LES GALLO-ROMAINS . Entre les hypothèses des chercheurs de la
préhistoire, la vision des vestiges laissés et les brumes des connaissances
historiques, l'imagination de chacun est appelée à combler les interstices
obscurs. Astérix, Obélix et leurs créateurs ont réalisé une résurrection
ludique proche du véridique sinon du vrai. Les preuves attestent, en tout cas,
que de 1400 avant J.C jusqu'à l'arrivée des Romains et la mention par
Ptolémée de l'existence de notre contrée parmi le monde connu, nos ancêtres vécurent dans un cadre raffiné et équilibré.
L'écriture n'était pas le fondement de la société et ce fait seul, vu d'une
époque où les médias ont confondu liberté d' informer et information
libertaire, la rend sympathique et conviviale. Le pâtre et le paysan vivaient
au milieu de sa famille élargie, à l'abri de buttes et de leurs feux. Les
divinités cohabitaient pacifiquement et des hommes étaient appelés à des
fonctions religieuses. Une mémoire collective avait pris racine et la
généalogie des patriarches gravait les cellules cérébrales des jeunes dès le
plus jeune âge. Le fil ne reposant sur aucun écrit dut être étiré fidèlement
pour que, au dix neuvième siècle, il soit rapporté que Saint-Quentin fut fondée
par RHOMUS ou RHOMAUS, 17ème roi des Gaulois qui devait vivre vers 1440 avant
notre ère .......
"Salve, magna parens
frugum, Viromandua tellus,
tibi res antiquae laudis & artis. Ingredior, sanctos ausus recludere fontes"         Géorgiques Livre 2 ver 173 Oh Sainte, mère de grands fruits, terre du Vermandois , de grande potentialité : à toi la pratique antique des laudes . Laisse pénétrer les saintes fontaines" La référence à Virgile n' avait aucune portée
historique car ces vers étaient connus de tous les lettrés du temps et chacun
savait que ce n'était pas le nom du Vermandois qui figurait dans la version originale. Toutefois, l'emprunt
à Virgile valorisait indiscutablement, aux yeux des lecteurs de ce temps,
l'affirmation d'une communauté d'amour de la terre et de ses beautés par delà
les siècles. Nous aurons par la suite à reparler de
Coliette et de son ouvrage mais il nous faut remarquer, dès son entrée en
lice, l'esprit très particulier de
l'époque où il écrivit. Sous la présentation savante, on découvre vite un
polémiste sourcilleux, souvent imbu et suffisant, qui semble en guerre contre
des hérésies. Dans ce climat, toute inflexion de la réalité trouvait un
bien-fondé idéologique qu'il est bien difficile de comprendre aujourd'hui. Les raisons invoquées par l'orthodoxie
historique de la conquête des Gaules par Jules César sous-estiment toutes
l'aspect subjectif de cette opération militaire : César n'aurait engagé les
légions que pour "pacifier "
des régions barbares ou pour assurer la route de l'étain vers l' Ecosse et
l'Irlande ! .
Ce chiffrage n'avait rien d'un recensement et évaluait la population en situation de prendre les armes beaucoup plus que des armées régulières. Les Bellovaques et les Suessions étaient " donnés " comme le risque majeur. Il n'en était rien mais les Rèmes comme César savaient déjà exploiter les statistiques qui sont la troisième forme du mensonge. Rome disposait de quatre légions aguerries et de quatre nouvelles, soit 40 à 48 000 véritables soldats répartis en cavaliers numides, archers, frondeurs et la troupe. Prétextant des troubles et des préparatifs d'agression de la part des Belges qui commençaient à se grouper autour de la Fère, César passa au nord de l'Aisne et installa son camp au delà de la rivière surmontée d'un pont. Il laissa, sur la gauche du fleuve, Quintus Titurius Sabinus avec six cohortes. Bibrax constituait une place fortifiée à l'extrémité du périmètre des Rèmes . Les Belges s'en approchent et attaquent les remparts . De nombreuses polémiques débattent encore sur la localisation de Bibrax. Si ce n'était pas Laon , c'était un des plateaux voisins . Averti, César lance en avant, de nuit, des troupes légères. Les Gaulois pris par devant et par derrière contourneront l'obstacle par le sud pour se poster face au camp de César. Les feux, placés sur les sommets du massif qui dominent, s'étaleront sur 12 kilomètres. César reconnut qu'il commença par surseoir à la bataille, puis calcula que cette troupe ne devait pas être supérieure en nombre à la sienne. L'habilité de César fut après de laisser les Belges descendre vers la tête de pont et de la contourner en mettant les pieds dans l'eau. Profitant du pont, les cavaliers firent des incursions dans les lignes arrières de la troupe embourbée pendant que les frondeurs et archers faisaient, de l'autre rive, un carton. Il n'en fallut guère plus pour que la glorieuse coalition rebrousse chemin avec des airs de débandades. Les cavaliers numides se firent une joie d'étriper les fuyards et revinrent le soir au camp prudemment . César, fort de cette victoire, ordonna, dès le lendemain la marche forcée sur la capitale des Suessions . Pour conquérir la place, il fait monter à l'assaut les archers derrière des panneaux de bois et de peau légers que les autochtones n'avaient jamais vus auparavant. Le combat fut si bref que les Suessions obtinrent grâce pour leurs vies au prix de la prise en otage des deux fils du roi Galba. Les Bellovaques pourtant si nombreux sur la table d'effectif, regroupés dans leur capitale( lieu indéterminée mais entre Compiègne et Creil), furent encore moins ardents et dès que l'armée fut en vue de Bratuspantium, les vieux, puis les femmes et les enfants sortirent en tendant les mains.... Comme la région était riche, César prit six cents otages .Il ne restait plus que 176 000 hommes à soumettre. Les Ambiens n'obligèrent pas César à traverser tous les plateaux picards entre Oise et Somme, ils se "hâtèrent" de faire soumission complète et vinrent dire pis que pendre des Nerviens, ces voisins du Nord qui ne buvaient pas de vin, rejetaient les produits d'importation et ne portaient pas de bijoux. D'un point que nous situerons entre Montdidier et Roye, les Romains partirent attaquer les Nerviens . Cela prit trois jours de marche, dit Jules César, et la position des troupes coalisées fut connue lorsque la longue cohorte arriva à 15 kilomètres de la Sambre. Pendant tout ce trajet de 120 Km, l'armée romaine contourna le Vermandois par le sud en longeant l'Oise. Du haut de nos collines et des buttes, nos ancêtres virent passer les légions et firent d'intéressantes observations. Au chapitre des interrogations posées pour l'éternité, se trouve celle de savoir pourquoi César ne coupa pas au plus court au travers de notre région. Il passa prudemment au large et les Viromandues constatèrent : a) que les légions avançaient séparément , suivies chacune par la cohorte de leurs bagages et fourbi de campagne b) que la cavalerie légère redoutable pouvait être très gênée dans les terres de bocages aux nombreuses haies. Ces deux indications, communiquées aux Nerviens, déterminèrent le moment et le lieu de la bataille. Bien que les Atuatuques ne soient pas arrivés, l'ordre de bataille fut donnée. César venait juste d'installer son camp sur une hauteur dominant la vallée mais, en vieux renard, venait juste d'adopter une progression plus resserrée, en regroupant les six légions en tête de colonnes avec les "impedimenta" (bagages) précédant les deux légions fraîchement constituées. La colonne était encore étirée et les cavaliers de reconnaissance traversèrent le fleuve. La cavalerie belge passa à l'attaque pour faire diversion et fixer l'ennemi, le gros des troupes attendait caché à la lisière des bois de voir arriver le début du convoi des bagages. A ce moment-là, la forêt se mit à courir, passa la rivière et remonta vers le camp romain. César, débordé, reconnut dans son livre qu'il ne dut sa victoire qu'à l'expérience de ses capitaines qui surent pallier l'absence de commandement. Sur l'aile gauche des Romains, la 9ème et la 10ème légion firent face aux Atrébates et les refoulèrent sous une pluie de javelots jusqu'au fleuve. Les Viromandues devaient être logiquement sur le flanc gauche des Atrébates et affrontèrent la 8ème et la 11ème légion. Le combat était numériquement équilibré mais Rome figurait dans une catégorie de professionnels et les nôtres chez les amateurs. Nos combattants furent également repoussés jusqu'au fleuve. Sur la droite, les Nerviens firent un combat superbe et pénétrèrent même dans le camp retranché romain. La cavalerie errait, le flanc gauche était immobilisé, le front droit flanchait. Les cavaliers gaulois trévires, alliés de Rome, s'avisèrent que la paix des braves ne leur serait pas consentie et tournèrent casaque. César ne dut son salut qu'aux deux dernières légions qui vinrent rétablir la supériorité numérique qu'il s'était bien assuré depuis le départ. Dans aucune autre page de la conquête des Gaules, César n'avoua avoir été aussi près de la défaite et en opposition avec des combattants aussi héroïques. L'hécatombe fut à la hauteur de l'âpreté du combat et César présenta au peuple de Rome comme une largesse le fait de laisser la jouissance de leurs terres aux quelques survivants. A lire entre les lignes, chaque citoyen de la ville-éternelle comprenait que des terres innombrables se trouvaient vacantes. La fin de la campagne consista à asservir l'Artois et à confier tous les territoires à la puissance romaine. César faisait des campagnes dans un but simple : celui de mettre en place une administration qui devait lui rapporter cinq cent mille sesterces par an. Quoique la conversion soit hasardeuse, c'est un impôt de près de 50 millions de livres du 18ème siècle, près de 5 tonnes d'or, qui, bien sûr, allait peser beaucoup plus sur les petits perdants que sur les gros ou que sur les amis. En l'an 1994, soit 2061 années après, ne soyez pas étonné de constater que la Picardie et la Haute Normandie figurent toujours en tête du palmarès des contributions fiscales françaises ! . Le Vermandois, battu, n'avait que deux issues : payer régulièrement la rançon et tirer profit du nouveau monde auquel il était brutalement intégré. L'Empire romain offrait des opportunités nouvelles que les artisans des forges, les potiers et les agriculteurs entrevirent vite. Aux moins clairvoyants, les administrateurs laissés par l'armée de César expliquèrent comment produire plus et mieux. Il était, en effet de tradition que Rome donnât à ses légionnaires fidèles, issus des quatre coins de l'univers, des terres à titre de pension. De nombreux vieux brisquards de la septième et de la onzième armée obtinrent donc des terres. Ce n'étaient pas des agriculteurs et ne le deviendront jamais, mais, instruits de la dureté des citoyens romains pour les immigrants sans fortune, de la pusillanimité des chefs, et des plaisirs de la campagne comparés aux joies du régiment, ils s'implanteront véritablement chez nous. Une dimension inconnue chez les Celtes et les Gaulois pénétrait notre région pour la bouleverser. Le légionnaire à la retraite comme l'administrateur comprirent vite que le sol du Vermandois rapportait non pas du trois ou quatre mesures de blé par setier mais du sept voire du huit. C'était beaucoup plus qu'ailleurs et, de surcroît, les filles étaient belles. Les Romains conçurent ainsi cette notion de " panier " qui rassemblait l'actif, le passif et la situation nette de leur implantation en sol conquis. Le fiscus ( panier) devint de ce temps la mesure du prélèvement annuel sur le travail de l'agriculteur et l'incitation directe au rendement et à la productivité. Le fisc et la fiscalité, loin d'être un fléau moderne, ont leur place dès les premières pages de notre chronique et ne nous quitteront plus. Même le "fléau de Dieu" n'aura pas raison de lui, non plus que les cahiers des doléances de la Révolution. Comptable plus que conseil, pillard plus qu'ingénieur agronome, le Romain fit des agriculteurs de la région les plus productifs du monde et les plus imposés. Cette " valeur en terre", qui maintient sur notre humus les corbeaux plus fidèlement que sur tous les terroirs du monde, vient de ces temps lointains. Une pratique courante est de l'estimer par un "chapeau" lors des changements de propriétaire-exploitant. Les Romains la trouvaient naturelle et complémentaire de la rente, alors que les experts d'aujourd'hui se grattent encore la tête, sans doute moins bien faite que celles d'antan.. Lorsqu'en 52 avant JC, soit cinq années après l'arrivée des Romains, Vercingétorix interrogea les chefs de tribus du Vermandois sur leur ralliement à la coalition contre César, l'intégration des Romains était irréversible et nos hommes en armes ne figurèrent pas à Alésia. Notre région bénéficia de sa nouvelle position au coeur de l' Europe romaine du nord. Les villas, c'est à dire les grosses fermes se multiplièrent. Vermand abrita dans son oppidum et dans ses abords une garnison romaine chargée de protéger les frontières. Le Village d’ Astérix mais en vrai) |