La pensée de Calvin , occultée pour des motifs d'extrémismes religieux, porte, pour les générations actuelles et futures ,témoignage des faits suivants :
1 : la distinction entre l'Etat, sa justice et pouvoirs, et la religion, résultat de mille années de chrétienté, est, pour Calvin, un fait établi qui n'est plus à remettre en cause,
2 : l'individu existe et est définitivement au centre de toute institution,
3: dés lors, l'expression littéraire s'adresse à chaque individu et s'appuie sur la clarté du langage juridique , illuminé par la foi.

On est évidemment là, très loin des idéologues marxistes , des théocrates et des mollahcraties .


Retour

L'Eglise et l'Etat

Chapitre 2O
Autorité spirituelle et autorité civile


1 Nous avons déjà montré que l'homme est soumis à deux autorités et nous avons traité à fond de la première, qui réside dans l'âme, ou dans l'homme intérieur, et concerne la vie éternelle. Il nous faut maintenant traiter de la seconde, qui concerne la justice civile et la conduite extérieure. Car bien que ce sujet semble éloigné de l'exposé , doctrinal de la foi chrétienne, qui constitue la matière de ce livre, son développement montrera que j'ai de bonnes raisons de l'y inclure, et, spécialement dans les circonstances présentes. D'une part en effet il y a aujourd'hui des gens forcenés et barbares qui voudraient renverser tout gouvernement, bien qu'il soit d'institution divine. Il y a d'autre, part ceux qui flattent le pouvoir et l'élèvent au-delà de toute règle et , de toute mesure, au-delà même de l'autorité de Dieu. Il faut combattre ces deux erreurs, toutes deux contraires à la pureté de la foi. ...
Certains, lorsqu'ils entendent affirmer que l'Evangile promet une liberté qui ne reconnaît ni roi ni maître parmi les hommes, mais n'est soumise qu'au Christ, pensent qu'ils sont privés des fruits de leur liberté dès lors qu'ils sont assujettis à un pouvoir quel qu'il soit. Ils s'imaginent donc que tout ira de travers si le monde entier n'est pas remodelé en une forme nouvelle où il n'y aura ni lois, ni gouverne ment, ni rien de semblable, choses qui selon eux portent atteinte à leur liberté. Mais celui qui saura faire la distinction entre le corps et l'âme, entre cette vie présente et transitoire et la vie à venir, qui est éternelle, comprendra sans peine que le royaume spirituel du Christ et le gouvernement civil sont des choses fort différentes. ...


2 Cette différence bien réelle ne doit pas nous faire rejeter le gouvernement civil comme une chose souillée, qui ne concerne nullement les chrétiens. Les illuminés de notre temps qui ne cherchent qu'une licence débridée, tiennent ce langage: puisqu'en Christ nous sommes délivrés des contraintes de ce monde et transportés dans le royaume de Dieu parmi les créatures célestes, c'est chose trop vile pour nous et trop contraire à notre dignité de nous abaisser aux soucis impurs et profanes concernant les affaires de ce monde, auxquelles les chrétiens doivent être étrangers. A quoi servent les lois, disent- ils, s'il n'y a ni tribunaux ni procès? Et en quoi les tribunaux concernent-ils le chrétien? Puisqu'il est interdit de tuer, qu'avons- nous à faire des lois et des jugements?
Mais si, comme nous venons de l'indiquer, l'autorité civile est tout autre chose que le règne spirituel et intérieur du Christ, nous devons savoir aussi que l'un n'exclut nullement l'autre. Car le règne du Christ, qui est spirituel, nous donne dès cette terre un avant-goût du royaume des cieux, et dès cette vie mortelle et transitoire un avant- goût de la béatitude immortelle et incorruptible. Mais le but du gouvernement civil est de favoriser et de soutenir le culte public, de maintenir la pure doctrine, de sauvegarder l'intégrité de l'Eglise, de nous astreindre à l'équité que requiert la société des hommes pour le temps que nous avons à vivre parmi eux, de conformer nos mœurs à la justice civile, de nous faire vivre dans la concorde, d'entretenir parmi nous la paix et la tranquillité.
Ces choses, je l'avoue, sont superflues si le règne de Dieu est à ce point présent en nous qu'il nous arrache à la vie présente. Mais si la volonté du Seigneur est que nous cheminions sur cette terre tout en aspirant à notre vraie patrie, et si de telles aides sont nécessaires à no- tre voyage, ceux qui veulent en priver les hommes les privent en même temps de leur nature humaine. Lorsqu'ils prétendent qu'il doit y avoir dans l'Eglise de Dieu une telle perfection qu'elle rend toutes les lois inutiles, ils imaginent follement une perfection qu'on ne saurait trouver dans une société humaine. Car, puisque l'insolence des méchants est si grande et leur faculté de nuire si rebelle qu'on a grand mal à y mettre ordre par toute la sévérité des lois, que ne devons-nous pas attendre d'eux si on leur donne toute licence de mal faire alors que la force même ne peut qu'à grand peine les empêcher de nuire?


3 Le gouvernement civil est aussi nécessaire aux hommes que le pain, l'eau, l'air et le soleil; et il l' emporte en dignité sur ces choses. Car il ne concerne pas seulement la nourriture, le breuvage et la subsistance des hommes, bien qu'il les leur assure en leur permettant de vivre ensemble; mais en plus de cela, il s'oppose à l'étalage public et à la propagation des blasphèmes contre le nom de Dieu et contre sa vérité, et autres scandales d'irréligion. n assure la tranquillité publi- que et protège les biens et les personnes. n permet aux hommes d'avoir des relations exemptes de fraude et de nuisance et de vivre dans l'honnêteté et la décence. En bref, il assure aux chrétiens le libre exercice du culte public et permet aux hommes de vivre humaine- ment.
n ne doit pas sembler étrange que j'attribue maintenant au gou- vernement civil un contrôle sur la religion que j'ai semblé aupara- vant placer au-delà des juridictions humaines. En fait, je ne permets pas maintenant aux hommes plus que je ne l'ai fait auparavant de forger à leur gré des lois touchant à la religion et à la manière d'ho- norer Dieu. Je trouve bon néanmoins qu'une ordonnance civile veil- le à empêcher que la vraie religion contenue dans la loi de Dieu soit publiquement blessée et souillée par une licence impunie. D'ailleurs, si nous traitons maintenant en détail chacun des aspects du gouver- nement civil, il s'en dégagera une notion d'ordre qui donnera aux lecteurs une vue plus claire de l'ensemble.
Trois éléments sont à considérer: les autorités, qui sont les gardien- nes des lois; les lois, sur lesquelles repose le pouvoir des autorités; et les citoyens, qui doivent être gouvernés par les lois et obéir aux auto- rités. Nous examinerons pour commencer la fonction du gouverne- ment: nous verrons s'il s'agit d'une vocation légitime, ratifiée par Dieu, et nous dirons quels sont les devoirs de cette fonction et les li- mites de son pouvoir. Nous verrons en second lieu par quelles lois doit être gouvernée une collectivité chrétienne. Nous dirons enfin quel avantage les citoyens tirent des lois et quelle obéissance ils doivent aux autorités.

Fonction des autorités civiles.

4 Notre Seigneur a non seulement attesté qu'il approuvait la fonc­tion des autorités, mais au surplus il en a souligné la dignité en la recommandant par les qualificatifs les plus honorables. ... On ne peut donc douter que la puissance publique joue un rôle à la fois saint et légitime devant Dieu, un rôle entre tous honorable et sacré.

6 C'est à quoi les autorités doivent constamment penser, car cette considération peut les aignuillonner à faire leur devoir et peut aussi leur apporter une merveilleuse consolation pour leur faire prendre en patience les difficultés et les vexations qu'elles ont a supporter dans l'exercice de leurs fonctions. A quel haut degré d'intégrité, de pru­dence, de clémence et de modération ces hommes ne doivent-ils pas s'astreindre quand ils ont conscience d'être les serviteurs de la justice divine? Et comment oseraient-ils laisser l'iniquité se glisser jusqu'à leur siège s'ils comprennent qu'il est, en quelque sorte, le trône du Dieu vivant? Comment auraient-ils l'audace de laisser tomber une sentence injuste de leur bouche alors qu'ils savent qu'elle est l'orga­ne de la vérité de Dieu? Et comment signeraient-ils quelque mauvai­se ordonnance de leur main s'ils songent qu'elle a mission d'écrire les arrêts de Dieu? En bref, s'ils se souviennent qu'ils sont les délé­gués de Dieu, ils ne peuvent que consacrer tout leur effort et tout leur soin à présenter aux hommes dans toutes leurs actions une image de la sollicitude, de la bonté, de la douceur et de la justice de Dieu. ... S'ils manquent à leur devoir, ils font tort non seulement aux hommes qu'ils tourmentent injustement, mais aussi à Dieu, dont ils souillent les jugements sacrés. ...

8 Pour de simples citoyens sans responsabilité dans les affaires publiques, ce serait une occupation assez vaine de discuter sur la meilleure forme de gouvernement. Il est au surplus téméraire de juger de ces choses dans l'absolu, puisqu'elles sont avant tout soumises aux circonstances. Et quand bien même on comparerait les formes de gouvernement abstraction faite des circonstances, il ne serait pas fa­cile de discerner laquelle serait la plus utile, tellement leurs avantages se balancent. On distingue trois sortes de gouvernement civil: la mo­narchie, qui est le gouvernement d'un seul, qu'il se nomme roi, duc ou autrement; l'oligarchie, où le pouvoir appartient aux principaux personnages d'un pays; et la démocratie, où le pouvoir appartient au peuple dans son ensemble.Il est bien vrai que le roi ou le prince qui détient le pouvoir se laisse aisément glisser à la tyrannie. Mais il est tout autant à craindre, là où l'aristocratie domine, que quelques-uns conspirent à édifier une do­mination inique; et le passage est plus facile encore de la démocratie au désordre. En fait, si l'on compare les trois sortes de gouvernement que j'ai énumérées, un gouvernement garantissant les libertés popu­laires sera préférable aux autres, non en lui-même, mais parce que ce n'est que par exception, et presque par miracle que les rois se gouver­nent si bien que leur volonté ne quitte jamais le droit chemin. ... En raison de l'imperfection des hommes la sorte de gouvernement la plus acceptable est celle où plusieurs se partagent le pouvoir en s'épaulant et en s'exhortant mutuellement. Si l'un d'eux s'élève trop haut, les autres le reprendront et le maîtriseront. ...De fait, la meilleure forme de gouvernement est celle qui assure à la fois la liberté, l'ordre et la stabilité. Ceux qui jouissent d'un tel régime sont heureux et ils ne font que leur devoir s'ils s'emploient constamment à le maintenir. Et ceux qui gouvernent un peuple libre doivent veiller avec zèle à ne laisser nullement s'amoindrir la liberté du peuple, que leur fonction est de protéger. S'ils la défendent mollement ou la laissent se dégrader, ils manquent à leur devoir et trahissent leur pays. Mais que ceux qui, par la volonté de Dieu, vivent sous l'autorité d'un prince ne tirent pas argument de ce que je dis pour envisager une révolte ou un bouleversement. Ce serait une pensée non seulement déraisonnable et vaine, mais réellement criminelle. Si nous ne limitons pas notre regard à une ville, mais considérons le monde dans son ensemble, ou du moins, si nous examinons plusieurs pays, nous penserons que ce n'est pas sans l'intervention de la providence divine que la diversité des gouvernements répond à la diversité des pays. De même que les éléments de l'univers sont associés en proportions très inégales, l'équilibre de l'ensemble est assuré par la diversité des gouvernements. ..

9 Il convient maintenant de définir en bref quels sont, d'après la Parole de Dieu, la nature et le fondement de l'autorité civile. Si l'Ecriture n'enseignait pas que cette autorité s'étend aux deux tables de la Loi, nous pourrions le savoir par les écrivains profanes, car nul d' entr' eux n'a traité du rôle des gouvernants, de l'élaboration des lois ou de la conduite de l'Etat sans parler d'abord de la religion et du service de Dieu. Ce faisant, tous ont reconnu qu'un gouvernement ne peut avoir d'heureux effets en ce monde s'il ne veille d'abord à ce que Dieu soit honoré; et que les lois qui négligent l'honneur de Dieu pour ne s'occuper que du bien des hommes mettent la charrue avant les bœufs. ... Quant à la seconde table, Jérémie invite les rois à exercer le jugement et la justice, à délivrer de la main de l'oppresseur celui à qui on fait violence, à ne pas faire tort à l'étranger, à la veuve, à l'orphelin, à se garder de pratiquer l'injustice et de répandre le sang innocent . ... Nous voyons donc que ceux qui gouvernent ont mission de protéger et de maintenir la tranquillité, l' honnêteté et l'innocence>, et qu'ils doivent s'employer à assurer la paix et la sécurité de tous. La justice consiste à défendre les innocents, le jugement, à résister à l'audace des malfaiteurs, à réprimer leurs violences et à punir leurs crimes.
10 Ceci soulève une question importante et difficile. Si la loi de Dieu interdit aux chrétiens de tuer, comment les magistrats peuvent­ils, sans manquer à la piété, faire couler le sang d'un homme ? Mais si nous comprenons que lorsqu'il punit le magistrat n'agit pas par lui-même mais ne fait qu'exécuter les jugements de Dieu, ce scrupule cessera de nous tourmenter. ... Le magistrat doit cependant se garder de deux erreurs: il doit éviter une sévérité excessive qui, au lieu de guérir causerait des blessures; et éviter la superstition de vouloir passer pour clément à tout prix et de se montrer cruel par affectation d'humanité, en laissant tout aller par sa mollesse, au grand dommage de tous. Car ce n'est pas sans raison qu'on a dit qu'il ne fait pas bon vivre sous un prince sous lequel rien n'est permis, mais qu'il est bien pis de vivre sous un prince qui laisse tout à l'abandon. ...

11 Attendu qu'il est quelquefois nécessaire aux rois et aux peuples de recourir aux armes pour châtier les coupables, nous pouvons, pour la même raison, estimer légitimes les guerres entreprises pour châtier les agressions. Car ayant reçu leur pouvoir pour préserver la tranquillité de leur territoire, pour réprimer les agressions des hommes amis des querelles et ennemis de la paix, pour secourir les victimes de la violence, pour châtier les coups de force, pourraient-ils faire un meilleur usage de ce pouvoir qu'en rompant et abattant les efforts séditieux qui troublent le repos de chacun et la tranquillité commune de tous par des émeutes ou des actes de violence et d'oppression ? Etant les gardiens des lois, ils ont pour rôle de briser les efforts de tous ceux dont l'injustice ébranle l'autorité des lois. Et si c'est à bon droit qu'ils punissent les brigands qui n'ont fait tort qu'à peu de personnes, doivent-ils laisser perpétrer des actes de briganda­e étendus à toute une province sans s'y opposer ?. Peu importe que celui qui se jette sans raison sur le territoire d'autrui pour s'y livrer au pillage et au meurtre soit roi ou homme de peu. Tous ceux qui agissent ainsi doivent être tenus pour des brigands et punis comme tels. La nature elle-même nous enseigne que le devoir du prince est d'user du glaive non seulement pour punir les fautes des particuliers mais aussi pour la défense du pays qui lui est confié s'il est victime d'une agression et le Saint-Esprit affirme dans l'Ecriture que de telles guerres sont légitimes.

12 Si on m'objecte qu'il n'y a dans le Nouveau Testament ni témoignage ni exemple prouvant qu'il est permis aux chrétiens de faire la guerre, je réponds que la raison qui justifiait anciennement la guerre est encore valable aujourd'hui, et qu'il n'existe aucune raison qui puisse empêcher les princes de défendre leurs sujets. Je dis aussi qu'il n'y a pas lieu de chercher une déclaration concernant cette question dans la doctrine des apôtres, dont le dessein n'était pas d'organiser des gouvernements civils mais de décrire le royaume spi­rituel du Christ. Je dis enfin que la lecture du Nouveau Testament suggère que la venue de Jésus-Christ n'a rien changé sur ce point. Car, comme le dit saint Augustin, si la doctrine chrétienne condamnait toutes les guerres, Jean-Baptiste aurait conseillé aux soldats qui lui demandaient ce qu'ils devaient faire de jeter leurs armes et de renoncer entièrement au métier militaire. Or il leur a seulement recommandé de ne faire ni violence ni tort à personne et de se contenter de leur solde. ... Mais les gouvernements doivent prendre bien garde de s'abstenir de colère et de haine. ". S'il leur faut prendre les armes contre des ennemis, ... ils ne doivent pas rechercher un prétexte facile, et même si un motif de guerre se présente ils doivent l'écarter s'ils ne sont pas contraints par une urgente nécessité. ". Il faut certainement épuiser tous les autres moyens avant de recourir aux armes. ...La légitimité de la guerre entraîne celle des garnisons, des alliances et des armements...........


13    Pour en terminer sur ce point, je crois utile d'ajouter que les tributs et impôts que perçoivent les princes constituent un revenu légitime. Ils doivent néanmoins les utiliser principalement pour financer des dépenses de l'Etat, quoiqu'ils puissent légitimement en employer une partie à soutenir un ample train de vie, qui doit, en quelque sorte, s'accorder avec la dignité de leur fonction. ... Il est vrai d'autre part que les princes doivent se souvenir que leurs finances ne sont pas tant des revenus privés que des moyens à consacrer au bien de tout le peuple, ainsi que le dit l'apôtre Paul, et qu'ils ne peuvent en user avec prodigalité sans faire tort à la population. Mieux encore, ils doivent considérer que ce revenu est vraiment le sang du peuple et qu'il est cruellement inhumain de ne pas l'épargner. Ils doivent considérer que les taxes et impôts qu'ils perçoivent sont faits pour répondre aux besoins de l'Etat et que c'est tyrannie et pillage d'en surcharger sans cause le pauvre peuple. Ces considérations devraient détourner les princes du faste et de la prodigalité. ...