Carnet 2 de Mme Cappelle Louise née Denis pendant la guerre
                      du Mercredi 1er au Vendredi 31 mars 1916                 

Mercredi 1er mars Les allemands augmentent la solde des soldats mais ne leur fournissent plus qu'un seul repas par jour.
Tant pis pour nous et gare à la hausse et à la raréfaction des vivres.
Les prix de certaines denrées et leur rareté décourageant les acheteurs, on fait des échanges entre soi.
Jean cède aujourd'hui un litre de genièvre à P. Ghesquière contre un litre d'huile à salade qui se vend déjà 15 frs.
4000 kg de papier sont expédiés aujourd'hui sur Courtrai. Nous risquons une belle amende.
Jeudi Arrivée du recours en grâce.
Les 18 mois de prison sont commués en 6 mois de forteresse plus 10.000 marks d'amende.
C'est une grâce payée au prix fort néanmoins nous préférons et de beaucoup le nouvel état de choses pour mon beau père.
A 4h1/2 du matin, violente action d'artillerie au front. Ce serait une contre attaque allemande en réponse à l'attaque d'hier.
Vendredi Le départ de Papa est définitivement fixé à demain;
Les visites sont autorisées toute la journée. Ces adieux sont pour Maman un nouveau déchirement, quant à Papa il paraît plutôt heureux d'échapper fut-ce de cette façon à l'affreuse solitude de la cellule.
Le régime de la forteresse est nous dit le juge beaucoup moins pénible que celui de la prison. On y jouit d'un certain confort en compagnie d'autres détenus. C'est somme toute le régime d'un officier allemand en punition.
Les sorties en ville sont parfois même permises.
Samedi 4 mars Papa part pour l'Allemagne. En voiture d'abord sous la conduite de Haussmann jusqu'à Courtrai puis de là par chemin de fer. Il fait un temps affreux, neige et froid glacial .
Pauvre Papa ! Quand et comment le reverrons nous ?
Dimanche 5 Mars Les allemands installent une "Offizierzem" dans la maison des demoiselles Staes obligeant celles-ci à se loger ailleurs.
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Une morne résignation a succédé aux altenatives d'abattement et d'espoir de l'an passé !. La délivrance semble encore lointaine ! Le cercle de fer des exigences allemandes va sans cesse se rétrécissant autour de nous ; enfin le voisinage des villes du Nord affamées de Commines et Werwicq bombardées nous est une cause d'angoisses et de perplexités.
Mardi Nous payons aujourd'hui les 10000 m d'amende de Papa.
Mercredi et jeudi Important mouvement de troupes allant et venant.
Canons, caissons. Ponts de bateaux. Ces troupes ont leurs numéros cachés.
Encore un échange
Flore me cède une ancienne vareuse de ses enfants contre un vieux paletot de Jean destiné à Gérard.
Vendredi On annonce la jonction des Russes et des Anglais au Caucase, la guerre entre l'Allemagne et le Portugal et puis malheureusement une nouvelle avancée allemande à Verdun.
Ce soir j'apprend que Vaux est repris par les Français.
Le mouvement de troupes continue.
Dimanche Enterrement d'un officier tué aux tranchées par ses propres hommes alors qu'il commandait une attaque.
Lundi 13 mars Grosse émotion . Tous les possesseurs de pommes de terre doivent les livrer aux allemands demain ou bien 1000 marks d'amende.
Encore 11000 kg de papiers sortis en fraude de l'usine. Au prix du jour c'est un bénéfice appréciable..
Mercredi Perquisitions aux Baraques pour les pommes de terre. Nous livrons 20 kg pour faire quelque chose.
Les bouchers doivent déclarer à la Commandanture ce qu'ils possèdent comme viande salée et fumée.
A Gand la ration de viande est de 150 kg par personne et par semaine.
Nous craignons le même sort.
Jeudi Les soldats allemands parlent d'une prochaine offensive au front d'Ypres.
Les aviateurs auraient aperçu un grand mouvement de troupes alliées.
Les soldats racontent même que les anglais ont hissé aux tranchées une pancarte avec cette inscription :
Nous serons le 18 à Menin !"
Quelle bonne nouvelle si elle est vraie !
Samedi M Biermé ayant obtenu un passe port pour Lille m'apporte la confirmation d'une bien triste nouvelle que je soupçonnais déjà :
Paul notre beau frère aurait disparu dans un combat en Champagne à (blanc).
Blessé à la cuisse tandis que les Français reculaient et il est resté dans le réseau des fils de fer sans qu'on sache depuis ce qu'il est devenu.
Madeleine aurait parait-il fait toutes les démarches imaginables pour retrouver sa trace et ne veut pas perdre l'espoir de le revoir un jour.
Pauvre Paul et pauvre Madeleine !
Dimanche La pensée de notre malheureux Paul nous hante.
Vit-il encore et s'il est mort quelle affreuse mort ! Tout seul sur un champ de bataille !
Quelle a été son agonie ?..
Nos enfants et moi prieront de tout coeur pour lui et ma pauvre chère petite soeur !
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La ville est mise en pénitence . Prisonniers dans nos maisons de midi et 1/2 à demain matin .
Motif : Tenue irrespectueuse au passage d'un officier allemand.
L'ordre est donné aux civils de se découvrir dorénavant devant les enterrements des soldats.
Lundi 20 mars La cuisinière ayant donné à l'ordonnance du lieutenant du bois autre que le bois habituel, celui ci faisant momentanément défaut, l'ordonnace refuse et porte plainte à son officier
La dessus Schmidt taille sa bonne plume et nous envoie incontinent ce belliqueux billet.
Monsieur Chapelle (sic) Denis

Le général X (Il ne vous faut pas connaître le nom) a ordonné que la population de Menin est obligée de donner aux officiers allemands le logis, l'éclairage et les combustibles . Si vous ne me donnez pas ces choses, je les prendrai .

Que faut-il faire ! S'incliner !
Inutile de dire que ce billet doux circulant au café de main en main a fait la joie des amis de Jean qui ont surnommé notre hôte le " Général X".
Mardi 21 Les prisonniers russes travaillant au front passent en ville, les pauvres diables souffrent dit-on de nombreuses privations et les civils apitoyés usent de ruses pour les secourir. Seulement il leur en cuit parfois, temoin cette jeune fille condamnée à quatre jours de prison pour leur avoir donné aujourd'hui des cigares.
Mercredi 22 mars L'alarme est donnée aux troupes allemandes à Halluin, les sentinelles quittent leurs postes, du même coup ruée des Halluinois vers les magasins des Baraques qu'ils vident rapidement.
La guerre est finie pensent ces braves gens..
Jeudi Ce matin les sentinelles sont de nouveau à leur poste.
Le 124 part au front.
Samedi La viande se vend 4, 5 et 5,50 frs le kg.
Le beurre 9 frs 50 aussi doublons nous son volume en y ajoutant une égale partie d'eau.
Dimanche 20 Cette nuit vers 2 heures, violente action d'artillerie vrai feu roulant . On apprend ce matin que l'alerte a été vive chez les allemands.
10 autos se tenaient prêtes à emporter les avions au champ d'aviation que l'on commençait à démonter.
Les anglais parait-il auraient pu percer.
Lundi La canonnade reprend plus violente cette nuit. Les anglais auarient fait sauter deux mines.
5 avions survolent la ville. Pendant le tir des éclats de schrapnells tombent dans nos jardins dont un presque sur maman.
Mardi Un officier vient annoncer l'enlèvement des marchandises de l'usine d'Halluin.
Encore une nuit mouvementée. De violents chocs ébranlent la ville, toute la population ne peut gère dormir.
Si les anglais pouvaient arriver, voila qui arrangerait bien nos affaires à l'usine.
Mercredi L'enlèvement des marchandises commence à Halluin.
Quatre camions automobiles sont chargés aujourd'hui.
Tout cela est simplement pesé sans spécification de prix, ni de qualité. C'est et cela malgré les observations de Jean qui fait remarquer qu'il y a de grands écarts entre la valeur de certains papiers. Le pauvre n'y gagne rien qu'un mal de tête plus qu'explicable.
Jeudi Jean passe ses journées à l'usine.
Les fabricants de papier obtiendront peut être un passe port pour Roubaix afin de faire enregistrer leurs bons de réquisition par la Chambre de Commerce.
Vendredi 31 mars 1916 Les allemands consentent à nous laisser 1500 kg ! Ironie !
Jean se console tant bien que mal en trichant tant qu'il peut sur le poids qu'il force dès que les soldats ont le dos tourné.