Longtemps avant les débuts de l'histoire .
Avec certitude, avant que l'animal homme ne conquière la région et y laisse son empreinte, les fleuves et les marais, les forêts et les animaux sauvages avaient au long de millénaires commencé à tracer les contours du paysage qui nous entoure. Les zones marécageuses alternent avec les collines calcaires et les bois recouvraient, d'une végétation épaisse, collines et vallées. Comme le chasseur découvre facilement les coulées par lesquelles chemine le gibier sauvage, le paysage d'alors devait déjà laisser apparaître la trace des grandes transhumances des troupeaux de bisons d'Europe, et des mammouths qui jusque 5000 ans avant Jésus Christ brisaient tout sur leur passage, saignaient la forêt, formaient des gués dans les rivières. L'emblème du sanglier, ceux du léopard, du
lion, du loup peuplent les récits et les sceaux du haut moyen-âge. Enguerrand
de Coucy est représenté terrassant un félin terrible. Parmi les hôtes de nos
forêts une place particulière est à réserver aux cervidés. L'animal est beau et
sa chair succulente. Avec les chevaux, il est à l'origine de cet art de la
chasse à courre qui subsiste encore en forêt de Compiègne. Dans le déroulement de la genèse, les flots
avaient aussi été remplis de poissons
et le ciel d'oiseaux. L'homme et sa compagne seraient les
bienvenus, si jamais ils venaient à passer !. La première trace de vie humaine en nos
régions est très ancienne et même antérieure à l'homme de Neandertal dont le
faciès nous est connu. A quoi ressemblait l'Abbevillois qui occupait les bords
de la Somme vers 650 000 ans avant JC ? Nul ne le sait. Il ne devait guère
s'éloigner des marécages qui lui fournissaient le poisson, nourriture de l'été
comme de l'hiver et construisait des huttes, savait tailler le silex biface et
chasser des animaux dont l'évocation seule fait froid dans le dos :
l'hippopotame ou plutôt son ancêtre acclimaté à nos climats, père des suidés,
porcs et sangliers qui sont toujours présents et le macharoide, ancêtre du
tigre mais avec des incisives si
longues qu'elles dépassaient la mâchoire inférieure et ont été décrites comme
des dents de sabre. Plusieurs exemplaires de cet animal sont exposés au Palais
d'histoire naturelle du Jardin des Plantes à Paris, nos ancêtres n'ont, eux,
pas tant d'honneur. L'abbevillien a certainement longé la Somme
mais nul ne sait jusqu'où ! Aucune autre trace de peuplement n'a été retrouvée
avant la civilisation de l'homme de Neandertal vers 80 000 avant JC. Ce petit homme, à la mâchoire épaisse et très
velu, a remonté la Seine et l'Oise, laissant des vestiges de ses séjours dans
les grottes de l'Ille de France. Lui aussi chassait le rhinocéros et le mammouth
avec l'astuce qui remplace la force : il creusait sur les coulées de ces grands
animaux des fosses et achevait l'animal piégé avec les seules armes de pierre
et d'os qu'il connaissait . Plus souvent, il traquait l'auroch ou l'ancêtre du
cheval et chassait les loups avec un fléau d'arme dont la masse était en pierre
et la chaîne en cuir. La logique donne un avantage indiscutable aux tribus venant du Sud plus proche . Celles d'Asie centrale ne manqueront cependant pas à l'appel. Chacune finalement apportera quelque chose. L'Europe du Nord est alors recouverte d'une épaisse forêt et de nombreux marécages. Pour vivre et se déplacer dans ce monde, plusieurs instruments s'avèrent indispensables: le cheval qui permet de longues expéditions en hiver, saison où les reconnaissances du relief sont, grâce aux vues, rapides et sûres, la vache et le cochon qui constituent le garde-manger, enfin le feu qui peut tout . Dire que le peuple venu du Sud arriva le premier est une spéculation intellectuelle bien sûr, d'autant que le pays était déjà peuplé de quelques tribus taillant le silex et vivant de chasse et de cueillette. Ainsi au sud du département à Fère en Tardenois , des fouilles ont révélé l'existence d'une tribu de l'époque postglaciaire, utilisant surtout l'os, qui a séjourné de 7000 jusqu'à 3000 av J.C environ. La confrontation cependant ne sera pas longue entre les tribus de l'âge de pierre taillée et les arrivants qui connaissaient la pierre polie et la poterie. La technologie du four, qui est la prison du feu sous terre, marque une avancée prodigieuse que les Grecs célébreront en désignant comme dieu Vulcain : ne personnalisait-il pas le franchissement de cette étape ? En Afrique, encore aujourd'hui, de nombreux peuples refusent l'emploi de ces
instruments et préfèrent le vrai feu qui caresse de ses flammes les chairs de
l'animal à cuire. Le four amènera, plus tard, d'autres révolutions : le bronze qui va
caractériser une large période protohistorique et surtout le pain. L'âge du Bronze aura dans la région moins d'importance qu'ailleurs. Les Grecs dont la culture domina le monde le maîtrisaient et cela suffira à leur puissance militaire en Orient et même en Occident. Ceux-ci fondèrent Marseille, la phocéenne, et poussèrent, secondés par d'autres peuplades indo européennes( les Italiens), une civilisation méditerranéenne qui avait assimilé la fabrication des objets en bronze jusque chez nous. Cette civilisation porte le nom de civilisation ligure . L'habitat était en bois et si les toitures étaient le plus souvent en chaume, quelques essais de toitures en tuiles furent tentés. Les poteries et les vases gardaient les premières semences et les premières salaisons. A l'instar des autres peuples du monde, le polythéisme était la croyance commune et l'explication du monde, la cosmogonie, ne pouvait venir que de représentations rituelles voire théâtrales, parfois accompagnées de sacrifices. Cette civilisation, maître dans l'art de l'or, du bronze et de la poterie, a dû parvenir vers l'an mil avant JC et situe le degré d'évolution de l'espèce humaine. L'un des seuls vestiges laissés chez nous est le théâtre de Vendeuil. Sa taille, moins impressionnante que celle des théâtres grecs et romains, permet de réunir plusieurs centaines de personnes. Ce n'était plus des hordes à mâle dominant qui vivaient alentour mais bien des humains qui s'assignaient un rôle sur la terre et se savaient dépositaires d'une mission divine. Sans beaucoup de fondements ni de preuves, il a été attribué à la civilisation ligure la paternité des cités lacustres. Il est vrai qu' une conjonction de faits corrobore cette supposition. La population est largement sédentarisée, maîtrise la technologie du four et du fourneau, sait bâtir en bois des huttes pérennes. De plus, le marais ou le lac est une protection naturelle contre les loups. Enfin , le cours d'eau proche permet dans des poches de cuir, des vessies d'animaux voire des amphores , le transport du sel qui vient de la mer en remontant la Somme, l'Oise ou l'Escaut. Ces paramètres rendent très vraisemblables les cités lacustres dans la région. Les marais de l'Omignon, de la Somme et de l'Oise offraient des cadres privilégiés de vie et le plus proche compagnon de l'homme porte confirmation de cette longue période d'habitat dans ce milieu semi aquatique . Ce compagnon , vous l'avez reconnu, c'est le bouvier de Picardie, chien de marais par excellence qui, comme tous les chiens, a été façonné par l'homme et son milieu. Notre autre compagnon fidèle depuis la nuit des temps atteste de notre premier logement. Le canard domestique authentifie toujours notre cuisine régionale. En regardant un vol de canards sauvages, une évidence s'impose : des millénaires ont été nécessaires pour fixer cet animal insaisissable autour de nos demeures. Vers l'an huit cents avant J.C, le Vermandois n'était donc plus une terre ouverte, une communauté y avait établi ses dieux, façonné ses chiens, fidélisé des oiseaux et y entretenait le feu sacré. La géographie lui avait désigné une place au carrefour du monde et donc une première loge dans l'histoire de l’humanité. |