Carnet 3 de Mme Cappelle Louise née Denis pendant la guerre
                      du Jeudi 1er février au Mercredi 28 Février 1917                 

Jeudi 1er février Un avion anglais tombe aujourd'hui, Faubourg de Bruges, à quelques mètres de Pierre Ghesquière. Les deux aviateurs qui semblaient vivants avant de tomber sont relevés morts et très mutilés.
Vendredi Distribution de vêtements envoyés d'Amérique..
Samedi 3 janv (sic) On annonce le départ du Commandant de Place : Ribbentrop et l'installation d'un nouveau.
De ce coup Mme Bernaert qui depuis des mois et même des années sollicitait en vain l'autorisation de rentrer à Menin pourra venir rejoindre son mari et son fils..
Dimanche Tous les cafés et certains magasins sont interdits aux soldats allemands. Bonne mesure, cela mettra fin à bien des abus.
Lundi Le ravitaillement devient plus important. Cette semaine nous obtenons :
     250 gr riz par personne
     100 gr lard salé
     100 gr saindoux
     et une boite de lait par semaine pour les enfants nés en 1914, 1915 , 1916.
Nous en avons eu un chaque année.
Mardi On annonce la rupture des relations diplomatiques entre les Etats Unis et l'Allemagne.
Jeudi Le " bien public" et " het Volk ", les seuls journaux belges qui nous parviennent sont dorénavant interdits. .
Dimanche 4 Février Quatrième leçon de patinage. Le professeur est bon, heureusement et près de lui je réussis à faire honnête figure sur la glace mais s'il s'éloigne !... patatras.
Jean-Marie est plus franc et bravant les culbutes il se lance avec nous comme un petit homme. .
Vendredi 9 février Le transit par bateaux étant devenu impossible, le charbon n'arrive plus à Menin. Les marchands ont reçu l'ordre de réserver tout leur stock pour la Commandanture et notre provision touche à sa fin. Que faire ?
Mme S. heureusement nous cède 500 kg de charbons d'usine dont on se contente faute de mieux.
Dimanche Réquisition de sabots par l'allemand.
Lundi 12 février Arrivée chez nous du Rittmeister Kressig de l'abattoir.
Mercredi 14 Mme Bernaert rentre à Menin . C'est un évènement pour la ville . .
Jeudi 15 Le Rittmeister exige le bureau américain de Jean qui se trouve dans sa chambre.
Ce matin à 5 heures, le signal d'alarme retentit au beffroi. Un incendie !. Où serait-ce ? Bientôt un coup de sonnette vient nous l'apprendre: " le feu est à l'usine ".
Jean se hâte et moi-même dévorée d'anxiété je ne tarde pas à me mettre en route.
Quelle inquiétude est la nôtre ?

Nos craintes heureusement ne se confirment pas mais hélas les faits n'en sont pas moins tristes. Henri Casier, le veilleur de nuit, un brave homme qui depuis de longues années était de service à l'usine reste introuvable. On apprend bientôt qu'il est la proie du feu sans qu'on puisse bien se rendre compte de la cause de cet affreux malheur.
Albert qui estimait beaucoup ce bon ouvrier se montre très affecté de sa perte.
On m'apporte ce matin des détails sur la mort de Maman Denis qui s'est montrée très peinée et très résignée priant beaucoup pour les siens.
Détail qui me cause une vraie joie. La photographie de notre maisonnée que je lui avais fait parvenir quelques jours avant sa mort ne l'a plus quittée, m'a t-on dit, et lui a causé une de ses dernières joies.
Samedi 17 Enterrement de Henri Casier. Toute la famille vient y assister.
Dimanche Savez vous la nouvelle ?. la mauvaise nouvelle.
Ribbentrop que l'on croyait parti pour de bon est de retour dans sa bonne ville ! De retour ! et décoré de la Croix du mérite encore !
C'est sa bonne administration de la ville qui lui vaut cela certainement .
On le cite dit-on comme modèle et messieurs ses confrères viennent solliciter ses conseils.
Ah! certes, cette réputation n'est pas usurpée et les Meninois lui rendent pleine justice .
Personne comme lui ne s'entend à tourmenter, tracasser une population . Gros, rouge, toute sa personne respire l'arrogance et la suffisance . C'est le type parfait du tyranneau faisant peser sur la ville le règne de l'arbitraire et du bon plaisir. Ses subordonnés se modelant sur leur chef jouent avec sérieux leur personnage et la Commandanture est souvent témoin de scénes révoltantes. Tous les allemands heureusement ne sont pas taillés sur le même modèle et je rends volontiers justice ici aux médecins allemands des diverses ambulances qui, très obligeamment et toujours gratuitement, se sont mis au service des malades de la ville.
Gérard notre neveu atteint d'une hernie a été opéré avec succès par le Dr....(blanc)
Irma, la bonne de nos enfants souffrante d'un eczéma rebelle aux traitements s'est vue soulagée grâce au Dr... (blanc)
Réquisition des noyers de la ville.
Lundi 700 lits doubles sont installés à l'usine. Cela fait de la place pour 1400 h.
Mardi 20 Les allemands visitent les maisons afin d'en masquer les toits vitrés.
Une sirène d'alarme est installée au beffroi. Dès qu'elle se fait entendre, chacun doit entrer dans les caves ou... 500 m d'amende..
Mercredi 21 Une affiche portant le nom, l'age, la profession de chaque membre de la famille doit être affichée dans le couloir d'entrée de chaque maison.
Nouvelle réquisition en perspective:
- Combien possédez-vous de matelas en laine ?
-un..... les autres sont en kapok.
- en Kapok ! Qu'est-ce que cela ?
- un nouveau produit qui remplace la laine....
Vendredi 23 On annonçait hier soir des perquisitions pour cette nuit.
Mauvaise nouvelle !
Tous les hommes sans distinction de classe dit-on devront tour à tour travailler pour l'armée.
Dimanche 400 jeunes gens de 17 à 25 ans parmi lesquels des collégiens sont désignés pour partir au travail.
La ville est en rumeur. Mr le Principal du Collège fait une démarche à la Commandanture pour obtenir que ses élèves soient exemptés. On dit qu'il n'a rien obtenu. Ce soir les travailleurs rentrent. Ils ont du décharger des tuiles et des briques.
Lundi Départ des travailleurs à 5h20 du matin . Les collégiens sont dispersés.
Ce soir tout le monde rentre. Les jeunes gens interrogés racontent qu'ils ont du décharger des tuiles et des briques mais ce dont ils ont le plus souffert , c'est de la conduite et des méchants propos de certains ouvriers trop heureux de voir à la peine ces odieux bourgeois.
Mardi L'ordre du travail pour la classe bourgeoise est contremandé.
On ignore la raison de cette volte face, les uns l'attribuent à l'influence de certains officiers qui n'approuvaient pas cette mesure, d'autres supposent que le mauvais esprit des socialistes aurait mécontenté les allemands eux-mêmes.
Mercredi 28 Février Ce soir visite de nos maisons pour s'assurer si nous sommes tous bien là.
Grand arrivage d'excellente viande de moutons de Hollande pour toute la ville.