Carnet I de MMe Cappelle née Denis pendant la guerre
                 du Jeudi 1er Avril au Vendredi 30 avril 1915          

Jeudi 1er Avril Au moment où l'on célèbre la cérémonie du Jeudi-Saint, les allemands déclarent qu'ils ont besoin de l'église, force est donc de célébrer l'office dans la petite chapelle des soeurs noires.
Profitant du beau temps les aéroplanes survolent presque chaque jour la ville malgré le tir des canons et des mitrailleuses.
Samedi 3 avril Bertha, cusinière de Maman est à nouveau emprisonnée pour s'être moquée des ordonnances lors de la tentative manquée d'Ypres. ( Entre nous je crois qu'elle leur a adressé un " pied de nez.").
Trois jours de prison.
Maman intercède pour elle près du général qui a signé l'arrêt mais sans succès.
Dimanche 4 avril Jour de Pâques et 1ère communion de notre Guiguite, l'ainée de nos enfants.
Notre chère petite fille s'est approchée pour la première fois de la Ste Table ce matin dans la chapelle du couvent St Georges accompagnée de son Papa et de sa Maman et de ses Grands Parents et de toute une escorte d'oncles, tantes et cousins.
Puis déjeuner chez Bonne Maman et cet après diner, réunion de famille chez nous, où, autour de la table à thé, les nôtres font honneur aux desserts de guerre.
Jean Marie, Geneviève, Louise ont offert à Guiguite leurs félicitations dans de petits compliments gentliment troussés et l'héroïne de la fête a même chanté son bonheur en quelques strophes si touchantes que je veux en garder ici le souvenir :
" Le doux Jésus en entrant dans mon coeur m'a fait jouir du plus parfait bonheur
en ce beau jour de joie et d'allégresse de mon divin Sauveur, j'ai senti la tendresse.
Béni soit Dieu pour pareille faveur.
Je lui dois tout , je lui donne tout mon coeur.
Que ma prière de sa bonté suprême,
Rende heureux mes Parents tous ceux que mon coeur aime."
Mercredi Départ du Dr John qui se rend au Lazaret. Arrivée le même jour d'un nouvel officier le lieutenant Westoffen du 201, qui occupe la même salle . Les deux ordonnances couchent sur des couvertures apportées par eux dans la chambre contigüe à la salle d'enfants.
On vient demander combien de lits sont occupés chez nous par des hommes entre 14 et 45 ans.
Rep: Aucun
Jeudi 8 Avril Nous recevons.
Dimanche Un schrapnell lancé contre un avion retombe , éclate tuant un soldat et en blessant deux.
Grand diner en musique suivi de sauterie chez mes beaux Parents.
Lundi 12 Départ du 171 ème.
Le lieutenant Westoffen tombe malade chez nous, ses ordonnances le soignent. Ces deux ordonnaces semblent de braves garçons catholiques tous deux mais bien ennuyeux quand même car ils s'installent à demeure dans la cuisine où ils font tout à leur aise leur petit ménage.
Mercredi Grande fête en l'honneur de la visite du roi de Wutemberg qui dine chez MMe Lannoy.
Sur la place garnie de plantes vertes et de drapeaux, revue des troupes, pendant laquelle 6 avions allemands survolent la ville à faible hauteur.
Jeudi 15 Alarme durant la nuit.
Départ du 136ème .
2 avions allemands sont contraints d'atterrir grâce aux mitrailleuses dont sont munis les appareils des alliés.
Vendredi 16 Les allemands trouvent des baïonettes à l'Hôtel de Ville.
Le "lieutenant" Westoffen est guéri.
Samedi La Commandanture fait demander le nom et le nombre de nos logeurs et combien nous possédons de lits.
Elle a la mémoire courte la Commandanture.!
Encore un avion allemand capout !
Les anglais auraient, dit-on, fait sauter le "Zantberg".
Dimanche Alarme cette nuit.
Notre officier et ses ordonnances doivent se sentir prêts à partir ce soir.
Passage d'un prisonnier belge : Gravier de Bousbecques, prisonnier qui adresse des paroles encourageantes à tous ceux qu'il rencontre malgré les horions que les allemands lui administrent.
Lundi 19 Vers midi alarme.
Départ précipité du lieutenant et de ses ordonnances Frans et Karl. Nous supposons qu'ils se rendent au front car le malheureux Karl rouge et agité semble fort triste.
Nos logeurs partis nous déménageons notre salle à manger..
Mardi 20 Visite de Ch. Dewitte qui arrive de Hollande
Nous achetons 1/4 de porc pour le saler.
Entre 8 et 10 heures du soir nous entendons une vive fusillade et canonnade. Le ciel est tout éclairé par le feu des canons et des milltrailleuses .
Mercredi 21 Un allemand parlant de l'attaque d'hier dit que les charges à la baîonette ont commencé vers 5 heures de l'après midi et que si les anglais avaient voulu, ils auraient pu entrer en ville.
Chaque jour des avions alliés survolent la ville malgré les schrapnells qui éclatent autour d'eux.
Vendredi 23 Grand évènement en ville !
Alarme vers 11heures du matin. Départ de toute la 201ème.Quittent donc la maison de mes beaux parents : le général Van Porvel, le lieutenant von....., l'adjudant von Wentzel, le pasteur Voelcke, le cuisinier et ses aides , les ordonnances , toue la smala, enfin.!
Aussitôt leur départ, nous procédons à un nettoyage plus que nécessaire. La cusine surtout est à signaler. Quel dommage que la photographie ne puisse pas rendre les effets de graisse dont sont enduits les meubles , le poële, la table ! etc.
Des casseroles, des boîtes de conserves éventrées et à moitié vides gisent dans tous les coins.
A noter que cette perle des maîtres coqs nettoyait sommairement sa batterie de cuisine en l'essuyant à l'aide d'un vieux caleçon et que les vers vivaient en paix dans les ustenciles à hacher la viande.
Pour la première fois, la porte d'entrée ouverte depuis des mois et où depuis des mois veillait une sentinelle est enfin fermée. Il n'y a presque plus de troupes en ville. Vont elles revenir ?
Grave question !
Les allemands annoncent une avance du coté de Langermark grâce aux gaz asphixiants.
Samedi Jean obtient à la Commandanture d'Halluin un laisser passer valable plusieurs jours et renouvelable ; grâce auquel il espère pouvoir faire quelques affaires et gagner une pièce d'argent bien nécessaire.
La Commandanture d'Halluin est assez accomodante mais la notre est un modèle du genre.
La plupart du temps le pauvre quémandeur est remis à plus tard, souvent il n'obtient rien, souvent aussi il est expédié en bonne forme par un "raus "!!. des plus énergiques.
Comme salle d'attente : le trottoir sous l'abri précaire d'une marquise, vraie trouvaille pour les courants d'air.
Quoi d'étonnant dès lors que l'Orts Commandant ait reçu des Meninois le beau titre "d'Ours commandant"..
Dimanche Un Hauptmann du 171ème vient loger chez nous.
Lundi Il quitte la maison, un officier de hussards le remplace.
Mardi Un sous officier de la Kommandanture vient nous faire une scène en règle pour nous obliger à installer la chambre des allemands dans la salle à manger. Il menace Jean ,s'il résiste, d'un emprisonnement en Allemagne.
Rien que cela !.
Vendredi 30 avril Depuis hier forte canonnade qui ébranle nos maisons.
Des affiches de la Commandanture prescrivent des mesures d'hygiène pour enrayer une épidémie de typhoïde menaçante.