Carnet 2 de Mme Cappelle Louise née Denis pendant la guerre
                      du Samedi 1er Janvier au Lundi 31 janvier 1916                 

Samedi 1er Janvier 1916 La série des explosions continue . Elles seraient dues parait-il à une fabrication défectueuse de la poudre.
Dimanche 2 Janvier On vient visiter la chambre pour officiers.
Lundi Albert sollicite un passe port pour Courtrai. On le lui promet, sous condition de remettre à la commandanture la fameuse pièce autorisant l'exportation pour la Hollande. Que faire ! Est-il prudent de se démettre d'un tel papier ! on hésite et après avoir fait photographier l'acte , on l'abandonne à la commandanture contre un reçu.
La mort d'Antoine Vuylstehe est annoncée à ses parents. Sa mère dont il était l'unique fils ne veut pas croire la terrible nouvelle et conserve l'espoir de le revoir.
Mercredi Un officier arrive à quatre heures du matin. Il semble très méfiant et réclame les clefs de sa chambre depuis longtemps disparues.
Jeudi Il débute bien l'officier !
Cette après dinée, son ordonnance arrive porteur d'un billet ainsi tourné :
Ordre
Ouvrir l'armoire !
Lieutenant Schmidt.
L'armoire désignée se trouve dans sa chambre qui en contient d'ailleurs une seconde mise à sa disposition .
Je fais remarquer au soldat que c'est tout un déménagement que je dois opérer, ce placard étant bourré de vêtements et de cartons. Rien à faire !
Vendredi 7 Presque chaque jour, nous recevons la visite du lieutenant Knorr chargé de préparer les "Quartiers". Le nombre de nos enfants l' a ébahi à tel point que dans sa stupéfaction il nous en octroie deux en supplément. On l'entend certifier à ses compagnons : " Il y a huit enfants ici ".
Samedi Chez mes beaux parents, les officiers furetant dans la maison trouvent les meubles du salon qu'ils s'approprient naturellement au moins durant leur séjour chez nous.
La ville est pleine de troupes comme aux plus beaux jours de l'hiver dernier. Six généraux logent en ville. Des ambulances sont installées de tous côtés.
Mardi Emprisonnement d'Emile Deleu, employé à l'hôtel de ville pour n'avoir pas salué un officier allemand.
Mercredi Une formidable explosion se serait produite à Lille, les détails manquent .
On prétend qu'à Roncq, au dépôt de munitions, les allemands auraient enfermé des otages pour s'en faire une garantie contre une tentative possible. Affreux !
Jeudi Deux officiers viennent chez Albert faire remarquer que d'étranges lumières circulent la nuit chez lui. Le coupable serait une ou les servantes qui ne possèdent pas de montre et descendraient durant la nuit se rendre compte de l'heure.
Vendredi 14 Incendie à l'établissement de bains allemand au " lenz quartier " disent les Méninois.
Samedi 15 Après mille difficultés Albert obtient des wagons pour expédier du papier ; 22.000 kg partent ainsi .
Je reçois un billet m'invitant à me rendre lundi à la commandanture.
12 fils téphoniques passent devant nos fenêtres.
Dimanche De terribles détails nous parviennent sur l'exploision de Lille.
Un million de grenades ont fait explosion. 500 maisons sont détruites. La catastrophe a duré dix minutes . Des gens ont été projétés en l'air. Un homme qui s'enfuyait tenant son enfant par la main a vu la tête de celui-ci emportée par un éclat. 92 victimes sont déjà signalées et l'on en trouve encore sous les décombres.
J'ai vu des photos du lieu de la catastrophe ! Quelles ruines !
Mon pauvre Lille !
Lundi 17 Janvier Je suis allée à la commandanture. Une belle frayeur m'y attendait. Alors que je venais de donner mon nom au guichet un allemand sort de la maison en se dirigeant vers la prison me fait signe de le suivre ????....
J'obéis moins que rassurée.. mais mon émoi est de courte durée et nous allons tout simplement à la recherche de l'officier Baldes pour traiter de l'affaire des draps emportés par mon logeur. Je réitère ma réclamation et l'on me promet de s'en occuper.
Mardi 18 Réunion de la Conférence de St Vincent de Paul chez Mme Vandenberghe. Réunion tenue dans le fumoir du Casino momentanément inoccupé par les officiers. Fait curieux, l'officier supérieur en logement dans la maison se nomme le Baron de Valois d'une famille française émigrée lors de la révocation de l'Edit de Nantes.
Les allemands vont payer les ouvriers en monnaie allemande et ils diminuent fortement les salaires. Du même coup le change des bons de la ville subit une forte baisse.
Mercredi J'apprends aujourd'hui le départ de Maman et de Madeleine pour la France par les trains d'évacués.
Madeleine aura-t-elle la joie de revoir son mari ? Dieu le veuille.
Vendredi 21 Janvier On m'apporte des nouvelles de Bonne Maman Denis.
Samedi Prix des denrées:
Viande 4 à 5 frs le Kg
beurre 6.50 et 8 frs en bons de la ville
Oeufs ont été cet hiver jusqu'à 0.35 centimes
Sucre 1 frs 10 le kg
savon noir 3 frs 25 le kg
Lundi 24 janvier Nous voici en guerre déclarée notre logeur et nous. Ce petit lieutenant de rien du tout , boiteux par dessus le marché, a des façons d'agir d'une urbanité rare
Détesté de ses soldats , du Wach-commando qu'il malmène de la belle façon, il nous considère je crois comme ses humbles sujets.
Rentrant chez nous ce soir vers 6 heures, je trouve toute la maisonnée en émoi. Albert, mon beau frère, Anna, nos bonnes, celles de mes beaux parents sont là qui très excités me content ses récentes prouesses.
Encadré de trois soldats, le gaillard est moins que brave, il est venu déclarer à mon mari : " tout citoyen belge doit donner sa meilleure chambre aux officiers allemands et vous me donnez la plus " filaine". La meilleure c'est la nôtre, aussi, sans plus de cérémonies et malgré les objurgations de Jean qui lui offre aux choix nos autres chambres et même notre salle à manger, fait-il procéder par ses gardes du corps à un déménagement rapide et bousculé ! Bien plus, je ne sais à quel propos il menace Jean de son révolver " Che connais les belches, dit-il, en lui fermant les portes au nez ".
Tout cela fait que mon lit est installé dans la chambre de nos petites filles, le lit d'enfant et le berceau dans le cabinet de toilette, le contenu de notre armoire à glace posé au petit bonheur à terre et dans tous les coins.
Nos bonnes voyant son arrogance vis a vis de Jean pleuraient de colère, paraît-il.
"Toutefois, monsieur le lieutenant souvenez-vous qu'avec les femmes les affaires commencent lorsqu'on les croit finies. Je ne prends pas mais pas du tout mon parti de votre expulsion manu militari ".
Mardi La maison de Madeleine aurait reçu dit-on un obus et serait très endommagée. La chambre a coucher presque seule est intacte.
Lille est bombardée tous les deux ou trois jours, la fièvre typhoïde y fait des victimes ; une odeur de poudre , souvenir de la récente explosion flotte sur la ville.
Mercredi Seconde explosion à Lille. Voulant à tout prix rentrer en possession de ma chambre , je vais faire une démarche près du lieutenent Knorr, préposé aux quartiers et qui loge chez Henri. Il vient vers quatre heures chez nous et ne m'y trouve pas. A mon retour, je me mets à sa recherche à la commandanture puis à son bureau puis enfin chez Henri où je le rencontre.
Il nous promet d'agir près de notre Schmidt :" Que voulez vous Madame, dit-il, vous avez probablement affaire à un nouvel officier de guerre non initié encore aux bonnes manières ",
- "Cela se voit !"

Ce soir heure de police à 6 heures, les allemands organisent une retraite aux flambeaux en l'honneur du Kaiser.
Jeudi 27 Fête de l'empereur, revue des troupes. certaines rues interdites à la population durant les cérémonies.
Notre logeur doit baisser pavillon . Voici la lettre que son ordonnace nous a remise tantôt et dont je respecte le style et l'orthographe.
Monsieur !
Prenant regard au grand nombre de vos enfants, je suis prêt à me contenter d'une autre chambre qui remplirait les conditions suivantes :
Il faut qu'elle soit claire et tranquille, qu'elle soit assez grande. Il me faut avoir un poêle et une lampe bonne, une armoire ou chose ressemblante, trois chaises, une ou deux tables pour lire et écrire la journée et le soir.
Schmidt . Lieutenant.
La dessus, conférence d'une heure entre les belligérants, la salle d'enfants est choisie . " La chambre est ponne" déclare-t-il . reste la question de l'ameublement , non entièrement réglée.
Le change des bons de ville tombe à 10%.
28Janvier Naissance d'un petit André chez Albert et Flore.
Troisème discussion avec notre logeur.
On parle du départ du XIII corps. Les allemands ne veulent plus employer dit-on les ouvriers qu'ils doivent payer.
Samedi Ce soir l'officier rentrant chez nous tard, éveille la maison par son tapage.
Dimanche Chaque jour le gaz brule de 5h1/2 à 9 h dans la chambre inoccupée de l'allemand mais " ne sont-ce pas les belges qui paient la note ? Alors !"
On apprend la déclaration de guerre entre la Roumanie et l'Allemagne. Les soldats ne semblent pas très marris de la nouvelle. La guerre n'en sera que plus vite finie disent-ils et pour fêter l'événement ils vident joyeusement force bouteilles
Lundi 31 Janvier 1916 On annonce l'arrivée du roi du Wurtemberg.
Quatrième conférence entre Schmidt et moi. Il parcourt la maison afin de choisir le mobilier de sa chambre. Les fauteuils du salon le tentent mais il ne les obtient pas et malgré le regard d'envie qu'il jette au tapis de ma chambre, il en est pour ses frais.