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L'activité des rois fainéants en Vermandois.




"Qui sait ? Peut-être les Barbares n'ont-ils pu pénétrer dans l'Empire romain qu'afin que partout, en Orient et en Occident, les églises du Christ fussent pleines de Huns, de Suèves, de Vandales, de Burgondes, et d'autres peuples innombrables de croyants. Ne faudrait-il pas alors louer et célébrer la miséricorde divine, puisque grâce à notre ruine, tant de nations ont eu connaissance de la vérité, avec laquelle elles n'auraient pas été en contact autrement ?"
Ces questions posées par Orose au Vème siècle, nous le savons maintenant, étaient proprement prophétiques, et pourtant la prémonition pèche par angélisme. L'Empire romain n'avait jamais été une cité de Dieu sur terre et s' il avait pu apparaître la cité des hommes pour certains, c'était celle de " happy few" qui acceptaient un voile de l'épaisseur de la toile à peplum sur les appels de la conscience.
Sans Clovis, en effet, que serait devenu ce que nous savons du débat inauguré moins de 70 ans avant par Saint Augustin, sur la cité de Dieu et la cité des hommes. En exécutant devant toute son armée un soldat au nom du vase de Soissons, Clovis avait inséré une dimension nouvelle dans la fonction royale qui était inintelligible aux empereurs : le roi, aussi, avait à rendre des comptes à Dieu, à son fils et à son église. Ni Clovis, ni Orose, ni Rémi, ni Augustin ne pouvaient entrevoir un instant le monde qu'ils contribuaient à construire. Et pourtant tout se passa en un siècle obscur et de décadence !.
L'année où les terres franques allaient être partagées entre ses fils, les évêques de France se retrouvèrent en concile à Orléans en 511. Saint Rémi, Saint Vaast, Saint Gildard frère jumeau de Saint Médard, Saint Germain étaient là dans cette assemblée vénérable. Sophronie représentait le Vermandois.La qualité des participants aurait dû, en toute logique, résoudre des questions fondamentales de la foi et figurer parmi les grands conciles de la chrétienté , mais ce serait oublier qu'une Eglise demeure constituée d'hommes ressemblant plus à leur temps qu'à des images pieuses. Nos saints pères, évidemment inspirés par le Saint Esprit, décideront que les clercs seront nommés par le roi à l'exception des fils et petits-fils de prêtres...... songeaient-ils à la sainteté, ces évêques doués de sens du concret ? .
Cette décision, prise à une date charnière par des saints éminents, est totalement ignorée de tous les manuels de l' histoire, alors qu' aucune de nos cathédrales, aucun mur d' abbaye, même en ruine, n'est explicable sans ce rappel. Entre le concile d'Orléans et le célibat des prêtres, cinq siècles vont s'écouler, qui chacun, à sa manière, va conforter l'Eglise, créer les lignées de prélats et accroître ses richesses. En coupant les têtes des statues des saints à la Révolution, le peuple croyait s'attaquer à des symboles, il fut là aussi trompé, c'étaient bien les saints qui nichaient dans les porches et les voussures qui avaient édifié la puissance de l'Eglise, d'une Eglise ouverte à tous en principe !.
Les saints d'alors n'avaient pas les mêmes perspectives que nous, comme ne l'auront pas les fils de Clovis. Thierri, Clodomir, Childebert et Clotaire prirent dans l'ordre Metz, Orléans, Paris et Soissons. Clotaire, dernier fils de Clotilde, hérita du Vermandois, pièce centrale d'un territoire qui allait de Beauvais jusqu'à Liège, voire jusqu'au Rhin mais ces lointaines provinces n'étaient guère sûres et les villas, propres au séjour du prince, peu nombreuses. Clotaire mourut à Compiègne en 561 à 61 ans après une chasse en forêt de Guise. Sa vie est un morceau de choix pour ceux qui aiment les grands espaces, les femmes et l'existence frustre de gens simples. A l'exception de sa déclaration peu avant sa mort ( "Hélas ! quel pensez-vous que soit le roi du ciel, qui fait ainsi mourir de si grands rois sur la terre ? ) ", son oeuvre législative est des plus minces. Pourtant comme son père, il agrandira le royaume en battant les Thuringiens et en annexant la France du Sud-Est et sera l'ami d'un Saint que nous apprécions particulièrement puisqu'il fut l'évêque de Vermand : Médard. Dans le butin collecté en Thuringe par lui et par Thierri, son demi---frère, roi d'Austrasie, il ne sera pas trop exigeant et ramènera une jeune captive de 10 ans et son frère. Ils étaient neveux d' Hermenfroi, roi de Thuringe et valaient tous les trésors. Clotaire les installera dans une de ses villas préférées : Athies en plein coeur du Vermandois. La jeune Radegonde vécut là comme les jeunes filles de chez nous, occupée par les tâches ménagères et instruite des prières et des prêches de l'évêque de la ville voisine. Malgré le déracinement , le sang fut le plus fort : elle développa un port de reine et une vive intelligence qui subjugua Clotaire dès que Radegonde fut en âge d'être mariée. Le caractère d'une fille de Thuringe élevée dans une ferme de chez nous où la femme sait diriger les chevaux, planter, récolter le blé, tisser et préparer la bière ne peut se manipuler comme celui des filles des îles indolentes ou de l'Arabie. Radegonde s'enfuit d'Athies dès qu'elle eut connaissance du projet de mariage de Clotaire, qui n'avait rien d'un chevalier puceau et fringant, ayant déjà eu trois épouses . Radegonde invoqua son amour pour le Christ et son désir de rester vierge, disent les ouvrages religieux pour pensionnats de jeunes filles. Elle cédera pourtant aux pressions du roi et son mariage sera célébré très solennellement à Soissons. Reine, elle assuma parfaitement sa tâche et exerça une forte influence sur ce mari mal dégrossi. Dévouée pour les pauvres et les malheureux, elle fit construire un hôpital à Athies et aurait même, miraculeusement, fait sortir des fers les prisonniers des geôles de Péronne. Clotaire retrouvait une femme de la classe de sa défunte mère et en était heureux. Radegonde avait un tempérament de reine jusqu'à la perfection, au point même d'obtenir le divorce. Son mari avait fait tuer son frère pour des raisons qui ne nous sont pas connues et aussitôt, Radegonde fit comprendre qu'elle ne pouvait plus, en conscience, assumer son rôle de reine de France. Elle prit l'initiative d'aller à Noyon voir Saint Médard et de lui faire part de quitter son mari.Médard était expert dans le règlement de conflits portant sur des vols mais la demande de Radegonde n'avait pas encore de jurisprudence. Les couvents de femmes n'existaient pas. Par contre, l'église honorait la virginité et le dévouement total pour les autres. Les moines de Lérins commençaient à diffuser l'idée d'une existence possible à l'écart du pouvoir royal et pour le bien de tous. Médard hésita, dit-on, et finalement aida Radegonde à rejoindre Saint Martin à Marmoutier, l'abbaye qu'il avait créée. Son influence et sa raison tempérèrent la colère de Clotaire et Radegonde partit. Après Tours, elle fonda l'Abbaye de la Sainte Croix à Poitiers où grâce à sa sainteté et à sa reconnaissance comme reine, elle obtint du patriarche de Jérusalem la dépouille du bienheureux martyr, Saint Mammès et surtout de l'impératrice Sophie d'Orient, un morceau de la vraie croix.
Pour Poitiers, un autre enfant du pays, Charles Martel, lèvera dans le Vermandois tous les chevaliers nécessaires pour vaincre les chevaux de feu de l'Islam. Le péril représenté par l'envahisseur n' apparaissait pas à nos concitoyens mais l'oeuvre de Radegonde et le bout de la croix appartenaient à notre contrée ; les biens d'une femme de bien ont une valeur inestimable qu'aucun musulman ne comprendra jamais. L'arabe, convaincu de la supériorité d'une religion qui admettait la naissance miraculeuse du Christ, eut bien du mal à comprendre l'acharnement bestial de ses adversaires à défendre une communauté indépendante de femmes et un colifichet de bois vermoulu.
Grâce en soit rendue à Sainte Radegonde d'Athies, et fille de Thuringe, pays d'Allemagne qui souffrira autant que le nôtre des vicissitudes de l'histoire.Comme Saint Rémi, natif du pays , Saint Médard, né à Salency, joua un rôle déterminant auprès du roi. Sans l'avoir voulu, il déshéritera un peu notre région en installant l'évêché à Noyon en 531, après le pillage d'une bande de Vandales qui passait par là. Il est vrai que la place était plus >proche de son village natal mais, ce ne fut pas une cause suffisante. La proximité de la cour royale qui travaillait à cheval entre Compiègne, Soissons, était plus importante. De plus, Médard obtiendra de son roi l'évêché de Tournai , ce fut la consécration suprême des Francs et de l'Eglise qui n'avait jamais auparavant autorisé pareil cumul des mandats. Le regret de l'assoupissement de l'évêché du Vermandois doit être ici tempéré car, même résidante à Noyon, la circonscription épiscopale restera et demeurera celle du Vermandois. Médard l' avait voulu ainsi et aurait été bien désolé de la trahison dont nous l'accusons à tort. L'histoire du monde est pleine de ces destinées contraires à la volonté des hommes ; Médard serait d'ailleurs bien surpris de savoir que son nom figure sur la liste interminable des prénoms démodés, que sa place sur le calendrier n'intéresse que les maraîchers, jardiniers et les marchands de parapluies, enfin que le citoyen à l'évocation de Médard, tourne bien les yeux vers le ciel mais uniquement pour y apercevoir les nuages. Dans cet héritage involontaire, Médard pourtant n'aurait pas désavoué la "fête des rosières", cette fête des jeunes filles aux accents païens qu'il avait reconnue et autorisée dans son village natal de Salency. La rosière deviendra, grâce à lui, une de ces institutions merveilleuses, tellement simple, tellement belle que seuls les poètes, les peintres et les âmes pures peuvent en exprimer la perfection.
Dans le monde laissé par Clotaire et Médard, un sentiment de sage équilibre se laisse discerner. Les clercs enseignaient et défendaient la veuve et l'orphelin, les chevaliers respectaient Dieu et les hommes, et les paysans faisaient fructifier la terre. Au premier plan que restait-il à faire aux rois bénis de cette contrée ? .
L' historien révèle ici sa vraie nature, c'est un vampire, voyeur ou un idéologue fanatique, parfaitement incapable de comprendre que des rois trouvaient bon la chevauchée, la chasse et une transhumance éternelle entre les villas qui jalonnaient la terre.Ces rois n'étaient pas fainéants comme le jugea plus tard Eginhard pour justifier le coup d'état des pipinides contre les descendants de Clovis, mais simplement de bons gestionnaires, soucieux de ne pas favoriser trop cette économie monétaire qui avait déjà coulé l'Empire .
Faut- il ajouter qu'ils furent aussi fin diplomates !
Pendant cinq siècles, la paix règnera dans le Vermandois et dans les pays voisins. Les buttes resteront les principaux édifices militaires, les églises et les abbayes représenteront la société civile bien avant que les premiers châteaux forts ne sortent de terre.Parce que notre région ne revivra plus un temps de paix aussi long, une analyse s'impose. Clovis, roi de Tournai fit comme son fils Clotaire une guerre contre la Thuringe ; cette région centrale et riche de l'Allemagne fait de la sorte son entrée dans notre histoire. A chaque fois, les Francs trouvèrent sur le flanc-est des Ardennes un solide appui. Les habitants de cette région dont Trêves, ancienne cité impériale, était la métropole, affirmaient une parenté avec nos Francs français. Ils seront qualifiés de ripuaires car vivant sur les rives du Rhin, de la Moselle et de la Meuse. Clovis, qui épousa Clotilde la sainte sur les conseils avisés de Rémi, savait pouvoir compter sur l'amical soutien des ripuaires ; n'avait-il pas épousé en premières noces une princesse franque née au delà des Ardennes. D'elle, il aura son premier fils Thierri qui recevra naturellement Metz, Trèves et toute l'Austrasie. Clotaire, son demi-frère, prendra l'ascendant sur toute la fratrie et pourtant maintiendra Thierri dans ses possessions, lui laissant même la quasi totalité du butin sur les Thuringiens à l'exception de Radégonde.Cette entente entre Francs fut le ciment de l'Europe beaucoup plus que celle nouée avec les Burgondes et les Goths. Charlemagne la confortera car il comptera dans ses ancêtres plusieurs ripuaires mais il sera le seul unificateur physique. Les Francs allemands et les Francs de chez nous seront frères au sens plein du terme, sans abaisser l'un par rapport à l'autre. Ce n'est que bien plus tard, que les liens de fraternité seront oubliés ; les français revendiqueront des valeurs universelles pour dominer l'autre, les Francs de Germanie rappelleront que les Francs constituaient une race et que ce caractère imprimait une dépendance supérieure à la raison.
Les Francs pensaient moins et vivaient heureux, à l'instar de rois fainéants, modèles exemplaires pour les membres d'une société aspirant au bonheur et à la prospérité.




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