L'épitre
à Tout-le-Monde
1825
A toi
Bouvier célèbre au pays Vermandois !
Qui
nouveau Poliphène en ton antre sauvage,
As
illustré son nom et celui des Chaunois.
Grand
Bontés, ah ! Puisse mon hommage
te
confirmer l'estime où je me sens pour toi !
honneur te
soit rendu, célèbre Tout-le Monde !
Non moins
puissant qu'un roi ; sur l'animal immonde
Sur les
chevaux, les boeufs, on a dit que ta foi,
Dans des
temps déjà loin se supportait sans peine,
Dans cette
vaste plaine .
Ce n'est
pas en barbare ou comme un monstre hideux
Après
onze-cents ans de descente au Ténare
Qu'à
l'aîné des Cyclopes, Ici l'on te compare.
C'est par
ta haute taille et par tes longs cheveux.
On vante
ici ton zèle et ton urbanité
On prône
encore ta force et ton humanité
L'histoire
nous apprend que sur les bords de l'Oise,
Où
des nymphes par fois allaient jouer sur l'eau,
Sans
orgueil, comparaient leur grandeur à la toise
Et qu'un
enfant du ciel vous mettait de niveau.
Sous ton
épais manteau que de vertus cachées
S'il faut
s'en prendre à vous
Belles de
Senicourt, nouvelles Galatées,
Tu fis
bien des jaloux,
Quand ton
cornet cornant, cornait à leurs oreilles
Enfonçait
le tympan... du bruit de tes merveilles.
Pasteur
que d'animaux ont vécu par tes soins !
Toujours
la prévoyance et la sollicitude
se sont
fait une douce étude
De veiller
à tous leurs besoins.
Du matin
jusqu'au soir, de la verte prairie
tu leur
faisais brouter l'herbe tendre et fleurie
Le plus
parfait ombrage et les plus frais ruisseaux.
Les
ardeurs de l'été préservaient les troupeaux
Que n'as
tu gouverné des êtres raisonnables ?
Ils
auraient célébré tes qualités aimables ;
On
n'acquiert point de gloire à régner sur des sots,
Car tous
leurs dévouemens n'enfantent que des maux.
Achille
sans Homère eût-il été connu ?
Le héros
de Ségur l'illustre parvenu ?
Dont le
grand nom occupe encore la terre
Peut-être
, sans lui, dans l'oubli
Demeurerait
enseveli
Comme le
bruit de son tonnerre ;
A nos
moutons, je reviens, Tout-le-Monde,
Laissons cet aigle altier élever jusqu'aux cieux
Son vol audacieux
Toi. La célébrité, moins brillante en ce monde.
Eut
d'aucun attentat, d'aucun crime à rougir !
En peut-on
dire autant de tous les pasteurs d'hommes
non, tu
n'as , de mes vers, qu'éloges à recueillir.
Interprète
aujourd'hui de tes bêtes de somme,
Pour
elles, je te rends l'hommage qui t'est dû,
importe où
je la trouve, je chante la vertu,
Un pâtre
vertueux a pour moi un mérite.
Il
administre bien ses moutons, ses chevraux
Les loups
ravissans par ses chiens mis en fuite
n' ont
jamais dévoré ses timides agneaux
Il sait
bien contenir la force carnivore
qu'on
touve dans les bois et bien ailleurs encore
il sut par
prévoyance, en la tiède saison,
conserver
sur leur dos un peu de leur toison,
Dans nos
champs il sut, par une chance heureuse,
séparer
les agneaux et les brebis galeuses
s 'il
a de quelques ânes rabaissé la fierté ;
il sut à
ses troupeaux laisser la liberté
et
d'aucun d'eux on eut à déployer la perte.
A son
oreille au guet et son coup d'oeil alerte
on pu leur
éviter danger, épizootie
qu'ici ma raison paraître une folie
Je deviens courtisan, j'engage ici ma foi ;
en atteste les Dieux de la terre et de l'onde,
d'un pasteur couronné, je subirais la loi
S'il ressemblait à TOUT-LE-MONDE.
Le
premier vacher de Chauny, nommé Tout-le-monde, que sa
postérité remplaça longtemps dans cet emploi,
donna lieu à un proverbe connu par toute la France. Nos
compatriotes l'entendirent citer depuis les pyramides d'Egypte ,
jusqu'au Kremlin des Czars ? On conte merveille de ce vacher :
on le fait d'une force et d'une taille monstueuse ; on dit qu'il
gardait ses bêtes à cheval et qu'il donnait du vin dans
son cornet à tous ceux qui venaient le voir par curiosité.
Il vécut près de 120 ans .
Voci
l'épitaphe qu'on mit sur son tombeau :
Ichy
chous chete lorde tombe
Gist le vacher, dit tout le monde
De
Chalny chité de grand prix
Entre mins chités du
pays
Qu'il pasche de Kéron la barque
Autant bien qu'il
wardit no'vaque
Chisch trepassa d'ans chent dix neuf
Si gros de
vertus, comme boeuf
Boviers, vaques, kévals et ânes
Bien
wardez d'interrompre s'ame
D'un prologue d'Arnould Rogier,
intitulé Tout-Le-Monde le Vacher Iégendaire de Chauny,
récité par M. Delahaye le 23 mai 1868, à
l'ouverture du nouveau. théâtre de Chauny (détruit
en 1917 et non reconstruit), nous extrayons le passage suivant :
J'étais (1)
... le sais-je bien ? Dans la riche vallée
Par les soleils
brûlants, par la blanche gelée,
Sans autre vêtement
qu'un lourd sayon de peaux
Solitaire et rêveur, je gardais
vos troupeaux
J'étais un peu sorcier : de vingt lieues à
la ronde
On venait consulter le Vacher Tout-le-Monde.