La mort de Charles Martel, le 22 octobre 741,
à la bordure de notre région clôture une période heureuse dont seuls les livres
érudits, quelques sépultures et nos églises portent témoignages. Le Vermandois
avait bercé sur son terroir : les Celtes,
les Romains, les Francs et une cohorte de saints authentiques, les avaient
nourris et surtout fourni en chevaux et
en armes. Le fer était, de loin, l'élément le plus important de la puissance et nos campagnes abritaient
toutes un maréchal-ferrant et un forgeron et des apprentis. La corporation
honorait Saint Eloi et bénéficiait d'une protection particulière de la part des
clercs et des abbés. Le heaume, l'éperon, l'épée droite et fracassante, le
poignard effilé, la pointe de la lance ne sortaient pas comme des produits
standards de l'usine, ils subissaient un rituel qui donnait une valeur sacrée à
l'arme et obligeait son détendeur au respect de la morale chrétienne. Le
commandement " tu ne tueras pas " n'écartait pas l'usage de l'arme
blanche, laquelle ôtait rarement la vie mais avait pénétré les consciences des
fabricants comme des utilisateurs. L'église donnera de manière informelle une
imprimatur sur les types d'armes et il ne faut pas s'étonner que plus tard, à
la suite d'une autre bataille en Picardie, l'arbalette sera excommuniée comme
étant contraire aux principes chrétiens. La flèche ne perforait-elle pas les armures
mortellement ?.
Une autre élément de puissance se faisait jour dont nous avons aperçu l'apparition avec la première chanson de geste sur " Guillaume d'Orange" , c'est le sentiment national. Le pays des Francs existe au delà de sa représentation physique par la monarchie. Il a son historien en la personne de Grégoire de Tours et ses habitants ont été immortalisés depuis plusieurs siècles par Sidoine Appolinaire.La suite de l'histoire va s'inscrire dans le droit fil de la continuation mais avec un élément nouveau qui place Pépin le Bref en tête d'une ère nouvelle. Pépin et son frère ont reçu une éducation .... Le contenu des programmes de leur éducation nous est totalement inconnu et pourtant les choses de l'esprit devaient y tenir une place insoupçonnée. Son frère Carloman à qui son père avait promis une mairie et des palais préférera, après de nombreuses campagnes guerrières, la vie religieuse dans une abbaye d'Italie. Saint Benoît avait préconisé un quart de temps pour les activités libres de l'esprit : lectures, réflexions, recherches et Carloman se complaira sans cette vie. Pépin , lui, est obligé de tenir sa place auprès des grands, mais l'histoire ironise assez sur le fait qu'il est, bref, petit . Il lui faudra pour combler cet handicap beaucoup de savoir, de finesse, d'intelligence et , bien sûr, de l'audace. Qu'y a-t-il de vrai dans la légende qui fit la célébrité de Pépin et que relate tous les historiens anciens ? . >Rien, sans doute, sinon l'intention. Citons Moreri qui écrit au début du 17ème siècle ; " On dit qu'au commencement de son règne, s'étant aperçu que les seigneurs français n'avaient pas tout le respect possible, à cause de sa petite taille, s'adressa à eux, un jour qu'il vit un lion furieux qui s'était jeté sur un taureau et leur dit qu'il fallait lui faire lâcher prise. Ils s'en effrayèrent, mais, étant sauté lui même de son estrade, il alla droit sur le lion, le coutelas à la main et lui donna un si grand coup qu'il lui sépara la tête du corps, son épée même étant entrée bien avant dans le cou du taureau. -Hé bien, dit-il, vous semble-t-il que je sois digne de vous commander ? Voyez ! " La scène ne peut pas appartenir qu'à la légende car le message est clair. Aussi petit soit-il, le roi peut tuer les prédateurs du royaume mais, ce faisant, il peut aussi blesser ceux qui se prennent pour des taureaux. Son intelligence se manifestera aussi, vis-à-vis de l'Eglise et de la papauté. Bien que fils par les armes de la Lombardie, il comprend l'émoi de la papauté menacé par cette nation de banquiers entreprenants. Pour conforter son pouvoir, il a besoin de la richesse de l'Eglise de France. De l'autre côté, le pape a besoin des armes de France pour s'assurer une assise matérielle suffisante et ne plus craindre les créanciers milanais. Dans ce jeu subtil et dangereux, Pépin va attribuer les abbayes et les églises les plus riches à des parents proches. Saint Denis reviendra à Fulrad, son précieux conseiller. Il donnera à son demi-frère Jérôme le comté du Vermandois et surtout la position d'abbé de Saint Quentin. Saint-Riquier et la grande abbaye de Prüm près de Trêves vont ainsi passer dans des mains amis en douceur puisque Pépin va prudemment soutenir le pape. Dans l'action diplomatique, Pépin sera superbement aidé par son épouse Berthe, née à Samoussy, Berthe est proche des premiers mérovingiens d'Austrasie et son père porte le nom de Caribert, porté exclusivement par cette lignée. Outre des possessions dans le Laonnois, elle a aussi des biens le long de la Moselle et sera une épouse et une mère modèle. Au palais de Quierzy, où naitra Charlemagne et où viendra le Pape, elle fait mettre des fleurs sur la table du banquet ce qui étonne le monde, et fera installer une salle d'eau. Sur son inspiration, sera crée la grande capeline: la berthe, qui recouvre tous les vêtements et permet de monter à cheval. Sa disgrâce, Berthe a un pied plus grand que l'autre, se commuera vite, comme la petite taille de son époux, en motif d'affection supplémentaire de la part du peuple tout entier. Fait presqu'unique, en ces temps, elle sera pratiquement la seule compagne de son pépin chéri. Il est vrai que le roi souffrira tôt d' hydropisie. L'éducation et la culture ont élu domicile à la cour. Charlemagne, comme s'est souvent le cas dans de nombreuses familles, sera élevé dans l'admiration totale de son grand père, cavalier croyant mais largement ignare beaucoup plus que de celle de son père, piètre soldat mais vrai roi de culture et de destination. Pépin le Bref manifestera de la clairvoyance même dans sa succession. En donnant à Charles la Neustrie et en donnant l'impression de favoriser Carloman , plus cultivé et mieux marié, Pépin organisait les conditions d'une confrontation stimulante qui réussira au delà des espérances. Dans cet éloge appuyé du frêle Pépin, il faut mentionner les évènements importants de sa vie : le couronnement, la venue du Pape Etienne et son action contre Aistulf, le roi des Lombards. Ces évènements préfacent toute la vie de Charlemagne et explique le tournant important pris par notre pays au sein d'un monde en profonde mutation. La monarchie mérovingienne, vacante pendant sept années, à la suite de la mort de Thierry, se trouvera finalement un successeur en Childéric III, mais Pépin avec Fulrad, abbé de Saint Denis tient toutes les rênes du pouvoir depuis la mort de son père et l'entrée dans les ordres de son frère. Childéric III est à l'image de toute la première dynastie, inculte et presque demeuré. Fulrad, en mission à Rome où il retrouve Saint Boniface, l'inspirateur de Charles Martel, pose alors au pape Zacharie la célèbre question: - Les rois n'exercent plus le pouvoir dans notre royaume. Est ce un bien , est-ce un mal ? Il sera répondu : - Mieux vaut appeler roi celui qui exerce le pouvoir effectivement, afin que l'ordre ne soit pas troublé. Childéric III fut " déporté" à l'abbaye Saint Bertin de Saint-Omer et Pépin en novembre 751, à l'occasion de l'Ost d'automne sera élevé sur le bouclier à la manière franque par tous les seigneurs réunis à Soissons, puis consacré roi avec du Saint Chrême, toujours à l'église Saint Médard de Soissons.Fulrad et Boniface, comme Rémi, auparavant, avaient tout manigancé. Car Etienne II qui succédera à Zaccharie en 752 sera tellement sous la presse du roi des Lombards que sa consécration ne pourra se dérouler normalement.Un peu désespéré, et bien conseillé, il quittera l'Italie inhospitalière, traversera les Alpes et viendra en Picardie. Il fut accueilli à Ponthion sur l'Oise, à Saint Denis par Fulrad, et sacrera roi, à Saint Denis, Pépin et ses fils. C'est là consécration de la dynastie. Pour ce sacre, le prix à payer sera contenu dans la charte signée à Quierzy le 6 Janvier 754. La papauté reçoit l' Exarchat de Ravenne, ou plutôt, le roi de France reconnaît les droits du pape sur la plus importante et riche église de l'Occident . En filigrane figuraient l'obligation de récupérer cette possession par les armes, la rupture définitive avec les empereurs de Constantinople qui considéraient Ravenne comme leur bien propre et un conflit avec les Lombards. L' ost partit donc en 754 vers la Lombardie et vers Ravenne et les "Etats du Pape " s'agrandirent de manière sensible. Il fallut revenir en 756 avec des légistes car tout n'avait pas été réglé. Finalement le pape devint Chef d'Etat et Pépin quasiment son égal sur le plan temporel. La chrétienté disposaient de deux colonnes fortes pour l'édification de la cité de Dieu. Pour autant, la vision politique de Pépin ne s'arrêta pas là. Comme les mérovingiens et ses prédécesseurs, il s'inquiétera du voisinage des Saxons. Le martyre de Saint Boniface et de plusieurs clercs en plein huitième siècle à Mayence en 754, n'était plus un crime envers la foi mais bien un crime envers la civilisation. Pépin préparera la solution finale de ce problème en commençant l'édification d'un palais à Aix la Chapelle . Charlemagne dont l'enfance et l'adolescence seront heureuses, sans contraintes excessives de son père et de sa mère, trouvera un chemin tout tracé avec des repères solides. Il le suivra fidèlement tout en regrettant toute sa vie, de ne pas avoir été aussi assidu à l'école que son père. On sait ce qu'il en advint par la suite pour tous les enfants d'Europe.Pépin le Bref fut enterré à Saint Denis, où le rejoindra Berthe. Parmi les oeuvres de son existence, il en est une qui, au regard de l'Histoire, a une dimension primordiale. Pépin le Bref, en effet, inventa aussi les brèves. C'est lui qui instituera les Annales, qui enregistreront par écrit, les faits et gestes du roi. Le modèle donné sera recopié par les abbayes et les principales fermes, terres de fisc et villes du royaume. Ce n'était pas encore l'Etat Civil mais la France prenait date dans l'histoire du monde. Clovis était passé du monde de l'oral à celui des lois écrites. Grâce à Pépin, la France rentrait dans celui de la culture et de l'histoire, prenant par là même le chef de filat d'une Europe des lumières. |