le cheval est encore là.
Charles montrera vite ses qualités de cavalier, d'homme et de chrétien et
deviendra le premier empereur du Saint Empire.
Le Vermandois consolait ses plaies de Tertry et de Vinci
par ce bel enfançon que le monde entier voudra récupérer.
Des historiens jaloux prétendront qu'il est né en
Inglesheim et que son empire était germanique. Cette cruelle contre-vérité se
propage toujours et fausse complètement la compréhension de notre histoire.
Nous la combattons, bien sûr, avec la force de conviction
de la vérité utile à tous les Européens sincères .
Pépin
le Bref et Carolus Magnus .
La mort de Charles Martel, le 22 octobre 741, à la bordure
de notre région clôture une période heureuse dont seuls les livres érudits,
quelques sépultures et nos églises portent témoignages. Le Vermandois avait
bercé sur son terroir les Celtes, les
Romains, les Francs et une cohorte de saints authentiques, les avaient
nourris et surtout fourni en chevaux et
en armes. Le fer était, de loin,
l'élément le plus important de la puissance et nos campagnes abritaient
toutes un maréchal-ferrant et un forgeron et des apprentis. La corporation
honorait Saint Eloi et bénéficiait d'une protection particulière de la part des
clercs et des abbés. Le heaume, l'éperon, l'épée droite et fracassante, le
poignard effilé, la pointe de la lance ne sortaient pas comme des produits
standards de l'usine, ils subissaient un rituel qui donnait une valeur sacrée à
l'arme et obligeait son détendeur au respect de la morale chrétienne. Le
commandement " tu ne tueras pas " n'écartait pas l'usage de l'arme
blanche, laquelle ôtait rarement la vie mais avait pénétré les consciences des
fabricants comme des utilisateurs. L'église donnera de manière informelle une
imprimatur sur les types d'armes et il ne faut pas s'étonner que plus tard, à
la suite d'une autre bataille en Picardie, l'arbalète sera excommuniée comme
étant contraire aux principes chrétiens. La flèche ne perforait-elle pas les
armures mortellement ?
Une autre élément de puissance se faisait jour dont nous
avons aperçu l'apparition avec la première chanson de geste sur "
Guillaume d'Orange" , c'est le sentiment national. Le pays des Francs
existe au delà de sa représentation physique par la monarchie. Il a son
historien en la personne de Grégoire de Tours et ses habitants ont été
immortalisés depuis plusieurs siècles par Sidoine Appolinaire.
La suite de l'histoire va s'inscrire dans le droit fil de
la continuation mais avec un élément nouveau qui place Pépin le Bref en tête
d'une ère nouvelle. Pépin et son frère ont reçu une éducation .... Le contenu
des programmes de leur éducation nous est totalement inconnu et pourtant les
choses de l'esprit devaient y tenir une place insoupçonnée. Son frère Carloman
à qui son père avait promis une mairie et des palais préférera, après de
nombreuses campagnes guerrières, la vie
religieuse dans une abbaye d'Italie. Saint Benoît avait préconisé un quart de
temps pour les activités libres de l'esprit : lectures, réflexions, recherches
et Carloman se complaira sans cette vie. Pépin , lui, est obligé de tenir sa
place auprès des grands, mais l'histoire ironise assez sur le fait qu'il est,
bref, petit . Il lui faudra pour
combler cet handicap beaucoup de savoir, de finesse, d'intelligence et , bien
sûr, de l'audace.
Qu'y a-t-il de vrai dans la légende qui fit la célébrité de Pépin et
que relate tous les historiens anciens ?
Rien, sans doute, sinon l'intention. Citons Moreri qui écrit au début
du 17ème siècle : " On dit qu'au commencement de son règne, s'étant aperçu
que les seigneurs français n'avaient pas tout le respect possible, à cause de
sa petite taille, s'adressa à eux, un jour qu'il vit un lion furieux qui
s'était jeté sur un taureau et leur dit qu'il fallait lui faire lâcher prise.
Ils s'en effrayèrent, mais, étant sauté lui même de son estrade, il alla droit
sur le lion, le coutelas à la main et lui donna un si grand coup qu'il lui sépara
la tête du corps, son épée même étant entrée bien avant dans le cou du taureau.
-Hé bien, dit-il, vous semble-t-il que je sois digne de
vous commander ? Voyez ! "
La scène ne peut pas appartenir qu'à la légende car le message est
clair. Aussi petit soit-il, le roi peut tuer les prédateurs du royaume mais, ce faisant, il peut aussi blesser ceux qui se prennent pour des taureaux.
Son intelligence se manifestera aussi, vis-à-vis de
l'Eglise et de la papauté. Bien que fils par les armes de la Lombardie, il
comprend l'émoi de la papauté menacé par cette nation de banquiers
entreprenants.
Pour conforter son pouvoir, il a besoin de la richesse de
l'Eglise de France. De l'autre côté, le pape a besoin des armes de France pour
s'assurer une assise matérielle suffisante et ne plus craindre les créanciers
milanais. Dans ce jeu subtile et dangereux, Pépin va attribuer les abbayes et
les églises les plus riches à des parents proches. Saint Denis reviendra à
Fulrad, son précieux conseiller. Il donnera à son demi frère Jérôme le comté du
Vermandois et surtout la position d'abbé de Saint Quentin. Saint-Riquier et la
grande abbaye de Prüm près de Trêves vont ainsi passer dans des mains amis en
douceur puisque Pépin va prudemment soutenir le pape.
Dans l'action diplomatique, Pépin sera superbement aidé
par son épouse Berthe, née à Samoussy, Berthe est proche des premiers
mérovingiens d'Austrasie et son père porte le nom de Caribert, porté
exclusivement par cette lignée. Outre des possessions dans le Laonnois, elle a
aussi des biens le long de la Moselle et sera une épouse et une mère modèle.
Au palais de Quierzy, où naîtra Charlemagne et où viendra le Pape, elle
fait mettre des fleurs sur la table du banquet ce qui étonne le monde, et fera
installer une salle d'eau.
Sur son inspiration, sera crée la grande capeline: la berthe, qui
recouvre tous les vêtements et permet de monter à cheval. Sa disgrâce, Berthe a
un pied plus grand que l'autre, se
commuera vite, comme la petite taille de son époux, en motif d'affection supplémentaire de la part du peuple tout
entier. Fait presque unique, en ces temps, elle sera pratiquement la seule
compagne de son pépin chéri. Il est vrai que le roi souffrira tôt d'
hydropisie. L'éducation et la culture ont élu domicile à la cour. Charlemagne,
comme s'est souvent le cas dans de nombreuses familles, sera élevé dans
l'admiration totale de son grand père, cavalier croyant mais largement ignare
beaucoup plus que de celle de son père, piètre soldat mais vrai roi de culture
et de destination. Pépin le Bref manifestera de la clairvoyance même dans sa
succession. En donnant à Charles la Neustrie et en donnant l'impression de
favoriser Carloman , plus cultivé et mieux marié, Pépin organisait les
conditions d'une confrontation stimulante qui réussira au delà des espérances.
Dans cet éloge appuyé du frêle Pépin, il faut mentionner
les évènements importants de sa vie : le couronnement, la venue du Pape Etienne
et son action contre Aistulf, le roi des Lombards.
Ces évènements préfacent toute la vie de Charlemagne et
explique le tournant important pris par notre pays au sein d'un monde en
profonde mutation.
La monarchie mérovingienne, vacante pendant sept années, à
la suite de la mort de Thierry, se trouvera finalement un successeur en
Childéric III, mais Pépin avec Fulrad, abbé de Saint Denis tient toutes les
rênes du pouvoir depuis la mort de son père et l'entrée dans les ordres de son
frère.
Childéric III est à l'image de toute la première dynastie, inculte et
presque demeuré. Fulrad, en mission à Rome où il retrouve Saint Boniface,
l'inspirateur de Charles Martel, pose alors au pape Zacharie la célèbre question:
- Les rois n'exercent plus le pouvoir dans notre royaume.
Est ce un bien , est-ce un mal ?
Il sera répondu :
- Mieux vaut appeler roi celui qui exerce le pouvoir effectivement,
afin que l'ordre ne soit pas troublé.
Childéric III fut " déporté" à l'abbaye Saint
Bertin de Saint-Omer et Pépin en novembre 751, à l'occasion de l'Ost d'automne
sera élevé sur le bouclier à la manière franque par tous les seigneurs réunis à
Soissons, puis consacré roi avec du Saint Chrême, toujours à l'église Saint
Médard de Soissons.
Fulrad et Boniface, comme Rémi, auparavant, avaient tout
manigancé. Car Etienne II qui succédera à Zaccharie en 752 sera tellement sous la
presse du roi des Lombards que sa consécration ne pourra se dérouler
normalement.
Un peu désespéré, et bien conseillé, il quittera l'Italie
inhospitalière, traversera les Alpes et viendra en Picardie. Il fut accueilli à
Ponthion sur l'Oise, à Saint Denis par Fulrad, et sacrera roi, à Saint Denis,
Pépin et ses fils. C'est là consécration de la dynastie. Pour ce sacre, le prix
à payer sera contenu dans la charte signée à Quierzy le 6 Janvier 754. La
papauté reçoit l' Exarchat de Ravenne, ou plutôt, le roi de France reconnaît
les droits du pape sur la plus importante et riche église de l'Occident . En
filigrane figuraient l'obligation de
récupérer cette possession par les armes, la rupture définitive avec les empereurs
de Constantinople qui considéraient Ravenne comme leur bien propre et un
conflit avec les Lombards.
L' ost partit donc en 754 vers la Lombardie et vers Ravenne et les
"Etats du Pape " s'agrandirent de manière sensible. Il fallut revenir
en 756 avec des légistes car tout n'avait pas été réglé. Finalement le pape
devint Chef d'Etat et Pépin quasiment son égal sur le plan temporel. La
chrétienté disposaient de deux colonnes fortes pour l'édification de la cité de
Dieu.
Pour autant, la vision politique de Pépin ne s'arrêta pas
là. Comme les mérovingiens et ses prédécesseurs, il s'inquiétera du voisinage
des Saxons. Le martyre de Saint Boniface et de plusieurs clercs en plein
huitième siècle à Mayence en 754, n'était plus un crime envers la foi mais bien
un crime envers la civilisation. Pépin préparera la solution finale de ce
problème en commençant l'édification d'un palais à Aix la Chapelle .
Charlemagne dont l'enfance et l'adolescence seront
heureuses, sans contraintes excessives de son père et de sa mère, trouvera un
chemin tout tracé avec des repères solides. Il le suivra fidèlement tout en
regrettant toute sa vie, de ne pas avoir été aussi assidu à l'école que son
père.
On sait ce qu'il en advint par la suite pour tous les enfants d'Europe.
Pépin le Bref fut enterré à Saint Denis, où le rejoindra Berthe. Parmi
les oeuvres de son existence, il en est une qui, au regard de l'Histoire, a une
dimension primordiale.
Pépin le Bref, en effet, inventa aussi les brèves. C'est lui qui
instituera les Annales, qui enregistreront par écrit, les faits et
gestes du roi. Le modèle donné sera recopié par les abbayes et les principales
fermes, terres de fisc et villes du royaume. Ce n'était pas encore l'Etat Civil
mais la France prenait date dans l'histoire du monde.
Clovis était passé du monde de l'oral à celui des lois écrites. Grâce à
Pépin, la France rentrait dans celui de la culture et de l'histoire, prenant
par là même le chef de filat d'une Europe des lumières.
Saint
Gengoul et Sainte Hunégonde,
Joyeuse
et Durandal .
Tout était déjà tracé sur la terre et dans le
ciel, lorsque Pépin le Bref fut rappelé à Dieu. Jérôme, son frère, tenait le
Vermandois ; le domaine des Francs nichait entre des frontières sûres et
reconnues, les alliances avec la papauté étaient scellées.
Le monde chrétien avait reçu la grande majorité de ses saints et ceux
ci avaient trouvé des emplois à durées éternelles. Surtout l'éducation des
enfants venait de marquer une timide avancée, témoignant d'une modification
plus profonde, voire révolutionnaire : la famille chrétienne modelait la
nouvelle société.
Le couple de Berthe et de Pépin en donne une preuve éclairante.
Les clercs se conformaient depuis le
synode de Tours à cette contrainte, avec profit pour l'Eglise mais il manquait
à cette organisation sociale un saint patron défenseur des mariages chrétiens
.... ratés.
Pour la défense de l'institution, il fallait au ciel un avocat qui
puisse plaider. Grâce à Gengoul, qui fut un vaillant compagnon d'armes de Pépin
le Bref, ce sera chose faite. Trahi et trompé autant qu'on peut l'être par une
femme volage et pire, il se conduira en époux chrétien , dévoilant enfin au
monde ce qu'il fallait faire dans cette situation embarrassante : comment démontrer la faute d'une femme qui
n'avoue pas ( le test de l'eau tiède qui a été remplacé depuis par d'autres
tests plus fiables) , comment traiter
la pécheresse ( réclusion à vie au
couvent, moyen d'exécution dont la disparition a largement contribué à l'
affaiblissement de l'institution) ! La réponse est enfin livrée aux victimes de
ce sacrement .
Saint Gengoul, cocu éternel originaire de Varennes et d'Avallon, mérite
beaucoup plus que nos prières. Nous lui devons notre admiration pour lui-même
et pour sa cause. Sans lui, ni l'Afrique, ni l'Asie, ni l'Amérique
n'atteindront le degré culturel de notre région du monde .
Avec Joyeuse et Durandal qui ont très certainement été
fondues dans les forges de nos villages, il va solenniser la force de nos
institutions. Celles ci dureront inébranlables pendant plus d'un millénaire,
assureront l'absolue suprématie d'une civilisation qui depuis le divorce et
Malraux sait qu'elle aussi est mortelle.
La relation dans ce mémorial de la vie de Saint Gengoul
ferme ce huitième siècle qui fut l'un des âges d'or de la contrée en insistant
sur le très long cheminement de cette institution singulière qu'est le mariage
chrétien. Sainte Hunégonde, née à Lambay en Vermandois, qui deviendra abbesse
de la grande abbaye de femmes d'Homblières, connue depuis déjà plusieurs
siècles mérite aussi dans ce cadre d'être citée . Presque cent ans avant
Gengoul, elle aussi sera aimé d'un
homme qui voudra être son époux mais pour des raisons de vocation, elle
choisira "l'habit" et la virginité. Pour autant, Eudaïde, notre
ancêtre l'aimera jusqu'à son dernier jour et comblera l'abbaye de présents et
de dons.
En
peu de temps, l'amour aura franchi deux
étapes fondamentales de sa destinée : le remords et le regret. Ni l'un, ni
l'autre ne faisaient obstacle à l'institution du mariage, celui ci prendra
alors la place centrale que nous lui connaissons dans la vie intime de chaque
être et de la société entière.
Dans ce monde où percent les premiers accents romanesques, chevaleresques et
romantiques, Charles arrive comme un gaillard mal dégrossi qui aurait pu mal
tourner si la voie n'avait pas été balisée par son père et l'exemple donné par
sa mère.
Ce n'est que tardivement que ce batailleur et ce coureur de filles et
de grands chemins cherchera à comprendre par lui même. La rencontre avec le
sage Alcuin d'Angleterre, rencontré comme par fait de providence en Aquitaine,
après le rude choc de Roncevaux, tranchera le règne très long pour l'époque (45
années) en deux périodes assez distinctes.
Dans la première Charles soumettra la monde : les
Aquitains orgueilleux, les Saxons infidèles, les Lombards avides, les Bretons
indépendantistes comme on fait plier la bête traquée à la chasse avec de
l'intelligence, de la vivacité et de l'instinct.
Autour de lui, les historiens ont chiffré à quatre mille environ son
armée de chevaliers. Bien sûr, c'est l'aristocratie de nos régions mais
l'ascension sociale n'est pas un vain
mot et le peuple fait corps derrière ses chefs. La légitimité du pouvoir ne se
fonde pas encore sur des titres, la vaillance demeure le critère mais avec la
condition nouvelle que celle ci ait une cause juste.
Après Roncevaux et le début de la
correspondance avec Alcuin, Charles sera tout aussi présent à cheval mais se
fera lire à chaque repas des extraits de Saint Augustin. La science,
l'aménagement de ses châteaux, la construction du canal Rhin/Danube, la
justice, la musique romane, la prospérité de toutes ses possessions du
Vermandois et d'ailleurs, constitueront autant de sujets d'intérêt pour cet
être en construction permanente.
Une polémique d'historien porte sur la question de savoir si
Charlemagne a véritablement désiré la consécration impériale et son titre
d'Auguste. Derrière la confrontation d'idées, l'analyse cherche à mieux cerner
la personnalité de l'homme. Charles possède déjà une kyrielle de titres à son
arrivée à Rome et la plus grande part a été gagnée par l'épée mais à Rome, il
est Patrice des Romains presque par hérédité, son père n'avait-il pas été nommé
patrice en même temps qu'il recevait l'onction royale conjointement avec ses
fils ? Charlemagne n'a pas de maître
mais il comprend la prodigieuse situation que lui a léguée le Bref. La couronne
impériale ne l'intéresse nullement sauf si ses fils sont associés à
l'évènement, comme il le fut avec son père.
Charles ne demande pas les honneurs, il revendique la charge pour lui et
ses descendants, il accepte les signes du pouvoir pour l'exercer, pas pour s'en
parer. Le sens de la famille, de la lignée et de la justice historique
transcende complètement la satisfaction de la promotion .
Notre empereur s'affirme déjà comme un capétien et pourtant il vit
comme un Franc. A cause de sa vigueur, il faudra restaurer dans les
annales le terme de concubine, dont la
connotation latine était très mal vue et
qui s'ajoutera à celui de femme, épouse, compagne.
Beaucoup de filles du pays plairont à ce gaillard. Il
aimera moins, semble-t-il, les intellectuelles et les ambitieuses de haute
naissance mais succombera, en fait,
facilement à toutes les belles.
Il résistera pourtant aux tentations de " l'affaire du siècle", qui sait
le "coup du millénaire " :
l'impératrice de Byzance :Irène .
Les avantages de la réunification de l'Empire romain
surpassaient toute comparaison et la voluptueuse impératrice avait en plus tous
les charmes de la persuasion. Charles ne joindra ni l'utile, ni l'agréable car
il est trop fils de paysan de chez nous. Il n'aime pas les grandes villes et
surtout cette alliance risque de diluer
son pouvoir, celui de sa
parentèle et celui de ses propres enfants. Un tien vaut mieux que deux tu
l'auras !
Car d'avoir galéré en
chevauchées éperdues de Saragosse à Cologne et de Utrecht à Rome, Charles sait
mieux que personne que l'on ne connaît pas ce que la main n'atteint pas. Dans
la réticence à gravir la dernière marche de la consécration humaine,
l'empreinte de la personnalité est la plus forte.
Les vrais raisons
du refus du voyage à Constantinople restent parmi les grands mystères de l'
histoire. Considérée, de notre point de vue régionaliste et avec le recul de 12
siècles, la décision de Charlemagne conforta la prospérité de notre Europe
neustrienne et austrasienne et lui assura un développement réel pendant un demi
millénaire, à " l'abri de frontières sûres et reconnues ". Et
pourtant l'excès de nationalisme étroit qui va en résulter anéantira nos villes
avec une violence bien pire que celles des pirates barbaresques qui seraient
devenus nos amis si Charles l'avait voulu !
De cette heure aussi, le destin de notre pays se trouvera
marqué. En choisissant la sécurité et le repliement, Charlemagne pouvait-il
imaginer que la région qu'il adorait parcourir derrière le cerf traqué serait
anéantie par la mitraille, la bêtise et
la petitesse de l'esprit humain ?
Grâce lui soit cependant rendue, lui qui " inventa
l'école ", l'écriture caroline, et fit des dons importants pour la construction
de la première basilique de Saint Quentin. Il nomma plusieurs membres de sa
famille sur notre bonne terre à fisc et son sang circule encore dans nombre
d'habitants de la région.
Les
premiers Seigneurs Abbés du Vermandois.
Avec Clovis, les saints, Pépin le Bref,
Bertrade et Charlemagne, notre terroir occupait une position centrale non
seulement sur la carte. Cette particularité ne va pas cesser tout à coup
brutalement . Toutefois, le nombre de personnages va brutalement s'accroître.
Le paysan qui sème, fauche dans un état de semi-esclavage sera toujours aussi
obscur qu'avant. Le forgeron comme le clerc va commencer à sortir le soir mais
ses interventions hors de son atelier sont toujours rares et intermittentes.
Par contre, arrivent sur la scène les parents, cousins, amis de sang royal. Ils
vont l'occuper jusqu' à la Révolution française et même après. Notre récit va
donc, par la force des choses, devenir encore plus incomplet, schématique et
arbitraire. Mais aussi plus critique car s'il reste encore beaucoup à bâtir,
tout semble prêt pour l'accomplissement . Par contre, rien ne s'aperçoit encore
des facteurs de mort et de destruction qui vont sourdre des enfers pendant les
temps nouveaux et qu'il nous faudra découvrir .
Jérôme, fils de Charles Martel, avait reçu le titre et les
revenus de l'église de Saint- Quentin en 741. Sa position sociale était d'être
abbé-comte ou inversement. Qu' importe le titre, il figurait parmi les oncles
de Charlemagne et le jeune Charles chevauchera sans aucune crainte sur tous ses
domaines. Les meilleurs cavaliers et compagnons de la région rejoignirent
naturellement la troupe des quatre mille hommes qui soumettront l'Occident .
Jérôme figurera au premier rang lors du
couronnement royal à Noyon , le 9 octobre 768 . Il décède en 771 et ses
fonctions sont confiées à Guintard et à Fulrad. Guintard est un preux que
Charlemagne récompense par le titre de comte. Fulrad est un fils de Jérôme qui
hérite du titre d'abbé et donc de la trésorerie du fief.
Guintard sera présent à Quierzy
en hiver 775 lorsque Charlemagne va décider la soumission des Saxons. Il
participa certainement aussi à la campagne.
Fulrad lui sera le bâtisseur de la première basilique , l'église
construite par saint Eloi ayant été incorporée dans un monastère qui assurait la garde du saint lieu de
pèlerinage, derrière des murs épais. La récupération des offrandes des pèlerins
passait par la construction d'un édifice plus grand. Très généreusement aidé
par Charlemagne et ses fils , la basilique fut édifiée de 813 à 826. En 835,
Hugues, successeur de Fulrad et fils naturel de Charlemagne, procèdera au
transfert des reliques de saint Quentin
dans une crypte sous l'abside . Plus tard, d'autres ossements viendront
les rejoindre. La basilique sera dès lors le centre de la vie régionale et la
pompe à finance de la famille comtale.
Cette famille directement issue des pipinnides sera une
des plus importantes de France et règnera sur la région jusqu'à Philippe
Auguste. Ce personnage très particulier de notre histoire nationale et dont on
se plaît à répéter qu'il a fait la France avait pour parrain le comte du
Vermandois. Dès qu'il le put, il annexa la maison de son parrain à la sienne,
il avait de gros besoins d'argent vers le milieu du 13ème siècle. La contrée
fut donc quasiment autonome pendant quatre siècles. Malgré les normands, la
grande peur de l'an mil, la peste et quelques tremblements de terre, l'époque
fut un âge d'or pour nos concitoyens mais aussi pour l'Europe entière.
Lorsqu'au quatorzième siècle, l'usage se répandra d'écrire les
" riches heures " des
châteaux, l'époque bénie sera déjà révolue et l' écriture évoquera avec
nostalgie un temps irrémédiablement passé.
Sous les seigneurs du Vermandois pousseront de terre : la
basilique gothique de Saint-Quentin, le
château de Péronne, le fort de Ham, le château de Coucy, les abbayes et tous
nos villages. Derrière cette profusion de pierres et de clochers, il faut citer
aussi les progrès de l'agriculture sans lesquels rien de durable ne serait
possible.
Il faut donc relater la généalogie de cette puissante
famille, d'abord parce qu' aucune pensée n'est accordée à sa mémoire dans nos
institutions et dans les cours d'école et d'histoire et ensuite parce qu'elle
vécut ce que vécurent tous les habitants de ces siècles.
Une opinion commune aujourd'hui divise la société
française en favorisés et défavorisés depuis toujours, sans aucune nuance, ni
graduation, ni explication. En suivant l'histoire d'une famille, cette
dichotomie paraîtra beaucoup moins véridique.
Les députés du peuple d'aujourd'hui vivent-ils de façon aussi proches
de la terre et de ses habitants ?
Avec deux siècles de mandats et des moyens incroyablement plus
développés, leur bilan et les fruits de
leurs actions ne supportent pas la comparaison ; les comtes du Vermandois méritent bien notre estime.
Charlemagne qui laissait une
importante progéniture mit en selle Louis le débonnaire ou le pieux avec le
titre d'empereur, Carloman qui ne vivra guère avec le titre de roi de France,
Pépin, le bossu comme roi d'Italie où il ne séjournera guère , Hugues étant
abbé du Vermandois, principal notaire
du royaume et premier conseiller de l'empereur. Mais les vies sont courtes en
cette époque, Hugues décédera et le titre d'abbé sera donné à un petit fils de
Louis le pieux dont la mère Gisla a épousé le Comte de Frioul : Adélard.
Celui-ci continuera l’œuvre et fera déposer le corps de Saint Cassien à
la basilique en présence du nouvel empereur : Charles le chauve , son oncle .
Celui ci était à Saint-Quentin en l'hiver 841.
Toujours entreprenant et au service de sa famille et du peuple, il
proposa à Charles le Chauve, la création d'un Hôpital et en obtint bien sûr la
concession. C'était en 853.
Quatre années plus tard, Charles repassa à la basilique et, conseillé
par Adélard, il rédigea un traité de Paix entre ses neveux. Mais les jalousies
des enfants et la compétition vers les revenus va diviser l'empire . Adélard
meurt en 864 et une petite curée s'abat sur son domaine.
Louis le Débonnaire, fils choisi par Charlemagne, parmi
son importante descendance, pour lui succéder n'avait pas eu la sagesse de son
père ou son " incontinence" et n'eut que trois enfants,
malheureusement de deux lits. Lothaire, l'aîné était fils d' Ermengarde et
Louis le Germanique et Charles le Chauve de Judith, princesse de Bavière.
Par le traité de Verdun de 843, Charles qui était le plus germanique
des trois frères obtint la Neustrie, agrandie de l'Aquitaine et de la
Septimanie ; une France rabotée à l'Est par la Lotharingie.
Jeune et déjà roi, il se rapprocha d'Adélard notre comte-abbé pour deux
bonnes raisons : celui-ci était riche et solidement implanté dans son fief et
surtout car Adélard présentait la singularité d'être, tout à la fois, son neveu
et son oncle par alliance ( Charles épousa Ementrude, sœur d'Adélard). Cette
place particulière permet de comprendre que les abbés de Saint-Quentin furent,
à compter de 844, tous laïcs et comtes
en même temps.
Charles le Chauve passa fréquemment en Vermandois puisqu' il passa
l'hiver 841 à Saint Quentin après la bataille de Fontenay où il avait affronté
les troupes de Lothaire, son frère aîné.
En 857, il est là avec toute la cour, et, en séance
solennelle, règle les conditions d'un traité de paix entre ses neveux , fils de
Lothaire, et reçoit, peu après, Louis le Germanique, son frère.
La ville comprend déjà un monastère, un hôpital, une
superbe collégiale et tout un petit peuple de marchands, pieds poudreux, Juifs,
Syriens, forgerons et tisserands.
Toutes proches, les abbayes de Vermand, d'Homblières, d'Origny, de la
Fère sont autant de pôles de développement intermédiaires vers d'autres centres
, Corbie, Noyon, Soissons, Laon, Cambrai, Laon, Saint Riquier, Saint Denis.
Cette prospérité avait déjà été reconnue par un grand spécialiste de l'époque : Aron Rachid,
Calif de l'Espagne sarrasine où fleurissait à cette époque une société de
tolérance judéo-islamique qui donnera le joyau qu'est le palais de Grenade et
sauvera le savoir millénaire de
l'Egypte et de l'Orient grâce aux juifs séfarades.
D'autres envieux ne se contentèrent pas de vouloir
commercer, ils prirent des armes de fer, qu'un voisinage avec les peuples de
haute Allemagne et de Thuringe leur avait permis de découvrir et de copier et
de frêles barques effilées au nom effrayant : les drakkars. Les Vikings
latinisés en Normands avaient vu Charlemagne exterminer 4000 païens saxons,
proches cousins de leur peuple. Grands voyageurs, ils n'ignoraient pas les
troubles qui commençaient à gagner l'Empire de Constantinople. L'Angleterre,
très christianisée, n'avait pas été un obstacle à leurs incursions, bien au
contraire. Ils décelèrent vite qu'une faille fragilisait la société chrétienne
où le peuple commençait à s'étonner de la richesse du clergé. Un petit peuple
primitif s'alliait spontanément à eux et des trahisons nombreuses firent croire
aux envahisseurs qu' ils étaient attendus.
Les invasions des Normands préfigurent les guerres modernes:
pénétrations lointaines, brèves avec destructions exemplaires et pillages
systématiques. Par le chenal de la Somme, Péronne, Vermand, Saint Quentin
furent pillées en 851, puis en 859. La Basilique de Fulrad, achevée 59 ans
auparavant avec les subsides de Charlemagne, brûla comme pratiquement tout le
pays.
Charles qui réside très fréquemment à Quierzy est
directement atteint dans sa chair, car il assiste , en parti impuissant, à ces
incursions. Sa fille Judith est mariée au roi d'Angleterre du Sud, lui aussi,
sous sous la pression des nordiques, enfin son frère Louis le Germanique
profite de toutes ces occasions pour aider les Normands, liguer les victimes
des pillards contre le roi.
Le 21 mars 858, alors que les Normands menacent pour la seconde fois,
les vassaux de Charles le lâchent et Quierzy n'offre plus de défenses
suffisantes.
Ne pouvant compter sur l'aide des troupes de Louis,
prudemment Charles file au delà de Reims sur les terres de Bourgogne . Louis le
Germanique veut profiter de la situation et invite les évêques et comtes-abbés à Reims. Ceux ci,
qui s'étaient déjà réunis à Quierzy en 849 et avaient apprécié la sagesse de
Charles se méfient et se réunissent sous la crosse de Immon, évêque de Noyon et
d'Hincmar, archevêque de Reims et sous la protection d'Adélard à Quierzy.
De là, ils adressent une lettre à Louis le Germanique, l'engageant à
respecter les droits et propriétés de l'Eglise . Déjà l'Eglise de France sait
que sa cousine germanique courbe l'échine devant le pouvoir temporel et les Rémois savent déjà que l'Allemand n'
a pas que des intentions pures. Hincmar soulèvera la population contre les
troupes de Louis, et rejeté par le clergé, Louis préférera la retraite. Charles
le Chauve put ainsi rentrer dans ses
Etats. En voisin, il apprendra l' assassinat de l'évêque de Noyon : Immon et
la destruction de la collégiale de Saint Quentin. Pensant qu ' un
arrangement avec son frère suffirait à contrer le péril, il se rendra en 865 à
Cologne.
Les deux frères sont de bonne composition et s'accordent
sur un modus vivendi, sans obligation militaire.
De retour à Quierzy, Charles constate l'appauvrissement du pays
consécutif aux pillages des Normands. Naïvement, comme de multiples souverains
après lui, il prendra une ordonnance dont l'histoire produisit de nombreux
fac-similés. Il sera défendu, avec des sanctions dûment prévues, de refuser une
bonne monnaie.
Que des citoyens aussi raisonnables que nous-mêmes en viennent à
refuser de la bonne monnaie relève de l'énigme !
Quelque part pourtant, un problème devait se poser sur la valeur de
l'argent !
La situation ne manque pas d'inquiéter Charles le Chauve et son
gouvernement.
Le 4 Janvier 873, toujours à Quierzy, il signe douze capitulaires
contre les voleurs, les malfaiteurs et les traîtres. Il fait encore une
donation à l'Abbaye de Chelles où sa fille Hermentrude est abbesse, puis part
pour Rome. La mort de son frère Lothaire et le fait qu'il ait avec Adélard
réglé le conflit entre les deux fils du Lorrain, lui valent le mérite de
recevoir la consécration impériale. Il la reçoit en 876 à Rome des mains de Jean
VII, pape d'un époque obscure.
De retour à Quierzy en 877, il convoque l'Ost . Mais ,malgré la
distinction suprême d'empereur unique puisque Louis le germanique est décédé,
il n'arrive pas à organiser une véritable armée qui irait combattre pas très
loin de ses bases : en Italie où les Vikings arrivent.
Une armée, ce ne sont que des hommes et pour faire marcher des soldats,
le titre d'empereur ne suffit plus, il faut des gages et des concessions. Le
capitulaire de Quierzy de 877 organisa dans ses 33 articles, sans vraiment le
vouloir, un monde qui dura mille ans. Les seigneurs qui possédaient des terres
par tenure précaire et donc des revenus accepteront de combattre qu'à la
condition que ces propriétés leur soient reconnues toute la vie durant, si
l'engagement féodal est respecté, et passera aux héritiers des deux
signataires. Les biens de l'église feront l'objet du même traitement mais comme
le clergé n'est pas tenu de combattre, ceux ci seront garants des biens des
seigneurs en campagne. La féodalité naîtra, ainsi, sur les bords de l'Oise et
avec elle la noblesse et les généalogies. Car il faut pouvoir concurrencer
l'ancien et le nouveau testament. Pour être propriétaire de la terre promise,
il faudra justifier ses ascendants par preuve irréfutable et ce depuis la date
de 877.
Peu avant cette date phare, Adélard mourut. Charles le
Chauve avait marié sa fille Judith au roi d'Angleterre mais ces rois-là ne
conviendront que rarement aux princesses françaises. Judith tomba-t-elle
amoureuse ou fut -elle enlevée par le romantique Baudouin des Flandres ?
Le roman d'amour ne fut pas si anodin que cela puisque Charles fut très
courroucé par cette aventure et il fallut l'intervention du pape pour autoriser
le mariage avec Baudouin.
A ce gendre forcé, Charles donna le Vermandois.
Charles le Chauve régna donc de 840 à 880 en véritable ami
et protecteur de notre province. A plusieurs occasions, il est relaté la
cordialité des ambassades avec l'empire musulman. Le monde ne semble subir que
la violence des Normands et Charles va organiser une défense solide qui durera
mille ans.
Charles, dont la vie fut plutôt paisible, n'eut pourtant pas une mort banale. Son décès fut, en effet,
imputé à son médecin, Sedécias, " juif de nation", qui l'aurait
empoisonné . Le diagnostic du décès,
partout escamoté, se réfugie derrière cette caricature d'explication,
comme s'il s'était agi d'un complot ; le même qui avait sacrifié le Christ, le
mossad aurait tiré les ficelles !
De ce fait historique, nous ne retiendrons pour notre part que le fait
que la communauté juive existait déjà sur notre périmètre comme l'atteste les
rues des Juifs et l' histoire des quelques familles de cette confession de
Saint Quentin et d'ailleurs.
Les
Comtes héréditaires .
Sédécias, le médecin suspect, volontairement ou non,
frappait dans le dos la dynastie carolingienne. Charles le Chauve venait
d'atteindre une position aussi élevée que celle de son grand père et avait
organisé l' autodéfense de l'Occident. Sa disparition opportune redonnait force
aux assaillants de l'extérieur et aux diviseurs de l'intérieur.
La succession entre les fils était mal préparée. Quant aux
Normands, rien ne semblait vouloir les arrêter et le comble sera atteint
lorsque les Normands pilleront Quierzy et Noyon en 891, détruisant pratiquement
ce haut lieu de notre histoire nationale et organisant un repaire de banditisme
à partir de ce site.
Entre temps, Paris avait été assiégée en 885. Le péril durait depuis
une trentaine d'années et arrivait à son paroxysme. En face, le pouvoir est
entre les mains de Louis II dit le Bègue et son frère Louis III. Ils ne
règneront véritablement que pendant 4 à 5 ans sans s'imposer mais laisseront un
héritier de sang : Charles le Simple, fils du bègue. Les fils de Louis le
Germanique, par contre, semblent plus vaillants mais face aux Normands, c'est
bien Robert qui mérite le titre de fort. Robert est comte de Paris, son heure
arrive.
Aux multiples incertitudes qui s'abattent sur la région se
joint un appauvrissement généralisé et avec lui, diverses restructurations. Les
fonctions d'abbé et de comte avaient déjà été abusivement fondues par souci
d'économie et de finances publiques. L'affectation des fonds importait plus que
leur origine et le monarque veillait au grain.
Lorsqu' après la mort d'Abélard, Charles confia le comté
du Vermandois à Baudouin, mari de sa fille Judith, il en confiait les bénéfices
mais la propriété restait à cette lignée de Pépin, roi d'Italie dont Abélard n'était
qu'un représentant mandataire. Les revenus de Saint-Quentin dont le nom venait
de remplacer celui d'Augusta dans les textes officiels seront encore acquis à
Thierry, le fils de Baudouin mais celui ci mourut en 886 sans descendant. Le
comté du Vermandois, Péronne, Ham, Saint-Quentin, Athies ravagé par les
Normands, n'était plus le pactole qu'il n'avait cessé d'être. C'est pourquoi,
il fallut, sous l'éclairage du capitulaire de Quierzy, retrouver les comtes
héréditaires qui pouvaient se prévaloir de droit sur le comté.
Adélard avait caché la forêt et Louis le débonnaire avait,
de fait, favorisé son neveu italien au lieu et place du fils de son Pépin. Car
c'est bien Pépin qui avait hérité du titre . Bernard son fils, roi d'Italie,
complota contre son oncle Louis le Débonnaire, pensant obtenir la place. Le
châtiment du complot respecta les anciennes coutumes franques et Bernard eut
les yeux crevés. Trois jours après, il en mourait et Pépin, son fils, héritait
de ses biens . Celui ci ne sera plus roi d'Italie mais, de plein droit, dès
l'an 818, seigneur de Péronne et Saint-Quentin. Situation paradoxale, puisque
pendant tout ce temps, Adélard sera la cheville ouvrière du pouvoir de Louis et
de Charles le Chauve. Ce n'est qu' en 886, à la suite du décès de Thierry, que
Pépin , arrière petit-fils de Charlemagne récupérera son comté ou du moins ce
qu'il en restait.
L'héritage avait beaucoup souffert mais Saint-Quentin avec
ses dix paroisses, les abbayes et tous les
" fèvres " de la région ( nom des forgerons en langue d' oïl )
n'était pas " a quia ".
Les comtes du Vermandois retrouveront vite une place centrale sur
l'échiquier et pour longtemps maintenant que le capitulaire de Quierzy a rendu
impossible les falsifications et captations abusives.
Pépin de 886 à 892 fut
donc Comte du Vermandois et associa son fils Herbert à son gouvernement.
Le père avait plutôt combattu Eudes , le comte de Paris. Le fils fut l'allié du
frère d'Eudes, Robert le Fort dont il épousa une fille et fut, plus tard le beau-père de Robert 1er, qui épousa
Béatrice , sa cousine donc.
Dès cette entrée en matière, le pont entre Carolingiens et
Capétiens éclaire le siècle à venir.
La famille d'Herbert a un lointain contentieux avec les descendants de
Louis le Débonnaire et, de plus, a besoin de fonds pour reconstruire les terres
dévastées. Une alliance avec les Capétiens va se faire progressivement.
Les derniers Carolingiens, issus de Louis le Débonnaire,
n' inspirent guère confiance. Charles le Gros que les seigneurs français vont
chercher en Germanie puisque Charles le Chauve n'a plus de descendance passe un
marché de traître avec les Normands. Pour 10000 pièces d'argent, ceux ci
acceptent d'aller s'amuser ailleurs, vers la Bourgogne sans pour autant se
plier aux règles de l'hospitalité. Les seigneurs sont furieux et, à la diète de
Ribur, en 887, Charles le Gros est démis. L'ancienne division entre Neustrie,
Lotharingie, Germanie revient à l'ordre du jour. Eudes, vaillant défenseur de
Paris devient le roi officieux de Neustrie à l'époque où Pépin d'Italie
recouvra son comté du Vermandois. Repousser les Normands était devenu plus dur
depuis que Charles le Gros avait traité avec eux.
Lorsque Charles le Simple
retrouva le titre de roi de Neustrie en 898, ce fut un combat de tranchées.
Herbert Ier du Vermandois, allié à
Robert le Fort, frère de Eudes, partit en campagne contre le Comte de Flandre
et Raoul de Cambrai qui soutenaient Charles le Simple. Mais ces derniers
reprennent, avec l'aide des Normands, Saint-Quentin et Péronne en 897. Pour
autant, Herbert, qui tua Raoul de Cambrai en combat près d'Origny, se rangera
du côté de son cousin Charles le Simple pour son couronnement royal à Reims en
902. De cette allégeance, il récupérera le titre de comte-abbé de
Saint-Quentin, ce qui était bien l'essentiel. Mais Herbert Ier est assassiné
pour venger l'honneur des Cambrésiens. Herbert II lui succède et est marié à
Hildebrande, une propre fille de Robert le Fort. Herbert a de grandes ambitions
. Lorsque, par le traité de Saint Clair sur Epte, Charles le Simple confirme
l'implantation des Normands, Herbert voit rouge. Son pays est hérissé de mottes
féodales qu'il a fallu ériger contre ces païens venus d'ailleurs. En Allemagne,
Ludwig IV l'enfant, dernier carolingien
de la lignée de Louis le Germanique meurt en 912 et Herbert II voit son rival
avancer encore d'un cran. Mais Herbert sait bien que tous les grands vassaux
n'apprécient guère celui qui s'allie à la force brutale des Normands et se fait
conseiller par Haganon, débauché de la pire espèce. La calomnie est largement
entretenue par Robert le Fort, comte de Paris qui attend son heure. Ainsi en
920, Robert, duc de France, se fait nommer roi.
En 923, Charles le Simple, allié avec des Normands,
affronte les Parisiens . Il est sévèrement battu mais croit en la solidarité du
sang. Herbert du Vermandois lui est proche et a manifesté dans le passé des
marques d'allégeance. Naïvement, Charles le Simple demandera et obtiendra de se
réfugier dans le Vermandois. Herbert II
attendait celui qu'il considérait comme son rival de toujours. Allait
-il, celui qui était surnommé Anquetil, devenir roi ? N'était-il pas descendant
en ligne directe de Charlemagne et Comte-Abbé d'une des régions centrales du
Pays ?
Tout alentour lui appartenait à l'exception de Laon, capitale mythique
des Carolingiens !
Herbert,
l'Outremer et Albert.
Jamais le Vermandois ne tenait autant son avenir entre ses
doigts. En cette année 923, le dixième siècle de l'ère chrétienne était déjà
entamé et pourtant la crainte de la fin des temps prévu par les millénaristes
et Saint Jean semblait encore loin. Ce siècle est aussi un des mal aimés de
l'histoire officielle. Il compte pour nous parmi les plus éminents. Même si les
évènements seront nombreux, ce sera un siècle de paix qui s'achèvera par la consécration
des Capétiens. La providence et la sagesse des hommes avaient donné deux fers
au feux de notre région de paysans et de forgerons. Les deux lignées les plus
aptes au commandement figuraient à égale distance. Le bon choix, comme souvent,
ne se dévoila pas le premier.
Herbert II tenait à sa merci Charles le Simple et le déplaça
dans un premier temps de sa forteresse de Château-Thierry vers celle de Péronne
qui est parvenue jusqu'à nous. Selon les usages, Herbert n'avait pas retenu la
femme de Charles qui ira se réfugier dans sa famille anglaise emmenant son fils
Louis qui nous reviendra avec le qualificatif d'outremer. Sa mère, qui répond
au doux nom d'Ogive, est fille d'Edouard dit l'ancien , roi d'Angleterre.
La bataille de Soissons eut lieu en 923 et Herbert II
gardera Charles jusqu'en 929.
Cette décennie fut un peu troublée. A Rome, le pape fera déterrer son
prédécesseur pour le présenter en justice. Les monastères que Louis le
débonnaire et saint Benoît d'Aniane avaient voulu unifier au concile d'Aix la
Chapelle en 817, ne trouveront plus d'appuis solides. L'ordre de Cluny va donc
naître avec la bénédiction du comte d'Aquitaine que l'ordre de succession et la
richesse tiennent loin des troubles en revendiquant son indépendance avec le
pouvoir temporel. C'était un affront sans pareil à l'Etat tel que nous le
concevons aujourd'hui. Ce le fut plus encore, car le bluff réussira plusieurs
siècles !
Cette réalité historique nous oblige à gommer de notre
analyse la conception de l'Etat et du pouvoir central, qui est la nôtre mais
qui n'avait aucun sens en ces temps.
La liberté, la courtoisie et le respect étaient beaucoup plus forts
qu'aujourd' hui et le monde occidental vivait fort bien sans Etat. Le monarque
d'alors, Charles le Simple, était prisonnier ;
son geôlier ne demandait qu'un peu de terre mais ne revendiquait ni
honneur, ni pouvoir législatif.
L'histoire s'écrivait autour d'une compétition de familles en oubliant
complètement que le monde prospérait et se construisait de solides mottes
féodales et des bastides.
Il importait peu au petit peuple de savoir qu' Hugues, fils de Robert
Ier, beau frère d' Herbert nomma Raoul, son autre beau-frère, comme seigneur de
Laon pendant la captivité de Charles. Mais le seigneur de Laon est pour tous l'
héritier impérial et nombreux seront les grands d' Aquitaine et de Normandie
qui refuseront l'allégeance. Pour justifier son pouvoir usurpé, le roi est
alors obligé d'affronter ceux qui s'opposent à sa reconnaissance. Ainsi, Raoul
détruira encore l' aura carolingienne au profit de son commanditaire robertien.
Herbert rigola moins quand Raoul reprit Péronne sans toutefois récupérer
Charles le Simple. Pour contrer Raoul assis sur son promontoire de Laon, Herbert
imagine de couper les arrières de son nouveau rival pas seulement en annexant
Reims. Comme cette ville approvisionnait depuis l'antiquité le trésor impérial,
Herbert intriguera avec des espèces, des chevaux, des terres et de nombreux
cadeaux pour faire nommer son fils évêque de Reims. Tenant l'argent et la ville
lige de l'empereur, Herbert pense que le fruit va lui tomber dans la main. Il
ne pense pas à l'Empire mais seulement à la ville de Laon qu'il veut pour
siège.
Herbert manquera, là, d'envergure car il aurait pu
construire l'Europe qui n'attendait qu'un volontaire et s'aliènera : les
Capétiens, c'est à dire la France pour de longs siècles, les Anglais, parents
de Louis d'Outremer et l'Allemagne , laquelle trouvera dans l'évocation de
l'Empire carolingien son unique ferment
d'unité nationale.
Herbert a fait plus qu' incarner le Vermandois. Ses
velléités laisseront des empreintes durables sur le pays et ses habitants.
Contrairement à François Mitterand, il n'osera pas le coup d'Etat permanent et
contrairement à Charles de Gaulle, il n'aura pas d'ambition pour la France et
l'Europe.
Pourtant notre prince fut vraisemblablement aimé et
soutenu par son peuple.
Ainsi, après la révolte des prélats contre la nomination
abusive d'Hugues, le fils d'Herbert nommé archevêque de Reims à cinq ans, les
seigneurs d'alentour entamèrent des représailles en accaparant divers fiefs (
dont Péronne et Saint- Quentin), les habitants ne tardèrent pas à se soulever
et à réclamer le retour de leur compatriote.
Mais Raoul et Hugues le Robertien sont encore les plus
forts et Herbert perd l'espoir de prendre le funiculaire qui monte à la vieille
cité laonnoise.
Il reprend Charles le Simple sous le bras et le conduit
chez Guillaume Longue Epée, le Normand. Celui ci sait que c'est Charles qui a
signé le traité de Saint Clair sur Epte et a donc permis l'installation des
Vikings. Guillaume se jette aux pieds de Charles et lui rend hommage. Herbert
calcule que Raoul et Hugues le Grand vont suivre et tous unanimes reconnaître
son droit sur la capitale, Laon.
Raoul et Herbert se réconcilient donc pour la façade mais Raoul ne cède
rien sur Laon. Herbert n' a que la parade de remettre Charles le simple en
résidence surveillée. Raoul, pour
équilibrer les pouvoirs, enlève Albert, le propre fils d'Herbert.
La situation arrivait à une impasse que la providence
compliqua encore. Raoul vint à décéder. Hugues le Capétien se retrouvait aux
avant-postes alors qu'il se voulait " en réserve de la République",
voilà pourquoi il rappela Louis d'Outremer, seul carolingien de sang plus pur
qu'Herbert.
Ce Louis venu d'ailleurs récupère vite l'allégeance des Normands, sans
hésitation, sans p't êt ben qu' oui ou pt'êt ben qu'non. Puis , le pape Etienne
se range sous sa bannière, le clergé anglais et une bonne part du clergé
allemand le soutient. Le sire de Coucy et l'évêque de Reims firent une fois de
plus la différence et Louis vint s'installer ouvertement à Laon en 937.
Déception cruelle pour Herbert mais désappointement
également pour Hugues qui recule d'une case. D'autant que Louis d'Outremer
devenu Louis IV a appelé au secours la
marine anglaise qui désole les côtes.
Se profile alors sur l'avant-scène, le vernissage de la
première guerre mondiale.
Hugues le Parisien se rabiboche avec le Vermandois, les Normands se
joignent à lui, Arnould de Flandre aussi, surtout il épouse une fille d'Othon
1er dit " le grand" fils d'Henri l'Oiseleur et tous font allégeance
au Germanique.
En face, Louis IV reçoit l'appui des ducs de Lorraine,
Comte de Cambrai, Comte de Verdun et de Hollande et tient superbement Laon. Qui
osera donc débloquer cet imbroglio qu'Herbert n'avait pas imaginé et sans doute
pas souhaité ?
D'autant que les alliances
n'évitent pas certains couacs. Guillaume Longue- Epée ( objet sans doute volé
chez nous lors d'un raid) est amené à en découdre avec Arnould de Flandre sur
les rives de la Somme par simple saute d'humeur puisque l'un et l'autre étaient
là pour signer un traité de paix.
Autre couac, Louis IV meurt lors d'une chasse au loup dans
le massif du Chemin des Dames à 33 ans. Nous sommes en 942 et Hugues, comte de
Paris, laisse son fils Lothaire accéder à la fonction d'empereur avec pour
seule terre de fisc , le plateau inculte de Laon.
Puis Herbert du Vermandois meurt en 943. Il a placé ses
enfants en flancs gardes ; Robert est comte de Troyes, Eudes, comte d'Amiens,
Herbert, comte de Meaux, sa fille a épousé Thibault qui verrouille la route de
Reims à Laon au niveau de Montaigu. Hugues, certes n'est plus archevêque de
Reims. Pour lui succéder : Albert 1er, l'otage de Hugues de Paris.
La mort de Hugues se devait d'être exploitée par l'un ou
l'autre camp et donna deux versions.
Flodoard relata qu'Herbert décéda paisiblement à
Saint-Quentin, entouré de ses enfants et enterré à Notre Dame de Labon .
Selon une autre version, il fut pendu sur ordre de Louis
IV au mont Fendu, toujours nommé mont Herbert.
Louis IV était mort depuis un an, rendant cette relation
un peu suspecte. Ce que la légende rajouta fut imaginé pour discréditer la
mémoire du comte.
Le roi aurait, selon cette historiette, tenu conseil à
Laon, en présence du comte.
- "Quelle peine doit-on infliger au sujet qui, traître à son
souverain, a fini par lui ôter la vie ?
Herbert, de bon conseil, prôna la potence.
-" C'est ton arrêt de mort !" dit alors le roi à Herbert qui
le fit attacher aux fourches patibulaires !
Aux minutes de son agonie, Herbert aurait dit:
- "Nous étions douze qui trahîmes le roi Charles !"
L'anecdote de l'arroseur arrosé fut reproduite, à maintes
reprises, dans presque tous les récits féodaux. C' était une clef de voûte de
la justice féodale et un récit obligé des classiques médiévaux. Sans trop
polémiquer sur les circonstances réelles de la mort de Herbert, constatons la
contribution intéressante de la région dans le fondement de la culture
européenne.
A ce récit, il faut bien sûr rapprocher les décisions du
synode de Charroux en 989, quarante six années après Herbert.
Il y fut institué : la Paix de Dieu , interdiction de combattre du
mercredi soir au lundi matin, les quatre semaines de l'Avent, les quarante
jours de carême, pendant toutes les grandes fêtes, interdiction de toucher aux
biens de l'Eglise, aux clercs, aux pauvres, aux moines non armés, aux paysans,
aux ustensiles de labour et aux récoltes.
Quelques jours avant ce sommet de notre civilisation,
Albert 1er, fils de Herbert, mourut.
Abbé laïc de Saint Quentin et tenant le premier rang des abbés de France, notre
sire eût été fier des actes du synode. Sa vie entière traça la voie vers ces
mesures de paix et d'humanité et lui valut le titre d'Albert le Pieux.
Deux années auparavant, Hugues Capet, fils de Hugues le
Grand et cousin par alliance de Albert avait obtenu l'onction royale entre
Soissons et Noyon avec l'allégeance du comte du Vermandois.
Herbert avait été un fomenteur de troubles en une époque
troublée. Albert construira la paix d'une période heureuse. Il ne peut pas être
dit que l'histoire se soit faite sans
les hommes et que le monde ait vécu à l'écart de notre propre destinée.
Le Vermandois était au cœur du monde, comme depuis
toujours, pour le meilleur à venir et le pire sans cesse réalisé.
Albert avait été
longtemps l'otage de Hugues le Grand et avait rencontré, en maintes occasions
Raoul que son père jalousait. Quand Raoul mourut, l'opinion accusa Herbert de
sa mort. La médecine scientifique était encore dans les limbes et rien n'était
aussi impensable qu'une mort naturelle.
Le Vermandois paya, à nouveau, des droits de succession.
Avant Albert et justifiant son retour; Raoul de Gouy, fils de Raoul pénétra
jusqu'à Homblières et à Saint-Quentin qu'il pilla et désola. Albert Ier, parce
que c'était l'esprit de Quierzy, récupérait l'héritage mais sans possibilité de
bénéfice d'inventaire. La renommée du pays comme sa richesse était fortement
entamée, l'honneur ne laissait pas le choix, il fallait toujours tenir.
Après deux seigneurs turbulents plutôt que méchants et
inconscients, Albert sera le Pieux. Il rendit au chapitre de Saint-Quentin ses
droits et revenus, installa les reliques de saint Prix, évêque de Clermont, en
son château, puis fonda une abbaye dite de Saint-Prix à Rocourt. Il garda le
titre d'Abbé-Comte et le statut laïc mais plutôt que de suivre les seigneurs
germaniques qui chercheront à capter les biens du clergé, il patronnera l'
élection, par ses pairs clercs, d'un doyen, responsable de l' Ordre avec la
magnitude de sens que ce mot prendra dans les ordres religieux.
En 948, il restaurera l'abbaye d'Homblières en la confiant
aux bénédictins qui vinrent remplacer les religieuses établies là depuis 3
siècles.
Vers 960, Albert fut un innovateur, il mérite toute notre
affection à ce titre, en accordant une Charte aux habitants de Saint Quentin,
qui sera presque sans précédent dans
l'histoire.
Cette charte traversera l'histoire comme la lignée des
doyens de Saint- Quentin.
Les modernistes et même beaucoup de chrétiens progressistes rangent ces
objets à l'étagère des reliques. Ce faisant, ils se déconsidèrent d'entrée en
manquant de respect :
- Un doyen qui occupe cette
fonction depuis mille ans a nécessairement plus
d'expérience qu'une vedette
du Top cinquante,
- Un écrit qui stipulait, il y
a plus de mille ans, que les habitants de la commune ont la
liberté de leurs personnes
et de leurs biens, porte témoignage que nos lointains
ancêtres connaissaient déjà
le sens de ces mots et en avaient une perception plus
opérationnelle et concrète
que nous -mêmes.
Albert le Pieux mourut en 987. Nulle statue ne l'honore et
aucun instituteur n'évoquerait son nom auprès des enfants de la contrée qui recherchent désespérément
comme tous les jeunes en formation des modèles à suivre et des exemples à
imiter.
De son ménage avec Gerberde, fille de Louis d'Outremer, il
eut quatre enfants:
Herbert
III qui lui succéda, Othon mort sans postérité, Lindulphe, évêque de Noyon et
Gui, nommé plus tard trésorier de cette riche église.
Hugues
Capet, Aldabéron, Gerbert.
En cette année 986, Louis le Fainéant portait
le flambeau des Carolingiens. Ce n'était qu'un frêle filet de lumière qu'un
courant d'air léger pouvait étouffer face à celui du flambeau qu'arborait Othon
le Grand. Les querelles de familles
autour du Vermandois avaient laissé les terres reconnues par les traités de
Verdun et de Strasbourg sous une domination germanique.
L'Allemagne, christianisée par Boniface et pacifiée par
les seigneurs francs, développera bien à l'abri des incursions arabes et
nordiques, une économie prospère et un clergé opulent.
Othon n'avait pas l'impedimenta des textes et des coutumes
de Neustrie. Les synodes germaniques n'avaient pas établi de règles précises,
le traité de Quierzy n'était pas opposable aux chevaliers. Surtout l'onction
royale n'existait pas hors de la fonction impériale.
Il fallait, dès lors, restaurer le Saint Empire germanique. Othon le
grand, fort de son pouvoir temporel sur l'Italie récupérera le titre. Tout ceci
était événementiel, car l' empire faisait figure de pays sous développé à côté
du nôtre. La manière d'organiser la cité, pourtant, va assez vite faire
diverger les routes des deux pays jusqu'à briser en deux un peuple qui avant
l'an mil constituait une nation. Othon I, dit le Grand, né en 912 et mort en
973 était fils de Henri l'Oiseleur, roi
Saxon élu empereur non consacré à la
suite des tribulations de Charles le Simple sur nos terres du Vermandois. Comme
tous ceux de sa race, Othon était hanté par le souvenir de Charlemagne, qui
n'était qu'un lointain parent, et par
l'onction impériale. Cette formalité apparaît aujourd'hui, où les sondages font
et défont les élus du peuple, bien
mystérieuse. Ce sera pourtant " l'affaire européenne " pendant
plusieurs siècles et la division interne de l' Occident, qui conduira aux
guerres mondiales, ne se comprend guère sans le rappel de ce sacrement. De
surcroît, là comme ailleurs, le Vermandois joua un rôle.
Alors qu' Hincmar, l'évêque de Reims, en 866 avait réaffirmé les droits des églises locales
contre l'autorité papale, puis sponsorisé la publication du martyrologe d'
Usuard qui fondait le culte de nos saints français, l'église d'Allemagne était
encore sous les feux d'une évangélisation récente et ne présentait pas de
structure suffisante pour contrer et infléchir le pouvoir. Othon Ier, qui surveillait de près toutes les
gesticulations qui troublaient Laon, avait compris que Lothaire, petit fils de
Charles le Simple et de Louis d'Outremer ne serait jamais rien . Lui-même
pouvait se prévaloir d'avoir évangélisé par l'épée des peuples entiers de
l'Europe centrale et il était de plus le souverain terrestre craint des Pays
Bas jusqu'en Italie, en passant pas la Lorraine comme dit la chanson et par la
Bavière comme dit l'échanson.
Sacré empereur en 962, Othon va se servir du principe que
"l'autorité impériale dérive directement de Dieu". Lorsque le petit
roi de France viendra plus tard dire qu'il est empereur dans son pays, il ne
voudra dire que cela.
Par ce sacre, Othon se faisait reconnaître le pouvoir
total sur l'église d'Allemagne, lequel n'existe que par les hommes: ce sera la
querelle des investitures.
Othon nomma donc les évêques et les abbés et, plus encore,
fut reconnu comme le contrôleur permanent de la régularité de l'élection du
pape. La France demeurait la fille aînée de l'Eglise mais, dans le cortège des
accrédités au Saint Siège, l'Empire passait devant.
Lorsque l'archevêché de Reims se trouvera vacant, Othon trouvera chez
son obligé, très cher, l'évêque de Metz, un petit neveu intelligent et pieux.
C'est ainsi qu' Adalbéron accéda à cette fonction en 969.
Comme Saint Rémi, ce sera un faiseur de roi mais son prédécesseur
ayant fait publier le martyrologe des
saints français, le rôle sera clos et Adalbéron oublié. Pourtant tel Albert Ier
du Vermandois, c'est un des personnages principaux de son temps. Ecrivain,
érudit et pédagogue, il écrira plusieurs des épîtres connues comme étant celles
du pape Saint Sylvestre.
Il fit, lui aussi, une analyse fine de la société où il distingua les
obligations des " Orationes, Bellatores, Laboratores ". La société
dite de l'ancien régime est portée par cette formulation sur les fonts baptismaux : les clercs parlent et écrivent dans la seule langue
écrite du temps; les chevaliers se
battent ; les paysans et les artisans" labeurent" et chacun trouve
ainsi son salut et la chrétienté son équilibre.
Equilibre et non cloisonnement car le changement de statut
est rendu possible par différentes passerelles, solidarité et non concurrence
car les moyens des uns ne peuvent être utilisées au détriment des autres.
Dans ses réflexions, certainement influencées
par le seigneur du Vermandois qui créa la fonction de Doyen, Adalbéron prend
ses distances avec le pouvoir d'Othon et sa main mise sur les Oratores... et
leurs finances. Il essaiera à diverses occasions de favoriser une alliance
entre les Carolingiens régnant à Laon : Lothaire puis Louis V le fainéant et
Othon et ses successeurs. Il sera aidé dans sa démarche par Albert Ier du
Vermandois, oncle par alliance de Lothaire. Mais les Carolingiens croient
trouver leur revanche contre l'empereur saxon lorsque Othon II meurt. Son fils
est encore jeune et Lothaire pénètre en Alsace et en Lorraine avec brutalité.
Adalbéron en a écho de ses parents lorrains et se fâche avec Lothaire. Le roi
le fait traduire devant une grande assemblée réunie à Compiègne. Adalbéron
n'aura même pas le temps de se justifier, car Hugues Capet à la tête d'une
petite armée dispersera la Cour et mettra fin au procès. La mort précipitée de
Lothaire, outre qu'elle laisse une jeune veuve qui épousera Othon d'Allemagne,
permet à Aldabéron de retourner en grâce auprès de Louis V le Fainéant.
Celui-ci, fort de son appui auprès de ceux qui sont devenus ses beaux-frères,
veut éliminer ce prélat indécis et théoricien de l'autonomie du clergé. Il
assiège Reims et l'accuse à nouveau de trahison. L'histoire bégaye et Adalbéron
est à nouveau cité à Compiègne mais Louis V meurt le 22 mai 987 à 20 ans. Sans
héritier, c'est son oncle, Charles de Lorraine qui deviendrait Roi mais c'est
un vassal de l'empereur et un de ses plus proches . Tous les grands étant
présents à Compiègne pour son procès, Adalbéron fait écarter l' élection de
Charles de Lorraine et soutient celle d'Hugues Capet.
Le seul
véritable prétendant eût été Albert Ier du Vermandois, mais la providence et
Aldabéron en avait disposé autrement. En effet, Albert décède en cette année
charnière de notre histoire. Pour sacrer Hugues Capet, deux cérémonies électives eurent lieu, une à
Senlis et l'autre à Noyon. La dernière était la plus probante. En effet, Aldabéron rassemblait là les pairs clercs du
royaume : les évêques de Laon, Langre, Beauvais, Châlons et Noyon . Lindulphe,
fils d'Albert Ier participa au vote et confirma l'élection . Il restait à
procéder au sacre à Reims qu'Adalbéron effectua le 3 Juillet 987. Pour mettre
un dernier noeud au paquet bien ficelé, Hugues déclara renoncer à la Lorraine,
apposa son sceau au bas d'un parchemin ( le papyrus n'arrivait plus) et signe
une paix définitive. Derrière ce traité destiné évidemment à éviter la grande
guerre, se profilaient deux personnages qui méritaient aussi des récompenses :
Herbert III, le fils d'Albert, mort récemment, qui recut d'Aldabéron les terres
de Sinceny et de Chauny vraiment en cadeau, puisqu'il ne fut astreint qu'à
brûler des cierges sur le tombeau de l'apôtre du Vermandois, et Gerbert, un
moine venu d'Aurillac, proche conseiller de l'archevêque qui négociera avec
Othon, d'une part son accord, et avec Hugues de l'autre pour que son fils
Robert soit associé à son règne avec pour maître à penser Gerbert, lui-même.
Gerbert réalisait là un tour de magie. Lorsque 'Adalbéron
décédera, ce diable d'homme prendra sa place et sera même Chancelier de France
avant que la fonction ne revienne à Raoul, un fils naturel de Lothaire. Mais
déjà Gerbert vise plus haut, humilié pas ce camouflet, il se retournera vers
Othon qui le nommera Archevêque de Ravenne.
C'était la voie royale pour la mitre papale qu'il obtiendra en 999 et gardera
jusqu'en 1003. Gerbert qui prit le nom papal de Sylvestre II fut donc
l'éducateur de Robert II le Pieux et
l'un des maîtres fondateurs de l'école épiscopale de Reims et de
l'Université de Laon. Outre qu'il fut le pape de l'an Mil, il présente surtout
l'originalité d'être le pape de la Renaissance. Il connaissait les
mathématiques, la médecine, la chimie et toutes les sciences d'alors. Comme
Albert Ier du Vermandois et tous les paysans de chez nous qui savaient
maintenant que la vérité n'était plus la parole du seul chef et que chacun
avait une place dans l'ordre de la cité, il inaugurait une ère nouvelle.
Le début de cette ère nous est particulièrement proche car la quasi
totalité des villages de notre région sont mentionnés pour la première fois
dans ces années qui vont de 930 à 1030.
Les premiers seigneurs se forgeront des armoiries, les clercs noteront
scrupuleusement la vie des chrétiens, les communes et les professions se feront
connaître par des chartes. Il était temps de bâtir en dur.
Gerbert apportait à Rome, qui était encore trente années auparavant la
pétaudière où les fils de prêtre, les papesses et les corrompus disaient des
messes, un air de révolution. Il fut accusé de sorcellerie et de magie. Des
détracteurs avancèrent même que sa science lui venait d'années d'études faites
à l'université judéo-arabe de Cordou, l'homme n'était peut-être pas pourri,
mais sa science venait de Lucifer , il n'en fallait pas plus pour discréditer
en ces temps.
Malgré l'ignorance et les craintes, un esprit nouveau
venait de souffler sur le monde.