Avec Clovis, les saints, Pépin le Bref,
Bertrade et Charlemagne, notre terroir occupait une position centrale non
seulement sur la carte. Cette particularité ne va pas cesser tout à coup
brutalement . Toutefois, le nombre de personnages va brutalement s'accroître.
Le paysan qui sème, fauche dans un état de semi-esclavage sera toujours aussi
obscur qu'avant. Le forgeron comme le clerc va commencer à sortir le soir mais
ses interventions hors de son atelier sont toujours rares et intermittentes.
Par contre, arrivent sur la scène les parents, cousins, amis de sang royal. Ils
vont l'occuper jusqu' à la Révolution française et même après. Notre récit va
donc, par la force des choses, devenir encore plus incomplet, schématique et
arbitraire. Mais aussi plus critique car s'il reste encore beaucoup à bâtir,
tout semble prêt pour l'accomplissement . Par contre, rien ne s'aperçoit encore
des facteurs de mort et de destruction qui vont sourdre des enfers pendant les
temps nouveaux et qu'il nous faudra découvrir .
Jérôme, fils de Charles Martel, avait reçu le titre et les revenus de l'église de Saint- Quentin en 741. Sa position sociale était d'être abbé-comte ou inversement. Qu' importe le titre, il figurait parmi les oncles de Charlemagne et le jeune Charles chevauchera sans aucune crainte sur tous ses domaines. Les meilleurs cavaliers et compagnons de la région rejoignirent naturellement la troupe des quatre mille hommes qui soumettront l'Occident . Jérôme figurera au premier rang lors du couronnement royal à Noyon , le 9 octobre 768 . Il décède en 771 et ses fonctions sont confiées à Guintard et à Fulrad. Guintard est un preux que Charlemagne récompense par le titre de comte. Fulrad est un fils de Jérôme qui hérite du titre d'abbé et donc de la trésorerie du fief. Guintard sera présent à Quierzy >en hiver 775 lorsque Charlemagne va décider la soumission des Saxons. Il participa certainement aussi à la campagne. Fulrad lui sera le bâtisseur de la première basilique , l'église construite par saint Eloi ayant été incorporée dans un monastère qui assurait la garde du saint lieu de pèlerinage, derrière des murs épais. La récupération des offrandes des pèlerins passait par la construction d'un édifice plus grand. Très généreusement aidé par Charlemagne et ses fils , la basilique fut édifiée de 813 à 826. En 835, Hugues, successeur de Fulrad et fils naturel de Charlemagne, procèdera au transfert des reliques de saint Quentin dans une crypte sous l'abside . Plus tard, d'autres ossements viendront les rejoindre. La basilique sera dès lors le centre de la vie régionale et la pompe à finance de la famille comtale . Cette famille directement issue des pipinnides sera une des plus importantes de France et règnera sur la région jusqu'à Philippe Auguste. Ce personnage très particulier de notre histoire nationale et dont on se plaît à répéter qu'il a fait la France avait pour parrain le comte du Vermandois. Dès qu'il le put, il annexa la maison de son parrain à la sienne, il avait de gros besoins d'argent vers le milieu du 13ème siècle. La contrée fut donc quasiment autonome pendant quatre siècles. Malgré les normands, la grande peur de l'an mil, la peste et quelques tremblements de terre, l'époque fut un âge d'or pour nos concitoyens mais aussi pour l'Europe entière. Lorsqu'au quatorzième siècle, l'usage se répandra d'écrire les " riches heures " des châteaux, l'époque bénie sera déjà révolue et l' écriture évoquera avec nostalgie un temps irrémédiablement passé. Sous les seigneurs du Vermandois pousseront de terre :        la basilique gothique de Saint-Quentin,        le château de Péronne,         le fort de Ham,         le château de Coucy,        les abbayes         et tous nos villages. Derrière cette profusion de pierres et de clochers, il faut citer aussi les progrès de l'agriculture sans lesquels rien de durable ne serait possible . Il faut donc relater la généalogie de cette puissante famille, d'abord parce qu' aucune pensée n'est accordée à sa mémoire dans nos institutions et dans les cours d'école et d'histoire et ensuite parce qu'elle vécut ce que vécurent tous les habitants de ces siècles. Une opinion commune aujourd'hui divise la société française en favorisés et défavorisés depuis toujours, sans aucune nuance, ni graduation, ni explication. En suivant l'histoire d'une famille, cette dichotomie paraîtra beaucoup moins véridique. Les députés du peuple d'aujourd'hui vivent-ils de façon aussi proches de la terre et de ses habitants ?. Avec deux siècles de mandats et des moyens incroyablement plus développés,leur bilan et les fruits de leurs actions ne supportent pas la comparaison ; les comtes du Vermandois méritent bien notre estime. Charlemagne qui laissait une importante progéniture mit en selle Louis le débonnaire ou le pieux avec le titre d'empereur, Carloman qui ne vivra guère avec le titre de roi de France, Pépin, le bossu comme roi d'Italie où il ne séjournera guère , Hugues étant abbé du Vermandois, principal notaire du royaume et premier conseiller de l'empereur. Mais les vies sont courtes en cette époque, Hugues décèdera et le titre d'abbé sera donné à un petit fils de Louis le pieux dont la mère Gisla a épousé le Comte de Frioul : Adélard. Celui-ci continuera l'oeuvre et fera déposer le corps de Saint Cassien à la basilique en présence du nouvel empereur : Charles le chauve , son oncle . Celui ci était à Saint-Quentin en l'hiver 841.Toujours entreprenant et au service de sa famille et du peuple, il proposa à Charles le Chauve, la création d'un Hôpital et en obtint bien sûr la concession. C'était en 853.Quatre années plus tard, Charles repassa à la basilique et, conseillé par Adélard, il rédigea un traité de Paix entre ses neveux. Mais les jalousies des enfants et la compétition vers les revenus va diviser l'empire . Adélard meurt en 864 et une petite curée s'abat sur son domaine.Louis le Débonnaire, fils choisi par Charlemagne, parmi son importante descendance, pour lui succéder n'avait pas eu la sagesse de son père ou son " incontinence" et n'eut que trois enfants, malheureusement de deux lits. Lothaire, l'aîné était fils d' Ermengarde et Louis le Germanique et Charles le Chauve de Judith, princesse de Bavière.Par le traité de Verdun de 843, Charles qui était le plus germanique des trois frères obtint la Neustrie, agrandie de l'Aquitaine et de la Septimanie ; une France rabotée à l'Est par la Lotharingie. Jeune et déjà roi, il se rapprocha d'Adélard notre comte-abbé pour deux bonnes raisons : celui-ci était riche et solidement implanté dans son fief et surtout car Adélard présentait la singularité d'être, tout à la fois, son neveu et son oncle par alliance ( Charles épousa Ementrude, soeur d'Adélard). Cette place particulière permet de comprendre que les abbés de Saint-Quentin furent, à compter de 844, tous laïcs et comtes en même temps. Charles le Chauve passa fréquemment en Vermandois puisqu' il passa l'hiver 841 à Saint Quentin après la bataille de Fontenay où il avait affronté les troupes de Lothaire, son frère aîné. En 857, il est là avec toute la cour, et, en séance solennelle, règle les conditions d'un traité de paix entre ses neveux , fils de Lothaire, et reçoit, peu après, Louis le Germanique, son frère.>La ville comprend déjà un monastère, un hôpital, une superbe collégiale et tout un petit peuple de marchands, pieds poudreux, Juifs, Syriens, forgerons et tisserands. Toutes proches, les abbayes de Vermand, d'Homblières, d'Origny, de la Fère sont autant de pôles de développement intermédiaires vers d'autres centres , Corbie, Noyon, Soissons, Laon, Cambrai, Laon, Saint Riquier, Saint Denis. Cette prospérité avait déjà été reconnue par un grand spécialiste de l'époque : Aron Rachid Calif de l'Espagne sarrasine où fleurissait à cette époque une société de tolérance judéo-islamique qui donnera le joyau qu'est le palais de Grenade et sauvera le savoir millénaire de l'Egypte et de l'Orient grâce aux juifs séfarades. D'autres envieux ne se contentèrent pas de vouloir commercer, ils prirent des armes de fer, qu'un voisinage avec les peuples de haute Allemagne et de Thuringe leur avait permis de découvrir et de copier et de frêles barques effilées au nom effrayant : les drakkars. Les Vikings latinisés en Normands avaient vu Charlemagne exterminer 4000 païens saxons, proches cousins de leur peuple. Grands voyageurs, ils n'ignoraient pas les troubles qui commençaient à gagner l'Empire de Constantinople. L'Angleterre, très christianisée, n'avait pas été un obstacle à leurs incursions, bien au contraire. Ils décelèrent vite qu'une faille fragilisait la société chrétienne où le peuple commençait à s'étonner de la richesse du clergé. Un petit peuple primitif s'alliait spontanément à eux et des trahisons nombreuses firent croire aux envahisseurs qu' ils étaient attendus. Les invasions des Normands préfigurent les guerres modernes: pénétrations lointaines, brèves avec destructions exemplaires et pillages systématiques. Par le chenal de la Somme, Péronne, Vermand, Saint Quentin furent pillées en 851, puis en 859. La Basilique de Fulrad, achevée 59 ans auparavant avec les subsides de Charlemagne, brûla comme pratiquement tout le pays. Charles qui réside très fréquemment à Quierzy est directement atteint dans sa chair, car il assiste , en parti impuissant, à ces incursions. Sa fille Judith est mariée au roi d'Angleterre du Sud, lui aussi, sous sous la pression des nordiques, enfin son frère Louis le Germanique profite de toutes ces occasions pour aider les Normands, liguer les victimes des pillards contre le roi. Le 21 mars 858, alors que les Normands menacent pour la seconde fois, les vassaux de Charles le lâchent et Quierzy n'offre plus de défenses suffisantes. Ne pouvant compter sur l'aide des troupes de Louis, prudemment Charles file au delà de Reims sur les terres de Bourgogne . Louis le Germanique veut profiter de la situation et invite les évêques et comtes-abbés à Reims. Ceux ci, qui s'étaient déjà réunis à Quierzy en 849 et avaient apprécié la sagesse de Charles se méfient et se réunissent sous la crosse de Immon, évêque de Noyon et d'Hincmar, archevêque de Reims et sous la protection d'Adélard à Quierzy. De là, ils adressent une lettre à Louis le Germanique, l'engageant à respecter les droits et propriétés de l'Eglise . Déjà l'Eglise de France sait que sa cousine germanique courbe l'échine devant le pouvoir temporel et les Rémois savent déjà que l'Allemand n' a pas que des intentions pures. Hincmar soulèvera la population contre les troupes de Louis, et rejeté par le clergé, Louis préférera la retraite. Charles le Chauve put ainsi rentrer dans ses Etats. En voisin, il apprendra l' assassinat de l'évêque de Noyon : Immon et la destruction de la collégiale de Saint Quentin. Pensant qu'un arrangement avec son frère suffirait à contrer le péril, il se rendra en 865 à Cologne. Les deux frères sont de bonne composition et s'accordent sur un modus vivendi, sans obligation militaire. De retour à Quierzy, Charles constate l'appauvrissement du pays consécutif aux pillages des Normands. Naïvement, comme de multiples souverains après lui, il prendra une ordonnance dont l'histoire produisit de nombreux fac-similés. Il sera défendu, avec des sanctions dûment prévues, de refuser une bonne monnaie. Que des citoyens aussi raisonnables que nous-mêmes en viennent à refuser de la bonne monnaie relève de l'énigme !. Quelque part pourtant, un problème devait se poser sur la valeur de l'argent ! La situation ne manque pas d'inquiéter Charles le Chauve et son gouvernement. Le 4 Janvier 873, toujours à Quierzy, il signe douze capitulaires contre les voleurs, les malfaiteurs et les traîtres. Il fait encore une donation à l'Abbaye de Chelles où sa fille Hermentrude est abbesse, puis part pour Rome. La mort de son frère Lothaire et le fait qu'il ait avec Adélard réglé le conflit entre les deux fils du Lorrain, lui valent le mérite de recevoir la consécration impériale. Il la reçoit en 876 à Rome des mains de Jean VII, pape d'un époque obscure. De retour à Quierzy en 877, il convoque l'Ost . Mais ,malgré la distinction suprême d'empereur unique puisque Louis le germanique est décédé, il n'arrive pas à organiser une véritable armée qui irait combattre pas très loin de ses bases : en Italie où les Vikings arrivent. Une armée, ce ne sont que des hommes et pour faire marcher des soldats, le titre d'empereur ne suffit plus, il faut des gages et des concessions. Le capitulaire de Quierzy de 877 organisa dans ses 33 articles, sans vraiment le vouloir, un monde qui dura mille ans. Les seigneurs qui possédaient des terres par tenure précaire et donc des revenus accepteront de combattre qu'à la condition que ces propriétés leur soient reconnues toute la vie durant, si l'engagement féodal est respecté, et passera aux héritiers des deux signataires. Les biens de l'église feront l'objet du même traitement mais comme le clergé n'est pas tenu de combattre, ceux ci seront garants des biens des seigneurs en campagne. La féodalité naîtra, ainsi, sur les bords de l'Oise et avec elle la noblesse et les généalogies. Car il faut pouvoir concurrencer l'ancien et le nouveau testament. Pour être propriétaire de la terre promise, il faudra justifier ses ascendants par preuve irréfutable et ce depuis la date de 877. Peu avant cette date phare, Adélard mourut. Charles le Chauve avait marié sa fille Judith au roi d'Angleterre mais ces rois-là ne conviendront que rarement aux princesses françaises. Judith tomba-t-elle amoureuse ou fut -elle enlevée par le romantique Baudouin des Flandres ? Le roman d'amour ne fut pas si anodin que cela puisque Charles fut très courroucé par cette aventure et il fallut l'intervention du pape pour autoriser le mariage avec Baudouin.A ce gendre forcé, Charles donna le Vermandois.Charles le Chauve règna donc de 840 à 880 en véritable ami et protecteur de notre province. A plusieurs occasions, il est relaté la cordialité des ambassades avec l'empire musulman. Le monde ne semble subir que la violence des Normands et Charles va organiser une défense solide qui durera mille ans. Charles, dont la vie fut plutôt paisible, n'eut pourtant pas une mort banale. Son décès fut, en effet, imputé à son médecin, Sedécias, " juif de nation", qui l'aurait empoisonné . Le diagnostic du décès, partout escamoté, se réfugie derrière cette caricature d'explication, comme s'il s'était agi d'un complot ; le même qui avait sacrifié le Christ, le mossad aurait tiré les ficelles ! De ce fait historique, nous ne retiendrons pour notre part que le fait que la communauté juive existait déjà sur notre périmètre comme l'atteste les rues des Juifs et l' histoire des quelques familles de cette confession de Saint Quentin et d'ailleurs. |