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  DIX JOURS DE BATAILLE SUR LA SOMME
(DU 1 er AU 10 JUILLET)

Comment se prépare une offensive dans la guerre d'aujourd'hui, comment s'engage une bataille parfaitement préparée quand ce sont des soldats comme les nôtres qui exécutent les plans du haut commandement, on ne l'avait pas encore exposé avec autant de précision et de clarté que dans ce récit autorisé des dix premières journées de l'offensive de la Somme: Le ler juillet, en liaison avec les troupes britanniques, l'armée française a engagé la bataille, au Nord et au Sud de la Somme, sur un front de 16 kilomètres environ, et elle a atteint en quelques heures les objectifs fixés par le commandement. Depuis, elle n'a pas cessé de poursuivre des progrès méthodiques, car c'est la caractéristique de ces opérations que la méthode et la minutie avec lesquelles elles ont été conduites. Les Allemands imaginaient que la puissance de leur offensive contre Verdun nous avait interdit de monter contre eux une action redoutable ; ils s'étaient flattés d'avoir affaibli le " principal adversaire " assez pour briser les plans de la coalition; ils prétendaient, ne rien redouter des entreprises des Alliés. Mais pendant qu'ils frappaient aux portes de Verdun, où ils ne pouvaient plus trouver qu'une illusion de victoire, des coups désespérés, le 'Commandement français, sans détourner son attention de la Meuse, leur préparait sur la Somme une autre bataille. L

LA PRÉPARATION
Ce qu'a été cette préparation, il serait impossible de le représenter dans le détail tant la guerre est aujourd'hui une chose formidable et minutieuse. La plus puissante entreprise industrielle n'approche pas en complexité une opération militaire de grande envergure. Concevoir un plan offensif, choisir le terrain sur lequel on le réalisera, décider des effectifs nécessaires et de leur conduite n'est qu'une partie de la tâche. Il faut encore, sur le terrain choisi, une mise en oeuvre qui exige des semaines de travaux; il faut connaître les systèmes de défense de l'adversaire, les étudier, mettre en place les engins de destruction, préparer les voies à l'infanterie, assurer les ravitaillements et les liaisons, nuire à ceux de l'ennemi, prévoir et décider, réduire enfin à l'extrême limite le rôle du hasard. Jamais, sans doute, ce travail d'organisation n'avait été poussé aussi loin que dans la Somme. L'arrière, durant quatre mois, a été un chantier où s'accomplissait une immense besogne. Des routes anciennes ont été élargies, d'autres nouvelles ont été tracées et le débit de ces routes était encore augmenté dans des proportions considérables par la construction des chemins de fer à voie normale et à voie étroite. Pour entretenir routes et voies, on a ouvert des carrières, on les a exploitées. On a organisé tout un système de charrois. On a installé des dépôts de munitions et de matériel en creusant dans le flanc des collines; on a multiplié les abris, on a placé auprès de toutes les voies les postes de secours et les ambulances; on a bâti des ponts et des passerelles. En certains endroits, le travail de l'homme a changé la physionomie du pays. Et ce n'est pas tout que le terrassement dans la préparation d'une offensive. Il convient d'interdire à l'ennemi la vue de son travail tandis qu'on connaît le sien. C'est l'affaire de l'aviation et des observateurs. Défense aux appareils allemands de franchir nos lignes, défense aux drachens d'observer, tel était le programme. Il a été réalisé d'une manière remarquable. Tandis que les pilotes français remplissaient librement leur mission, les aviateurs allemands ne parvenaient pas à s'acquitter de leur tâche. En cinq jours, dans l'armée anglaise et dans la nôtre, une quinzaine de drachens étaient abattus, et les remplaçants n'ont plus tenté depuis que quelques ascensions timides bientôt interrompues par l'arrivée d'un appareil aux couleurs françaises et anglaises. L'observation directe et la photographie nous ont ainsi permis d'être fixés sur les défenses allemandes et d'apprécier les résultats des tirs de l'artillerie. Chaque soir, dans l'armée, une carte était dressée représentant l'état des tranchées ennemies et les progrès de la destruction. Au jour le jour, la préparation d'artillerie était suivie de la plus exacte manière. On savait où elle était complète et là où il convenait de la reprendre;le commandement s'assurait du travail; il avait donné l'ordre formel de ne lancer l'infanterie que sur un terrain favorable à ses progrès; De même, le rôle des artilleries de tous calibres avait été longuement étudié. Batteries de campagne, batteries lourdes, artillerie lourde a grande puissance, artillerie lourde à voie ferrée, chacune connaissait sa mission particulière. Celle-là détruisait les fils de fer, celle-là les tranchées, cette autre ruinait les villages et leurs caves organisées et cette autre encore battait les points de passage et de rassemblement. Toutes les leçons, toutes les expériences, les nôtres comme celles des Allemands, avaient servi à l'élaboration d'une méthode toujours en perfectionnement. Les systèmes de liaison et de signalisation avaient été mûrement étudiés. Panneaux, fanions, télégraphe optique, signaux spéciaux, fusées, flammes de Bengale, tout avait été mis en oeuvre et fonctionna à souhait. Rien n'égala l'avion d'infanterie qui, survolant souvent entre 200 et 100 mètres la ligne de bataille, renseigna constamment d'une manière impeccable sur les positions tenues. Et il faut passer sur la télégraphie sans fil et le téléphone, ces autres auxiliaires du commandement. Dans l'ensemble, jamais on n'était parvenu à une liaison aussi heureuse, à une entente aussi complète entre l'artillerie et l'infanterie. Une phrase d'un message adressé le 1er juillet, après la conquête de la première position allemande, par un officier observateur d'artillerie, la résume: " L'infanterie a été très satisfaite du concours de l'artillerie." Mieux, les fantassins ont été enthousiasmés par " le travail des artilleurs. L'attaque pouvait être lancée avec les meilleures chances de succès.

 


OPERATIONS AU NORD DE LA SOMME
A 7 h. 30 du matin, le 1er juillet, le corps français chargé d'opérer au Nord de la Somme, en liaison avec l'armée britannique, partit à l'attaque. Il avait à conquérir sur un front de 5 kilomètres environ les premières positions allemandes, faites de trois et quatre lignes de tranchées, reliées par des boyaux nombreux avec des boqueteaux organisés et le village fortifié de Curlu. L'élan fut ce qu'on pouvait attendre de ces troupes d'élite à qui cinq jours d'une préparation d'artillerie intense avaient donné une extraordinaire confiance. D'un bond, les ouvrages allemands furent emportés. En escaladant, à l'Est du village de Curlu, les pentes d'une falaise crayeuse baptisée le « chapeau de gendarme », les soldats de la classe 16 qui voyaient le feu pour la première fois agitaient leurs mouchoirs et criaient: " Vive la France! " On arriva aux premières maisons de Curlu et, comme on pénétrait dans le village, des mitrailleuses installées aux abords de l'église se dévoilèrent. Selon les ordres du commandant, on stoppa aussitôt pour reprendre la préparation. Une demi-heure durant, de 18 heures à 18 h. 30, l' artillerie de destruction fut mise sur le village. A la nuit, l'infanterie française était complètement maîtresse de la place et y repoussait trois contre-attaques parties de la direction d'Hardecourt et fauchées par nos barrages. Les trois journées suivantes furent d'installation et d'organisation. Le 5 juillet à 7 heures du matin, les fantassins du 20e corps attaquaient de nouveau afin de conquérir le village de Hem et le plateau au Nord. A 8 h, 30, les tranchées allemandes jusqu'aux abords de la route de Péronne étaient occupées. A 10 h 55, nous étions en possession de la plus grande partie de Hem; à 19 heures, les dernières maisons où quelques troupes avaient essayé de résister étaient libres d'ennemis. Nous occupions également, en dépit des efforts des Allemands, les petits bois du mouvement de terrain au Nord de Curlu. Durant ce temps, nos vaillants alliés britanniques soutenaient à notre gauche de très durs combats. Ils avaient successivement emporté Mametz, Montauban et le bois de Bernafay. Le 7 juillet au matin, ils annoncèrent qu'ils attaqueraient le lendemain le bois des Trônes, voisin de nos lignes. Le général commandant la division française qui opérait à côté d'eux jugea que c'était un acte de "camaraderie militaire " de marcher à la bataille avec nos alliés et il marcha. Le 8 juillet, à 10 h 10, ses fantassins sortis de leurs tranchées à 9 h. 30 avaient occupé et dépassé Hardecourt-aux-Bois et y rejetaient deux contre-attaques débouchant de Maurepas. A 14 h 20, les Anglais, qui s'étaient élancés pour la seconde fois avec un superbe courage sur les ouvrages allemands, prenaient les deux tiers du bois des Trônes. Ils avaient été appuyés dans leur mouvement par le feu de notre artillerie, et la journée méritait de demeurer comme le témoignage d'une fraternité d'armes resserée chaque jour devant l'ennemi commun. Depuis cette date, tandis que l'armée anglaise poursuivait de brillants succès, les troupes françaises au Nord de la Somme ont organisé leurs conquêtes et préparé le terrain pour les combats futurs.

OPÉRATIONS AU SUD DE LA SOMME
Au Sud de la rivière, des abords de Frise jusqu'en face du village d'Estrées, c'est à 9 h,30 du matin, seulement que fut lancée l'attaque du 1er juillet. Comme dans le secteur Nord, elle atteignit en quelques heures tous les objectifs fixés. Comme au Nord, l'entrain des troupes avait été remarquable, le travail de l'artillerie si complet qu'il n'était pas un mètre de terre de la première position allemande qui n'ait été battu et retourné par les explosifs. Les villages étaient décombres; le sol et les tranchées, un chaos. Les troupes coloniales s'étaient jetées en avant avec leur ardeur coutumière, et, cependant cette ardeur avait été réfléchie et méthodique, partout contenue par la prévoyance des chefs. Plus au Sud, on avait vu des régiments d'une autre origine, faits de réservistes bretons, courir à l'Allemand avec un entrain de jeunes gens. Maintes fois dans cette guerre, ils avaient fait leurs preuves et déjà ils s'étaient distingués à Quennevières à côté des zouaves; mais on aurait pu imaginer que ces hommes à l'allure calme, accoutumés certes à vivre sous les bombardements constants et prêts à tous les sacrifices, n'auraient plus, pour se transformer en vaillants rapides, les moyens de la jeunesse. C'eût été ne pas connaître les ressources extraordinaires de leurs tempéraments. Selon ce qu'avait déclaré aux premiers mois de la guerre le général en chef, ces hommes ont prouvé qu'il n'y a pas de différence entre les troupes actives et la réserve. Ces vétérans ont marché comme les recrues de la classe 16. A 9 heures, ils ont fait demander à leurs chefs de partir en chantant la Marseillaise; à 9 h. 30, ils se sont élancés par sections alignées, comme à la manoeuvre. Le soir du 1er juillet, la première position allemande, depuis les abords de Frise jusqu'aux lisières d'Estrées, était enlevée. Les villages de Dompierre, Becquincourt et Fay étaient occupés par les Français et la progression continuait avec la méthode fixée : destruction par l'artillerie, action de l'infanterie, occupation du terrain, organisation. Le 2 juillet, dans le secteur Sud, l'infanterie s'avançait en fin de matinée pour déborder Frise; à midi le village était à nous; on y découvrait une batterie de 77 en bon état, et nos troupes, poursuivant leur mouvement, atteignaient la corne Nord-Est du bois de Méreaucourt, tandis que les éléments voisins, ayant enlevé en quelques minutes la tranchée allémande reliant ce même bois au village d'Herbécourt, l'encerclaient complètement. Plus bas, Herbécourt avait été débordé par le Nord; une compagnie avait traversé le village par la rue principale, une autre s'était installée aux lisières Est où, une heure après le départ de l'attaque, des feux de Bengale brûlaient sur les ruines de la dernière maison. A la nuit, nous tenions l'ensemble du système de défenses entourant Herbécourt et le reliant au point d'appui d' Assevillers, aux abords duquel nous étions établis. Plus au Sud, poursuivant nos progrès devant Estrées, nous enlevions un bois transformé en réduit. Assevillers et Flaucourt étaient à nous le 3. Le 4 au matin, des patrouilles de cavaliers s'avançant jusqu'auprès de Barleux avaient signalé une forte occupation. Malgré la résistance acharnée des Allemands, la légion étrangère emportait, le 4, Belloy-en-Santerre et les troupes voisines occupaient Estrées. Le 5 fut une journée de contre-attaques. Mais, aussi bien contre Belloy que contre Estrées, les efforts de l'ennemi, qu'ils fussent de nuit ou qu'ils fussent de Jour, ont été inutiles. Ils n'ont pas arrêté l'exécution de notre programme. Le 9 juillet, le village de Biaches était pris, le 10 nous tenions la Maisonnette, le meilleur observatoire de la région, d'où l'on voit tout ce qui se passe du côté de Péronne et le bois au Nord. Les pertes allemandes avaient été énormes. Dans la seule région de Biaches, un régiment entier a été exterminé; un bataillon d'un autre régiment a eu le même sort. D'innombrables cadavres sont demeurés sur le terrain. Au Sud, la progression française a été moins profonde et nous nous sommes cantonnés aux environs d'Estrées. Mais la part des troupes de ce secteur, dans la bataille, n'a été ni moins honorable, ni moins importante que celle de leurs voisines. Elle a été exactement ce qu'a voulu le commandement. Depuis le 2 juillet, notre front marque à la sortie de Foucaucourt un rabattement sur la route Amiens-Saint-Quentin entre Foucaucourt et Estrées, et ce rabattement a été exécuté par une brillante manoeuvre. Sortir des tranchées face à l'Est, amorcer le mouvement tournant face au Sud, c'était permettre aux troupes plus au Nord de continuer chaque jour leur avance; c'était, si elles devaient stopper, les garantir de toute surprise. Mais c'était aussi, pour ceux qui recevaient ce rôle, rester sous la menace des batteries éloignées puisque l'objectif était ici plus limité, et s'exposer encore au feu d'enfilade des batteries du Sud; c'était la contre-attaque de flanc possible dans un mouvement tournant; c'était enfin un problème tactique difficile et une opération indispensable à réussir. L'opération a réussi parce qu'elle a été conduite avec une parfaite méthode, et les troupes qui l'ont exécutée sont prêtes pour de prochains combats. Ainsi, en moins de quinze jours, les troupes françaises ont pu, sur 16 kilomètres de front et une profondeur maxima de 10 kilomètres, enlever aux Allemands 80 kilomètres carrés d'organisations de tous genres: tranchées, villages fortifiés, carrières pareilles à des forteresses, bois transformés en réduits. Elles ont déjà trouvé sur le champ de bataille 85 canons dont plusieurs de gros calibre, une centaine de mitrailleuses, 26 minenwerfers, un matériel considérable; et un butin impossible à évaluer demeure sur le terrain conquis. Elles ont pris 235 officiers et 12.000 hommes... Et c'est le commencement de la bataille.


Sur le front britannique avant l'offensive

Un abri en seconde ligne



Le général Pertab Singh et des officiers de sa suite


L'offensive anglaise fut préparéee minutieusement et quand le bombardement commença, les braves "Tommies" ne dissumulaient pas leur joie de marcher au combat. Une accalmie relative sur le front britannique avait permis à nos alliés de mettre leurs positions en état de défense. Voici un abri-type de leurs secondes lignes. Au-dessous, le lieutenant-général sir Pertab Singh le fameux commandant des troupes hindoues, est vu avec, de gauche à droite : son fils, un rajah, un français et un Anglais.









Dans Dompierre au lendemain de l'attaque



Un blessé traverse le village



Une tranchée allemande bouleversée


Le village de Dompierre qui, avant la guerre, comptait 625 habitants, est l'un des premiers tombés dans nos mains dès le début de l'offensive en Picardie. C'est aussi l'un des plus ravagés. Ces photos prises sous le bombardement tandis que se poursuivait l'avance sur Flaucourt et Assevilliers, représentent un blessé ramené vers l'arrière par un camarade; derrière lui des voitures d'ambulance. En bas, une tranchée ennemie détruite par nos obus; sur le parapet a déjà été planté un écriteau français.









A l'assaut des lignes ennemies bouleversées



Signaux faits à l'artillerie pour qu'elle allonge son tir



L'infanterie part à l'assaut


Ces photographies prises le 1er juillet devant dompierre, nous montre le début de l'assaut après le bombardement préparatoire. La fumée n'est pas encore dissipée que les signaleurs, munis de leurs fanions et arrivés et arriver sur les parapets de la première ligne allemande, font signe à notre artillerie d'allonger son tir. Sur la seconde photo, on voit la première vague partir à l'assaut et au premier plan, dans la tranchée ennemie ravagée par nos obus, les renforts prêts à s'élancer.









Sur le front britannique après une victoire



Blessés revenant du combat



" Tommies " occupant des abris pris à l'ennemi


Loin de se calmer comme l'espéraient nos ennemis, l'offensive de la Somme a crû en intensité à chacune de ses reprises. Sur le front britannique notamment, les Allemands ont eu à soutenir à Pozières, à Ovillers, à Longueval, à la redoute de Leipzig, du 15 au 22 juillet, des bombardements et des assauts qui les ont obligés à céder des positions fort importantes.









Sur les routes du front de la Somme



La route interrompue de Péronne



Chemin de liaison entre les armées alliées


La fin de juillet a été marquée par une vigoureuse reprise de l'offensive des armées alliées sur la Somme, offensive qui s'est traduite par des succés importants entre le village d'Hardecourt et la rivière, pour nos troupes, et pour les Anglais, du nord d'Hardecourt à Pozières









La prise Curlu et de Hem



LES COMBATS AU NORD DE LA SOMME
NOTES D'UN TEMOIN OCULAIRE.- DE L'ARMEE FRANCAISE

Le Bulletin des Armées publie ce récit autorisé des combats victorieux de Curlu et de Hem, livrés le ler et le 5 juillet : Quand, de la région du hameau de Vaux ruiné par l'artillerie allemande, on regarde vers le Nord-Est, une partie du champ de bataille apparaît devant les yeux. Une longue crête, dont le sol crayeux défoncé par les projectiles est pareil en certains points à une mer moutonneuse, s'étend jusqu'à la ligne d'horizon. Sur ce fond de tableau d'un blanc jaunâtre, des boqueteaux sont piqués en taches sombres, et les carrières font de grandes coupures aux formes géométriques. Dans la vallée, la rivière sinue en méandres sous les peupliers, parmi l'étendue marécageuse des joncs aux teintes vert clair. Tout le paysage est d'une douceur charmante et il est le champ des combats. Sur la gauche, ces pans de murs effondrés, ces vergers aux pommiers squelettes, c'était le moulin de Fargny, où passait la première ligne française; plus loin, aux flancs d'un ravin naguère boisé, maintenant nu et misérable dans ses dessous de craie, c'était une tranchée allemande: le « chapeau de gendarme »; plus loin encore un village joli était couché dans le creux de la vallée avec ses jardins fleuris et ce village se nommait Curlu. Des Bavarois l'occupaient. Ses maisons, qu'ils avaient transformées en repaires, ne sont plus, mais Curlu est redevenu français. Et, plus à l'Est encore, ces murs presque invisibles parmi les arbres, c'est Hem, arraché aux ennemis et sur quoi s'abattent maintenant leurs obus fusants. Et là bas à l'horizon l'église de Péronne, le clocher de Cléry...

LA PRISE DE CURLU

Le 1er juillet, à 7 heures du matin, après une préparation d'artillerie dont les Alle mands capturés affirmèrent qu'ils n'avaient jamais rien vu de pareil, les fantassins d'un de nos corps d'armée les plus fameux, celui dont une division a mérité de s'ap peler « la division de fer », s'élançaient hors de leurs tranchées. Les organisations qu'ils avaient mission d'enlever étaient fortes de deux, trois et quatre éléments reliés par des boyaux profonds, défendus par de nombreuses mitrailleuses. Mais l'en train était superbe, la confiance dans le travail d'artillerie complète. En quelques minutes, nos soldats atteignaient, sans éprouver de pertes, le " cha peau de gendarme " et les tranchées au Nord-Ouest du village de Curlu. D'un seul bond, un régiment arrivait sur le dernier élément de l'objectif qui lui avait été fixé. L'enthousiasme des troupes était prodigieux ; des jeunes gens de la classe 1916, allant au feu pour la première fois, agitaient leur mouchoir, escaladant les pentes au cri de : « Vive la France! » Ainsi dans un emballement admirable, on parvint aux premières maisons de Curlu. La place était occupée par trois compagnies au moins de Bavarois très décidés à une énergique résistance. Des mitrailleuses installées aux abords de l'église, dans le cimetière, dans des caves que n'avaient pas touchées les explosifs, se mirent à tirer. Des Allemands pouvaient être embusqués dans le marais et prendre la progression à revers. La prudence commandait de stopper et les ordres les plus énergiques avaient été donnés de ne s'engager qu'avec méthode. On fit halte afin de permettre une nou velle préparation d'artillerie.
 

L'église de Curlu
 


Toutes les batteries de destruction furent mises une demi-heure durant, sur Curlu. A 18 heures, le village, sauf aux lisières Ouest, avait encore apparence de village ; à 18 h. 30, il n'était plus rien que maisons rasées, poutres amoncelées, cadavres alle mands parmi les décombres, lambeaux allemands: un spectacle effrayant et grandiose de dévastation. Et l'infanterie française était dans les ruines; à une heure du matin, une compagnie de mitrailleuses ,de régiment était entrée dans Curlu, prête à pousser plus avant. Vers 2 heures, après un furieux bombardement, les Allemands lancèrent la contre- attaque. En dépit de toutes les difficultés de la nuit et d'un terrain récemment conquis, le barrage de notre artillerie se déclancha avec une parfaite précision. En vain l'ennemi s'obstina à poursuivre avec des régiments venant d'Hardecourt. Fauché et maîtrisé, il renonça.

DANS LES RUINES

Nous voici maintenant dans Curlu avec les vainqueurs. Déjà on fouille dans l'entassement des matériaux; on enterre les ennemis; on fait la toilette de sa conquête. Partout les Bavarois robustes et ventrus qui tenaient ce village français gisent en grappes. Vers la petite place, devant ce qui fut l'église, près d'une mare sale où baigne un grand peuplier fauché par un obus, les cadavres sont entassés. Dans les rues tout est ravage et désordre. Dans certaines caves épargnées, des ballots sont préparés. On ouvre, on examine, et apparaissent des objets de toutes sortes : argenterie, linge, vêtements, tout ce qui peut être expé dié, tout ce qui se prend, tout ce qui se pille, le butin cher à l' Al lemand. Le 25 juin, ils avaient évacué la population civile con trainte de vivre parmi eux, et, le même soir probablement, ils em paquetaient le mobilier avec les pauvres hardes des malheureux qu'ils n'avaient pas encore osé dépouiller. La mort et la fuite ont arrêté ces déménageurs fanfarons. Dans l'abri d'un lieutenant, on retrouve une lettre inachevée, une



Le "chapeau de gendarme" vu du moulin de Fargny 
carte à sa fiancée où l'homme écrivait le 28 juin: " Nous les attendons. Qu'ils viennent donc ces bandits et ils verront comment on les recevra! " Et les Français sont là, prêts à ensevelir l'ennemi. Dans le poste de commandement d'un chef de bataillon, installé sous la sacristie, il y a maintenant dans le vase dérobé, devant la glace volée, un bouquet de fleurs sauvages cueillis aux jardins de Curlu par des soldats français. Et ce sont des soldats français qui s'amusent de la sonnette électrique fixée auprès du lit du commandant allemand afin de presser le service des ordonnances qui avaient, eux aussi, installé dans une pièce voisine leurs ballots de pillards avec des couverts d'argent. Sur le village tombent les obus allemands. Plus loin, à 500 mètres, la bataille continue.

NOUS ENTRONS DANS HEM

Le 5 juillet, après un temps d'arrêt qui leur a permis d'organiser et d'élargir leurs positions, les Français ont repris le combat au Nord de la Somme. Ils devaient s'em parer du plateau au nord de Curlu, de positions fortifiées, telle la carrière dite " Spahn ", au Sud-Est du village, et enlever enfin le bourg de Hem. Avant le jour, les troupes d'assaut étaient en place. A 7 heures, elles s'élançaient une partie marchant dans la direction Nord-Nord-Est, l'autre dans la direction Sud- Sud-Est. A 8 h. 30, la deuxième position allemande, à l'exception du village sur le quel on reprenait, avec la méthode convenue, une préparation d'artillerie, était enle vée et on voyait, à 10 h. 30, une compagnie française s'installer et faire un paisible "casse-croûte" dans la carrière " Spahn ", pareille à une forteresse. A 11 heures, enfin, les Français pénétraient dans Hem, dont la totalité, hors deux maisons à la lisière Est, était occupée à la nuit. Le programme de la journée était rempli. La prudence méthodique du commandant, la sagesse des chefs et la valeur des soldats avaient fait ce prodige que les pertes de la journée atteignaient juste 12 tués et une tren taine de blessés. Plus de 300 prisonniers ennemis faits durant la seule matinée défi laient par les routes.

EN LIAISON AVEC L'INFANTERIE BRITANNIQUE

Le 8 juillet, une opération combinée des troupes françaises et des troupes britanniques aboutissait à un nouveau succès à Hardecourt et au bois des Trônes. Le même témoin oculaire nous en donne ce récit inédit : Deux jours durant, les Allemands firent d'inutiles efforts appuyés par un feu d'ar tillerie prolongé pour nous arracher le village de Hem et enrayer notre progression dans les boqueteaux du mouvement de terrain au Nord de Curlu. Mais l'infanterie française n'en marquait pas moins, le 8 juillet, sur la rive gauche de la Somme, de nouveaux succès, obtenus - et ce fut un témoignage décisif de la fraternité qui unit les armées alliées - en liaison avec les troupes britanniques. Les Anglais, en effet, se trouvaient depuis le premier jour de l'offensive aux prises avec des difficultés surmontées quotidiennement avec une patiente ténacité. Malgré la pluie diluvienne, en dépit d'une organisation défensive formidable et d'une résis tance acharnée, ils avaient maintenu la plus grande partie de leurs gains et ne ces saient de les etendre. Le 7, le commandement anglais prévenait l'état-major fran çais qu'il avait décidé pour le lendemain une action sur le bois des Trônes, immé diatement à la gauche de nos positions au Nord de la rivière. Les conditions atmosphériques paraissaient détestables; la situation de nos troupes dans ce secteur per mettait largement d'attendre le résultat de l'opération annoncée; mais les Français n'entendirent pas que leurs alliés fussent seuls dans la bataille. Le général comman dant la division en liaison immédiate avec l'armée anglaise pensa que c'était un acte de "camaraderie militaire" de marcher. Et il marcha.
 
Le 8 juillet, à 7 heures du matin, en même temps que l'infanterie britannique, l'infanterie française s'élançait à l'assaut. A midi, elle était installée partout où on lui avait commandé de prendre pied: le village d'Hardecourt-aux-Bois avait été em porté et dépassé et nos fantassins étaient établis devant les organisations allemandes de Maurepas. Le bois Favière, où résistait depuis le 1er juillet, grâce à la configuration du terrain, un parti allemand, était complètement en notre pouvoir; 400 prisonniers hébétés par le bombardement, lamentables et cependant joyeux de vivre encore, encombraient les boyaux d'évacuation. A gauche, les valeureuses troupes britanniques, débouchant de Bernafay sur le bois des Trônes, avaient été prises sous des feux de barrage et de mitrailleuses. Elles s'étaient arrêtées, non pas qu'elles renonçassent à l'opération mais parce que, abso lument décidées à vaincre, elles voulaient les conditions de la victoire: une nou velle préparation d'artillerie. A la fin de la matinée, le général commandant le sec teur était venu voir son voisin français et l'avait assuré à plusieurs reprises qu'il ferait tout pour entrer dans le bois des Trônes; de son côté, le général N... avait pro mis l'appui de toute son artillerie disponible. L'affaire avait été fixée pour 13 heures. L'infanterie britannique se porta en avant avec un entrain magnifique; à la fin de l'après-midi, elle était en possession de la plus grande partie du bois des Trônes. Les pertes de l'ennemi, qui avait fait une résis tance enragée, étaient énormes. Ainsi la journée du 8 juillet avait été pour les armées alliées comme pour l'ennemi le témoignage nouveau et splendide d'une fraternité et d'une mutuelle confiance consacrée par tant de combats. Le soir, sur le terrain conquis par leurs communs efforts, fantassins anglais et français circulaient en groupes mêlés et joyeux, s'instal laient dans la tranchée allemande et préparaient le sol pour de prochains succès.
 

Les ruines de Curlu 






Là, les Allemands hissèrent le drapeau blanc


 
 




Ferme située entre la Grenouillère, Hem et Monacu


Lors de nos récents succès entre le village d'Hem et la ferme de Monacu, , un fort parti ennemi retranché dans la ferme ci-dessus dut se rendre et hissa le drapeau blanc. Les Allemands reconnurent que sans notre artillerie lourde ils auraient continué à tenir. On voit ici les effets de nos obus de 293 qui, du terrain plat environnant la ferme, firent un vrai ravin, creusant des trous de huit mètres dont l'un est visible sur la seconde photo. Sur la troisième, un brancardier porte un béret allemand.






Période du 10 au 30 juillet



Le roi George V, sir Douglas Haig et le prince de Galles sortant du G.Q.G. britannique 

.........Joffre......................Poincaré.....................George V......................Foch...................Haig 


LA PRISE ET LA DEFENSE DE BIACHES ET DE LA MAISONNETTE

Nos troupes du secteur Sud de la rivière avaient atteint, dès le 8, une ligne de direction générale Nord-Nord-Est, allant du Sud de Belloy-en-Santerre aux abords de la ferme Bazincourt. Elles ne s'étaient pas arrêtées sur le succès qui leur avait fait en huit jours gagner 8 kilomètres de profondeur malgré la puissant réseau des défenses allemandes. Le 9 juillet, elles reprenaient la marche en avant. Devant elles apparaissaient les maisons détruites et les cheminées d'usine du village de Biaches, bâti dans un fond de verdure, tout contre le canal, et, plus à droite, la hauteur de la Maisonnette où était installé, huit jours auparavant, l'état-major d'une division ennemie. C'étaient les objectifs fixés. Il fallait les atteindre. On y alla. D'abord une vague de reconnaissance constituée par des officiers et des grenadiers fut dirigée sur les tranchées défendant les Nord-Ouest, Ouest et Sud-Ouest de Biaches. Puis, à 14 heures, dans la journée du 9 juillet, l'attaque fut lancée. En tête marchaient les chefs, armés du fusil comme leurs hommes, et la résolution de tous était grande. En quelques minutes, sous un bombardement intense, le système de tranchées était emporté et, tandis que les nettoyeurs accomplissaient leur oeuvre, les première et deuxième vagues d'assaut continuaient sur le village. A 18 heures, seules, quelques maisons au Sud-Est renfermaient encore des ennemis vivants. Nos soldats, installés au coeur de la place, découvraient dans le casino de MM. les officiers allemands une table chargée encore de plats, de bouteilles et de boîtes de cigares et faisaient honneur au festin qu'une attention délicate semblait avoir préparé pour eux. Mais il arriva ce qui arrive fréquemment dans la guerre actuelle. Les tranchées avaient été atteintes et dépassées, le village était pris, et, malgré cela, à l'entrée, à proximité immédiate de la route d'Herbécourt, un ouvrage, " le fortin de Biaches ", tenait toujours et menaçait la sécurité de notre installation. Ce fortin était un ancien ouvrage fermé, faisant partie de l'organisation de la tête de pont de Biaches; il avait été, dans notre mouvement en avant, débordé d'abord à droite, puis à gauche. Il n'était pas tombé. Ses mitrailleuses continuaient de tirer, empêchant de l'aborder de front. Il était difficile de s'en approcher en venant du côté de la Somme, à cause de la menace sournoise des mitrailleuses en batterie dans les marais. II fallait cependant, de toute nécessité, réduire ce fortin. On essaya une concentration des mortiers de tranchées. Ce fut insuffisant. On demanda au génie de pousser une sape sous l'ouvrage et de le faire sauter. Le génie répondit aussitôt : « Je vais faire le travail, mais je ne pourrai pas avancer de plus de quatre à cinq mètres par jour. » Or, on devait amorcer la sape à une trentaine de mètres pour le moins! Alors, un capitaine du ..e d'infanterie13, le capitaine V.., déclara : " Je prendrai le fortin par surprise », et, par un de ces coups d'audace inouïs qui semblent invraisemblable, il réussit. Le capitaine V... était parvenu à connaitre l'emplacement exact du boyau menant au fortin. A 14 heures, le 10 juillet, suivi d'une petite troupe de braves, le sous-lieutenant B..., le sergent M.,., le fourrier M..., le caporal T,.., les cyclistes M...,M...et S... et le clairon D... il partit. II arriva d'un côté, le sous-lieutenant D...de l'autre avec ses hommes. D'abord il pénétra seul dans l'ouvrage, Il ne vit rien autour de lui. Tous les Allemands étaient terrés. Il ordonna : « Dehors ! " Un groupe se montra, puis un autre avec un feldwebel qui parraissait l'âme de le défense, car les officiers continuaient de demeurer sous la terre. Ces Allemands regardaient avec surprise le Français isolé au milieu d'eux. Ce fut très court. Le capitaine V... sentit qu'il ne fallait pas hésiter; d'un coup de revolver il abattit le premier ennemi, puis il cria : " En avant! " Ses huit hommes arrivèrent. Les Allemands cessèrent aussitôt toute résistance. Peu après, le chef et ses braves revenaient, conduisant la file de leurs prisonniers : 2 officiers, 112 hommes. Le fortin de Biaches était à nous. Le capitaine V... a été cité à l'ordre de l'armée avec le motif suivant : "Officier d'un courage légendaire. Le 10 juillet 1916, à la tête d'un groupe de huit hommes, s'est, avec une audace inouïe, emparé d'un fortin occupé par une compagnie ennemie et trois mitrailleuses, qui, depuis vingt-quatre heures, tenaient nos troupes en échec, et y a fait 114 prisonniers, dont 2 officiers. » Les compagnons du capitaine ont eu, par des motifs pareils, la même récompense. Cependant que Biaches et son fortin étaient pris, plus à droite, le ..e régiment d'infanterie coloniale s'emparait glorieusement de la Maisonnette. La position de la Maisonnette, que l'ennemi devait défendre avec acharnement, est sur un point culminant à 97 mètres; elle donne des vues excellentes sur tout le champ de bataille, sur les lignes allemandes de la rive droite de la rivière et jusqu'au delà de Saint-Quentin. Elle est constituée par un château moderne, dont il ne reste que des ruines, une deuxième habitation à côté du château, une dizaine de maisons aux alentours, de beaux arbres et des vergers. Toutes les maisons, tous les massifs, les bois et surtout le bois Blaise, au Nord, avaient été organisés, avec soin. Les caves creusées à 15 mètres sous terre faisaient des abris à l'épreuve de tous les bombardements,et ces caves avaient été, semble-t-il, reliées au bois Blaise par un souterrain qui permettait aux Allemands de se retirer vers le canal. Le 9 juillet, le ..e colonial s'élançait sur la Maisonnette. D'un bond, il enlevait les premières défenses, poussait par ses éléments de gauche juqu'au bois triangulaire au Sud-Ouest de Biaches, le nettoyait de patrouilles allemandes et se portait au cimetière d'où il chassait un petit poste. Plus à droite, notre ligne d'assaut avait eu affaire à des mitrailleuses établies à la lisière Ouest du verger de la Maisonnette, tandis que le centre s'était jeté sur la tranchée défendant la position. En quelques minutes le verger fut enlevé à la baïonnette, une section de mitrailleuses emportée avec une quarantaine d'ennemis qui opposèrent une résistance désespérée, et tout l'ensemble occupé par nous. Une heure et quinze minutes après le départ, malgré la résistance des Allemands, malgré le procédé déloyal par lequel ils se déshonorèrent une fois de plus en feignant de se rendre, pour fusiller ensuite ceux qui s'avançaient sans défiance, les Français tenaient la Maisonnette, et le colonel commandant le ..e régiment colonial prenait dans son abri de commandement un chef de bataillon ennemi, 6 officiers et 200 hommes.




Dans les ruines de Biaches : au centre, derrière le poteau de télégraphe, une petite chappelle dont les Allemands avaient fait un réduit puissamment fortifié 

Le château de la Maisonnette
 

Le parc de la Maisonnette
 

Etat actuel du château
 


Si l'ennemi s'est acharné, sur tous les points de nos attaques, à nous enlever le terrain gagné, il n'a montré nulle part, pour nous repousser, une vigueur plus grande et une telle rage qu'à Biaches et à la Maisonnette. Le 15 juillet, vers 5 heures, un bombardement préparatoire d'attaque commença sur nos positions de Biaches à la Maisonnette, par obus de gros calibres, tirés de trois régions: Barleux, Halle, Mont-Saint-Quentin. A 13 heures, l'intensité était au maximum ; les maisons croulaient, les dépôts de munitions abandonnés par les Allemands dans le village sautaient, plusieurs incendies s'allumaient et la plupart des abris même sous cave, étaient défoncés. Les lignes téléphoniques étaient rompues, la liaison par coureurs devenait très difficile. A 10 h. 15, le tir s'allongea pour l'attaque et des groupes ennemis, qui avaient cheminé à la faveur du bombardement le long du talus de la route de Péronne, se dirigèrent sur nos lignes avec leurs flammenwerfer. En quelques instants, la section française avancée entre le canal et la route de Péronne-Biaches fut environnée par les flammes. Les Allemands, aussitôt, s'efforcèrent de faire brèche et de s'infiltrer le plus rapidement possible dans Biaches et, par le bois Blaise, dans la Maisonnette. Mais les dispositions avaient été prises pour parer à la menace; l'ennemi s'acharna en vain à vouloir pousser plus avant. A 23 heures, notre ligne, dans le village de Biaches, était fortement établie et résistait à tous les assauts , en attendant la contre-attaque du 16 juillet qui reprit brillamment le terrain un instant perdu. Dans la région de la Maisonnette, seulement, une attaque locale avec jets de liquide enflammés et de grenades suffocantes avait pu, en détruisant la section d'extrême-gauche de notre ligne, avoir raison de la ténacité des défenseurs et s'infiltrer dans la partie Nord du bois Blaise. Nous demeurions et nous sommes demeurés, malgré les bombardements et les tentatives, maîtres de Biaches et de la Maisonnette... La suite du récit est consacrée aux opérations qui, au Nord de la Somme, permirent à notre infanterie (une des divisions qui se distinguèrent le plus dans la défense de Verdun, et deux bataillons d'alpins fameux pour leur vaillance et leur allure) d'atteindre, le 20 juillet, de nouveaux objectifs depuis la rivière jusqu'au Sud d'Hardecourt, et de les conserver les jours suivants malgré un bombardement " impressionnant par sa puissance et sa durée ". Non seulement - conclut le narrateur, revenant sur la rive gauche,de la Somme nous n'avons rien perdu du terrain gagné dans les dix premiers jours de la bataille mais nous avons encore, le 20 juillet, élargi nos positions au Sud de la zone d'attaque - du 1er juillet, en portant notre ligne jusqu'au village de Soyécourt et en enlevant les organisations ennemies du bois Etoilé. 11 officiers allemands, 90 sous-officiers, 1.220 soldats valides furent pris dans l'opération; un canon et un important matériel demeurèrent entre nos mains, et les contre-attaques furent, là comme ailleurs, aussi inutiles que coûteuses. Le 24 juillet, le succès du 20 dans la région Sud du champ de bataille était suivi par une opération qui nous mit en complète possession des organisations d'Estrées. Quelques maisons de ce village, construites le long du chemin de terre qui mène à Ablaincourt, étaient encore tenues par l'ennemi. Des mitrailleuses établies dans les caves et tirant par d'étroites ouvertures masquées gênaient notre progression, qu'elles flanquaient dans la direction de Belloy-en-Santerre, comme dans la direction de Soyécourt; il fallait de toute nécessité réduire ce repaire où depuis plus de vingt jours quelque 200 Allemands se cramponnaient avec un courage digne d'admiration. Il convenait de traiter l'affaire par les grands moyens. On les employa. Six heures durant, le 24 juillet, les projectiles de 220, de 270 et de 370 s'abattirent sur ce coin de terre. L'observateur qui survolait Estrées vit les pierres, les planches et les débris " voler comme des oiseaux au-dessus du sol "; en deux heures, il ne restait rien déjà des constructions et, quand vint pour les fantassins l'instant de quitter la tranchée, ils avancèrent d'un bond jusqu'à l'objectif, dépassant dans leur course une batterie casematée où étaient demeurées quatre pièces de 150. Dans le sous-sol effondré des maisons, on découvrit encore une quinzaine d'Allemands vivants; le reste de la garnison de l'îlot d'Estrées avait disparu. L'opération, conduite avec précision, avait donné les résultats attendus. Elle avait accru pour le fantassin la nécessaire confiance dans l'artillerie qui prépare les voies des prochains combats.








La chute de la Maisonnette


  LE MATIN DE L'ASSAUT
Le 9 juillet au matin, le régiment était placé face à ses objectifs. Il devait s'emparer de la cote 97 dont le point culminant, observatoire remarquable donnant des vues sur Péronne et la vallée de la Somme, est légèrement à l'Ouest du centre de résistance puissant constitué par le château, les dépendances, le village de la Maisonnette et les vergers à l'Est qui font un véritable bois prolongé sur les pentes descendant vers la rivière. La position était précédée de quatre lignes de tranchées; les caves des maisons avaient été blindées et devaient mettre à l'abri des plus puissants calibres d'artillerie postes de commandement et réserves; enfin les lisières des vergers et celles du bois Blaise, au Nord du village, étaient des nids à flanquements farcis de mitrailleuses. Par les organisations du bois Blaise, la Maisonnette se reliait au Nord au village de Biaches; par une tranchée fortement tenue, dite « tranchée des Marsouins », placée à contre pente dans le ravin qui limite au Sud-Ouest le plateau coté 97, elle communiquait avec les défenses de Barleux. Tout le système, si puissant que les officiers ennemis qui y furent capturés affirmèrent qu'ils ne croyaient pas que nous le pussions prendre, fut enlevé cependant d'un élan rapide et il le fut par une attaque brusquée. ... Donc, le 9 juillet au matin, nos fantassins voyaient le jour poindre sur le terrain de leur assaut. En face d'eux, ils apercevaient le clocher de Biaches et une cheminée d'usine, les massifs boisés de la vallée de la Somme, des vergers aux teintes sombres dans la brume du matin, des prairies aux pentes molles, des maisons etalées, les grands arbres du parc et le château de la Maisonnette dont le soleil levant frappait les pierres roses. Devant eux des blés jaunissants, des avoines et, dans ces herbes, l'Allemand... Pour réussir sa manoeuvre: tourner ta Maisonnette et le bois Blaise par le Sud et l'Est après avoir enlevé les premières lignes ennemies, le chef de corps ayant constitué deux groupements dans son régiment. Le groupement Nord avait pour mission de s'emparer directement de la Maisonnette en enlevant tout d'abord un système défensif établi en profondeur, opération exigeant beaucoup d'ordre et de méthode. Il comprenait seulement des troupes européennes. Le groupement Sud ne devait enlever qu'une seule tranchée, celle des Marsouins, mais il avait une grande distance à parcourir sous le feu. Il fut composé de contingents sénégalais, très aptes à une action à fond sur un obJectif simple et net. La zone d'attaque avait été bien étudiée; tous les observatoires avaient été occupés et utilisés et, malgré que l'état des cultures ne permît d'apprécier la préparation que sur de faibles portions du front, on avait reconnu de bonnes brèches dans les réseaux allemands et éventé, par une patrouille, un organe de flanquement insoupçonné qui aurait pu gêner la progression. Entre midi et 14 heures, l'artillerie lourde et de campagne avait exécuté des concentrations violentes; enfin des batteries de 58, révélées au dernier moment, firent un tir rapide et nourri dont, l'effet sur des tranchées ennemies, démunies d'abris profonds, dut être démoralisant à souhait.
 


L'ATTAQUE DU CHATEAU ET DE SES DÉFENSES
A 14 heures, précédées de cisailleurs et de grenadiers, les compagnies de première ligne partent à l'assaut. Bien alignés, à la bonne distance, les hommes marchent, criant et chantant. L'action d'infanterie de la guerre moderne, fragmentaire, rapide et violente, est engagée. Sur le front d'une compagnie, quelques secondes avant l'heure, un lièvre est parti dans les blés, fuyant vers les Allemands. " Voilà le Signal!", a crié un soldat et les marsouins ont bondi, baïonnette au canon, à la poursuite de la bête; ainsi, ils ont abordé la première tranchée. Déjà des groupes ennemis apeurés se rendent. Les larges brèches que l'artillerie française a ouvertes dans le réseau barbelé permettent à notre prenIiète vague d'enlever la tranchée sans rompre son élan; dans le ravin à l'Ouest de notre ligne de départ, les Allemands font un violent barrage, mais ce tir ne gêne pas nos progrès. Néanmoins, sur la gauche, tandis que la course se poursuit vers le but, un parti allemand qui, sans doute, n'a pas été abordé menace d'enrayer l'avance rapide par des feux de flanc. Le lieutenant Laurent a saisi le danger; il enlève une section et court sur ce noyau de résistance dont les défenseurs sont aussitôt passés par les armes ou faits prisonniers. Malheureusement il est tué au cours de l'affaire; une citation éloquente fera souvenir de son courage. Laissant quelques nettoyeurs de tranchée derrière elle, la première vague, intacte, pousse jusqu'à la deuxième ligne, s'en empare et y fait encore de nombreux prisonniers. Entre temps, le détachement garde-flancs a purgé le bois Triangulaire (Sud-Ouest de Biaches) de patrouilles allemandes et s'est porté jusqu'au cimetière de Biaches d'où il a chassé un petit poste. Les difficultés sérieuses pour le groupement Nord ne commencent qu'à partir de la deuxième ligne dont la garnison, moins éprouvée que la précédente exécute des feux violents; à gauche, les mitrailleuses du verger de la Maisonnette se révèlent; à droite, d'autres mitrailleuses nous prennent à revers. Mais la marche en avant n'est pas brisée; à peine est-elle un ralentie aux deux ailes. Au centre, le lieutenant Carlotti a été tué raide au moment où il criait: « En avant! Vive la France! » en se tournant vers ses hommes, et il demeure à terre, le bras tendu vers l'ennemi. Toute sa compagnie, chefs en tête, court sur la Maisonnette où elle pénètre par le Sud. Les éléments voisins soulagés par ce mouvewent en avant, arrivent sur le verger; la section de mitrailleuses qui y était installée est maîtrisée à la baïonnette. Au même moment l'extrémité Sud de la troisième tranchée à l'Ouest de la position tombe en notre pouvoir et le capitaine Quod, commandant de compagnie, meurt en se réjouissant de ce tableau de victoire. Il était parti devant ses, la pipe aux dents; il s'était armé d'un grand sabre allemand trouvé près de la parallèle: « C'est avec ce sabre, avait-il dit aux siens, que nous allons prendre leur tranchée! » Sitôt qu'il fut frappé, il comprit qu'il devait mourir. Alors, il se fit adosser à un poteau télégraphique, face à l'adversaire et il continua d'encourager ses soldats. Il criait: « Tirez! Tirez'! Voyez-les, ces lâches, ces s..., ils fuient de tous côtés! » Puis le capitaine Quod cessa de commander et de vivre comme les Français pénétraient dans le village. Tous sentent la victoire; l'entrain est admirable. Le caporal Millas montre une audace sans pareille; il annonce à ses camarades: " Vous allez voir comment on fait des prisonniers ", et, mettant son arme à la bretelle, il tire de sa poche un pistolet à amorces, part seul en avant dans les avoines où se dissimulent des ennemis affolés et trois fois, sous la menace de son jouet, il ramène un prisonnier. Des patrouilles commencent à fouiller le village. Au moment où une cave va être attaquée à la grenade, un commandant allemand en sort précipitamment escorté de 6 officiers et de 150 hommes. Tous lèvent les mains. Le commandant avance vers le sergent qui dirige l'équipe des grenadiers; il prend son porte-monnaie et l'offre, pensant attendrir ses vainqueurs. Mais, avec des mots sans douceur, le sergent refuse. Alors l'Allemand fait extraire de la cave des caisses de vin, du champagne, des cigares et des biscuits. Prodigue, il veut tout distribuer et il sourit dans sa large face, et la tranquillité lui vient quand il voit que ses présents sont accueillis. Cette platitude de l'ennemi frappe et encourage encore les Français. Des prisonniers répètent: « Fini guerre. Toujours boum ! boum ! Pas kapout ! » et ils se réjouissent. Plusieurs se précipitent sur les nôtres et veulent leur serrer les mains. L'un d'eux crie même: « Bravo Français! » Ses camarades l'approuvent. Les marsouins, à ces flatteries, répondent: « Bas les pattes! » La surprise est telle chez l'ennemi que, lorsque les Français entrent dans la Maisonnette, il y a encore de l'autre côté de la Somme, dans la gare de ravitaillement toute proche, des trains formés pour le départ. Sept locomotives s'en vont aussitôt poursuivies par notre feu et un immense matériel demeure sur les quais où il est détruit par notre artillerie. Bref, à 15 h. 15, nous occupons le village et le château; nous tenons la lisière Est du verger, la corne Sud-Est du bois Blaise et la route de Biaches, vers l'entrée Nord-Ouest de la Maisonnette. A 16 heures, au moment où on commence de s'organiser à la lisière du verger, une violente contre-attaque débouche du bois Blaise. Une fois de plus, les Allemands usent du procédé déloyal dont ils sont coutumiers et qu'ils devaient employer plusieurs fois au cours des combats de la Maisonnette. Une compagnie environ arrive par les blés dans la direction du verger. Le sous-officier qui la commande crie: « Nous venons nous rendre. » A plusieurs reprises on lui ordonne de mettre bas les armes, mais il feint de ne pas comprendre et la troupe continue d'avancer, fusil en l'air, et, comme les Français vont s'élancer à la baïonnette, ces soldats félons démasquent des mitrailleuses et ouvrent le feu à bout portant. Ainsi furent tués deux officiers français et une cinquantaine d'hommes. L'acte de trahison combiné avec un mouvement débordant oblige notre ligne à un repli momentané aux lisières du bois Blaise. Mais l'ennemi est bientôt chassé et châtié. Le 9 juillet, au soir, le groupement Nord a pris et conservé tout ce qu'il devait prendre.



Les vainqueurs de la Maisonnette : Marsouins et sénégalais et leurs chefs


LES SÉNÉGALAIS Â LA « TRANCHÉE DES MARSOUINS »
Comme celles du groupement Nord, les vagues du groupement Sud sont parties à l'assaut à 14 heures précédées de leurs patrouilles. La première arrive sans perte au fond du thalweg; mais, à partir de ce moment, elle est prise d'enfilade par des mitrailleuses dissimulées au fond du ravin et elle éprouve de fortes pertes en gravissant le glacis qui mène à la tranchée des Marsouins. Réduite à une quarantaine d'hommes, elle s'abrite contre un talus escarpé à 60 mètres environ de la position allemande et, tout en cherchant à creuser des abris, cette poignée de braves s'installe de manière à tenir sous son feu les défenseurs de la tranchée des Marsouins. La deuxième vague vient renforcer la première et ses pertes sont aussi cruelles; elle a vu les camarades tomber devant elle, mais rien ne pourrait la détourner de son chemin. Quand un homme tombe, automatiquement on serre les rangs et les survivants continuent d'avancer. Tandis que cette faible ligne s'accroche aux Allemands, une préparation intense d'artillerie est reprise et un peloton se dirige au Nord de la tranchée des Marsouins où un noyau de résistance existe encore. Le combat à la grenade s'engage entre 18 et 19 heures et il se termine par la prise de deux mitrailleuses et d'une trentaine d'ennemis. Il est 20 heures; la lutte à la grenade paraît se rapprocher de la tranchée des Marsouins; il semble que l'ennemi faiblisse. Le moment est venu de venger les camarades pour les braves qui, depuis des heures sous un bombardement infernal et le feu croisé de mitrailleuses flanquantes, sont demeurés fixés et tendus vers le but. Au signal des chefs, le lieutenant Meyer et le sergent Mamadou-Diarra, ils bondissent et sautent dans la tranchée. Les Allemands se rendent; seul un groupe, excité par un officier, se défend à outrance; il est exterminé. La nuit est venue; les prisonniers arrivent toujours, apeurés, et filent vers l'arrière. Des sentinelles sont placées en avant de la position si vaillamment conquise; le tirailleur Moussa Tissako a été désigné par la confiance de son sergent pour veiller aux mouvements de l'ennemi. Il est au poste depuis quelque temps, quand le sergent appelle à voix basse: « Moussa! Moussa! » -« Voilà moi! » - Vôilà Moussa, en effet. Il tient deux Allemands à demi renversés sur le talus; ses grosses mains noueuses sont crispées à leur col et les têtes s'inclinent vers le sol. Moussa desserre son étreinte; les Allemands s'effondrent et il explique: « Eux venir. Eux parler. Alors moi dire: « Makou » (silence.) Eux pas connaître, alors moi y a serré un peu, un peu. Peut-être bien y a gagné mort. » Le sergent Mamadou approuve: « Y a bon » et il s'éloigne. Il peut laisser Moussa veiller en avant de la tranchée. En même temps que les survivants des deux vagues d'assaut sénégalaises bondissaient dans la position ennemie, des éléments européens s'étaient avancés pour les soutenir. Il avait suffi au chef de demander: « Etes-vous prêts? » pour que tous comprissent le devoir et tous avaient marché. Sans souci des vides creusés autour d'eux, ils étaient entrés dans les tranchées allemandes. Ils avaient ainsi contribué au succès; ils allaient avoir leur part dans la défense. La nuit a passé dans un répit relatif; c'est au jour que les Allemands font un nouvel effort pour arracher notre conquête. A 6 heures du matin, le 10 juillet, une demi-section établie en avant de la Maisonnette est victime d'ennemis qui ont répété la sinistre comédie du « kamarade ». Dans le même temps, une violente contre-attaque est lancée sur la tranchée des Marsouins et se renouvelle trois heures durant. Sans cesse les Allemands surgissent dans les blés à 40 mètres devant les nôtres. Mais les marsouins sont électrisés par leur victoire. Des hommes se dressent debout sur le parapet et crient: « On les aura! » C'est en chantant que d'autres exterminent l'adversaire au fusil ou à la grenade. Les fusils mitrailleurs font merveille; des tirailleurs qui ont brûlé toutes leurs cartouches combattent avec des armes et des munitions allemandes. L'ennemi s'acharne en vain. Il doit renoncer à la lutte. Le 9 juillet, le régiment avait emporté tout ce qu'il devait prendre; le soir du 10, il avait maintenu intactes ses conquêtes.
 
 
  DES HEROS BLANCS ET NOIRS
Ce que furent les combattants de la Maisonnette, on l'imagine assez par le récit de leurs attaques. La mort d'officiers comme le capitaine Quod, le lieutenant Carlotti, le sous-lieutenant Boxberger, un père missionnaire qui fut tué la pelle à la main tandis qu'en compagnie de deux Sénégalais, fixés comme lui sur le terrain conquis par leur élan, il essayait de s'abriter contre un bombardement furieux, vaut qu'on la connaisse. Ces morts sont des exemples. Et parmi ceux qui n'ont pas donné leur vie, combien de traits magnifiques aussi ! L'adjudant-chef Charmes, brave parmi les braves, réputé dans tout le régiment, attache soigneusement sa médaille militaire avant de partir à l'assaut; on lui conseille d'enlever l'insigne de courage qui le désignera aux coups de l'ennemi. Il répond: « C'est ainsi qu'un marsouin doit partir à l'assaut. Ne vous en faites pas.. Suivez-moi et nous les aurons. » Il entraîne son monde; il ne tarde pas à être grièvement blessé. Alors là main presque arrachée, l'os brisé, inondé de sang, l'adjudant Charmes, désolé, quitte le champ de bataille. Mais, avant de partir, il veut revoir ses chefs. Il se présente au commandant de compagnie, au colonel et jusqu'au général de brigade. Il n'a même pas le souci de faire mettre un pansement à la plaie; tranquille, il fait ses visites comme s'il remplissait un devoir de subordonné respectueux. Mieux, sur son chemin, il encourage les hommes, fâit abriter les réserves contre le bombardement et ne va au poste de secours qu'ayant accompli le tour des postes de commandement. Déjà, nous avons vu le sergent indigène Mamadou-Diarra entraînant les survivants de l'assaut de la tranchée des Marsouins dans la position allemande après être demeuré une demi-journée à guetter l'instant favorable. Il a reçu une balle dans la poitrine au cours du nettoyage de la tranchée. Que lui importe: il a tant de camarades à venger; son vieux frère d'armes, l'adjudant Semba, a été tué à ses côtés et lui a passé le commandement. Et puis Mamadou porte la médaille militaire: un médaillé ne lâche pas pour un trou dans la poitrine. Mamadou reste à son poste. Et, sans se plaindre, sans avertir personne, il combat toute la nuit dans la tranchée conquise. Au jour, il contribue à repousser les contre-attaques; il est partout excitant sa poignée de Sénégalais épuisés par la lutte, la fatigue et l'insomnie. Enfin, le bataillon est relevé; depuis plus de trente-six heures, Mamadou est blessé; il pourrait être évacué. Mais, à ses yeux, sa tâche n'est pas finie. Seul gradé survivant de sa compagnie, il tient à ramener au prochain cantonnement les débris de sa troupe. Il accomplit pour cela une marche de nuit longue, pénible, et se présente au docteur seulement le lendemain matin, à l'heure de la visite. Le médecin scrute la blessure, la sonde disparaît en entier; le poumon est perforé et la balle, sans doute, y est demeurée. Mamadou est aussitôt évacué; on craint qu'il ne survive pas. Cependant son colonel a eu récemment de ses nouvelles. Mamadou est dans un hôpital de Bretagne; il guérira. Voici le texte de sa proposition pour la croix de chevalier de la Légion d'honneur: « Sous-officier d'une bravoure incomparable et d'une énergie farouche. Le 9 juillet 1916, a magnifiquement entraîné ses tirailleurs à l'assaut sous un feu meurtrier de mitrailleuses et d'artillerie; s'est cramponné avec une poignée d'hommes à quelques mètres de la tranchée ennemie dans laquelle il s'est élancé en saisissant le moment favorable. Bien qu'atteint d'une plaie pénétrante à la poitrine par balle, a continué la lutte pied à pied dans la tranchée et l'a défendue le lendemain contre une violente contre-attaque. Ne s'est laissé évacuer que deux jours après et, pour ainsi dire, de vive force. » Ces tirailleurs sénégalais qui ont bondi hors des tranchées de départ en chantant: Auprès de ma blonde, leur chanson de marche française, aux applaudissements des camarades européens, ont eu des mots magnifiques dans leur naïveté. Dans la nuit du 9 juillet, un grand noir arrive au poste de secours appuyé sur un bâton. Le major reconnaît un habitué de la visite, car ces rudes enfants s'efforcent souvent au cantonnement de « couper aux exercices ». " Voilà moi, fait le tirailleur en regardant le médecin de ses yeux brillants, pas consultation motivée, mon major! » Le malheureux avait le pied flottant, les muscles du mollet décollés et son tibia fracturé au-dessous de l'articulation lui servait de pilon. Sitôt pansé il voulait repartir pour « guérir vite, vite, et tuer ces crapoules de Boches ». Car, pour les Sénégalais, les Allemands sont les crapoules et les sauvages; Ces jugements primitifs sont souvent les bons. Un jeune tirailleur qui a été pour la première fois au feu s'effarouche de sa main ensanglantée, bien que la blessure ne soit pas grave, et il veut passer devant un vieux, sévèrement touché et dont la physionomie marque les souffrances. Le major intervient, mais le vieux déclare: « Major, lui maintenant, d'abord le poulet! » Et, paisible, il attend que le jeune compagnon ait été pansé. Quand on examine sa blessure, on découvre une plaie affreuse: le flanc est ouvert, le rein hernié. Mais à peine pansé, le vieux brave veut repartir à pied. On l'installe de force en poussette. Un autre arrive blessé, tel un lézard traînant son train de derrière avec les deux pattes de devant. « - Quoi as-toi'! interroge le major. - Y a pas bon, mon major, moi pas avoir le sauvage. Un canon a tombé sur moi et le sauvage partir. Y a magni. » Un éclat d'obus a fracturé un os du bassin de ce guerrier et, loin de se plaindre de la blessure, il ne se console pas que son prisonnier lui ait échappé. A côté des braves noirs contre lesquels ils invectivent sans cesse, comment se comportent les Allemands prisonniers heureux de gagner la sécurité de l'arrière! Certes nos ennemis sont des soldats; et souvent officiers et troupiers nous ont donné la mesure de leur valeur militaire, mais dans ces combats de la Maisonnette il y a chez les Allemands capturés comme un avant-goût de désespoir et de défaite. Le major Krag, prompt à évacuer sa cave de la Maisonnette pour implorer et attendrir les Français, fait assez triste figure. il s'en va de poste en poste, suivi de son état-major, et répète lamentablement: « Quelle artillerie! C'est inhumain... Mais quel calibre est-ce donc? » A un chef de bataillon, il se hâte d'affirmer qu'il a fait tout son devoir et que la résistance était impossible. Au colonel il exprime son « admiration tactique » et il entame une scène de larmes répétant: « Mon honneur de soldat... Mais il n'y avait rien à faire. » Et comme le chef français lui dit: « Oui, en fait d'honneur, vos hommes lèvent les bras, crient qu'ils vont se rendre et nous fusillent ensuite. » Le major Krag proteste, affirme qu'il n'a rien vu, ni rien su, et qu'au surplus; depuis cinq jours, il n'a pas quitté sa cave. Les soldats allemands ne sont pas plus brillants. Beaucoup manifestent leur joie avec excès. Il n'est pas de chose qu'ils ne soient disposés à faire pour apaiser leurs vainqueurs. Eussent-ils possédé des fortunes sur eux qu'ils les auraient offertes. Ils ne parviennent qu'à inspirer plus de haine pour leur race arrogante pour le faible et servile devant la force.
 


LE RÉGIMENT APRÈS LA BATAILLE
Maintenant le régiment va goûter la récompense après la victoire. Dans un camp tout proche de la bataille, il attend le départ pour le cantonnement. Son colonel est installé dans une petite baraque de planches et il se souvient de ses combats. Il est, le colonel du régiment de la Maisonnette, le chef des Sénégalais farouches, tout jeune, mince et blond. Il aime les lettres, la musique, les arts, toutes les élégances. Sorti de l'Ecole de guerre, il connaît la théorie, et, guerrier depuis des années aux colonies, ou dans la guerre présente, il sait la pratique. Assis nonchalamment sur son lit de camp, un lit allemand rapporté de la terre conquise, devant une gravure, représentant Mme Récamier, sauvée dans une maison détruite, le colonel parle des combats. Il dit: « Je suis heureux de ce qu'à accompli mon régiment, de l'intelligence et du savoir des officiers et des cadres, qui ont eu à résoudre des problèmes délicats et les ont résolus rapidement comme cela doit être. Nous avons montré que, pour l'infanterie, la manoeuvre n'est pas morte dans cette guerre. Oui, le rôle de l'artillerie est indispensable, énorme. Mais ce serait une erreur dangereuse de croire que l'artillerie doit et peut tout détruire, mètre par mètre, devant le fantassin, et que le fantassin n'a plus qu'à occuper le terrain. Un bois ne peut pas être entièrement fauché arbre par arbre, un réseau de fil de fer arraché partout, toutes les mitrailleuses démolies, tous les points d'appui écrasés. Le fantassin qui demanderait cela pour sortir voudrait l'impossible. Quand le travail est suffisant, et il appartient au seul commandement de le connaître et d'en décider, l'infanterie s'élance et elle emporte par la manoeuvre tout ce qui résiste encore. Nous avons fait ainsi, je crois, à la Maisonnette... » Il dit encore: « Il faut prendre soin de nos hommes, Les grands ennemis du fantassin, disait le général de Maud'huy dans son cours de l'Ecole de guerre, ce sont la fatigue et la peur. Nous devons l'en préserver. Il faut être très bon pour ceux qui se font tuer. Dehors, un phonographe volé par les Allemands dans une demeure française et repris par nos soldats à la Maisonnette joue ses chansons. Les hommes écoutent; les Sénégalais s'effarent et rient. Ils passent appuyés sur des bâtons avec une allure de félins, et, sur tout le régiment chaud encore de la bataille, plane l'atmosphère irréelle de la guerre, rêve mêlé de cauchemars, de torpeur et de volupté.
 
 



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