Carnet 2 de Mme Cappelle Louise née Denis pendant la guerre
                      du Jeudi 1 Juin au Vendredi 30 juin 1916                 

Jeudi Fête de l'Ascension Ce soir vers 8 heures , on entend les canons du tir de défense et l'on aperçoit un ballon qui survole la ville. C'est un ballon captif détaché dirait-on car un bout de chaîne y est suspendu.
Les canons tirent... tirent...
Sept avions allemands le criblent de mitraille.
Nous plaignons les malheureux pilotes .
Le ballon se dégonfle rapidement et ne tarde pas à atterir.
Vendredi 2 juin Nouvelle d'hier soir !
La tragédie s' est muée en une bonne plaisanterie car la foule des officiers accourus de toutes parts pour jouir de l'atterissage n'a trouvé dans la nacelle que des poupées habillées en soldats anglais.
Vervelghem où la scène a eu lieu serait puni pour avoir trop ri.
Cette après dînée commence la grande attaque annoncée. Tous les généraux sont partis, le canon tonne...
Bientôt nous voyons passer quatre officiers anglais prisonniers. On décharge des blessés à l'ambulance du collège.
Peu après, toute une bande d'anglais 300 environ , passent à Menin et mettent la ville en émoi. On se presse sur leur passage, on leur donne des vivres, du tabac, des cigarettes.
Les Allemands sont furieux, Ces Belges, disent-ils, ils n'ont pas assez de pain pour eux et ils l'offrent aux Anglais . La rue de Courtrai où défile la colonne est presque en révolution !
Inutile de dire que des arrestations suivent cette effervescence !
10 femmes sont condamnées à 1 à 2 mois de prison . Avoir salué un prisonnier suffit à vous envoyer tout droit sous les verrous.
Samedi 3 Ce matin vers onze heures, alors que le nez en l'air nous suivions au jardin les évolutions d'une bande d'avions un sifflement aigu déchire l'air près de nous. Une pluie de bombes tombe sur la ville .
On se réfugie dans les caves et, le danger passé, nous parviennent de tristes nouvelles.
8 bombes sont tombées sur Menin causant 4 morts sdnt Mme Descamps notre voisine qui revenait d'une course dans la campagne. 6 autres ont fait 2 victimes à Halluin. L'une d'elles à 500 mètres de la maison dans la propriété de Mme Gratry.
Lundi 5 juin Hier et cette nuit, violente action d'artillerie au front, de fortes explosions se produisent , explosions de tranchées disent les uns, de munitions disent les autres, si fortes qu'elles effrayent en sursaut. On prétend que ce serait une contre attaque anglaise.
Vendredi vers 2 heures, les Allemands auraient été maîtres de la hauteur 60, " la tranchée internationale " disent-ils tant elle est disputée depuis que les Anglais l'ont reprise.
Mercredi 7 Juin Le canon continue de gronder.
Un mot aujourd'hui sur les jeux de nos enfants.
Ces bambins ont tout à fait le sens de l'actualité. Ainsi le jeu du bombardement a beaucoup de succès près d'eux. Ils parlent canons, munitions, tranchées comme les grands et la salle d'enfants ne voit que fins guerriers.
Tantôt un avion la sillonne et y jette des bombes, tantôt une colonne de munitions y défile très au complet. Puis c'est le bombardement toute la bande se réfugie dans les soi-disant caves. Parfois aussi c'est la fuite sous les bombes.
On charge les bagages sur les charettes ou sur les dos et... en route
Un temps de galop... arrêt.
- Je descends dit Jean Marie !
- Que vas-tu faire ?
- Acheter du chocolat. le danger est passé.
Il en est de même des tranchées que Jean Marie creuse au jardin et où il installe ses petites soeurs au grand dam des culottes et des bottines. < font>
Dimanche 11 juin La viande commence à faire joliement défaut aux Allemands eux mêmes. Le casino de Uhlans installé chez ma belle mère mange du poisson trois jours par semaine et se console de ses privations en vidant force bouteilles.
Lundi Maman commence les démarches pour la levée d'écrou et le retour de Papa.
Mardi Cette nuit roulement ininterrompu de canon.
Les canadiens auraient repris le Hooghe.
La forte attaque a donc été un fiasco.
Tout le monde par contre se réjouit des heureux résultats de la grande offensive russe.
Mercredi L'ordonnance de Schmidt est allé aujourd'hui au front voir son beau frère et lui porter des vivres. Il nous fait un récit effrayant de ce qu'il a vu. Partout du sang, des cadavres !
Son parent, agité d'un tremblement convulsif, refusait de manger des soldats devenaient fous !
Les récits d'autres soldats corroborent ses dires.
Samedi Nous apprenons la mort de Mme Dewitte, mère de nos beaux-frères survenue en Hollande.
Je vais à la commandanture solliciter un laisser passer pour la nuit.
Ce soir enfin les Uhlans du casino recoivent l'ordre inattendu de partir pour le Russie.
Dimanche Les femmes emprisonnées lors du passage des prisonniers anglais sont relâchées.
L'avance russe continue.
Lundi 19 juin Schmidt, le notre !, ayant reçu l'ordre de quitter la maison se met en quête d'un nouveau logis !
Rien n'est assez beau pour lui. De nombreuses maisons recoivent sa visite ! Il examine la hauteur des chambres, palpe le moelleux des matelas mettant en rumeur les rues de Lille et de Bruges où chacun épie ses faits et gestes et conjure le ciel de l'éloigner.
Il pronostique dans une maisons que j'aurai deux jumeaux alors dit-il " que six enfants étaient bien suffisants ".
Mardi 20 juin Les Français attaquent à Verdun, les Anglais au nord d'Ypres.
Une cinquantaine de soldats arrivent désarmés et mains liés. On les embarque en chemin de fer, des récalcitrants probablement.
La ville est rationnée pour la viande : 150 gr par personne et par semaine. De ce chef, les officiers et les soldats ne peuvent plus rien acheter dans les magasins vides et le régime de la "marmelade" s'accroit dans de notables proportions.
Mercredi 21 juin Les adieux de Schmidt .
Rentrant ce soir chez nous, il m'aperçoit assise dans la cuisine hésite un instant et s'avance .
Il salue, je me lève et lui rends sa politesse ;
- je pars demain dit-il
moi pour dire quelque chose :
- dans la journée ?.
Puis après un instant, " eh bien, Monsieur, je vous souhaite un bon quartier .
Lui gravement .
- j'aurai un bon quartier !
- Allons tant mieux, Monsieur et bonne chance.
Jeudi Schmidt a tenu à me remettre la clé de la maison en mains propres accompagnant l'objet d'un sachet de chocolat , " Petit présent aux infants de leur ami le lieutenant "a-t-il dit
Jean voulait que nous jetions le chocolat dans la Lys mais la gourmandise l'emporte hélas!
Vendredi Mte Dewitte est à Lauwe pour quelques jours.Anna n'y tient plus. Savoir sa soeur si proche et ne pouvoir l'embrasser après une telle séparation !.. Elle se met en route , réussit à berner la surveillance des sentinelles et nous revient ce soir enchantée de son escapade. Marguerite a elle aussi connu des jours mouvementés. Réfugiée à la frontière hollandaise avec une bonne et ses quatre bébés, elle s'est vue forcée de quitter la maison qu'elle habitait et sur la foi de mauvais renseignements contrainte d'habiter dans une maison occupée par des filles de mauvaise vie , une sorte de taudis.
Le nombre de ses enfants effrayant les hollandais, personne ne voulait l'héberger.
Enfin lorsqu'après bien des ennuis elle avait réussi à se loger convenablement au Grand Hotel à Flessingue la naissance de deux jumeaux en l'absence de la garde du docteur et même de son mari.
Dimanche 25 Du jardin, nous apercevons des bombes incendiaires que les avions anglais jettent sur les ballons captifs.
Ces bombes font en éclatant un curieux effet de feux d'artifice.
Lundi Il nous revient que Schmidt regrette la maison et se promet d'y revenir dès qu'il pourra. Grand bien nous fasse !
Mme Vandaele est condamnée à 200 marks d'amende pour avoir écrit à son fils interné en Allemagne que nous étions prisonniers dans notre ville.
Elle est autorisée à quitter Menin où elle ameute la population , déclare la Commandanture.
Encore des bombes incendiaires !
Deux ballons explosent !
Mardi La belle avance russe fait l'objet de toutes les conversations.
On dit que les Anglais prennent l'offensive sur tout le front.
132 ballons seraient " capout ".
A quand notre délivrance ?
Jeudi 29 juin Naissance ce matin à 10 heures d'une belle petite fille.
Nous l'appelons Marie-Jeanne en l'honneur de Jeanne d'Arc.
Vendredi Nuit très agitée au front. Action intense d'artillerie, le ciel est sillonnée d'éclairs.
Ce soir des avions alliés survolent la ville, les canons entrent en feu, des éclats de schrapnell tombent sur la maison.