Malraux est une figure récente et controversée de la littérature et de la culture . Communiste, un tantinet anarchiste, compagnon de révolutionnaires sanguinaires , combattant au panache chevaleresque , il fut aussi le ministre de la culture du Général de Gaulle . L'Art et les énigmes de la beauté ont prolongé ses réflexions sur les actions armées souvent destabilisatrices et aux goûts amers . Les exégètes ne manquent jamais de l'opposer à Sartre dont la fidélité à l'idéologie communiste était plus fiable, même après la découverte des mensonges staliniens . Malraux parle du " mal absolu" qui atteint; à ses sources, la fraternité . La formule est courte autant que l'épisode biblique de CaÏn et d'Abel . La métaphore s'applique malheureusement aussi pour Coucy ; ruine érigée en monument de haine !
Ce délâbrement confine au mal absolu car la France et l'Allemagne avaient là un patrimoine commun , architectural mais aussi historique voire familiale tant les lignées des Coucy, France et d'Europe du Nord avaient des liens génétiques profonds. Mais Malraux n'était pas qu'un visionnaire illuminée. Ses réflexions pénètrent les troubles profonds d'une personne qui s'est inscrite dans l'histoire concrète avec tout ce que celà comporte de mystères, de fulgurance, de violence, d'irrationalité et de folie . Les peuples ne s'expliquent pas mieux que les individus et les conflits peuvent s'ouvrir aussi bien sur des meurtres que sur la paix et la prospérité . Ces options ne sont pas prédéterminées dans l'histoire comme l'avancent de nombreux soi-disant philosophes, et c'est là que le mal absolu trouve son lit .
Concrètement, Malraux cherche à exprimer le malaise d'un Européen après les deux guerres mondiales et cette guerre froide , berceau du terrorisme . Il voit bien les ruines et les dégats, Seul l'art lui apporte une certitude d'humanité et , du coup, les atteintes aux oeuvres magnifiques s'avèrent désolantes et inhumaines .
La Fraternité n'est pas qu'un sentiment , c'est une responsabilité patrimoniale. Toucher, salir, détruire, dégrader , maintenir en ruine , tels sont les périls que doit affronter la fraternité pour que celle-ci perdure, s'affirme et simplement existe . Dans le cas de Coucy, le mal absolu peut aussi se voir sous une autre perspective . Zita, l'Impératrice d'Autriche a révélé que ses frères qui servaient dans les armées alliées à la France avaient fin 1916 , contacté les dirigeants français pour proposer un traité de paix qui aurait restitué l'Alsace et la Lorraine à la France et stoppé l'hécatombe de Verdun et sauvé des millions d'hommes . Clémenceau et le gouvernement français, répondront négativement en ne repondant pas clairement, en conditionnant la réponse à des considérations secondaires sans urgence, ni importance au regard des enjeux . Ce refus de la paix a été la cause évidente de la destruction de Coucy . Coucy fut miné, il faut le rappeler pratiquement deux mois après l'offre de paix et son rejet tarabiscoté . Pourquoi ne pas avoir pris au sérieux la mission des frères de Zita, alors même que ceux-ci combattaient avec les alliés, courageusement en preux soldats ? Les Républicains qui prônent la fraternité , se sont soumis à des considérations militaires qui ne connaissent que la subordination et l'obéissance et de stratégie politicienne où tous les moyens sont bons et où la lutte de classe a raison sur tout . La fraternité ne pèse pas dans la balance des puissants pas plus que les charniers et les holocaustes . Le mal absolu , écrivait Malraux . La réflexion mérite plus que jamais d'être faite car la paix du monde est toujours en péril , pas seulement loin d'ici mais dans nos rues voisines et nos pays limitrophes . Il ne s'agit pas dès lors d"aimer son prochain" mais d'abord de préserver ce patrimoine qui fait de nos familles une nation, une patrie et un être fraternel pour les autres sociétés du monde . Comme Barbara Tuchman et son "miroir distant", Malraux avec " le Miroir des Limbes" dénonce ceux qui craignent d'agir pour donner un sens à la fraternité humaine, seule rempart au mal !