Ouvrir la fenêtre, monter sur la colline,
regarder alentour ! Telle est l' invite première du poète et du géographe. Elle
paraît bien singulière venant d' un historiographe du vingtième siècle où la
science s'entoure de compilations érudites et où les universités enferment le
savoir dans des boîtes à cirage qui ne sont que matière pour la brosse à
reluire. La terre qui nous entoure comme le tableau du peintre ne propose pas
de chaire à l'académie, elle n'est que silence, retenue et discrétion. Elle
accompagne nos vies et s'étonne toujours des titres qui figurent sur les cartes
pour la représenter. Ses vibrations nous mettent le coeur en joie et incitent
au travail des champs, parfois son humeur est sombre et sa tristesse se lit sur
tous les visages. Toute passion a une histoire. Bien avant les excès du
nationalisme, une relation forte lie le temps, les gens et la terre. Le pays
exprime déjà cette réalité complexe. On aime son pays et corrélativement on se
sent aimé ou délaissé par son pays. Parler d'histoire, c'est-à-dire de nous, du
nom des rues, des impôts, des Juifs, des Allemands et des autres, sans évoquer
des sentiments revient à poser sur les cartes des insignes, punaises, fanions. Pour parler du Vermandois, aujourd'hui, nul doute que seule une inspiration iconoclaste, anarchisante voire antirépublicaine en motive l'expression. Remonter toute la destinée du pays qui nous regarde, c'est justement s'opposer à ces affirmations primaires et en ouvrant ses cinq sens laisser le pays lui-même prendre la parole. Au tamis de l'histoire, les pays, cantons,
régions vivent les caprices de la destinée des hommes. Tel pays éloigné, à la
culture ingrate monte au paradis alors que celui-ci besogneux et fier
s'effiloche et tombe dans l'oubli. Tel autre simplement perd la mémoire . L'un
triomphe et laisse trace de sa gloire dans des monuments magnifiques, l'autre
vit humilié et tait son identité. Nos régions n'ont pas hérité de ces richesses
disparues avec l'émergence de la chrétienté. Pourtant comme les hommes, en
dépit de tout, elles ont un visage et une destinée. Leur originalité se cache
parfois longtemps derrière des masques et des apparences, des serments forcés
et sentiments refoulés. Et pourtant, les vieux chênes portent des blessures, les cimetières abondent dans les bosquets d'arbres, sur nos collines, les saints sont foison, partout se charrient des tonnes de betteraves en automne, et des tonnes de blé sous le soleil brûlant de Juillet. Une dimension matricielle s'impose dès le prologue, c'est le paysage. Parce que notre planète n'est véritablement connue que depuis peu, il faut oser dire l'originalité de ces quelques arpents de terre, plus façonnés par le travail des hommes que par les ères géologiques. Puis viendront les civilisations, certaines millénaires et d'autres éphémères comme la visite des " Hommes Intelligents" à Saint-Quentin au 15ème siècle. Chacune nous portera un message, ignoré parfois par elles-mêmes, souvent proclamé haut et fort mais incompris. Derrière la nature et les grandes institutions viendront, en cortège, mille personnages qui habitaient nos maisons, chassaient sur nos terres, regardaient le ciel comme chacun d'entre nous. Les plus nombreux ont laissé trace dans l'histoire . Les moins nombreux constitueront la majorité de nos ancêtres, quidams méconnus mais toujours présents sans qui rien ne fut possible. C'est bien sûr à eux que je dédie ce livre. Le grand Jules César ne leur a pas donné un nom pour qu'ils soient oubliés. Même écartelée par une république ignorante, même écrasée par un amas de bombes, même amnésiée par une histoire officielle d'obédience nationaliste, cette entité vit sa solidarité de nature depuis la nuit des temps et continuera encore après la dernière page de ce livre. Je te le soumets, lecteur, comme on expose à un ami cher les raisons d'un amour fou et d'une passion violente. Dans les composantes de cette flamme, il y a aussi le feu destructeur des dernières guerres. Les témoins se sont tus mais les pierres parlent encore et hurlent !. La rage naît du sentiment d'injustice. A elle, aussi, il faudra laisser un temps de plume. |