Quand le sous-préfet de
Saint-Quentin ordonnait de détruire
les affiches bouillon
Kub en 1914
Les guerres ne sont pas supportables si les citoyens comme les militaires, poilus et enterrés dans les tranchées ,
n'ont pas leur bol de soupe quotidienne.
Mais la République veille et ose même se tromper de soupe ! Voyez la vraie histoire !
Le 4 août 1914, alors
que la guerre vient d'éclater, le sous-préfet de
Saint-Quentin envoie un télégramme à
plusieurs maires leur demandant de détruire les affiches
bouillon Kub de Maggi. D'après la rumeur, la société,
pourtant suisse, espionnerait pour le compte des Allemands.
Anciennes boîtes en
fer bouillon Kub • © Pixabay
Saint-Quentin
La demande peut paraître
insolite. Un
télégramme envoyé le 4 août 1914, par
le sous-préfet de Saint-Quentin à cinq maires des
communes alentours. L'objet, très
officiel : "faire détruire complètement
immédiatement affiches du bouillon kub."
Télégramme
adressé aux maires de certaines communes de
l’arrondissement de Saint-Quentin relatif à la
destruction des affiches du bouillon Kub. Document conservé
aux archives de Villeret. • © Archives de
l'Aisne
Alors que la guerre vient
d'éclater, on peut légitimement se demander si les
services de l'Etat n'ont pas d'autres préoccupations que
les affiches publicitaires des bouillons Kub...
Il faut
dire que le contexte est propice aux rumeurs les plus folles et
la société Maggi, qui vend lesdits bouillons, en
fera les frais. À l'époque elle est accusée
d'espionnage pour le compte des Allemands, alors que rien ne
permet de l'affirmer.
Une histoire de "K"
La société
Maggi a été créée par Julius Maggi un
suisse d'origine italienne. La marque, qui voit le jour en 1885,
connaît un grand succès grace à la
fabrication de condiments, soupes mais aussi de lait. En 1903, la
première laiterie est d'ailleurs ouverte
à Saint-Omer-en-Chaussée dans l'Oise.
La laiterie Maggi à
Saint-Omer-en-Chaussée dans l'Oise •
La société
commercialise ensuite les fameux bouillon Kub à partir de
1907. Bon marché, "10 centimes pour un litre
de bouillon" selon son slogan publicitaire, le
bouillon Kub devient rapidement un incontournable des cuisines.
Maggi devient même le fournisseur officiel de l'armée
française.
Un succès qui ne laissera
pas ses concurrents indifférents. Si bien que la société
fera l'objet des rumeurs les plus folles, relayées par
l'Action française, parti d'extrême droite.
Pour
assimiler le bouillon Kub aux Allemands, l'opinion publique se
base sur une seule lettre : le K de Kub, à consonance
germanique dira-t-on. Probablement le K de kaiser, qui signifie
empereur en allemand. En réalité, Julius Maggi
aurait bien voulu utiliser un "c" mais le tribunal de
commerce ne lui en a pas donné l'autorisation.
Des messages codés
En 1914, les affiches
bouillon Kub sont alors considérées comme de la
propagande allemande. Pire, elles seraient en réalité
des messages codés pour faciliter leurs opérations
militaires. Les bouteilles de lait de la marque Maggi sont
également prises pour cible. Elles auraient été
empoisonnées et Julius Maggi se serait enfui avec
plusieurs millions sous le bras, alors que le patron de la
société est décédé en
1912...
La rumeur prend une telle ampleur que le
ministère de la Défense envoie donc un
télégramme aux préfets ordonnant la
destruction des affiches publicitaires "placées
le long des voies ferrées et particulièrement aux
abords des ouvrages d’art importants, viaducs,
bifurcations." Le sous-préfet de
Saint-Quentin est lui plus radical, puisqu'il s'agit de détruire
toutes les affiches. Au moins, il ne prend pas de
risque.
Conséquences pour la société
Maggi, plusieurs de ses magasins seront sacagés et elle
verra la vente de ses produits chuter considérablement.
Une décision de justice en 1916 confirme sa nationalité
Il faudra alors
attendre1916 pour qu'une décision de
justice vienne rétablir la vérité
: "certains concurrents, profitant d'un moment
d'émoi, cherchèrent par une campagne aussi
déloyale, qu'odieuse à faire considérer la
Société du Bouillon Kub comme une maison allemande
et réussissent à faire désigner des
séquestres dans quelques localités, non sur la
société elle-même, mais sur du matériel
ou des sommes minimes dues par des clients, peut-on lire
dans le document
conservé aux archives de Paris. Mais,
au vu des documents et justificatifs produits par la Société
du Bouillon Kub, la cour d'appel de Montpellier et les tribunaux
ci-après désignés ont jugé que la
Société du Bouillon Kub ne comportait aucun intérêt
ou participation austro-allemande, que ses capitaux étaient
exclusivement français et suisse et ses administrateurs
également français et suisses."
Ironie du sort, les Poilus
continuaient quand même à consommer le bouillon Kub
dans les tranchés. Il ne tardera pas après la
guerre à retrouver son succès. Aujourd'hui encore,
le célèbre bouillon est vendu dans le monde
entier.