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L'essor des
villes | |||
Derrière les
remparts | |||
Ses
activités | |||
L'émancipation
des villes | |||
L'université |
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Art français, art
ogival, art gothique… Ces différentes appellations témoignent des
difficultés rencontrées pour définir l'art nouveau qui s'épanouit en
Europe entre les XIIeet XVIe siècles. Ce sont les
Italiens qui, au XVIIe siècle, baptisent l'art français de
manière péjorative "art gothique", pour signifier barbare. Ce mot marque
le mépris porté alors à l'art médiéval. | ||||||||
D'un style à
l'autre | ||||||||
Aux alentours de l'an mil, "un
blanc manteau d'églises" couvre l'Occident. Essentiellement religieux,
l'art roman se caractérise par l'utilisation de la voûte en berceau. Ces voûtes de pierre
éprouvent la résistance des murs qui, pour supporter un tel poids, doivent
être épais et renforcés. Pour ne pas les fragiliser, on évite de percer
des fenêtres. Les églises romanes sont donc des bâtiments trapus et
sombres. Leur plan dessine généralement une croix latine et la décoration
est concentrée sur les chapiteaux, le
porche et le tympan<. | ||||||||
L'art
gothique se substitue peu à peu à l'art roman pendant la seconde moitié du
XIIe siècle dans les villes de l'
Île-de-France. Il se définit par l'utilisation systématique de la >voûte sur croisée d'ogives, d'arcs-boutants et de fenêtres en arc brisé. Empruntant des procédés du
style roman, l'architecture gothique recourt aussi à de nouvelles
techniques : la croisée d'ogives dirige les poussées de la voûte sur des piliers, et
non plus sur des murs ; les arcs-boutants servent de soutien extérieur aux
piliers, ils s'appuient sur des contreforts ; entre les piliers, les
murs qui ne soutiennent plus la voûte sont percés de hautes et larges
fenêtres en forme d'arc brisé. Le gothique s'exprime en premier lieu dans les édifices religieux. Il se trouve également dans la construction d'édifices civils ou militaires, comme des palais (palais de Saint Louis à Paris, palais de justice de Rouen), des châteaux forts (Falaise, Angers, Pierrefonds, château des ducs de Bourgogne à Dijon), des hôpitaux, des halles, des hôtels de ville, des beffrois, des maisons (maison Jacques-Cœur à Bourges, résidence des abbés de Cluny), ou des enceintes fortifiées (Carcassonne, Saint-Malo, Aigues-Mortes). | ||||||||
Un art de la lumière | ||||||||
"Une œuvre magnifique qu'inonde une lumière nouvelle"
L'art gothique est
d'abord un art de la lumière. La conquête de la lumière passe par
l'agrandissement progressif des fenêtres et par l'emploi de plus en plus
fréquent de verre plat, blanc ou coloré, même sur les constructions
civiles. Précurseur du "mur de verre" moderne, l'art gothique utilise le
verre à grande échelle dans l'architecture civile et religieuse.
D'immenses verrières inondent de lumière l'intérieur des édifices. | ||||||||
Les vitraux La conquête de la lumière, c'est aussi, dans les églises, le développement des vitraux. Dans son traité, De diversis artibus, le moine Théophile, au XIe siècle, évoque cet art et l'assemblage auquel on procède. Découpés au fer rouge, les morceaux de verre de couleurs différentes sont sertis dans un maillage de plomb, formant une mosaïque lumineuse. Ce déploiement, vif, brillant et coloré, participe de la riche décoration des églises. Il s'oppose à l'austérité cistercienne. L'art du vitrail aboutit, écrit Georges Duby, "…aux grandes roses qui rayonnent au milieu du XIIIe siècle sur les nouveaux transepts. Elles portent à la fois signification des cycles du cosmos, du temps se résumant dans l'éternel, et du mystère de Dieu, Dieu lumière, Christ soleil" Suger, pour réaliser les vitraux de Saint-Denis, "avait recherché avec beaucoup de soin les faiseurs de vitraux et les compositeurs de verres de matières très exquises, à savoir de saphirs en très grande abondance qu'ils ont pulvérisés et fondus parmi le verre pour lui donner la couleur d'azur, ce qui le ravissait véritablement en admiration". | ||||||||
Bien que
Villard de Honnecourt ne présente pas de vitraux dans le Carnet, il parle
de verrières et dessine plusieurs roses, dont celle de Chartres, ainsi que des fenestrages de pierre sur lesquels il
prévoit les feuillures pour les
verres. L'art du vitrail prend le pas sur la peinture murale. L'attention se recentre autour des maîtres verriers qui rehaussent les à-plats de verre pour y souligner les drapés. Un des plus beaux ensembles de vitraux se trouve à Chartres : 160 baies vitrées, 2 600 m2 de verrières comprenant quelque 5 000 personnages. Une rosace d'un diamètre d'environ 10 mètres surmonte chacun des trois portails. Les vitraux sont d'une grande richesse de couleurs où prévalent les bleus (le "bleu de Chartres") et les rouges au XIIe siècle, puis les verts et les ors au XIIIe siècle. Ils diffusent une lumière douce et colorée. Au milieu du XIIIe siècle, les grisailles, simple verre blanc rehaussé de dessins géométriques, sont de plus en plus employées pour laisser passer plus encore de lumière. Les parois de verre expliquent les Écritures et la vie des saints. Elles illustrent des épisodes de la Bible (vitrail de la Passion du Christ, 1155, au revers de la façade occidentale). Des scènes profanes sont également représentées (Le Marchand de vin, détail de la vie de saint Lubin, v.1200-1210, 2e fenêtre du bas-côté nord de la nef). Un style plus naturaliste se répand. Sur ce vitrail, une gerbe multicolore "explose" sur un fond rouge. À Chartres, la rose nord est offerte par la régente Blanche de Castille, mère de Louis IX. Elle représente une Vierge à l'enfant. Ces donations sont habituellement faites par les rois, l'Église, les plus fortunés, les chevaliers, les corps de métiers ou la ville. | ||||||||
La profusion du décor | ||||||||
La sculpture : "une Bible
d'images" | ||||||||
Aux portes
des édifices, des bas-reliefs relatent des scènes de la vie quotidienne de
l'époque comme le Calendrier des mois du portail de Saint-Firmin de la
cathédrale d'Amiens. Animaux fantastiques et autres monstres ont disparu.
Le décor se définit par son naturalisme. Ce souci de vérité s'étend à la représentation humaine. Les portails sont ornés de statues-colonnes. À Chartres, celles du portail royal représentent les rois et reines de l'Ancien Testament (v. 1150). Les compositions sont centrées sur le Christ aux traits d'un homme beau et bon tel le Beau Dieu d'Amiens (v. 1230). Les tympans représentent désormais un Christ sauveur et accueillant, à l'image du Christ du Jugement dernier au portail de la cathédrale Saint-Étienne à Bourges. Le décor des portails change avec la présence de Marie à qui la plupart des cathédrales sont dédiées sous le vocable de "Notre-Dame" : à Notre-Dame de Paris, un portail est consacré à la Vierge vers 1210. La sculpture ne fait plus corps avec le mur. De plus en plus dégagées de l'architecture, les statues perdent l'aspect immobile et fantastique des figures romanes. Les personnages s'humanisent et témoignent d'un souci de raffinement. Les mouvements et les attitudes deviennent gracieux, les poses plus naturelles comme en témoigne à Reims le sourire de l'Ange de l'Annonciation (v. 1250). Le vitrail et la sculpture sont considérés comme les arts les plus importants du gothique. Pourtant, les "arts mineurs" suscitent aussi des chefs-d'œuvre. Miniaturistes, ivoiriers ou orfèvres excellent dans leur art. | ||||||||
Les différentes périodes | ||||||||
Le
gothique s'étend du premier tiers du XIIe siècle jusqu'au XVIe siècle,
de la fin du monde roman à la Renaissance. On le divise généralement en
trois grandes périodes : Le gothique primitif (premier tiers du XIIe siècle - premier tiers du XIIIe siècle). Les premiers édifices gothiques sont encore assez trapus. L'arc en plein cintre ne disparaît pas immédiatement. On le trouve encore dans les grandes roses de façade. Les voûtes sont généralement conçues sur un plan carré, six branches d'ogives reposant sur des piles alternativement fortes ou faibles, ce qui permet de canaliser la poussée vers des points de retombée entre lesquels les murs ne seront plus porteurs. | ||||||||
À l'extérieur, apparaissent des
arcs-boutants dont la fonction est de contre-buter la poussée des voûtes
qui, avant leur invention, s'exerçait uniquement sur les murs. Ces
techniques rendent possible la construction de nefs de plus en plus
hautes. Les fenêtres restent pourtant d'une taille relativement modeste.
L'élévation comporte généralement
quatre niveaux : les arcades, les
tribunes, les arcatures aveugles et
les fenêtres hautes. Les chapiteaux, points de jonction de la voûte et de
la pile, sont ornés de motifs végétaux dont l'extrémité est recourbée en
forme de crochets. | ||||||||
Principaux
édifices : la basilique de Saint-Denis (1137-1144), les cathédrales de
Bourges (1172-1235), Chartres (1194-1220), Laon (1150-1233), Noyon
(1150-1220), Paris (1153-1250), et Sens (1130-1168). L'apogée (vers le milieu du XIIIe siècle) Le style atteint sa pleine mesure grâce à l'emploi de l'arc brisé, plus résistant que l'arc en plein cintre. Son usage se généralise, ce qui permet d'accroître considérablement la hauteur des murs et d'alléger l'allure de l'ensemble. Les verticales jaillissent du sol et montent vers le ciel, toujours plus haut, plus près de Dieu. Malgré ce goût pour la démesure, la recherche de l'harmonie est constante : la succession régulière des piliers et des arcs produit une impression d'équilibre et de régularité. | ||||||||
Les voûtes
deviennent rectangulaires ou barlongues, le plus souvent à quatre
quartiers. Ceci permet de répartir le poids de manière homogène sur des
piliers cantonnés (piliers à fût central cerné de quatre colonnettes
engagées). Les murs s'évident considérablement pour laisser place à de grandes fenêtres. Les ouvertures l'emportent sur les pleins et la lumière inonde ces vastes édifices ornés de sculptures, de miniatures et de rosaces. Les tribunes, dont l'inconvénient principal était de diminuer la lumière, sont remplacées par des arc-boutants. L'élévation à trois niveaux tend à se généraliser. Les chapiteaux sont ornés de bouquets de feuillage sculptés. Il est difficile aujourd'hui d'imaginer les conditions dans lesquelles travaillaient les hommes qui lançaient à près de cent cinquante mètres de hauteur les flèches de leur cathédrale. Ils n'avaient aucun moyen de calcul préalable et se basaient sur des méthodes empiriques dictées par l'expérience acquise sur des édifices bien moins ambitieux. Ils se montrèrent parfois trop audacieux. Aussi les accidents n'étaient-ils pas rares sur les chantiers des cathédrales : ainsi, en 1267 la tour de la cathédrale de Sens s'écroule, en 1272 la flèche de Sainte-Bénigne de Dijon, en 1284 la voûte du chœur de la cathédrale de Beauvais et en 1573 la flèche récemment édifiée. En Angleterre, au XIVe siècle, la cathédrale d'Hereford s'effondre. En Allemagne, en 1492, quatre ans après sa construction, la tour de la cathédrale d'Ulm penche dangereusement. | ||||||||
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Principaux
édifices : les cathédrales d'Amiens (1220-1270), Bourges (1172-1235),
Beauvais (1225-1270), Reims (1211-1287), et la Sainte-Chapelle
(1245-1248). Le gothique flamboyant (XVe et XVIe siècles) À la fin du XIIIe siècle, les efforts se concentrent sur le renouvellement du décor. Le dernier aspect de l'architecture gothique est donc moins marqué par une évolution de structure que par l'ajout, voire la surcharge, d'ornements. Certains plans sont même simplifiés. Les décors et les frises à base de motifs de flammes ou de torsades deviennent exubérants. Principaux édifices : Saint-Vulfran à Abbeville, Saint-Jacques à Dieppe, Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris, Saint-Maclou à Rouen. | |||||||
Diffusion du gothique en Europe | ||||||||
Aujourd'hui, des
édifices gothiques se dressent aux quatre coins de l'Europe, d'Alcobaça au
Portugal, à York ou Salisbury au Royaume-Uni, en passant par Uppsala en
Suède, Prague en République tchèque ou Assise en Italie. Au Moyen Âge, le
gothique se répand rapidement hors de sa région d'origine, en s'adaptant
de manière plus ou moins prononcée à l'architecture locale. | ||||||||
Les
"commis voyageurs" du gothique, du XIIe au XVe siècle, sont nombreux.
On relève les noms de Mathieu Paris (cathédrale de Trondheim en Norvège),
Petrus qui, au milieu du XIIe siècle,
construit la cathédrale de Tolède, &Eactute;tienne de Bonneuil
(cathédrale d'Uppsala en Suède), Jean le Maçon (cathédrale de
Gyulaféhérvar, Transylvanie), Mathieu d'Arras (cathédrale de
Prague). Le gothique trouve en Europe des expressions différentes. L'Espagne est influencée par les écoles françaises. La cathédrale de Tolède au XIIIe siècle ressemble à la cathédrale de Bourges. Mais les influences arabes demeurent également, en Espagne et au Portugal, dans la forme des arcs. L'Angleterre généralise la croisée d'ogives dès la fin du XIe siècle, l'architecture s'y développe de manière originale. À Londres, les maisons du Parlement (XIIIe siècle) ont une allure colossale. Leurs lignes perpendiculaires définissent le gothique anglais. La cathédrale de Cologne (1240-1322) présente un modèle français de l'autre côté du Rhin. Le chœur reproduit celui d'Amiens et de Beauvais. Dans l'opulente cité de Venise, le Grand Canal est bordé de maisons et de palais bâtis par de riches marchands ou des nobles. La façade du palais Ca'd'Oro (1421-1440) est de style oriental. Les balcons sont ornés de rosaces ajourées, marque d'un style gothique librement interprété. Bien qu'elle ait lieu à des époques et dans des régions différentes, la diffusion du gothique touche tout l'Occident chrétien. |
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Maître d'ouvrage
et maître d'œuvre | |||
Le lien
entre la personne qui commande la construction d'un ouvrage et en garantit
le financement - le maître d'ouvrage - et celle à qui il donne la charge
de concevoir, d'expliquer et de contrôler la réalisation de cet ouvrage -
le maître d'œuvre - est à l'origine fondé sur la confiance. Puis les
contrats entre maître d'ouvrage et maître d'œuvre se répandent dans le
courant du XIIIe siècle. Le rôle du commanditaire est déterminant. La mort de Suger en 1151 stoppe la reconstruction de l'abbatiale de Saint-Denis et il faut attendre quatre-vingts ans pour voir de nouveau le chantier s'activer. Le rapport entre les deux protagonistes évolue au cours de la période du gothique. À partir du XIIe siècle, les édifices religieux devenant de plus en plus importants demandent de grandes compétences. Des gens de métier, laïcs, de plus en plus rarement des religieux sortis du rang, remarqués pour leur expérience, leur culture et leur capacité à organiser des chantiers, sont chargés de concevoir ces édifices et d'en diriger la construction. À une époque où les différents corps d'état sont encore peu nombreux et moins spécialisés, un homme expérimenté pouvait, plus facilement que maintenant, concevoir un édifice complexe et en coordonner le chantier. Villard est peut-être un de ces bâtisseurs. Des compétences qui s'apparentent à celles des architectes contemporains sont de plus en plus courantes. Mais les prouesses des maîtres d'œuvre et leur renommée soudaine attisent les jalousies, en particulier celle du maître d'ouvrage. Quelles traces ont laissé les maîtres d'œuvre de l'abbé Suger ? Les "architectes" de la période du gothique primitif ne sont pas passés à la postérité même si leur talent est reconnu. | |||
Le maître d'œuvre
se fait un nom | |||
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Un art de "professionnels" Le bilan des bâtisseurs du gothique est impressionnant, des dizaines de cathédrales, des centaines d'églises s'érigent alors. La construction d'une cathédrale rappelle la grande ferveur des bâtisseurs, leur enthousiasme et l'affirmation du pouvoir de l'Église au cœur de la ville. Des chantiers s'ouvrent en tous lieux et peuvent durer de nombreuses années. Ces chantiers voient la naissance d'une collaboration entre l'évêque, les chanoines et le maître d'œuvre. La construction est réservée à des techniciens compétents. Une hiérarchie stricte existe entre les métiers. Des sculpteurs, des tailleurs de pierre, des dessinateurs, des charpentiers, des menuisiers, des couvreurs, des maçons, des forgerons des verriers, des carriers... se retrouvent sur les chantiers. Le proviseur, choisi par le chapitre des chanoines pour diriger les travaux, acheter les matériaux et tenir les comptes, engage sur le chantier des ouvriers hautement qualifiés. | ||
L'économie des
matériaux | |||
Les
constructeurs gothiques étaient confrontés quotidiennement aux difficultés
d'approvisionnement et de transport des matériaux nécessaires au chantier,
que ce fût le bois, la pierre, la chaux, le fer ou le parchemin.
Économiser les matériaux utilisés était par conséquent au centre des
préoccupations des constructeurs et conditionnait, directement ou
indirectement, leurs choix techniques. | |||
Le bois Au XIIIe siècle, la surexploitation des forêts, leur amenuisement rapide au profit de zones agricoles et la modification de leur composition, conséquences de la poussée démographique des XI-XIIe siècles, engendrent une pénurie du bois de construction. Les fréquents incendies qui, dans les villes comme dans les campagnes, affectent les bâtiments, ainsi que les réquisitions pour des besoins militaires, engins, fortifications, charrois, etc. augmentent encore la demande en bois d'œuvre. Les arbres d'un grand âge, qui pouvaient fournir des pièces de grosse section, étant devenus rares, les constructeurs sont conduits, dans toute la zone où naît le style gothique, à modifier le système de charpente utilisé jusqu'alors. Les fermes massives des combles de charpentes classiques, espacées de trois à cinq mètres, sont remplacées par des chevrons fermes. Les éléments de ces fermes légères, rapprochées de 60 à 90 centimètres, ont en outre l'avantage d'être plus aisément hissés depuis le sol et assemblés. Face à la pénurie, les maisons de bois sont remplacées peu à peu dans les villes par des maisons en pierre, et on s'efforce tant pour les ouvrages permanents (charpentes, planchers...) que pour les ouvrages provisoires (échafaudages, cintres...) de construire aussi léger que possible. Villard donne dans son Carnet plusieurs procédés qui répondent à ce souci d'économie du bois d'œuvre. Au sortir du XIIIe siècle, les forêts sur le territoire de la France actuelle ne couvrent plus que treize millions d'hectares, soit un million de moins que de nos jours. | |||
La
pierre | |||
Le fer Malgré le développement de la métallurgie depuis le XIe siècle sous l'impulsion des besoins militaires, le fer reste un métal rare dont on doit prendre grand soin. Tout un chapitre de la règle de saint Benoît est consacré à l'entretien des instruments en fer. Au XIIIe siècle, le fer est utilisé essentiellement dans les outils, fort peu dans les constructions où on évitait autant que possible les chaînages métalliques ainsi que les pièces de raccordement ou de renforcement en fer dans les charpentes. Le carnet de Villard montre uniquement des engins et des ouvrages en bois. Même les scies, hormis leurs lames, ne comportent aucune pièce métallique. Le parchemin C'est sur parchemin que sont dessinés les modèles en réduction, qu'il faut reproduire à l'échelle sur les aires à tracer ou sur les murs. Aussi les exécutants ont toujours ce modèle à disposition. Le parchemin au XIIIe siècle est coûteux et précieux et on doit l'économiser. Il est fait d'une peau d'animal - mouton, chèvre, veau - tannée et poncée, dont les dimensions sont forcément limitées; on utilise donc les deux faces et on récupère des feuilles déjà utilisées dont on gratte les inscriptions devenues inutiles. On s'efforce aussi de réduire la taille des dessins et d'en mettre plusieurs sur la même feuille si cela ne présente pas d'inconvénients. Lorsque le parchemin est trop usé, on le traite pour en tirer de la colle. | |||
Les tracés
Les tracés sont faits sur des aires en mortier de chaux ou en plâtre, coulées sur une surface plane, ou sont dessinés ou gravés sur des murs. Mais les surfaces dont on peut disposer pour cela, dans un édifice en construction, sont limitées et il faut éviter les tracés inutiles, en ne dessinant qu'une moitié d'arc ou de fenestrage si l'autre partie est symétrique, en standardisant les éléments, en ne faisant les tracés qu'au fur et à mesure des besoins, enfin en les superposant. "Lorsqu'il s'agissait d'élever une cathédrale (…) il eût fallu pour tracer, à grandeur d'exécution, toutes les épures nécessaires, écrit Viollet-le-Duc, un emplacement plus vaste que n'était la surface occupée par le monument lui-même. Force était alors de chercher des moyens de tracé occupant peu de place et présentant cependant une exactitude rigoureuse." Dans de telles conditions, il n'est pas surprenant que peu de dessins de l'époque aient subsisté. Ce sont en général ceux qui étaient destinés aux commanditaires et ont été conservés dans leurs archives. Mais on peut encore trouver sur les murs de certains édifices - comme ce fut le cas pour Roland Bechmann à Saint-Quentin - des tracés gravés, parfois superposés et enchevêtrés, qui ont servi à la construction et sont restés sur place. Ils révèlent parfois les méthodes de travail ou les intentions des constructeurs. Le carnet de Villard témoigne combien les gothiques étaient soucieux d'économiser le parchemin. Avec l'élévation rétrécie d'une travée de la cathédrale de Reims, c'est l'adaptation du dessin à la surface disponible du parchemin qui est illustrée. La série des figures de l'art de géométrie des pages 36 à 38 et celle des dessins de la maçonnerie des pages 39 40 et 41 du Carnet montrent comment Villard a cherché à mettre le maximum de dessins sur quelques pages, en indiquant les seuls détails qui lui paraissaient indispensables. Une autre méthode économisant la surface du parchemin consiste, dans le cas d'un élément symétrique, à n'en dessiner que la moitié, et dans le cas de deux éléments identiques, à n'en dessiner qu'un. La tour de Laon en fournit un exemple: les deux tours de la cathédrale étant symétriques, Villard n'a pas jugé utile de les dessiner toutes deux. |
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Représentant à la fois le bureau d'études d'ingénierie, le
coordinateur tous corps d'état et le conducteur de chantier, le
constructeur du XIIIe siècle devait,
en particulier, mettre au point les engins nécessaires à l'équipement du
chantier. On retrouve souvent sur des dessins, des peintures, des miniatures ou des bas-reliefs du Moyen Âge, les engins de levage ainsi que les instruments utilisés sur les chantiers du temps de Villard : le compas, l'équerre, la règle, le cordeau, le niveau, ou les "moles". | ||||||||||
Engins de
levage Les constructeurs gothiques utilisaient des machines pour soulever bois et pierres. Les plus puissantes étaient composées d'une grande roue en "cage d'écureuil" mue par des hommes se déplaçant à l'intérieur de celle-ci. Parmi tous les dispositifs mécaniques qu'il a imaginés, Villard nous a légué les dessins d'une machine élévatoire. | ||||||||||
Le compas Les compas utilisés du temps de Villard sont de plusieurs types. Villard a figuré dans son Carnet un compas à secteur dans lequel le quart de cercle, fixé sur l'une des branches, coulisse à travers l'autre branche ce qui permet à la fois le blocage du compas sur certaines positions d'ouverture et l'utilisation de graduations gravées sur le secteur courbe pour retrouver angles et proportions. Les compas à branches articulées se faisaient de diverses dimensions, avec ou sans "secteur" et en général sur le chantier, à pointes sèches, facteur de précision. Sur le chantier, l'architecte en compagnie de son aide, l'appareilleur, utilisait un très grand compas pour reporter, grandeur nature, les tracés des projets sur les pierres. | ||||||||||
L'équerre Pour l'ouvrier de l'époque de Villard, l'équerre est le gabarit d'un angle droit. L'équerre de Villard présente, comme certaines équerres qu'on trouve sur des bas-reliefs, la particularité que les angles droits qui sont de part et d'autre des branches ont leurs côtés non parallèles. Cette légère convergence a donné lieu à diverses hypothèses. Les deux branches d'une équerre pouvaient comporter des repères gravés permettant de tracer des angles particuliers ou des rapports utiles (côté du carré et sa diagonale, proportion dorée, angles correspondant à différentes figures). Sur un vitrail de la cathédrale de Chartres, qui représente les outils des maçons et des tailleurs de pierre, on voit une curieuse équerre dont l'une des branches est courbe, la tangente à la courbe au raccordement avec la branche droite étant perpendiculaire à cette branche. C'est en somme un gabarit adapté à une courbe donnée, et qui permet, à partir d'un rayon, c'est-à-dire d'un joint entre deux claveaux>, de tracer la courbe de l'intrados de l'arc. | ||||||||||
La règle La virga, ou latte à mesurer, était un instrument de mesure simplificateur par définition. Étalon de longueur sur le chantier, il répondait à la fois à une économie de matière, à une commodité de manipulation, à un moindre encombrement à l'atelier et sur le chantier ainsi qu'à une facilité d'accession qui ne nécessitait pas obligatoirement de savoir lire. Il pouvait notamment permettre de réaliser une opération d'implantation au sol. La virga est parfois représentée, sur certaines miniatures, entre les mains de l'architecte comme une baguette de chef d'orchestre. À une époque où les mesures variaient d'une province à l'autre et même d'une ville à l'autre, et où chaque ouvrier n'avait pas, comme aujourd'hui, son mètre pliant ou roulant dans la poche de sa cotte, la virga était la mesure propre à chaque maître d'œuvre et l'insigne de son commandement. | ||||||||||
Le cordeau Le cordeau est l'outil simple et pratique sur tout chantier. Lesté, il sert de fil à plomb et définit la verticale, s'il n'y a pas de vent... Il sert aussi à tracer des rayons convergeant sur un centre et permettait de tracer les joints d'un arc à partir du centre, ce que Villard montre page 40. Le cordeau peut aussi permettre de tracer, sur le terrain ou l'aire de traçage, des cercles de n'importe quelle dimension. Il peut matérialiser des droites et reste d'usage courant sur les chantiers pour marquer les axes principaux ou les parements des murs. On pouvait aussi en principe, mais de façon plus approximative en pratique, trouver le centre d'un arc en prolongeant avec un cordeau les joints d'un claveau, ou d'un voussoir, comme le suggère la légende d'un croquis de la page 41. Villard montre comment en enroulant un cordeau autour d'un cylindre, sur lequel des points ont été régulièrement disposés le long de génératrices, on peut tracer une hélice, pour tailler une vis. | ||||||||||
Le niveau Le niveau, parfois combiné avec l'équerre, servait à vérifier les aplombs. Au XIIIe siècle, les constructeurs n'ont à leur disposition que différentes formes de niveau à plomb. L'archipendule servait de niveau et d'équerre et pouvait aussi être utilisée pour mesurer des pentes grâce à des repères sur la traverse. Villard montre en plusieurs endroits une sorte de niveau-règle. Lorsqu'il parle de "plomb", il peut désigner le plomb du niveau qui permet de mettre cet instrument horizontal ou vertical en modifiant le point d'attache du fil. En général, d'ailleurs, les deux termes "sans plomb et sans niveau" sont couplés. | ||||||||||
Les "moles" Exécutés en métal ou en bois, les "moles" étaient des modèles (des "patrons" au sens où l'entendent les tailleurs d'habits) des différentes faces des pierres. Ce mot désignait aussi les gabarits qui indiquent la section et les profils des moulures, des nervures, des bandeaux, des saillants, des colonnes et piliers de toute espèce. Plaques découpées de faible épaisseur, sur le modèle duquel on taillait le profil et qu'on faisait courir sur toute la longueur de l'élément profilé pour en vérifier la conformité, ces gabarits pouvaient êtres utilisés pour des éléments courbes. Ces modèles, grandeur nature, étaient encombrants et onéreux mais permettaient l'exécution à distance, sur le lieu où l'on taillait les pierres. Pour réduire la dépense et faciliter le travail, tant de ceux qui les dessinaient et les découpaient que de ceux qui les utilisaient pour tailler la pierre, il fallait réduire autant que possible le nombre de modèles différents. Ainsi les constructeurs étaient-ils amenés à rechercher la standardisation des pierres. À plusieurs reprises reviennent dans le carnet de Villard de Honnecourt des expressions telles que sans mole (sans modèle), sans niveau, sans plomb, comme si l'un des soucis des architectes du XIIIe siècle avait été, chaque fois que possible, de se passer de ces moyens qui intervenaient dans l'exécution. Les erreurs possibles d'un nivellement exécuté de proche en proche, avec un niveau de dimensions réduites, ou la difficulté d'utiliser un fil à plomb le long d'une paroi parsemée de saillies expliquent sans doute le souhait de pouvoir se passer parfois de ces instruments. Quant à l'intérêt de se passer de "moles", il réside dans l'économie réalisée, les modèles, reproductions grandeur nature généralement en bois des faces des pierres à tailler, étant onéreux. |
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Quatre pages du Carnet concernent ce que Villard nomme "l'art de iométrie". Les précédents commentateurs du manuscrit avaient pensé que cet ensemble de représentations pouvait constituer un système grossier pour faciliter le dessin des figures. Or, il fallait inverser l'idée, en s'appuyant sur l'existence d'une tradition mnémonique qui apparaît non seulement en astronomie mais également dans des traités de géométrie de l'époque. Les constructeurs devaient se rappeler les opérations nécessaires pour construire ou vérifier un angle droit, dessiner un triangle équilatéral, un carré, un "rectangle d'or", un pentagone, un décagone, un heptagone, retrouver le développé d'un arc de cercle, comparer des surfaces et des volumes dans des figures semblables. Ces croquis de Villard sont là pour aider l'homme de chantier à se remémorer les constructions géométriques, lorsqu'il en a besoin, de la même façon que les figures d'animaux, d'objets, de personnages reproduits sur la carte du ciel permettaient de se souvenir de la disposition des étoiles dans les constellations et de les reconnaître. C'est ce que Villard souligne en écrivant qu'elles sont utiles pour "œuvrer". Les quatre
personnages nus : une grille de construction basée sur le carré | |||
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Pour permettre de tailler d'avance et avec précision les pierres d'un arc, d'une voûte ou d'un mur, les constructeurs gothiques ont développé "l'art du trait", d'où est issue la stéréotomie, science de la coupe des pierres qui s'applique également à la coupe des bois destinés aux ouvrages de charpente. Certains dessins du Carnet dévoilent l'étendue des connaissances de Villard de Honnecourt dans cet art de la coupe des pierres. Soucieux de ne pas divulguer ses méthodes à des profanes, il n'y indique que l'essentiel. Pendant cent cinquante ans, ces petits croquis ont paru sans intérêt aux commentateurs du manuscrit qui n'en comprenaient pas la signification. Et pourtant, ces dessins énigmatiques proposent des recettes pratiques pour faciliter et optimiser la taille des pierres ou indiquent comment disposer les joints d'une colonne, comment tailler les pierres d'un arrachement, ou encore celles d'une voûte biaise. Tailler une
voussure pendante : un tour de force technique | |||